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     LE SECOND JOURNAL DE JEAN-JACQUES

OU

UN MONDE POUR UN AUTRE

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Aussitôt que le mot fut prononcé par moi-même, les lions se mirent à rugir respectivement au fond de leur cage dorée! Bon sang, mais qu'avais-je commis encore d'idiot pour les exciter autant, ces bêt-es de cirque? L'idée qu'ils se seraient mis en colère parce que j'aurai pu aussi le faire exprès, m'étonna beaucoup. Quoi, un mot, disons bien placé dans notre conversation, aurait pu susciter autant de hai-ne? Ah non, sincèrement, non, m'écriai-je, car je savais bien au plus profond de ma raison que les lio-ns ne pouvaient saisir et comprendre les nuances du langage! Mais je restais méfiant, fidèle à mes ha-bitudes, pour ne pas être étonné par les oracles extraordinaires des diseuses de bonnes aventures. Sans plus attendre, j'entrepris de me rappeler ce mot que j'avais bien pu prononcer dans notre dernière con-versation qui était tout à fait anodine pour moi, mais qui ne l'avait pas été pour certains. Aussitôt, je repris mon discours auprès de mes amis et lâchai subitement le mot fatidique qui une nouvelle fois fit rugir les lions au fond de leur cage dorée! Monsieur Descarte, qui avait assisté à la scène, voulut me dire quelque chose, comme pour me confirmer mes propres pensées; mais un petit homme pres-que bossu et couvert d'un ponpon rouge éssaya de lui en empêcher en le tirant par la manche. Ce fut si drôle et si surprenant que ses proches voisins se mirent à rire inconsidérablement fort et longuem-ent où chacun tirant du côté opposé( où il voulait obtenir l'effet) avait finit par faire rire, mais aussi que la manche craqua et le petit homme presque bossu tomba au sol ainsi que son ponpon rouge qui roula, roula sous les jupes pétales de ces dames. Tout le monde était d'accord dans le grand salon qu' un clown s'était infiltré par inadvertance parmi eux où des rires fusèrent de partout comme de petits pétards brillants. Monsieur Descarte, qui avait réussi à se défaire de ce bossu presque nain, digne d' un cirque baroque, s'approcha de moi et me dit : L'expérience, mon cher! L'expérience! A la longue, vous aussi vous apprendrez!

Sincèrement, je ne comprenais pas ce qu'il voulait me dire et mon regard resta perplexe malgré son grand savoir. Puis il me dit ces mots d'une grande sagesse philosophique que je me fais échos de vous répéter : Sâchez, mon ami, que les mêmes causes provoquent toujours les mêmes éffets! Et que vous n'y pourrez rien, mon cher Jean-Jacques, sâchez-le bien! Puis il s'éloigna de moi, non sans avoir au coin des lèvres, un petit rire enfantin.

A vrai dire, le savoir mainenant, cela me procurait une certaine joie intellectuelle, je ne le nierai pas. Mais le Savoir et pour tout ce qu'il pouvait représenter à ce moment là, celui-ci s'avoua inutile à co-mpter sur lui et, tout particlièrement, dans cette situation baroque où les lions pouvaient à tout insta-nt surgir de leur cage dorèe et me dévorer tout cru! J'étais surveillé par leurs yeux immensément be-aux et veloutés, comme ceux de ces hypnotiseurs de kermesse et de ces tireuses de cartes solaires au-xquels je comptais survivre. Debout en face de mes amis depuis plus de 2 heures, je commençais à avoir mal aux pieds et demandais une chaise en espérant qu'un domestique passa par là pour la lui demander. Puis en regardant un peu à l'écart de la bonne socièté, j'aperçus un homme grand et maigre, vêtu d'un gilet jaune et d'un frac couleur acajou, venir dans ma direction. Il avait aussi( je l'avais rem-arqué) un énorme trousseau de clefs suspendu à sa ceinture. Quand il fut à ma hauteur, je lui deman-dai cette chaise dont j'avais besoin pour m'asseoir. Mais il me dit que cela ne le concernait pas, car il était l'homme des clefs et non celui des chaises! Je fus abasourdi par cette réponse quelque peu étran-ge, non?

Peut-être que mon collègue passera tout à l'heure. Mais je ne peux vous le confirmer, monsieur! me dit-il avec une grande politesse. Puis il repartit après qu'il m'ait fait cette réponse qui lui sembla tout à fait correcte en disparaissant par une porte étroite du salon.

Toute cette grande maison aristocratique me paraissait maintenant bizarre voir étrange à tous mes sens où il y avait eu trop d'évévements anormaux pour que je puisse rester dans mon état normal. Et je réagissais mal à tout cela semblait me faire comprendre tous mes amis ainsi que tous ces gens qu' ils y avaient autour de moi. Quelle imprudence, j'avais commise en venant ici m'exposer tel un ours de foire devant ce parterre d'illustres personnages! me reprochai-je non sans inquiètude sur les évène-ments à venir. Où certains commençèrent à me poindre des yeux tandis que d'autres me dévisagèrent carrement! Parés de bijoux sur tout le corps et de rivières de diamants caracolant sur les poitrines opulentes des femmes, j'avais le sentiment désagréable de ternir le beau tableau qui se tenait devant moi où tout brillait comme de l'or! Mais il y avait aussi de jolies femmes qu'un seul bijoux suffisait à mettre en valeur leur beauté. Alors que d'autres, vieilles et laides, semblaient s'écrouler sous le poids des pierres précieuse où quelque chose de vulgaire s'en détachait tel un parfum nauséabond. De gros propriétaires, sûrement de riches marchands d'esclaves, portaient à leurs doigts d'énormes bagues ser-ties d'un seul rubis, celui-ci énorme! On aurait pu les confondre avec de célèbres proxénètes de la pl-ace Pigalle, mais nous n'étions pas à Pigalle, mon ami! Les hommes étaient gainés de fins collants ve-loutés et soyeux et les femmes germaient dans d'étranges robes plantureuses. De jeunes gens d'allure simple essayaient de se faire remarquer par le choix d'une dentelle à leur chemise remarquablement blanche ainsi que par un revers de manche à leur costume quelque peu dépassé. Ils s'étaient mis à pa-rler de l'actualité en générale et tout particulièrement celle des théâtres où de nouveaux comédiens faisaient leur apparition pour la première fois aux variétés, mais aussi à l'Empire!

C'était merveilleux de les écouter rêver beaucoup et tendis mon oreille comme je pus pour ne pas en laisser échapper une seule bride. L'actualité, elle aussi, des journaux et des gazettes parisiennes y pas-sait à travers le crible de cette jeune socièté quelque peu ambitieuse et emblèmatique. Les faits divers avaient eux aussi beaucoup de succès malgré la mauvaise image qu'en donnait la folie journalistique du moment où c'était la corruption qui semblait rythmer l'actualité de la presse à scandales.

Ah!Ah!Ah! Quoi de plus normal en politique que de faire toujours les choses en retard, j'entendis soudainement!

Où le scandale devenait lui aussi scandaleux, comme le succès dans les affaires: impudique aux yeux de l'opinion où l'argent était parti vers des paradis fiscaux inaccéssibles aux mortels et à la justice. Bref, le paradis pour les uns et l'enfer pour les autres qui avaient été floués dans l'histoire tel était le grand problème et la source de la jalousie. La discution était terriblement intelligente du point de vu des légendes et des mythes qui avaient fondé les principes même de notre monde occidental où le sc-andale était devenu le principe de sa survie économique et intellectuelle. Le milieu des affaires priv-ées éssuyaient ses premières gifles quand le milieu public les lui donnait comme un énorme soufflet sur le visage. Le monde, ce soir là, semblait tourner étrangement à l'envers où l'extrème droite et l' extrème gauche de l'univers politique semblaient se rencontrer et se fusionner tel un astre chargé de fer et de malèfices. J'eus peur à ce moment là, quand les jeunes gens firent semblant d'imiter le mou-vement de rotation de ces orbites extrasidérales. L'explosion faillit faire ses premières victimes, mais ce furent des éclats de rires que j'entendis autour de moi, comme s'ils avaient été lancés pour la pre-mière fois sur la terre. Et le monde normal réapparaissait tel qu'il avait été toujours été, c'est à dire simple et rond comme la forme douce et arrondie des oranges d'Amérique! J'esquissai tout de même un sourire enfantin, mais génial à cette jeune socièté d'artistes et de funambules. Leur langage rede-venant simple à écouter, il m'a semblé tout naturel de leur laisser la parole.

-Saviez-vous que mon beau frère avait reçu la semaine dernière, un coup de téléphone surréaliste?

-Non! répondirent-ils tous en même temps.
Hé ben vas-y, raconte!

-Voilà, un certain monsieur Valien (c'est ainsi qu'il se prénommait au téléphone) avait soi-disant d' importantes informations à propos de monsieur Crakinette qui, comme tout le monde le sait, est adj-oint au maire de la ville de Fontabelle. Mon beau frère demanda à en savoir plus, bien évidemment. Mais celui ci demandait en échange 60 000 euros en liquide et en petite coupure afin qu'il eut à lui seul l'exclusivité de cette information. Mais mon beau frère lui dit textuellement qu'il était bien trop cher pour lui et pour son journal qui tirait même pas à 100 000 exemplaires. Mais qu'il allait deman-der à son patron, monsieur Robert, s'il avait un autre avis sur cette question si sensible des 60 000 euros en liquide et en petite coupure. Attendez! lui dit-il au téléphone, le temps d'appeler son patron. Il posa le combiné sur son bureau et prit le combiné d'un autre téléphone qui se trouvait sur de vieux rangements métalliques où des dossiers de toutes sortes bâillaient en prenant la poussière du plafond.

Monsieur Robert était à ce moment là aux presses de Ringis où il essayait comme il pouvait de caj-oler les ouvriers de l'imprimerie, qui tous menaçaient de faire grève d'un instant à l'autre. Leurs re-vendications étaient fort simples et conpréhensibles par tout le monde. Ce qu'ils désiraient, c'était d' avoir plus d'argent, mais aussi plus de temps pour pouvoir le dépenser. En fait, ils essayaient de réso-udre la célèbre question sur la quadrature du cercle, mais sans réellement y parvenir. Faut dire aussi que plus d'un savant s'y était auparavant cassé les dents, Ah!Ah!Ah!

-Allo patron? C'est René à l'appareil. Oui, j'ai quelque chose de très important à vous rapporter. Voi-là, un certain monsieur Valien se présente comme une personne possédant des informations très très importantes à propos d'un certain monsieur Crakinette qui est adjoint au maire de la ville de Fon-tabelle : ville qui vous savez est tenue actuellement par notre ministre des finances!

-Ah oui?
-Mais oui !
Et combien veut-il ce gredin? demanda furieusement Robert en mâchouillant son cigare.
-60 000 euros en liquide et en petite coupure, répondit René.
-Quoi, 60 000 euros! Mais il est fou? Il veut notre ruine ou quoi?

Monsieur Robert lâcha son cigare quand il entendit prononçer la somme des 60 000 euros au téléph-one. Car cette somme était considérable pour lui et la donner à un petite crapule( comme semblait l' être ce monsieur Valien) le dégoûta pendant un instant. Mais il se reprit et remit vite ses idées en pla-ce qui étaient celles d'un patron de presse que seul le scandale intéressait et rien d'autre. Où tout dé-coulait d'un principe fort simple, comme l'eau des pluies formant les ruisseaux, puis les rivières, puis les océans etc. S'il avait pu, il l'aurait bien kidnappé pour lui faire cracher ses informations sans lui donner un seul centime et prêt à utiliser la torture pour arriver à ses fins! Mais malheureusement, ce-la il ne pouvait pas se le permettre, car monsieur Robert était un démocrate qui n'avait aucun courage sauf le pouvoir magique de l'argent. Mais ce pouvoir avait le gros défaut de s'épuiser à chaque fois que l'on s'en servît, bref, le gros défaut du capitalisme!

Ses principaux concurrents étaient bien sûr ses confrères de la presse écrite. Et quand il criait "Au scandale!" dans son petit journnal à cent milles exemplaires d'autres à deux cents milles criaient " Au scandale!" deux fois plus que lui, Ah!Ah!Ah! Et que dire des autres qui tiraient à 1 million d'exempl-aires? Parfois, il était abattu en y pensant. Mais est-ce qu'on m'écoute vraiment dans l'opinion publi-que? se demandait-il souvent l'air désespéré et pas loin de la crise de nerf. Car il aurait voulu être le seul à être écouté de tous. Mais un brouhaha indéfinissable couvrait souvent ses articles où le soi-disant scandale devait sortir et alerter l'opinion publique d'un réel danger pour la république et la lib-erté.

Tout à coup, on entendit une clameur sortir de l'atelier de l'imprimerie où des ouvriers étaient mon-tés sur les bâtis des machines et prenaient tour à tour la parole où il était question de liberté, de frate-rrnité et de justice sociale. Etrangement, Robert ne comprit rien du tout à ce qui se passait autour de lui. Car lui, qui défendait la démocratie, était arrêté dans son action de journaliste par des syndicalis-tes qui soi-disant défendait la liberté! Une rougeur monta aussitôt sur son visage, non pas celle de sa honte, mais de son impuissance. Purée de poisse, mes confrères sont en train tirer leur journal, alors que moi je suis en train de me battre avec des singes comme au temps des cavernes! lâcha-t-il avec fureur.

Tout le monde semblait s'être mis d'accord pour le faire tomber! pensait-il comme emporté par une crise de paranoïa. Et qu'ils avaient été peut-être tous payés pour tout arrêter et tout casser dans l'imp-rimerie, ces salopards? s'interrogeait-il afin de se faire plus de mal. Hum, hum, c'était fort possible! pensa-t-il comme s'il venait de recevoir un gros coup de massue sur la tête. Car dans tout ce brou-haha médiatique, syndical, religieux et anarchique, tous les journaux semblaient y participer avec joie et acharnement, comme si leur ambition cachée était d'étouffer la vérité! Et que dire de ces illustres personnages qui venaient à son journal lui faire des caresses idéologiques en lui faisant comprendre que par son journal, il défendait les droits de l'Homme donc ceux de la démocratie! C'était bien sûr à tordre de rire toute cette mascarade, Ah!Ah!Ah! Mais monsieur Robert aimait bien aussi recevoir des caresses. Pouvait-on le lui reprocher? Car qui d'entre nous n'a jamais aimé être cajolé, dorloté ou fe-llationné?

Ses ennemis de presse aimaient bien s'en prendre à lui, car il avait toujours eu le courage de clamer haut et fort son indépendance. Ce qui avait fini bien évidemment par irriter certaines personnes haut placées dans le monde de la presse. Mais lui, il s'en moquait complètement, en jugeant que toute in-formation sérieuse devait être rendue publique sans l'accord de certains qui auraient aimé être info-rmé avant que l'article fit ses ravages auprès de l'opinion publique. Bref, pour eux, un journal libre et indépendant, ça ne devait pas exister, c'était clair. Les satiriques se moquaient de lui en le caricaturant d'une manière si odieuse qu'il aurait pu porter plainte et gagner facilement son procès. Mais bizarre-ment, il ne le faisait pas en étant accaparé tout la journée par ses affaires d'argent et de politique!

Ces dessins plus ou moins grotesques et délurés montraient monsieur Robert en gros bonhomme na-geant seul au milieu de l'océan avec son gros cigare. Bien évidemment, personne ne viendrait le cher-cher si sa bouée crevait! Les royalistes nièrent en bloc les articles de son journal et quelques fois pou-ssèrent la cruauté jusqu'à nier son existence même à l'état civil. Mais qui est monsieur Robert? Nous sommes désolés, mais nous ne le connaissons pas! Par contre, les républicains le ménageaient un peu, par solidarité idéologique, mais sans pour autant lui faire de cadeaux. Etant donné que ces derniers tiraient à 1 million d'exemplaires et que le problème de monsieur Robert ne se posait plus dans les mêmes termes, mais de concurrences. Bref, pendant ce temps là, les anarchistes s'entretuaient et les cacophonistes jouaient en sourdine!

En fait, tout ce beau monde participait directement ou indirectement à la chute de monsieur Robert ainsi qu'à la chute de la prochaine affaire du siècle que personne ne connaîtra. Car la vérité tant atten-due aura tellement été pétrie par des mains expertes qu'elle se sera transformée en une autre chose et très certainement en un vulgaire produit de marketing. Bref, tout le monde y perdra, sauf les journaux et le monde politique.

Robert y pensait souvent à cette fin de la vérité, mais évitait de lui donner trop d'importance pour ne pas décourager ses actionnaires et amis intimes qui voulaient eux aussi rentrer dans leurs sous. Car ils n'étaient pas non plus des enfants de choeurs et devaient eux aussi gagner leur vie, comme tous ces ouvriers de l'imprimerie de Ringis qui voulaient des augmentations pour nourrir leur famille et tout le reste. Bref, le monde était bien fou et l'important était qu'il crut à cette vérité. Oui, à cette vérité qu'ils attendaient tous impatiemment de connaître et, étrangement, cachés derrière de fausses idées ou de préjugés issues de leur classe sociale. Bref, un monde où le risque intellectuel avait complètement disparu! Telle était cette contradiction que portait en lui chaque homme et chaque femme, comme un sombre espoir qu'une quelconque justice existât sur cette terre!

Non, non, sur ce terrain, je n'ai aucune chance de les battre! lâcha-t-il furieusement. Pris de panique, il décida de quitter l'imprimerie par une porte dérobée. Il écrasa son gros cigare sur la moquette avec une extrême violence et avait raccroché le téléphone depuis bien longtemps où il avait dit à son réda-cteur en chef, René, de prendre un rendez-vous avec ce monsieur Valien. Un nom sûrement d'empru-nt, pensa-t-il, afin d'éviter tout filage possible de notre petite crapule dont les idées ne manquaient pas! s'agaçait-il. Avant de quitter cette pièce de l'imprimerie, où se trouvait le seul téléphone en état de marche, il pensait que si cette information, touchant de près le ministre des finances était vraie, il pourrait tirer son journal à plus de quatre cents milles exemplaires, ce qui serait un tirage exception-nel qui lui permettrait de le relancer dans le monde de la presse. Si tout cela se vérifiait( moyennant 60 000 euros en liquide, mais tout de même négociable avec une petite crapule!), il serait prêt à faire imprimer ses quatres cents milles exemplaires dans un pays voisin, comme la Belgique ou l'Espagne dans les prochains jours. Une petite porte, qui se trouvait à l'arrière de ce local et donnant sur la rue, Robert l'emprunta, la tête bouillonnante de folles idées.

-Et après? Et après? demanda la petite troupe de jeunes très impatiente.

Le jeune homme raconta que cette personne prénommée Valien avait dit vrai. Et après une enquête journalistique, puis judiciaire, on arrêta monsieur Crakinette pour abus de biens sociaux!

-Voilà, c'est tout.

Un long silence suivit cette réponse, comme si tout le monde était intrigué par quelque chose qu'il manquât à cette histoire. Puis réflechissant tous au fond d'eux même, tout à coup quelqu'un lâcha : Mais le ministre des finances et lui qu'est ce qu'il a eu?

-Et ben lui, il a rien eu du tout!
-Ah!Ah!Ah!

Tout le monde éclata de rire et ce fut le tollé général dans le grand salon. Un homme, qui avait ente-ndu tout ce vacarme, se mit soudainement à taper des pieds, comme le font si bien les espagnols dans les ferias de Seville ou de Marboz.

-Silence, messieurs, s'il vous plait! N'oubliez pas que vous avez été invité et nous ne sommes pas au moulin rouge!

Les jeunes gens obtempérent silencieusement et changèrent de sujet automatiquement, tels de petits automates.

Ces lieux, dans lesquels je me trouvais, étaient richement ornés et décorés par de vraies oeuvres artis-tiques. Le sol, les murs et le plafond en étaient recouvert entièrement. Il y avait bien ici au moins une centaine d'oeuvres contemporaines de Buffa ainsi que de Michel Angelis et de quelques autres artist-es célèbres. Le tout avait été placé, non par hasard, mais avec une certaine fraîcheur d'esprit afin que chaque œuvre ne détruise pas l'effet d'une autre. Comme une peinture à l'huile de Buffa( représentant un jeune homme sortant d'un lit d'une rivière situé près d'une clairière verdoyante) avait été placée en face d'une admirable statue de Rucco en marbre blanc représentant une jeune femme portant dans ses bras une cruche antique. Point de doute, nous étions bien chez des connaisseurs très très fortunés. Dans ces lieux étranges et vastes, tout devait être beau à regarder pour les yeux et ravissant à écouter pour l'ouie fine des connaisseuses. Apparemment, les saloperies du monde et celles des arrivistes n'a-vaient, semble-t-il, aucun succès auprès de ces monarques costumés de paillettes!

Où chacun jouait son rôle à merveille, celui qu'il n'avait pas dans la vie! Et ainsi fait pour le bien de tous ces gens réunis dans ces lieux presques irréels. Point de scandales! semblait scander silencieuse-ment la maitresse des lieux. J'entendis ces mots prononcès élégamment s'écraser dans chaque recoin du mobilier contemporain, puis s'évanouir dans ces tiroirs inaccessibles à notre curiosité enfantine. Il semblait que le seul murmure de nos lèvres pouvait agiter et donner vie à cet énorme pendantif que représentait le lustre du grand salon où la lumière sortait agrandie, embellie. Quand subitement, les petites lames affutées dans le cristal de Venise s'entrechoquaient et tout le salon semblait vivre un instant éternel et moi avec. Je ne vous cacherai pas, mon cher lecteur, que le plaisir me prenait alors à revers et me séduisait de tous ses fastes!

En fait, je n'arrivais pas bien à comprendre pourquoi j'avais été invité ce soir là chez la duchesse de la Ponponnière, alors que mes écrits dans la presse étaient souvent teintés d'amertume à l'égard des aris-tocrates! Tonnerre de dieu, mais ne leur avais-je pas montré clairement que je les haïssais tous et sans exception? Non, sincèrement, je n'arrivais pas à comprendre cette façon bien étrange de recevoir dans ses salons des gens qui vous voulaient du mal! Voulaient-ils m'atteindre et me toucher en plein coeur par cette manière ridiculement ostentatoire de me montrer leurs richesses ou bien voulaient-ils m'ac-heter, moi le pauvre Jean-Jacques qui n'avait jamais eu un liard de trop dans sa poche? Hé ben, ils po-uvaient encore courir longtemps mes grands dadas, car je n'étais pas né de la dernière pluie, Ah!Ah!Ah! Et puis de toute façon, je trouvais qu'ils étaient trop riches et c'était scandaleux! Ils possédaient à eux seuls presque tout le pays et pouvaient, quand ils le voulaient, interdire la publication d'un de mes livres parce qu'ils l'estimaient trop dangereux pour la population. Propos révolutionnaires! s'ex-clamèrent-ils lorsque parut mon premier roman, l'idiot de village.

Sincèrement, je n'arrivais pas bien à comprendre en quoi les propos de mon heros puissent-ils être taxés de révolutionnaires, alors qu'ils exprimaient quelque chose de tout à fait banal. Comme le désir de vivre libre sans devoir rendre de comptes au roi de France et à tous ses ministres qui faisaient la fête tous les soirs au château de Versailles! En fait, ce que mon héros voulait dénoncer dans ce livre, c'était le mepris des monarques pour les pauvres gens qu'ils considéraient comme des abrutis, bref, sans avenir. Pour pouvoir dénoncer tout cela et surtout éviter la censure, j'ai dû inventer un person-nage atypique qu'on trouve rarement dans le roman traditionnel. Il s'agissait d'un idiot qui grâce à sa très grande naiveté allait poser aux gens de son village des questions de bon sens, afin de leur révéler leur état d'exploitation. Une prise de conscience allait alors pouvoir se faire et ainsi les libérer de leur joug. Mais pour ne rien vous cacher, ce livre trop en avance sur son temps fut saisi par l'autorité royale de la censure et retiré de toutes les bonnes librairies parisienne ou autres, ce qui fut pour moi comme un coup d'épée dans l'eau. Et j'imaginais alors tout un stratagème pour éviter la future cens-ure de mes livres en les faisant imprimer à l'etranger, puis de les faire passer "sous le manteau" jusq-u'en France afin qu'ils fassent un max de mal à son aristocratie que je considerais comme la plus abjecte au monde pour avoir massacré une partie de ma famille protestante, les Hugenots. Ainsi s'ex-primait dans ce livre ni plus ni moins, mon courage intellectuel. Car il faut vous dire que personne dans mon trou perdu ne parlait de révolution où les hommes et les femmes étaient attachés à la terre de leur maître depuis des lustres et s'y étaient habituès. Où le rôle des femmes était de s'occuper de leurs enfants, de les nourrir, les habiller, les nettoyer, puis de faire ensuite les travaux des champs, comme couper les mauvaises herbes, réparer les haies, nettoyer les étables etc, la suite serait longue. Bref, tout ça pour vous dire qu'ils n'avaient en aucune façon le temps de penser à faire la révolution!

CHAPITRE 2

Ici commence, mon cher lecteur, dans ce deuxième chapitre, la partie la plus importante de cet ouvra-ge, si particulier, soit-il. Lisez-là attentivement, sinon vous ne comprendrez rien à l'histoire de ma vie qui ne fut point jalonnée de bonheurs, comme certains pourraient le croire, mais remplie de malheurs dont les causes me sont maintenant comprises et acquises. Ce travail, si ingrat soit-il, mérite d'être fait en son heure et je m'y appliquerai en ne me faisant aucune illusion sur le travail qu'il me demand-era pour y venir à bout. Mais je le ferai quant même, non pour en tirer une satisfaction personnelle, mais bien pour que vous, lecteur inconnu, que je devine amoureux des belles lettres, puissiez enfin tout connaître sur cet homme qui depuis le debut semble bien vous cacher des choses par le fait sing-ulier qu'il s'était présenté à vous seulement par son prénom de Jean-Jacques. Mais ne soyez pas trop impatient de le connaître, car il vous en donnera tout le loisir.

Durant des années, j'ai essayé de comprendre pourquoi ma vie n'avait été qu'une suite d'erreurs de ma part, mais aussi d'incroyables malentendus disputés sur ma personne qui m'avaient entraî né à chaque fois au devant de mes malheurs! Mais comment vous dire, sans considérer cela comme une victoire, que je sais maintenant le pourquoi de toutes mes souffrances : souffrances qui avaient fait que je n'a-vais pas vécu comme un homme, mais comme un homme persécuté par ses contemporains! Je sais ce que je dis là est dure à entendre, non pas seulement pour moi, mais aussi pour toute cette humanité si peu reconnaissante, il faut le dire. Comprenez bien, mon cher confident que c'est uniquement la vérité que je veux pour nous et non une justification à mes propres yeux de toutes mes erreurs intellectue-lles et philosophiques. Puisque je suis malheureux maintenant, cela ne veut-il pas dire que j'ai eu tout faux dans ma vie? Et que mes détracteurs avaient eu peut-être raison de m'éloigner de mes sombres idées qui, étrangement, exigeaient de moi une explication à toute chose pour dénonçer les injustices sociales et apporter à l'humanité un peu de bonheur? Non, non, mon ami, tout ceci je ne veux plus l' entendre prononcer autour de moi! Car mon intelligence, je l'ai offerte à toute l'humanité et elle n'en a pas voulu! Comment vous dire que mes illusions me tombent, comme mes vêtements en guenilles? Comment vous dire que je meurs dans une quasi-indifférence de tous mes semblables que j'ai pourt-ant aimé comme mes propres enfants? Je meurs d'avoir trop aimé, voilà le scandale! Je meurs d'avoir trop donné, voilà la vérité! Je meurs sans avoir entendu merci, voilà notre belle humanité! Je meurs de l'autre, voilà tout. Arrêtons-nous là, mon ami, passionné de vertus et de vérités.

Je sais que vous m'aimerez après m'avoir lu et que cet amour je le devinerai jusque dans ma tombe. Puisqu'à l'heure où je vous écris ceci, il se sera passé très certainement plusieurs siècles avant que vous me lisiez. Mais séchons ensemble nos larmes, mon ami, afin que nous puissions commencer par le début.

C'est en me donnant la vie un 28 Juin 1712 à Genéve que ma chère et tendre mère mourut seulement quelques heures après ma naissance! Mais comment vous dire que cette manière si injuste d'entrer dans la vie pesa si lourdement sur le cours de mon existence et décida une fois pour toute de mon de-stin? Car cette blessure ne se referma plus jamais au fond de mon coeur dont toutes les tentatives de retrouver cet amour maternel furent bien sûr les causes de tous mes malheurs. Et aujourd'hui, j'en suis parfaitement conscient. Mais avais-je bien eu le choix depuis ma naissance? Car où aurai-je pu retrouver cet amour si fort et si particulier qu'a une mère pour son enfant, sinon dans le coeur des au-tres? Une mère se serait tuée pour sauver son enfant et je le désirais aussi de la part de mes amis qua-nd ils me verraient dans l'adversité de mes ennemis souhaitant de moi une mort anonyme et sans écl-ats. Mais bien sûr, je me suis trompé sur leur compte, car ils m'ont tous trahi, voilà la vérité! Pourt-ant, j'ai cru longtemps à leur amitié, mais elle n'était en fin de compte que mensonge et hypocrisie. Tout cela m'avait entraîné bien évidemment dans des aventures romanesques que mon coeur souffre toujours. Mais revenons à nos moutons, mon cher lecteur.

On me porta sur le lit de la mourante pour un dernier baiser que je reçus sur le front. Mais ce ne fut point ma mère qui me le donna, mais la mort! Que dieu sauve mon âme! Ainsi commença mon enfa-nce avec ce poids énorme sur la conscience d'avoir tué sa propre mère et qu'on me reprochait souvent à la maison au point que mon caractère se marqua définitivement pour un amour immodéré pour la solitude. O surtout loin des hommes! me criait alors ma petite voix d'enfant. J'avais hérité aussi d'un amour profond pour la nature qui fut la seule en vérité à me consoler de toutes mes peines, telle une mère de substitution. Si ma mère pouvait revenir à la vie, voilà ce que je lui dirais : Vois quel destin, j'ai pu accomplir sans le secours de ton amour en devenant un homme bien étrange! Je me serais alors jeté dans ses bras pour pleurer. Au bord du lac, nous nous serions promenés la main dans la main où je lui aurai fait visiter mes bosquets préférés où la lumière tamisée entraîne ses visiteurs à la rêverie et les odeurs d'algues sauvages nous enivrent les sens. Ah, décidément, j'aurais encore rêvé!

Comme vous le voyez, mon enfance ne fut pas remplie d'amour et d'eau frâiche, comme celle de nos chérubins d'aujourd'hui, mais remplie de manques de toutes sortes surtout d'affection, puisque ma mère était morte à cause de moi, mais aussi de tendresse du côté de mon père qui souvent me laissait pleurer seul dans mon berceau et sécher mes larmes par moi-mème. O comme je me souviens de cette horrible souffrance de l'enfant qui attendait son lot de consolations, mais qui n'arriva jamais! Il s'était alors endormis en rêvant à ce qui n'existait pas, à cette mère qui l'embrasserait un jour sur la joue et l'emmenerait se promener sur les bords du lac tout en le berçant de paroles très douces. Comment vo-us dire que cet enfant, qui allait devenir plus tard le Jean-Jacques que tout le monde connaîtra à tra-vers ses livres pour son amour immodéré pour les autres, n'en reçut jamais une seule miette durant son enfance!

Difficile d'y croire, n'est-ce pas? Mais là est sûrement sa contradiction. Car depuis son berceau, il n' avait fait qu'inventer sa vie et ses amours. Bref, une socièté qui serait peuplée d'amis sincères et gén-éreux qui ne pouvaient que l'aimer, puisque c'était lui-même qui les avait crée par la seule force de son imagination. Comme je suis à plaindre! me dites-vous. Oui, comme je suis à plaindre, vous le dites bien. Mais mon imagination a toujours eu besoin d'un calmant très puissant pour l'apaiser et celle-ci le lui procurait tout naturellement.

Mon père, ne voulant pas s'occuper de moi, m'envoya quelques semaines plus tard chez ma tante Su-zanne, qui habitait à l'autre bout de Genève tout près du lac où les parfums m'appelaient souvent à la rêverie. Tatie ne m'aima jamais comme son véritable enfant et pendant longemps, je lui en ai voulu pour cette raison. Au dessus de mon berceau, il y avait le portrait d'une femme que je crus pendant toute ma petite enfance être celui de ma mère. Mais j'appris un jour, à l'âge de raison, que celui-ci ét-ait en vérité l'amour idéalisé par le jeune Werther, le jeune heros de Goethe qui finit par se suicider faute d'avoir pu réaliser cet amour sur la Terre! Visiblement, le malheur semblait vouloir me pours-uivre, alors que je n'avais encore rien fait de mal à l'humanité! Sacre bleu, mais était-ce trop lui dem-ander de vouloir un peu de tranquillité dans ce monde? J'avais le sentiment depuis tout jeune que le monde ne voulait pas nous laisser un seul moment de répit et je n'en connaissais pas la raison. La cur-iosité me poussa un jour à allez voir du côté de l'arbre généalogique de ma famille où je découvris avec stupeur que son malheur avait commencé bien avant moi. Sur le coup, j'étais rassuré en pensant que je n'étais pas l'unique mouton noir de ma famille, mais qu'un parmi d'autres. Mais pour être franc avec vous, j'étais plutôt horrifié de l'apprendre comme ça grâce à mon intuition qui m'avait guidé dans la bonne direction pour connaître l'origine de ma malédiction. Mon cher confident, regardons maintenant les origines de ma famille.

Mes grands parents sont nés en France, mais n'y sont pas restés longtemps à cause des persécutions des catholiques installés à la cour du roi de France. Car il ne faut oublier de dire à notre cher lecteur qu'à l'époque, on persécutait les protestants pour leur position à l'égard du pape et de son réel pouv-oir sur les âmes. Bref, le pape était-il vraiment le représentant de dieu sur terre ou bien un imposteur? Bien sûr, mes grands parents, qui étaient protestants, croyaient plutôt à la deuxième hypothèse ainsi que tous leurs amis de culte. Dont la liturgie ne se faisait plus en latin, mais en Français afin de leur monter notre différence. Catherine de Medicis, qui pourtant leur avait cédé quelques villes fortifiées, comme la Rochelle, changea tout à coup de fusils d'épaule quand elle se rapprocha de la famille des Guises par fanatisme religieux et interêts poliiques. En reussissant à convaincre son fils, Charles 9, d'organiser le massacre des protestants. Cellui-ci étant connu pour son caractère très influencable, sa mère n'en fit qu'une bouchée et le massacre eut lieu au cours de la Saint-Barthélimy, un 24 Août 15 72. Les Guises faisaient partie de la dynastie des Valois-Orleans-Angoulème et par la suite, ce furent les Bourbons qui continèrent les persécutions, bref, toute l'aristocratie française! C'est pour cette raison que j'ai toujours eu une dent contre elle et qu'il faudra un jour qu'elle le paye. Mais n'allons pas plus vite que la musique, mon cher lecteur. Mes grands parents, fuyant donc les persécutions, se sont réfugiés en Suisse qui devint tout naturellement leur terre d'accueil et de liberté de culte. Beau-coup d'autres nationalités vinrent aussi se réfugier sur cette terre d'asile, comme des allemands, des itatiens, etc. Il faut dire qu'à ces époques, il régnait dans toute l'Europe une très grande intolérance religieuse de la part de l'Eglise catholique et romaine qui dirigeait tel un despote l'âme des petites gens, mais aussi dans les plus hautes sphères du pouvoir à la cour des rois. Comme vous le voyez, mon cher lecteur, il n'est pas inutile de vous rappeler toutes ces choses qui sont sûrement oublièes aujourd'hui par la plupart de vos contemporains, mais tout à fait utile pour suivre à la loupe toutes leurs conséquences qui ont dû en découler tout naturellement, non pas seulement sur ma vie, mais aussi sur des évènements qu'on peut classer désormais d'historiques.

Je devins tout naturellement citoyen Suisse et fier de l'être en m'autorisant enfin de vivre à égal avec mon voisin. Oui, parfaitement libre et définitivement grâce à mon pays : petit par la taille, mais grand par son esprit moderne. Malheureusement, cet état de grâce ne dura pas longtemps pour moi et je ne peux que m'en affliger, moi Jean-Jacques, le libre penseur. Car je fus poursuivi et même calomnié dans mon pays pendant ma retraite pourtant bien méritée! Mais oublions pour l'instant tous ces désag-réments et continuons notre histoire qui, il faut le dire, est peu banale.

Je grandis et devins un adolescent terriblement timide et renfermé sur lui-même. Il est vrai aussi que tout avait germé dans mon cœur pour que je le devienne où Tatie Suzanne ne s'était jamais vraiment occupé de moi et mon père venait rarement me voir à Vevey à l'autre bout de Genève. Mon frère, qui était plus âgé que moi, fuguait souvent de la maison paternelle et partait en vagabondage hors les remparts de la ville, ce qui était assez dangereux vu les bandits de grands chem ins qui campaient aux abords de la cité pour rançonner les gens qui s'y étaient aventurés par mégarde. Sur ce point, je le tro-uvais très courageux d'affronter le danger sans en mesurer les risques, alors que moi j'étais plutôt craintif. Je ne dirai pas peureux, mais craintif, oui, c'est plutôt ça. Et je m'interrogeais souvent sur le pourquoi de tous ses vagabondages. Mais un jour, une scène familiale allait me permettre de conn-aître la vérité. Un soir, alors que j'étais chez mon père pour divers travaux de jardinage, des gardes frontières se sont pointés à la maison en tenant mon frère par le bras qu'ils avaient dû prendre hors les remparts de la ville.

Mon père furieux entra alors dans une colère pas possible et le corrigea devant nous sans le moindre état d'âme! Moi, j'étais véritablement choqué par tout ce que je voyais et par toute cette violence que mon père pouvait sortir de lui-même et l'infliger à son propre fils, bref, des coups à tuer une bête! Heureusement que les gardes frontières l'arrêtèrent à temps, sinon je pense qu'il aurait tué sans bien sans rendre compte. Voilà donc la raison pour laquelle mon frère fuguait souvent de la maison, parce qu'il ne pouvait plus supporter la tyrannie de notre père. Et c'était une chance pour moi d'habiter chez ma tante qui m'évitait bien évidemment de l'affronter de face et mes séjours chez lui consistaient à faire le jardin, le potager et quelques travaux de réparation sur la maison. En fait, mon frère, Jean-Baptiste, avait de plus en plus de mal à vivre sous le même toit que cet homme qui s'était mis à boire d'une manière inconsidéré depuis la mort de notre mère. En fait, je ne comprenais pas vraiment son attitude très sévère envers mon frère qui n'y était pour rien sur la mort de notre mère, car j'étais le seul responsable! Sans oublier de vous dire que son voisinage avait porté plainte à plusieurs reprises auprès du tribunal de Genève pour tapages nocturnes. Mais s'il n'y avait que cela!

Quelques semaines plus tard, mon frère m'apprit des choses dont je n'aurai pas souspçonné l'existence sans ses confidences. Car mon père avait transformé la maison maternelle en maison close, si j'ose m'exprimer ainsi. Bien sûr beaucoup de gens dans son entourage n'était pas d'accord, et tout particuli-èrement, les amis du père Diètrich qui nous faisait l'école et nous enseignait le cathéchisme à la par-oisse du village pour être de bons chrétiens. Mais bon, lui, il s'en moquait complètement, car il était devenu fou, oui, vraiment fou! Comme la maison donnait sur le lac, la nuit il suspendait à l'extérieur une lanterne afin d'attirer les visiteurs qui venaient souvent de l'autre rive. Ils en venaient bien évide-mment de France, puisque le lac touchait aux deux frontières. D'après des rumeurs très sérieuses, on y avait aperçu de grosses personnalités de Genève y venir s' encanailler.

Enre autre, Monsieur Godard, le célèbre homme de loi qui siègeait au conseil de l'ordre moral du parlement! Des bruits courairent aussi qu'on y avait aperçu Monsieur Casanova, surprenant tout ça, non? Surtout quand je pense que ce monsieur de Venise me rendit visite un jour à l'hermitage à l'ép-oque où mes livres se vendaient comme des petits pains dans toute l'Europe. Mais nous en reparler-ons ultérieurement, mon cher lecteur, je vous le promets. Bref, quand mon frère m'apprit toutes ces choses, je compris enfin les raisons de toutes ses fugues qui devenaient alors pour moi parfaitement justifièes en lui pardonnant même son manque de communication qu'il avait toujours eu avec moi durant notre adolescence. Il m'apprit aussi qu'il avait fait une demande auprès de Tatie pour venir vi-vre avec nous, mais il n'eut aucune réponse. Plus tard, j'ai su que mon père, vicieux comme il était, avait fait du chantage auprès de ma tante en lui disant que si elle acceptait, il ne lui donnerait plus aucun moyens de subsitances. Bien évidemment, j'étais sous le choc en croyant que ma tante pût être, elle aussi, complice de cet homme et de son entreprise immorale. Même aujourd'hui, j'ai encore du mal à le croire, car puritaine comme elle était, elle aurait été bien incapable de soutenir moralement l'entreprise de mon père. Je pensais plutôt qu'elle prenait l'argent de mon père sans savoir vraiment que c'était de l'argent sale. Oui, voilà plutôt la vérité. Et puis les moyens de ma tante étaient bien maigres pour pouvoir subvenir aux besoins de 6 estomacs qui étaient souvent vides et tournaient en rond dans la maison ou bien s'amusaient tristement dans le jardin, ce qui n'était pas bien sûr une affa-ire à traiter à la légère, comme vous le conviendrez, mon cher lecteur.

Jean-Baptiste se savait prisonnier dans sa propre famille et il prévoyait sa fuite!

Un jour, il me dit : Tu sais, Jean-Jacques, il me faudra bien partir d'ici. Car vivre ici comme un esc-lave, c'est pas une vie pour moi, le comprends-tu?

-Mais bien sûr que je le comprends! je lui répondis avec franchise.

-Ecoute-bien ce que je vais te dire et surtout ne le répète jamais à personne qui soit digne de conf-iance.

-Pas de problème, tu peux compter sur moi.

Voilà, la semaine prochaine, je compte faire une nouvelle tentative et voici comment. Une chose que tu ne sais pas, c'est que "les clients" ici sont plutôt du type généreux en matière d'argent. Et grace à eux, j'ai pu mettre de côté une somme d'argent assez rondelette d'environ 3 Louis d'or. Et je pense avec ça pouvoir soudoyer les gardes frontières, Ah!Ah!Ah!

Il les sortit de sa poche pour me les montrer.
-Youhaa!
Les 3 pièces dans sa main brillaient de mille éclats!

-Tu sais, je les ai astiqué pour que ça fasse plus d'éffet, Ah!Ah!Ah! Avec ça, je pense que les gardes frontières me laisseront passer.

-Sans aucun doute, Jean-Baptiste.

Il remit ses 3 pièces d'or dans sa poche, puis étrangement me serra contre lui. J'étais vraiment très su-rpris et très ému par son geste, car c'était la première fois qu'il me montrait une marque de tendresse. Je ne pus alors que lui tendre la main et la serrer tendrement afin de lui donner tous mes gages de réussite quant à sa fuite et me remercia gracieusement. C'est malheureusement la dernière fois que j'ai parlé à mon frère. Car la semaine suivante, il réussit à s'évader et depuis ce jour, il ne m'a plus jamais donné de ses nouvelles!

La fuite de mon frère provoqua chez mon père une colère folle au point qu'il m'obligea à revenir dans la maison paternelle : j'étais écoeuré! Ma tante avait cédé au chantage de mon père pour des raisons que vous connaissez très bien. Je pensais alors être comme poursuivi par le malheur et que celui-ci me lâcherait pas d'ici tôt. Prendre la place de mon frère au bordel, voilà le projet diabolique que mon père avait eu pour moi! Je ne vous dis pas la terreur que cela provoqua chez moi. Et puis osez m' échapper comme mon frère avait fait recemment, je vous avouerai que j'en avais pas le courage. Mais si les choses se gâtaient, pourquoi pas, je me disais, la tête pleine de fureur.

Je pris donc ma place comme domestique dans "l'entreprise" de mon père où, il faut le dire, les aff-aires marchaient du tonnerre. Le matin, il comptait devant moi sur la table de la cuisine la recette de la nuit dernière. Celle-ci était composée de différentes monnaies or et argent européennes où il y av-ait des sequins, des louis et des écus. Vu la largesse des clients, mon père engrengea en quelques mois, une véritable petite fortune qu'il crut bizarrement gagnée par son seul génie. Car mon père avait toujours cru posséder du génie, mais ne savait pas à quel endroit exact, Ah!Ah!Ah! Alors avec tout cet argent, comme tombé du ciel et gagné si facilement, son égo surdimensionné fut vite comblé, n' est-ce pas? Mais à vrai dire tout cela me faisait pas bien rire, car dans cette affaire, je ne gagnais rien sinon que quelques pistsols qui ne valaient pas grand chose. Et s'il faisait exprès de me payer si mal, c'était bien évidemment pour éviter que je m'enfuis de cet enfer, bref, de son emprise. Oh le monstre, il avait pensé à tout! Mais une chose agréable me surprit, suite à la réussite de ses affaires, c'est qu'il cessa de me frapper et j'en fus très heureux!

Voyant mes conditions de vie s'améliorer, j'étais plus sûr de moi au point de pouvoir discuter sans êt-re écoeuré avec les clients. On parlait de choses et d'autres et c'étaient tous des libertins qui venaient des familles riches de Genève, mais aussi de l'aristocratie française. Ils étaient tous très cultivés mal-gré leur vice impardonnable. Et je devais leur servir du vin et de la nourriture quand ils m'en deman-daient, etc. Mais le moment plus difficile pour moi était lorsqu'il fallait chercher les filles en ville qui se prostitueraient ensuite pour mon père moyennant argent, bien évidemment. Pour cela, j'avais une voiture à cheval bâchée qui m'évitait d'être repéré par les autorités ainsi que par le voisinage qui, il faut le dire, devenait de plus en plus jaloux de la réusite de mon père. Je ne veux pas rentrer dans les détails, mais j'avais une peur affreuse d'être reconnu pour des raisons évidentes. A chaque sortie, j'en-filais un habit de cocher avec un large chapeau enfoncé sur la tête. Tout en vous signalant la présence d'un associé de mon père qui m'accompagnait à chaque fois pour me surveiller. Ah sacre bleu, iI y av-ait de sacrés brins de filles, de vraies beautés et le spécialiste c'était lui, la brute, comme je l'appelais. Car ils les maltraitaient en leur parlant mal quand il les trouvaient pas assez bien habillées ou propres pour les clients qui étaient tous des aristocrates. Plusieurs fois, j'en fus témoin où aucun dialogue ne fut possible entre nous et je lui répondais uniquement quand il m'adressait la parole, sinon jamais. Et puis sachant que j'étais le fils du patron, il était bien obligé de me respeter et ceci par la crainte de perdre son emploi, c'était clair. Comme j'étais très curieux de nature, j'empruntais souvent les livres que ces gens de la haute laissaient traîner sur les divans et sur les tables.

Ainsi, j'ai pu lire des livres qui avaient été censurés par le conseil culturel de Genève, comme des liv-res hérotiques : les folles nuits de la duchesse Guttenbruch, blanches fesses et les sept mains, mais aussi des livres d'une grande intelligence comme le prince de Machiavel et enfin, l'un de mes auteurs préférés, Plutarque. Je les lisais tous au bord du lac perché sur un arbre que j'appelais mon donjon. Mon nez dans les feuillages et mes yeux sur le lac, où parfois ils se perdaient quand le soleil jouait avec les vagues et les sommets enneigés, voilà en peu de mots en quoi mon bonheur suffisait. Après les avoir dévoré un par un, je les remettais à leur place comme si de rien n'était. De toute façon, j'ét-ais bien obligé de jouer leur jeu malgré ma répugnance à les voir faire leurs saloperies dans la maison maternelle à cause de cette peur ridicule de me faire traiter de petite nature! Il est vrai aussi que j'ai toujours été très sensible, mais physiquement toujours prêt à me défendre pour sauver ma peau. Mais il arrivait certains jours que l'envie de vomir ne fut pas loin, lorsque je pensais aux cochonneries que ces gens faisaient dans le même lit où ma mère avait souffert, puis sombrée dans le neant en me lais-sant seul au monde! Durant ces moments insoutenables pour moi, oui, je l'avoue,  j'ai pleuré!

Et combien de fois les bords du lac furent témoins de toutes mes larmes répandues sur mon passage ainsi que ses eaux troublées par mes pleurs, comme par une pluie torrentielle? je ne peux plus les compter, mon ami. Mais la seule chose que je peux vous dire, c'est que dans cette vie personnne n'a versé autant de larmes que moi et ça j'en suis certain!

Mon père choquait son monde et se moquait complètement des conséquences psychologiques sur sa propre famille. Voyant qu'il avait le vent en poupe, il décida du jour au lendemain de se faire appeler par son entourage, monsieur le prince de Genève, ce qui fut considéré encore comme une de ses ex-travagances. Mais comme il fréquentait tout le gratin de Genève, il fut logique et tout à fait normal qu'il eût lui aussi son heure de gloire, n'est-ce pas? En s'habillant à la mode de Paris que beaucoup de gens enviaient et jalousaient terriblement. J'avais comme l'étrange pressentiment que le malheur all-ait encore nous tomber dessus et pour la simple raison que c'était trop beau et trop exagéré de sa part pour que cela durât bien longtemps! me disait alors ma petite voix intérieure. Et qu'il jouait sûrement un rôle qui n'était pas le sien, mais qui semblait lui plaire énormément. J'en rigolais parfois tout seul, quand je le voyais déambuler en ville avec sa cape en daim, sa grande épée à la ceinture et son chap-eau où 3 plumes symbolisaient sa réussite sociale, bien fragile, il faut le dire. Car sa réussite, il l'a devait uniquement aux vices et aux caprices des aristocrates ni plus ni moins qui le remerciaient en retour par de l'argent. En fait, tout ça, c'était bête et méchant. Et les gens des environs avaient du mal à croire que mon père fréquentait du jour au lendemain tout ce beau monde, alors qu'il n'était que le fils d'un paysan! Ce beau manège dura 2 ans, le temps que ses amis les protègèrent. Puis un jour, on appris que les autorités du parlement de l'ordre moral avait envoyé des espions afin de savoir exacte-ment ce qui se passait chez nous où d'après des rumeurs, il règnait une étrange activité ou le diable avait parait-il établi ses quartiers!

La surprise fut de taille, puisqu'ils déclarèrent notre maison investit par le diable et qu'il fallait la br-ûler! La vindicte populaire ne se fit pas attendre et 3 jours plus tard, je vis  ma maison partir en fum-ée sous les acclamations d'une foule en délire attisées par les hurlements d'un prêtre exorciste qui crut voir dans les flammes dévorant ma maison, les signes du diable! J'étais choqué, oui, véritablem-ent choqué! Ce qui me confirmait que le malheur de notre famille ne faisait que continuer comme il avait commencé, c'est à dire depuis belle lurette! Mon père fut aussitôt arrêté puis jeté en prison et je profitai de tout ce désordre ambiant et familliale pour imiter mon frère. Mais avant de quitter définit-ivement ces lieux de malheurs, par remords, je me sentis obligé d'aller prévénir Tatie Susanne pour lui exppliquer tout ce qui venait de se passer et bien évidemment sans trop entrer dans les détails po-ur ne pas l'éffrayer. Choquée par tout ce que je lui appris sur les activités diaboliques de mon père, elle me plaignit beaucoup et m'en voulut terriblement de n'avoir rien fait pour éviter tout ce drame à notre famille qui se voyait desormais traînée dans la boue par toute la population des environs. J'éta-is outré par tout ce qu'elle venait de me dire et compris, par ses mots très dures à mon encontre, qu' elle ne m'avait jamais véritablement aimé! Mais j'abrégeai aussitôt cette discution pretextant que je devais partir d'ici le plus rapidement possible pour éviter les represailles de la population sur ma per-sonne. Puis je lui demandai un baluchon et quelques victuailles pour régler mon départ pour un très long voyage.

Elle ne broncha pas et partit à l'intérieur de la maison. Quelques minutes plus tard, elle revint et me donna ce que je lui avais demandé et, bizarrement, m'embrassa sur la joue! Surpris par son geste, je fis un mouvement de recul en ne comprenant pas son attitude. Mon dieu, mais pourquoi avait-elle attendu tout ce temps et surtout cette occasion funeste pour me montrer un peu de tendresse? l'inter-rogeai-je du regard. Soudainement, elle baissa les yeux comme surprise par sa faute. Mais ne sachant pas quoi me répondre, elle me dit : Bon voyage, Jean-Jacques! Bon voyage! puis rentra chez elle co-mme si je n'avais jamais existé! Je ne savais pas bien pourquoi, mais j'étais convaincu une nouvelle fois que personne ne m'aimerait sur cette terre. Et si mon bonheur pût exister parmi mes semblables, je ne le devrais qu'à moi seul et qu'à mes seuls efforts! pensai-je en toute lucidité.

C'est avec ce sentiment bien étrange que je franchis d'un pas méfiant les portes de la ville de Genève le 28 Juin 1728 où la grande horloge marquait 3 heures de l'après-midi.

Aussitôt les portes franchies, je m'enfonçais dans cette nature sauvage où j'espérais finir ma vie au fond d'une grotte, comme un vieil ermite. Etrangement, cette idée saugrenue ne m'était pas venue co-mme ça par hasard, mais qu'elle avait germé tout doucement dans mon esprit au cours de mes innom-brables promenades au bord du lac où j'avais inconsciemment organisé ma future liberté. Qui me permettrait alors de vivre, une bonne fois pour toute, très loin de cette humanité à l'origine de toutes mes souffrances. Et que cette idée d'être libre un jour m'avait procuré des moments inoubliables de bonheur en sachant que je pouvais désormais la réaliser au fond de ces bois en y voyant tous les maté-riaux à la portée de mes mains. Et puis comme j'étais très timide et d'une nature assez sauvage, la so-litude ne pouvait alors que me convenir en prévoyant de prendre congé définitivement des Hommes pour me consacrer exclusivement à des travaux de longue haleine, comme d'astronomie, de botanie ainsi qu'à la composition d'un livre de philosophie destiné aux hommes et aux femmes qui avaient été maltraités par cette humanité hystérique et méchante. Où mes longues journées seraient dictées uniq-uement par les saisons et les besoins vitaux de manger, boire et dormir. Ah, mon bonheur, je l'avais enfin à ma porté! m'écriai-je le coeur léger. En trouvant cet endroit idéal le plus éloigné de la ville de Genève pour ne pas être importuné par de méchants individus qui pourraient me voler ou me distraire de mes occupations favorites. Je décidai tout naturellement de m'écarter de la route principale, que j'avais empruntée depuis mon départ, pour me perdre par des chemins de traverses où aucun être hu-main n'avait osé emprunter par cette peur idiote de l'inconnu. En passant toute l'après-midi à chercher cet endroit miraculeux.

Oh surtout loin des hommes! me criait alors ma petite voix d'enfant. Et plus je me perdais à l'intérie-ur de cette nature profonde, plus je sentais mon coeur se gonfler d'allégresse et de solitude retrouvée en remerciant au passage le ciel m'inondant de sa clarté chaleureuse. Puis je me décoiffais afin de ro-mpre avec les modes étranges de nos civilisations décadentes pour être enfin en accord avec la nature où je buvais l'eau à la rivière avec comme seul récipient le creux de mes mains, puis je me jetais sur chaque fleur pour en respirer le parfum subtil et abreuver mes yeux de leurs couleurs éclatantes en ce beau moi de juin où les libelulles me tournaient autour comme pour me caresser de leurs ailes multi-colores. Bref, j'étais ivre de bonheur, mon ami, en retrouvant le goût de vivre que les Hommes avai-ent éssayé en vain de m'ôter depuis ma naissance! Oui, j'étais véritablement soulagé de laisser derrière moi ce poids énorme, celui de la socièté des Hommes! Avec la légèreté d'un jeune faune, je m'enfo-nçais dans les sous-bois en m'imaginant le repas extraordinaire que j'allais pouvoir me faire le soir même en ramassant sur mon passage des fruits sauvages sous la végétation épaisse des framboisiers et des limonadiers d'Europe central. Sans bien m'en rendre compte, je goûtais là aux premiers fruits de ma liberté dont je savourais déjà tout le nectar et tout le réconfort après des années de souffrances passées au millieu des gens antipathiques que j'avais rencontré à Genève. Sur d'anciens remparts rom-ains, qui sortaient de terre comme ça au milieu des bois, je récoltais mes premières grappes de raisins aux couleurs étrangement antiques que le soleil avait doré par ses rayons doux du matin et ardents de l'après-midi.

A travers ses rayons étincelants, j'apercevais à l'intérieur de chaque sphère de lumière, la vie en suspe-nsion qui n'attendait que la main du voyageur et surtout sa bouche gourmande pour être délicieusem-ent engloutie dans de sombres entrailles multicolores. Tout en marchant paisiblement, je découvrais que la nature était bonne pour l'Homme dit naturel et non pour cet homosapiens des villes modernes perverti par l'urbanisation et la cohabitation forcée avec ses semblables. Où à la longue, il deviendrait un méchant homme ou une méchante femme entre ses quatres murs! Puisqu'il ne devait plus vivre, selon ses idées, mais en adoptant celles des autres pour ne pas être harcelé dont l'ensemble formait des goûts vulgaires voir méprisables, ne nous le cachons pas. Apparemment, cette majorité informe agissait d'une manière dictatoriale sur chaque individu afin qu'il se fonde en elle et perde ses qualités propres. Par conséquent, l'Homme naturellement sensible et intelligent ne pouvait alors que souffrir de cette inclusion forcée en ne pouvant s'intégrer à cette masse informe et sans aspirations supèrieu-res. Ainsi, je découvris dans ma solitude des pensées simples en ne forçant jamais mon esprit contre lui-même. Et que cet esprit des choses me semblât tout à fait approprié pour connaître la vérité sur le monde et non sur ses apparences.

Brutalement, la nuit tomba autour de moi et m'obligea à marcher à l'aveugle où le bruit de mes pas froissaient les feuillages. Quand j'aperçus à l'orée du bois, une petite clairière dont la clarté lumineu-se semblait attendre les derniers retardataires de la journée. Sans trop me poser de questions, je m'y dirigeai comme un petit insecte qui, par ses courses frénétiques à travers la campagne et les bois, avait nécessairement besoin lui aussi de repos. Avant de me jeter exténué de fatigue et de sensations nouvelles dans ma grosse couverture, je remplis mon sac de feuilles fraîchement arrachées aux arbres pour m'en faire un oreiller. Que vous dire d'autre, mon ami, que ce fut pour moi ma première nuit en liberté et je m'en rappelle comme si c'était hier. Car cette nuit, j'avais assisté à un spectacle qu'on pourrait appeler de surnaturel qui bouleversa d'une façon brutale tous les plans que je m'étais assigné depuis mon départ. Lisez la suite et vous comprendrez pourquoi.

Où dormant paisiblement, un bruit de branches cassées me sortit brutalement de mon sommeil ainsi que le nez hors de ma couverture. Etrangement, je ne vis aucun loup sortir du bois, mais une brume légère commencée à envahir tout l'espace de la clairière en pensant non sans frayeur  à un incendie de forêt qui allait me parvenir d'un instant à l'autre et me griller comme une saucisse! Mais n'ayant plus aucune force dans les jambes pour m'enfuir, je décidai d'attendre la mort, comme un stoïcien. Mais à ma grande surprise, je ne vis aucune flamme arriver vers moi ni de fumée altérer ma respira-tion. Au point de me retrouver quelques minutes plus tard complètement noyé dans cet épais broui-llard dont la composition m'était inconnue. Ce brouillard en plein mois de juin me surprit à tous les égards en me forçant à replonger sous ma couverture pour réfléchir à ce qui se passait d'étrange à l' extérieur. Cette minute sembla durer une éternité pour moi, puis comme j'étais curieux de nature, je jetai un dernier coup d'oeil dehors. Et là, oh surprise, le brouillard autour de moi avait complètement disparu et je découvris avec stupeur que le décors avait lui aussi changé! Et au lieu de me retrouver au milieu de ma petite clairière, je me trouvais assis sur les marches d'un vieil amphithéatre romain où à mes pieds se dressaient des colonnes brisées par la marche du temps, comme pour implorer le pardon du ciel et celui des dieux de l'Olympe. La lune, comme un ciel cyclope, éclairait ce spectacle où des éclats de voix traversaient la nuit où j'étais en même temps surpris et horrifié de voir tant de beauté à mes pieds! Une tragédie semblait se dérouler sous mes yeux et j'étais saisi par le frisson des songes. Sur la scène, il y avait une femme qui étrangement portait sur elle sa robe de mariée dont le triste éclat me laissât présager du drame réel de sa vie en étant noire comme la mort!

La jeune femme pleurait pour des raisons que je ne connaissais pas peut-être pour un mari défunt ou un enfant disparu? Tout ceci me jeta dans d'horribles doutes, car je ne pouvais pas non plus allez le lui demander au risque de briser le déroulement de cette tragédie, qui je savais voulait me délivrer un message de haute importance. Ainsi restais-je assis sur les marches transi de froid et de peur.

Sur son douloureux visage, dont je ne percevais pas les traits, un voile léger ondulait au rythme du vent et de ses pleurs qu'une main blanche et tremblante essuyait les larmes avec un mouchoir aussi noir que la mort! Voyant ce spectacle si désolant, je ne pus retenir bien longtemps mes larmes avec l' horrible sensation de les voir s'écouler de mes yeux sans mon consentement. Au bout de quelques minutes, après qu'elle ait épuisé toutes ses larmes, la jeune femme respira profondement et sembla se figer dans un profond silence en me mettant au bord de l'asphixie générale. Quand soudainement, elle prit la parole et me dit : Jean-Jacques, Jean-Jacques, rejoins-moi! Non, pas maintenant, mais plus tard à la fête des fleurs! puis se tût. Assommé parce que je venais d'entendre, j'étais pétrifié d'horreur, ma-is aussi d'amour après avoir entendu mon nom prononcer par cette personne inconsolable. Et pour une raison idiote, provoquée sans aucun doute par mon impatiente naturelle, je voulus la rejoindre pour la serrer contre mon coeur et la consoler. Mais c'est en me relevant sur mes jambes que celles-ci tout à coup me lâchèrent et que je dégringolai comme un pauvre pantin sur les marches de l'amphith-éatre jusqu'au pied de la scène. Avant de m'évanouir, je m'aperçus que mon héroïne avait disparu!

Le lendemain matin, en ouvrant les yeux au milieu des bois, une étrange question tenaillait mon espr-it :Mais qui était-elle exactement? Etait-ce ma mère ou bien une inconnue? Bien évidemment, il était pour moi impossible d'y répondre à cette heure-ci en ne sachant pas si j'avais seulement rêvé ou rée-llement assister au drame de cette nuit. Bref, j'éssayais de ne plus y penser en écoutant autour de moi la nature sauvage qui m'invitait à un concert d'émerveillements, lorsqu'une brise légère agitait la cime des arbres en laissant échapper sous ce plafond végétal des milliers de chants d'oiseaux faits de trilles et d'un gazouillis en apparence incompréhensible, mais célèbrant le bonheur d'être libre. Tout ceci ét-ait pour moi d'une grande pureté malgré la grande confusion qu'il semblait en ressortir, mais qui n'al-lait durer qu'un cours instant, le temps que les humeurs s'assagissent et que le soleil ait donné à tous le tempo, l'heure au cadran aux Hommes et l'éternité aux bêtes de la forêt. Je savourais ainsi ces inst-ants, comme le premier Homme sur la terre!

A propos de ce rêve étrange, je me demandais quelle importance il fallait lui donner? Et si tout ceci n' était qu'un délire provoqué par ma fuite de la maison maternelle qui me forçait à chambouler tous mes plans d'un seul coup? Fallait-il tous les abandonner ou bien en garder quelques un en cas où ça tournerait mal? En y réflechissant un peu plus profondément, je voyais que mon jeune âge de 16 ans et mon manque réel de culture dans le domaine de l'astronomie et de la botanie me forçait d'une cer-taine façon à remettre à plus tard ma future vie de solitaire ou d'hermite. Et je me disais, non sans une certaine joie, que si mes malheurs devenaient trop insupportables pour moi, je pourrais toujours me retirer à tout instant hors de cette humanité hystérique et m'enfonçer dans l'extême solitude des bois. Cette idée me paraissait viable et intéressante à tout point de vue. En résumé, je pouvais retourner vers cette démoniaque humanité, mais sans trop m'y investir afin que la séparation n'en soit pas trop douloureuse pour moi. Et j'étais assez fier de mon résonnement que j'acceptais comme un principe qui ne serait jamais violé par moi-même, puisque jamais déclaré ouvertement à autrui. Avant de repr-endre mon chemin vers ma destinée, je visitais les alentours de la clairière pour trouver quelques nourritures afin de me caler l'estomac.

A mon grand bonheur, je découvris au milieu de cette végétation baignée par le soleil matinal, des mûriers d'une hauteur inimaginable pour le citadin que j'étais resté malgré ma nuit passée à la belle étoile! J'en dévorais un bon kilo en moins de 10 minutes où jamais de ma vie, j'en avais mangé de si bonnes sans qu'elles me donnent la colique. Et enfin nourri suffisamment pour reprendre ma route. Mais une question dévorante occupait mon esprit : Mais où se tenait la fête des fleurs exactement? Pour vous dire la vérité, j'en savais rien. La seule façon pour moi d'y répondre était de reprendre tout naturellement la route principale que j'avais empruntée hier après-midi où je savais que les idées ne manqueraient pas à nouveau de m'assallir. Car j'avais souvent remarqué chez moi que le seul mouve-ment de mes jambes, au cours d'une marche bien rythmée à travers la campagne, m'apportait souvent la réponse à mes questionnements intuitifs.

Ce matin, le soleil tapait dure sur le sol où la poussière soulevée par mes pas me désolait plus que tout. Mais le comble dans toute cette histoire, c'est que je ne savais pas où j'étais exactement. Bref, aucun panneau sur la route pour m'indiquer la bonne direction à suivre pour avoir une petite chance de rencontrer du monde et lui demander cette adresse insolite, celle de la fête des fleurs! J'avais, com-me vous le voyez, besoin de l'assistance humaine pour trouver ma réponse, ce qui me mit tout natur-ellement dans un grand embarras vu ma grande timidité. J'aurais tellement souhaité faire autre chose, comme aller nulle part et surtout pas au devant de ce cette humanité où j'y voyais déjà tous les pièges qu'elle allait me tendre et m'entraîner dans des histoires impossibles où, moi le pauvre Jean-Jacques, j'allais une nouvelle fois payer les pots cassés vu ma pauvreté pécuniaire et le peu de relation que j' entretenais avec mes semblables. C'est dire ma très grande solitude sociale pour être clair avec vous, n'est-ce pas? Redoutant cette nouvelle confrontation, je décidai de retarder au maximum ma décision en allant me reposer de l'autre côté de la route où j'avais aperçu des troncs d'arbres former une sorte de cachette où je pourrai réfléchir sans crainte d'être dérangé ou du moins aperçu par quiconque. Et si surprise eut lieu, je la voulus à mon avantage, ceci était très clair dans mon esprit. Ainsi, je pus m'en-dormir comme un bébé entre mes arbres protecteurs.

1 heure plus tard..

Un bruit de charrette me sortit brutalement de mon sommeil en entendant le bruit de ses cerclages en fer casser les cailloux du chemin! Aussitôt, je me glissai le long du tronc pour y voir un peu plus cl-air. A travers la lègère végétation, j'aperçus sur la route, non pas une charrette, mais tout un convois de véhicules tirès par des chevaux et des ânes! Ma surprise était grande pour ne rien vous cacher, mon cher lecteur. Sur chacun de ces véhicules, il y avait des inscriptions assez étranges où il était question du tour du monde en 80 jours grâce à la machine du professeur Spoutnik, mais aussi de l'homme le plus fort du monde qui avait réussi d'un seul coup de poing à terrasser l'éléphant bleu du Bengal! Sur d'autres véhicules, on voyait déssiné sur de grands chassis et d'une manière très naive, les exploits qui s'y rapportaient. Un homme serieux aurait pu en rire et s'en moquer largement, mais moi qui me tro-uvait dans une situation de grande détresse, je trouvais cela très beau et très noble de leur part de vo-uloir distraire le monde par le rêve et par le voyage si injustement entraperçu par notre faible imagin-ation. Tout ceci peint dans d'admirables couleurs qui brillaient sous l'éclat du soleil. J'étais aux ang-es, mon ami, en étant soudainement transporté dans un autre univers que celui que je connaissais trop bien pour l'avoir, selon moi, déjà trop enduré! Et d'apercevoir enfin autre chose que le monde réel pouvait nous offrir, cela me remplissait de joie d'apprendre que le monde n'était pas si maussade qu' on le prétendît, mais immense par sa disparité d'êtres originaux qui réussissaient malgré tout à créer autour d'eux, un monde extraordinaire afin que ce monde souffrît moins. Etrangement, je me sentis comme un des leurs et, sans trop réfléchir, sautai par dessus les troncs d'arbres avec un grand enthou-siasme afin d'aller à leur rencontre.

Ohé, Ohé, Attendez-moi! Ohé, Ohé, j'arrive! cria-t-il en courant vers la route. Voyons, voyons! dit-il d'un ton sérieux.

Mais étrangement personne ne semblait l'entendre ni l'attendre non plus, comme si le convois se sou-ciait guère du monde extérieur, semble-t-il. Il dut alors courir jusqu'à la première voiture pour pou-voir s'expliquer sur sa situation quelque peu extravagante, comme vous le conviendrez. En dépass-ant les véhicules, qui roulaient à faible allure, il remarqua que certains laissaient échapper à travers de sombres grillages toutes sortes de cris d'animaux plus ou moins féroces. Prenant peur, il s'en éca-rta tout naturellement pour ne pas être agrippé par de possibles bras velus et fourchus. Mais bizarre-ment, quand il arriva tout près de la voiture de tête, le cocher et son jeune accompagnateur( dont le front était cerné par un bandeau en soie d'or) ne firent aucunement attention à lui et malgré tout le mal qu'il se donnait pour se faire comprendre. En leur parlant en même temps de la fête des fleurs et de l'éléphant bleu du Bengal! Puis tout à coup ses jambes s'entremélèrent dans des branchages qu'ils y avaient sur le bord de la route et Jean-Jacques tomba dans le fossé où il disparut entièrement de la vue de tout le monde. Aaaaah! surgit soudainement au milieu des bois.

Pendant un cour instant, il crut s'être évanoui; mais en tapotant autour de lui, il s'aperçut que sa chute avait été amortie par un amas d'herbes fait de fougères et de fleurs sauvages. C'est mon jour de cha-nce! lâcha-il avec joie. Il était sur le point de se relever, quand tout à coup il se sentit soulevé par des bras robustes comme par un géant. Mon dieu, mais qu'est-ce qu'il m'arrive? s'écria-t-il comme propu-lsé dans les airs. En fait, c'était l'homme de la première voiture qui était venu aussitôt à son secours. En jetant un coup d'oeil en arrière, il remarqua que tout le convois s'était arrêté pour lui! jublilait-il sournoisement.

-Et alors, mon garçon, rien de cassé?
-Non, non, ça peut aller, à part mes jambes qui me font rudement mal!

-Laisse-moi regarder! lui dit le jeune garçon qui était déscendu lui aussi de la voiture. Celui-ci sou-leva la jambe de son pantalon pour voir s'il ne saignait pas.

-Ouille! cria Jean-Jacques.
-Mais t'as mal où exactement? Moi, j'vois rien. A part quelques bleus sans gravité, dit-il.
-Mais j'ai mal quand même, c'est à l'intérieur!

L'adulte et l'enfant semblaient consternés par les plaintes injustifièes du pauvre Jean-Jacques. Mais comme ils se méfiaient de tout ces gens du voyage( d'un possible guet-apens ou d'un coup fourré au milieu des bois), ils regardèrent autour d'eux pendant une bonne minute, mais rien d'extraordinaire n'arriva.

-Mais c'est rien, mon p'tit gars! lui dit l'homme pour le rassurer.

-C'est rien? Mais c'est vous qui le dites! Vous auriez pu quand même vous arrêter quand je vous le demandais, non? leur cria-t-il à la figure.

L'homme et l'enfant se regardèrent un instant comme médusés par ce qu'ils venaient d'entendre. Un peu plus, c'était de leur faute s'il était tombé dans le fossé! pensaient-ils comme indignés. Ce garçon devait être bien idiot pour dire de telles choses sachant qu'il était très difficile d'arrêter un convois d'une vingtaine de véhicules en même temps où des accidents pouvaient avoir lieu et des animaux se faire écraser par les fourgons ou tout simplement s'échapper dans la nature et imaginer tous les dé-gats possibles aussi bien sur les cultures que sur les habitants en les tuant ou en les dévorant! Jean-Jacques semblait encore plus naïf que ces gens du voyage qui malgré tout voulaient garder les pieds sur terre. Ils se demandaient même s'ils n'avaient pas affaire ici à un grand égoïste? Cette question sembla restée comme en suspend au fond de leurs yeux magnifiquement maquillés de lumière. A l'arrière, le convois semblait montrer de l'impatience à reprendre la route où l'on entendait une sorte de grogne générale, comme une protestation vivante venant aussi bien des hommes que des animaux que la chaleur avait rendu nerveux. Les hommes avaient lâché les brides et s'éssuyaient le front baigné par la sueur. L'homme et le jeune garçon avaient tout naturellement tourné la tête en direc-tion du convois en signe de compréhension.

-Que pouvons nous faire pour toi? lui demanda l'homme.

-Heu, en fait, je n'sais plus!
-Comment, tu n' sais plus?

-Oh, oh, mais ne vous fâchez pas comme ça, messieurs! C'est bête à dire, mais je crois que la chute m'a fait perdre la mémoire.

Oh merde alors! s'exclama l'homme en regardant le jeune garçon qui à ses côtés semblait être son fils par la forme de leurs yeux en forme d'amande très allongée ainsi que par la remarquable couleur d'un bleu turquoise jusque là inaperçue dans nos campagnes françaises. Il avait aussi la ressemblance des corps où celui de l'enfant présageait un futur corps d'athlète taillé pour les jeux du cirque. Le jeune garçon, pris par la balourdisme de Jean-Jacques, lâcha un petit rire; mais voyant son père lui faire un signe d'incompréhension, il reprit à nouveau son air grave. Tous les deux regardaient maintenant Jean-Jacques, qui semblait affolé par cette situation baroque en se grattant la tête comme pour en ex-tirper la vérité que les autres attendaient avec impatience de connaître jusqu'à secouer ses vêtements pour voir s'il elle n'allait pas tomber de ses poches, comme par magie! Bref, tout ceci fut bien long et très pénible pour ces gens du voyage habitués au mouvement et à l'éfficacité. Un peu plus, ils se de-mandaient s'ils n' allaient pas l'embaucher comme comique dans leur cirque? Ah!Ah!Ah!

-Ah si, je m'en souviens maintenant! lâcha-t-il soudainement.

-Ah enfin! lâchèrent en cœur l'homme et l'enfant.
-Oui, oui, en fait, je voulais vous demander où se trouvait la fête des fleurs?

-Quoi, la fête des fleurs? Mais tu n'es pas fou, mon garçon? Tu nous a arrêté pour ça? Mais tu aurais pu nous le demander en marchant!

-Oui. Mais comme vous ne vouliez pas m'écouter, je pensais qu'en vous parlant de l'éléphant bleu du Bengal, j'avais une petite chance, non?

L'homme devant ces propos farfelus serra aussitôt les dents ainsi que les poings. Où il n'en fallait pas plus pour le mettre en colère, pensa-t-il prêt à exploser. Pendant ce temps là, à l'arrière, on s'impa-tientait vraiment où les gens exposés au grand soleil avaient de nouveau lâché leurs brides enduites par la sueur et les animaux jeté des cris sauvages à travers les grilles de leurs cages surchauffées. Jean-Jacques, éffrayé par tout ce vacarme, prit peur et fit un pas en arrière quand soudainement le jeune garçon sortit son couteau! Pris de terreur, il recula à nouveau et bascula dans l'amas d'herbes d'où il était sorti. Immédiatement, sa chute provoqua une cascade de rires chez l'homme et le jeune garçon.

-Ah!Ah!Ah! Mon garçon, mais arrête de trembler comme ça, on va pas te tuer!

-Ah oui? Ah oui? répéta-t-il sous l'effet de l'émotion. D'accord, d'accord, je me relève.

Dès qu'il se remit sur ses jambes, le jeune garçon s'approcha et lui dit : Tiens, prends-le! Celui-ci venait de lui tendre son couteau pour qu'il le prenne. Mais? s'écria son père devant le geste totalem-ent incompréhensible de son fils sachant que ce couteau au manche finement ciselé, il lui avait offert pour ses 15 ans! Ce dernier sembla choqué par la trop grande générosité de son fils et de plus pour un inconnu. Mais voulant respecter entièrement le choix et la liberté de son fils, il approuva de la tête sa décision.

-Tu sais, si je te le donne, c'est par gentillesse parce que tu es seul au milieu de ces bois. La nuit der-nière, nous avons dû nous défendre contre des brigands qui s'étaient cachés à la sortie de la forêt d' Annecy. Et nous avons dû sortir quelques bêtes féroces de leur cage pour les faire fuir. Mais toi qui es bien seul, je ne pense pas que tu pèseras bien lourd si tu les croisais. Alors prends ce couteau et mets-le à ta ceinture en cas où l'on voudrait intenter à ta vie. Jean-Jacques, étonné par tant de géné-rosité, le prit et le glissa sous sa ceinture de cuir.

-Je te remercie, mon prince! lui dit-il en baissant la tête comme en signe de respect. Il était véritable-ment touché par le geste de ce jeune garçon, qui semblait avoir le même âge que lui et posséder déjà de si grandes qualités humaines, pensa-t-il plein de vénération.

-Au fait, la fête des fleur se passe à Annecy tous les quinze du mois. Et si tu marches bien, tu pourr-ais y être en 2 jours!

-Houhha, merci, mon prince! Oh oui, merci pour votre bonté! lança-t-il en lui baisant les mains où il répandit ses larmes en les prenant pour celles de la Madone! Le père excédé, par cette scène exessiv-ement longue à supporter pour lui et le convois, les arracha violemment des mains de Jean-Jacques!

-Allez, viens Arcan, il est temps de partir! Toutes ces pleurnicheries commencent vraiment à m'énerv-er! lâcha-t-il en regardant le convois qui les attendait avec impatience.

-Oui, père, je vous suis..

Jean-Jacques, choqué par la dureté du père, se rassurait par lui-même en connaissant desormais le no-m de ce jeune garçon que le destin avait mis sur sa route. Il s'en rappellera toute sa vie! jura-t-il ému jusqu'aux larmes. Se sentant une nouvelle fois abandonné par les autres, il les regarda s'éloigner d'un air rempli de dépit. Quelques instants plus tard, le convois s'ébranla et reprit sa route vers une destin-ation qu'il ignorait lui-même. Puis fixant une dernière fois la voiture de tête qui s'éffacait à l'horizon, il leva les bras au ciel et cria : Arcan, Arcan, jamais je ne t'oublierai, sois en certain! Mais avec le bru-it assourdissant des chariots personne en fait ne pouvait l'entendre ni même le voir où la poussière soulevée par ces derniers avait transformé la petite route en champ de carrière. Complètement dépité, il repartit se cacher dans sa tannière à quelques mètres de la route pour pouvoir respirer un peu d'air frais, mais surtout pour pouvoir réfléchir tranquillement sur la prochaine étape de son voyage : Ann-ecy où la fête des fleurs devait se tenir! Couché dans l'herbe fraîche, il finit par s'endormir et bizarr-ement la main posée sur son petit poignard.

CHAPITRE 2

JEAN-JACQUES ET LES POUVOIRS MAGIQUES DU POIGNARD D'ARCAN!

 

Le lendemain matin..

Mais? Mais? s'écria-t-il quand, posant la main sur sa ceinture, il s'aperçut que son petit poignard avait disparu! Mais c'est quoi cette histoire de fou? lança-t-il en colère contre lui-même par la perte d'un objet auquel il tenait beaucoup. Pendant un instant, il se crut en train de rêver; mais ne voulant pas y croire vraiment, il se pinça afin de le vérifier: AÏE, non d'une pipe, mais je suis bien réveillé! Puis il se mit à quatre pattes en regardant autour de lui afin de voir s'il ne l'avait pas perdu en passant sa main sous l'herbe épaisse jusqu'à visiter les espaces vides qu'il y avait entre les troncs. Mais non, il n'y était pas! constata-t-il avec amertume. Furieux, il se redressa aussitôt sur ses deux jambes afin de prendre de la hauteur face à cet évènement qui commençait vraiment à l'énerver sitôt le matin. Mais comment est-ce possible? Pourtant hier, non? Arcan, un rêve? En fait, il ne savait plus où se trouvait la frontière entre le rêve et la réalité et s'en prenait maintenant à lui-même contre cette capacité à rêver un peu trop facilement, pensa-t-il dégoûté par ses propres dons. Puis tout à coup une lueur ébl-ouissante l'aveugla! Merde, c'est quoi ça? s'écria-t-il en se protègeant les yeux. Hum, hum, ça à l'air de venir d'en face...allons voir. En faisant un pas devant lui, il vit soudainement la lueur disparaître, puis apparaître à son grand étonnement son petit poignard planté dans le tronc d'arbre dont la lame jetait ses derniers éclats de lumière dans les sous-bois. Ah, je t'ai enfin retrouvé! lâcha-t-il comme soulagé de reprendre possession de son bien. Oh oui, oh oui, merci dieu de la forêt dont le fils s'app-elle Arcan! clama-t-il pris par je ne sais quelle folie poétique. Voulant ensuite le saisir, il le relâcha aussitôt car celui-ci était brûlant comme du feu! Essayant à nouveau, le poignard vibra sous ses doi-gts et se mit à lui parler.

-Arrête, jeune garçon!

Jean-Jacques, stupéfait d'entendre parler pour la première fois de sa vie un poignard, s'éffondra dans l'herbe.

-Scamustichpolich! lâcha soudainement le poignard.
-Quoi, qu'est ce tu racontes là?

-Je te disais dans ma langue : Pas bien courageux ce garçon pour qu'il s'éffondre à la moindre de mes paroles!

-Oui, mais comprenez bien, mon cher poignard, que c'est la première fois de ma vie qu'un poignard me parle et me fait en plus des remarques déplaisantes.

-Certes, certes, mon garçon. Mais n'oublie pas que si Arcan t'a donné ma belle personne, c'est pour te rendre service car je possède des pouvoirs magiques!

Ca, j'en doute pas vu la démonstration que tu m'as faite toute à l'heure. Vraiment très impressionnan-te cette lueur aveuglante. Mais est-ce seulement cela vos pouvoirs magiques?

-Ah!Ah!Ah! Je crois que je suis tombé sur un garçon qui ne manque pas d'humour et cela me plait beaucoup. Non, non, mes pouvoirs magiques ne se limitent pas uniquement à cela et je peux voir au-ssi bien dans l'avenir que dans le passé.

-Quoi, qu'est ce que tu racontes là?

-Oui, tu as très bien entendu et je ne vais pas te le répeter pas une seconde fois! haussa-il le ton.

-Si tout cela est vrai, j'aimerais bien le voir de mes propres yeux, si cela n'est pas trop vous demand-er, mon cher poignard?

-Sans aucun problème, mon garçon. Viens, approche-toi et regarde la lame où tu verras tous les évè-nements de ta vie qui se sont déroulés depuis ta naissance jusqu'à aujourd'hui, c'est à dire jusqu'à ta rencontre miraculeuse avec le jeune Arcan. Et sans cette heureuse rencontre, tu errerais encore au milieu de ces bois. Mais maintenant, tu es sous de bonnes mains! dit-il fièrement.

-Oh, c'est facile à dire quand on est un poignard! répliqua brutalement Jean-Jacques.

-Allez, arrête de parler et amène-toi! expédia-il comme échauffé par ses propos.

En s'approchant du poignard, il remarqua que le manche était surmonté d'une tête d'ours dont les or-bites étaient serties par deux petites emeraudes. Hier, il n'y avait pas fait attention! s'étonna-t-il par cette nouvelle découverte. Puis tout à coup, les deux petites emeraudes s'illumièrent et la gueule de l'ours s'ouvrit en grand pour lui dire: Regarde, mon garçon! En s'approchant de la lame, il vit une image se former où l'on présentait un enfant à une femme alitée qu'elle embrassait une dernière fois avant de sombrer dans le néant. Oh, ma pauvre maman! implora-t-il quand il reconnut à travers ces images sa propre mère lui donner son dernier baiser. Oh, méchant poignard, mais comment oses-tu me montrer une telle chose? lui cria-t-il dessus. Le poignard, impassible, ne lui répondit pas, mais lui montra une nouvelle scène où l'on voyait une maison partir en flammes et des gens crier de joie à la vue de ce beau spectacle. Mais, c'est ma maison qui brûle..et les gens autour je les reconnais, ce sont mes voisins! Saperlipopette, mais le poignard a dit vrai, il a de réels pouvoirs magiques! s'écria-t-il avec un grand étonnement. De nouvelles images défilaient sur la lame brillante du poignard où l'on aperçut une femme habillée toute en noire qui pleurait un mouchoir à la main. Cette femme implorait Jean-Jacques de lui venir en aide afin de découvrir le meurtrier de son mari. Stupéfait par le tour des événements, il savait désormais pourquoi on l'appelait à la fête des fleurs. Le poignard reprit la parole et lui dit : Vois-tu, si cette jeune femme t'est apparue en rêve, mon garçon, c'est pour que tu viennes à son secours!

-Mais je ne suis pas un inspecteur de police, moi! lâcha-t-il furieusement.
-Oui, je le sais bien...mais ta vocation est de trouver la vérité et qu'elle que soit sa nature.
-Mais je ne suis pas le bon dieu, non plus! dit-il d'un air navré.

-Je le sais très bien...mais tu a été désigné par le destin pour accomplir cette noble tâche et j'en suis désolé..

-Mais toi qui sais tout et qui vois tout, pourquoi ne le ferais-tu pas toi-même?

-Parce que personne ne me croirait. Une chose importante à te dire, c'est que seuls les garçons qui ont le cœur pur peuvent m'entendre. Pour les autres, je ne suis qu'un vulgaire couteau à trancher du pain ou du saucisson, te dire, une triste occupation! Pour ne rien te cacher, j'ai aussi servi auprès d'un ass-assin, mais j'évite d'en parler car ça me rappelle de trop mauvais souvenirs. Sur la lame défilait mai-ntenant de nouvelles images où l'on y voyait une femme en un autre lieu sur un petit pont de bois où elle semblait attendre comme son sauveur.Vois-tu, elle t'attend à la fête des fleurs et regarde comme elle est belle! Jean-Jacques s'approcha un peu plus près de la lame et vit une jolie jeune femme habi-llée d'une robe d'une blancheur éclatante et tenant une ombrelle pour se protèger du soleil. Mais cro-is-tu qu'elle m'attend vraiment? lui demanda-t-il avec fébrilité.

-Sois en certain, mon garçon. Et dès qu'elle te verra elle te reconnaîtra, car elle aussi à rêver qu'un jeune garçon vienne un jour la sauver de sa solitude; son mari défunt ne lui a malheureusement pas laissé d'enfant. Tu seras donc pour elle celui qu'elle n'a pas eu. Mais il n'y aura pas seulement cela entre vous, car elle fondera sur toi de grands espoirs qui sera de rétablir la justice au sein de son pays en retrouvant l'assassin de son mari. Et quand tu l'auras fait emprisonner, elle t'adoptera comme fils. Ainsi vous vivrez tous les deux heureux jusqu'à la fin de vos jours. N'est-ce pas cela que tu as toujo-urs désiré au plus profond de ton coeur, mon garçon?

-Oh oui! s'écria Jean-Jacques. Mais comment te dire, mon cher petit poignard, que tout cela me sem-ble trop beau pour être vrai? Et pour ne rien te cacher sur mes sentiments, je ne crois pas être la bon-ne personne qu'elle attend!
-Comment?
-Parce que je suis bien trop peureux pour remplir cette noble tâche!

-Arrêtes de douter de ton propre courage, mon garçon! Et si tu parles ainsi, c'est parce que tu ignores ce qu'est d'être aimé par une femme. Mais quand tu le seras, ton courage renaîtra et tu seras alors prêt à braver la mort pour qu'elle te dise des mots si doux à entendre pour un homme.

-Certes, certes, mais pour l'instant personne ne m'aime à ce que je sâche, hum? dit-il comme pour se justifier.

-Fais toi aimer par celle-ci et après on verra. Marie Christine est malheureuse et elle t'attend..
-Elle s'appelle Marie Christine?
-Oui.

2 jours plus tard, il arriva à Annecy juste au moment où la fête des fleurs commençait. La ville était alors inondée de touristes et de commerçants qui venaient vendre, non pas seulement des fleurs, mais tout ce qui était nécéssaire à la réussite d'une fête populaire digne de ce nom. Il y avait aussi bien de la confiture parfumée aux pétales de roses que des essences naturelles de myosotis ou autres con-fectionnées en petit flacon à l'attention de ces jeunes demoiselles de passage dans la ville. Important à signaler : les autorités avaient interdites les étales de viandes grillées durant ces festivités pour des raisons évidentes d'odeurs pouvant gâter le fête.

Hum..comme ça sent bon! dit-il en inspirant à plein poumons l'air de la ville d'Annecy. Hé ben, c'est la première fois que j'apprécie l'air d'une ville, car d'habitude ça sent plutôt mauvais. Mais ici les gens ont l'air plutôt propres et c'est miraculeux. Curieux de tout, il remarquait avec émerveillement que tout était fleuri : les balcons ainsi que le seuil des maisons où de ravissantes jardinières avaient été disposées harmonieusement pour le bonheur du passant. Où les plus entreprenants avaient carrément décorés les facades de leurs maisons avec des guirlandes de fleurs tombant comme des cascades col-orées! Les passants émerveillés s'y arrêtaient et jetaient des Oh! et des Ah! d'admirations. Auxquelles Jean-Jacques ne manqua pas d'y participer en pensant à toute cette ambiance bonne enfant qui était du bonheur pour lui. Bref, c'était beau et naïf, comme il avait toujours  aimé! s'écria-t-il en arrivant aux abords du lac. Comme il y avait un petit creux, il s'avança devant une étale où il y avait vu des from-ages. Heu..combien pour ce petit morceau de brie? demanda-t-il au commerçant. 1 sou, m'ssieur! Bon, je vais le prendre, dit-il, en sortant la somme de son baluchon et cette fois-ci sans faire de grim-ace en trouvant le prix raisonnable. Merci, répondit le commerçant. Pour accompagner son repas, il trouva non loin d'ici, un marchand de pain, puis retourna s'asseoir près du lac. Sortant son petit poig-nard pour couper son pain, à peine avait-il percé la croûte que le poignard se mit crier son indign-ation!

-Oooh, mais ça va pas la tête? lança-t-il tout furieux.
-Mais quoi, qu' est-ce que j'ai fait de mal! Faut bien que je mange, non?
-Sûrement, mais sans moi!
-Comment sans toi?

-Oui, t'as très bien entendu, sans moi. Et je te rappellerais, si tu l'avais oublié, que je ne suis en aucun cas un vulgaire couteau de cuisine, mais un poignard magique! L'aurais-tu déjà oublié, petit garne-ment?

-Ah oui, c'est vrai, et je m'excuse sincèrement.
-C'est bien, mon petit..
-Mais alors, comment je vais faire pour couper mon pain?

-Très simple, mon petit. Prends ton pain et casse la croûte sur la pierre qui est juste à côté de toi. Ainsi ton pain débarrassé de sa croûte sera tendre comme de la mie.

-Youhaa, je n'y aurais pas pensé, mon cher pognard! C'est fou, comme tu es ingénieux..

-Mais c'est normal, j'ai servi dans l'armée et me suis battu sur je ne sais combien de fronts! dit-il co-mme un vieux soldat fier de ses états de services.

-Ah oui? Et tu peux m'en parler un peu, hum?
-Mange plutôt, car ce ne sont pas des histoires qu'on peut raconter aux enfants.

-Comment, moi, un enfant? Mais j'ai 16 ans, mon cher petit poignard! lui expédia-t-il en montant sur ses grands chevaux.

-J'en doute pas. Mais pour moi, tu n'es qu'un enfant qui ne sait rien encore de la vie!

-Moi, je ne sais rien de la vie? Alors là, tu me déçois vraiment, petit poignard. Tu sais, j'ai déjà vu des choses éffroyables!

-Certes, je ne dirai pas le contraire. Mais elles ne sont rien par rapport à celles que j'ai vécues sur la tranche de ma lame. J'en ai encore le souvenir glacé au fond de ma mémoire avec toutes ces gorges tranc..et tout le reste. Ah non, j'arrête, car ce serait abominable de raconter ça à un jeune garçon de 16 ans! finit-il par dire dont les yeux faits de deux petites emeraudes s'assombrirent subitement. La gue-ule de l'ours elle aussi se referma comme pour garder silence. Jean-Jacques, très ému, posa alors le poignard sur la pierre qu'il y avait à côté de lui afin qu'il se remette de ses émotions, puis se retourna sur les eaux du lac en admirant son étendue jusqu'aux rives en face où des forêts de sapins s'étendai-ent à pe-rte de vue. Oh que c'est beau! dit-il comme emporté par ce spectacle grandiose. Il remarquait que les eaux du lac reflétaient à merveille les couleurs du ciel où un gros nuage blanc stationnait au dessus comme un vaisseau qui avait du mal à lever l'ancre. Quelques instants plus tard, une brise lé-gère brouilla les eaux et le fit disparaitre. Pendant qu'il était occupé à toutes ces observations, la fo-ule derri ère lui ne semblait pas désemplir la rue principale où les marchands tenaient boutiques. On pourrait même préciser que le marché aux fleurs n'était pas un marché comme les autres, qui ces der-niers étaient souvent bruyants par la clameur des marchands et par les odeurs de fruits et légumes proche de l'écoeurement. Car ici, les gens avaient trop de finesse pour ne pas marchander le prix d'une rose! Après qu'il ait fini son repas, Jean-Jacques prit son baluchon et le mit sous sa tête en guise d' oreiller.

1 heure plus tard..
-Hé petit, vite, réveille-toi! lança soudainement le petit poignard.
-Mais quoi? Mais qu'est-ce qu'il y a encore? demanda Jean-Jacques à moitié dans les vaps.
-Mais regarde devant toi!

En se frottant les yeux, il remarqua la soudaine apparition d'un petit pont de bois juste à sa gauche où la foule s'était vaporisée comme par enchantement. Au milieu de celui-ci, il y avait une jolie jeu-ne femme qui semblait attendre on ne savait quoi. Celle-ci portait une robe d'une éclatante blancheur ainsi qu'une ombrelle qu'elle faisait tourner gracieusement sur son épaule.

-Mon dieu, Marie-Christine!
-Eh oui, mon garçon! s'écria le petit poignard d'un air enjoué.
-Mais dis-moi ce que je dois faire?

-Primo, mon garçon, va acheter une rose là-bas et prends une rose blanche et surtout pas une rouge!

-Ah oui et pourquoi?
-Ce serait long à t'expliquer. Mais fait ce que je te dis et tout ira pour le mieux.

Jean-Jacques, quelque peu décontenancé, partit chercher cette rose blanche que son ami le poignard venait de lui conseillé d'acheter. Quelques minutes plus tard, il revint avec sa rose blanche qu'il tenait au bout des doigts presque d'une façon maladroite.

-Ca y'est, je l'ai!

-Fais-la voir.

Le petit poignard la regarda fixement et demanda qu'on la lui fasse sentir. Aussitôt la gueule de l'ou-rs, ornée de ses deux petites émeraudes, s'illumina et lâcha des paroles venant semble-t-il d'un autre monde.

-Rasmutic, Calabra, Tipordus, Absoulsas!
-Mais qu'est ce que tu racontes là, mon petit poignard?
-Heu..non, non, rien!
-Je disais seulement qu'elle sentait rudement bon ta rose!
-Ah d'accord, répondit-il plus ou moins rassuré.

Ce qu'il ignorait, c'est que le petit poignard venait d'envouter la rose par des paroles magiques, afin que la jeune femme puisse le reconnaitre. Car sans ce pouvoir magique, elle ne serait pour lui qu'un simple inconnu. Le voyant hésiter à y aller, il le rouspéta : Mais vas-y, non de dieu, tu ne vois pas qu' elle t'attend?

-Heu, t'es sûr? Parce que moi, j'veux pas passer pour un idiot avec ma rose à la main! rouspéta-t-il tétanisé par l'idée de se présenter devant cette jolie personne qui attendait au milieur du pont.

-Mon dieu, mais fais vite, Jean-Jacques! Car si elle part du pont, ça sera fini pour toi et pour moi aussi. Mais grouilles-toi, non de dieu!

-Bon, d'accord, j'y vais! dit-il en prenant son courage à deux mains et en réajustant dans un même mouvement ses vêtements et son maintient pour se diriger vers le petit pont avec sa rose au bout des doigts. Plusieurs fois, il faillit rebrousser chemin; mais ne voulant pas décevoir son ami, le poignard d'Arcan, il résista à sa timidité maladive. Se trouvant maintenant sur le pont, il marchait d'un pas me-suré et discret pour ne pas éveiller le moindre soupçon. En quelques secondes, il se trouva tout près d'elle; mais étrangement, la jeune femme ne fit point attention à lui et continuait à regarder en bas du pont où il y avait très certainement des poissons.

-Madame? Madame? lâcha-t-il timidement.

Celle-ci tout à coup se retourna et, le voyant avec sa rose blanche à la main, lui demanda ce qu'il voulait?

Heu..c'est pour? Heu? Heu..c'est le rêve qui..

La jeune femme, qui ne comprenait rien à ce qu'il disait, lui demanda son âge.

-Mais quel âge as-tu, mon garçon?
-Heu..16 ans, pourquoi?
-Et tu me disais que c'est le rêve qui?
-Oui, c'est le rêve qui m'a conduit ici pour que je vous rencontre.
-Mais de quel rêve veux-tu me parler, mon garçon?
-Mais du rêve du poignad d'Arcan!

Tout à coup, il sentit cogner dans sa poche le petit pognard, qui visiblement était furieux qu'il dévoile leur petit secret. Jean-Jacques le comprenant rengagea aussitôt la discution sur un autre sujet.

-Oui, en fait, j'voulais dire que je cherchais une âme charitable pour s'occuper de moi, car je n'ai plus de famille! De nouveau le poignard cogna dans sa poche.

-Et bien sûr, tu penses que de demander à la première personne venue ton souhait sera exhaussé? Tu es bien naïf, mon garçon, et puis je te connais même pas!

Touché dans son orgueil, il sentit soudainement le sang lui monter au visage. La jeune femme, gênée et se sentant coupable d'avoir provoqué une telle chose, le regardait maintenant avec des yeux atten-dris et remplis de sentiments maternels. Aussitôt, elle prit la rose et la porta au bord de ses lèvres qu' elle respira longuement et lui dit: Mais de quel rêve voulais-tu me parler, mon garçon? Jean-Jacques, qui était sur le point de s'éffondrer, lui répondit : Mais de notre rêve, bien sûr! La jeune femme, surp-rise par ce qu'elle venait d'entendre, lui demanda soudainement son nom : Mais comment t'appelles-tu?

-Je m'appelle Jean-Jacques et je suis là pour vous sauver!

La jeune femme referma aussitôt son ombrelle et lui prit violemment le bras pour l'entrainer loin de la foule pour ne pas être entendu. Un endroit calme fut rapidement trouvé à l'ombre vu que les gens préféraient plutôt marcher au soleil. Christine, impatiente, lui demanda alors de lui raconter son rêve que Jean-Jacques dût lui révéler pour ne pas être pris pour un imposteur. Car plus d'un s'était prése-nté à elle pour la dépouiller de sa fortune : fortune qui lui était tombée du ciel grâce à son frère Paul Varenne qui s'était éxilé en Amérique suite à des heurts qu'il avait eu avec la noblesse des environs durant son adolescence. Reconverti dans la céréale, il était devenu riche et lui versait une rente ann-uelle de 10 000 livres sterling. Avec cet argent, elle avait pu s'acheter un petit domaine où elle acce-uillait les éclopés de la vie, bref, c'était sa grande faiblesse d'aider les gens dans le besoin. Ainsi elle avait pu sauver d'une mort certaine un nombre impressionnant de manants ou de serfs qui s'étaient enfuis de chez leur maître en leur donnant le couvert ainsi qu'un toit pour dormir, le temps qu'elle leur fasse des papiers pour partir loin de la région et même en Amérique. Bien évidemment, la noble-sse du coin n'était pas tout à fait d'accord avec cette femme dont les moeurs socialisants dérangeaient plus que tout en prodiguant des cours de français et d'anglais aux pauvres afin de mieux les armer pour l'avenir. Emanciper les gens, c'était pour elle une noble cause. Car Marie-Christine était une fe-mme moderne et intelligente qui savait pertinement qu'on ne pouvait pas rester avec toujours les mê-mes gens au pouvoir qui dictaient leurs lois aux plus faibles jusqu'à la fin des temps. Bref, beaucoup de gens lui en voulaient pour cette raison et prêts à la ruiner pour qu'elle arrête son activité qui sen-(ait la révolution. De plus, elle était jolie, ce qui forcément attirait pas mal de convoitises sur sa pers-onne en faisant beaucoup travailler l'imagination des êtres malfaisants et malhonnêtes pour s'enrich-ir.

Marie-Christine se voulait aussi bien lucide dans ses affaires de coeur que d'argent et malgré sa gra-nde générosité d'âme. Son défunt mari, Pierre Libe, journaliste de profession, avait été retrouvé assa-ssiné dans la forêt de Montmorency par des cueilleurs de champignons. Effondrée par cette nouvelle, elle avait eu quelques jours auparavant comme un pressentiment où des animaux de sa bergerie avait été égorgés durant son absence à la proprièté. Elle avait pensé alors à un renard ou bien à un loup. Mais son métayer, Grandin, lui avait certifié qu'il n'en avait pas vu depuis fort longtemps dans la ré-gion, ce qui confirmait ses doutes. Pour elle, l'assassinat de son mari était comme signé par l'aris-tocratie du coin, mais n'en avait aucune preuve pour l'instant. La nuit même du drame, elle avait fait un horrible cuchemar où son mari était poursuivi par trois cavaliers dont les armoiries avaient été éffacées pour ne pas être reconnues. Celle-ci, impuissante, assistait à cet odieux assassinat crapuleux. Quant à son deuxième rêve, celui-ci nous ramènait directement à la vie de Jean-Jacques qui, bien éf-fectivement, avait perçu au-dela de l'espace l'appel douloureux de Marie-Christine. Et depuis ce jour, elle ne faisait que chercher son sauveur dans la région, mais qu'elle n'avait pas encore trouvé. A ce propos, plus d'un s'était présenté chez elle pour soi-disant lui raconter son rêve; mais elle, ne souf-flant aucun mots du sien, attendait qu'on le lui raconte. Mais ce fut souvent des histoires tirées par les cheveux qu'on lui racontait et sa seule réponse fut de dire : Je suis désolé, mais votre rêve ne ressem-ble aucunement au mien! Le bohémien ou l'escroc repartait bredouille sans avoir pu tirer le moindre renseigement sur lequel il aurait pu broder une histoire invraissemblable.

Par ces temps difficiles, c'est fou comme le nombre de voleurs de rêves s'était multiplié dans les rues de la ville d'Annecy et dans ses environs! pensa-t-elle en regardant le pauvre Jean-Jacques qui ne sav-ait pas par où commencer. Pour elle, son rêve était simple comme un désir de justice qui l'a motivait plus que tout, non pas seulement à cause de la mort de son mari, mais en général. Et seul un cœur pur pouvait comprendre les motivations du sien sachant que l'esprit ne devait pas entrer en ligne de com-pte. Car celui-ci était souvent méchant et vicieux alors que le coeur d'un jeune garçon avait encore toutes ses qualités de bravoure et d'honnêteté, ce que Marie-Christine savait intuitivement. A ce pro-pos, on remarquait souvent dans les sociètés les plus cultivées que malheureusement l'esprit avait re-mplacé le coeur pour des raisons évidentes d'évolutions sociales et intellectuelles. Et que le drame fut d'ignorer sa disparition en pensant avoir toujours du coeur, alors qu'elles n'avaient que de l'esprit, bref, des idées auxquelles il fallait mettre de la chair autour, Ah!Ah!Ah! Ceci étant, bien évidemment, un jeu très cruel auquel s'adonnait les gens de cette socièté dite raffinée où l'esprit était beaucoup plus cruel que le coeur qui, paradoxalement, connaissant parfaitement ses faiblesses en évitant souv-ent qu'un simple conflit se transforme en génocide pour le genre humain, n'est-ce pas? En nous replo-ngeant dans l'Histoire, on pouvait dire sans bien se tromper qu'il y avait eu moins de morts au temps de l'antiquité, époque pourtant très cruelle, qu'au cours de ces derniers siècles où l'esprit humain fut des plus cultivé et raffiné. Ceci étant, bien entendu, en totale contradiction avec l'idée que s'en faisai-ent les intellectuels qui pensaient par orgueil que leurs idées seraient bonnes pour l'humanité, alors qu'elles étaient mauvaises et souvent fausses pour le bonheur des gens.

Je n'irai pas jusqu'à nier que le progrès n'apportait pas d'améliorations à la vie des hommes! Mais ceci à quel prix, sinon au prix de millions de morts? Marie-Christine, qui était intelligente, avait lu aussi Platon qui disait en gros la même chose en étant contre tout progrés aussi bien dans le domaine art-istique que militaire pour des raisons évidentes de stabilité sociale. Pourtant, elle avait cru pendant longtemps que le système aristocratique fut le meilleur des systèmes pour organiser la société des ho-mmes. Mais qu'elle avait dû vite déchanter, quand son frêre Paul avait eu des heurts avec la Baronie du coin. Car celui-ci était tombé amoureux de la fille du baron de Vals, mais que ce dernier fit tout pour le persécuter afin qu'il n'ait pas sa fille. Ce qui pour elle démontrait que la nouvelle aristocratie n'était plus celle dont elle avait lu les exploits dans les livres anciens où les valeureux chevaliers du moyen-âge défendaient la veuve et l'orphelin au péril de leur vie en nous montrant leur grandeur d' âme. Visiblement, ces temps chevaleresques étaient dépassés depuis fort longtemps ainsi que ces âges d'or remplacés par ceux des vanités et des privilèges : privilèges dont les nouveaux aristocrates s'enn-orgueillaient grâce à leur richesse patrimoniale au lieu de préférer l'estime et l'amour de leurs sujets. En considérant ceci comme un grand gâchis vu que l'aristocratie avait elle aussi ses beautés où l'art avait atteint des sommets et surtout ses avantages politiques qui la rendait supérieure à tout autre sy-stème qu'il soit démocratique ou ré-publicain : puisque les problèmes de successions ne se posaient plus grâce à la sucession légitime par le lien du sang. Ceci évitait tout simplement qu'on se batte pour la prise de pouvoir et assurait à la population une certaine stabilité politique en vu du bonheur social.

Mais avec ce desamour, qu'elle avait ressenti entre ces nouveaux aristocrates et leurs sujets, elle sav-ait désormais que le pire était à venir. Et si dégradation, il y aurait de la société, celle-ci serait forcé-ment la faute à leurs bêtises et à leurs caprices de monarque. L'assassinat de son mari avait bien évid-emment renforcé en elle toutes ces convictions. Revenant doucement à elle, elle aperçut Jean-Jacques qui semblait toujours hésiter à lui dire sa prophétie. Quand il la vit revenir à la réalité, il lui dit subi-tement : Madame, je suis là pour vous aider à retrouver l'assassin de votre mari, le journaliste Pierre Libe!

Oh mon dieu, je t'ai enfin trouvé! lâcha-t-elle comme sauvée des eaux. Viens près de moi, mon garç-on et appuie-toi sur mon coeur! Jean-Jacques, ému jusqu'aux larmes, s'empressa vivement de serrer contre lui sa bienfaitrice. Marie-Christine, à nouveau heureuse, lâcha des larmes de bonheur sur ses joues. Quant à lui, ces instants lui parurent éternels en retrouvant une mère protectrice : une mère qui jusque là lui avait manqué pour qu'elle fasse un jour éclater son génie. Le petit poignard dans sa poc-he avait tout entendu et se réjouissait maintenant de cet heureux dénouement sachant que tous les de-ux avaient desormais un toit où dormir ce soir!

-As-tu faim, mon garçon? Veux-tu une glace, une patisserie ou boire un chocolat maintenant que no-us nous quitterons plus jamais?

-Un choux à la crème, j'dirai pas non! dit-il comme affamé par ce bonheur inattendu.

-Viens, prends ma main! dit-elle. Il lui prit la main et tous les deux ressemblaient maintenant à deux enfants dont les visages respiraient le bonheur retrouvé. Puis ils coururent à travers la foule en riant comme des fous tout en lui inspirant quelques peurs par cette liberté bien trop naturelle.

-Tiens, y' a une patisserie là bas, allons-y!

Nos deux tourtereaux se jetèrent bruyamment sur les sièges installés sur la terrasse où les gens à côté, apparemment bousculés dans leurs petites habitudes, s'esclaffèrent devant ce couple bien étrrange co-mposé d'un adolescent et d'une jeune femme. Une serveuse ne tarda pas à venir pour prendre leur co-mmande.

-Pour moi, ce sera un choux à la crème et un bol de chocolat, dit Jean-Jacques d'un ton assuré.

-Pour moi, ce sera un thé au citron avec une viennoiserie, dit Marie-Christine d'un ton naturel.

-Bien, Monsieur et Madame, je vous apporte tout ça dans un instant! dit la serveuse.

Devant eux, la foule défilait dans un brouhaha inextricable et couvrait la plupart des conversations intimes. Marie-Christine se pencha soudainement vers Jean-Jacques et lui souffla à l'oreille : Je suis heureuse! Celui-ci, ému et oubliant sa grande timdité, lui répondit : Moi aussi! en la regardant dans les yeux pendant quelques instants, puis tourna son regard vers l'horizon comme par pudeur. Ensuite, la serveuse arriva avec un grand plateau et leur servit leur commande. Jean-Jacques, affamé, sauta au-ssitôt sur son choux à la crème et s'en mit plein autour de la bouche, ce qui la fit éclater de rire, Ah!Ah!Ah! Mais arrête de manger comme un goinfre, on a tout le temps! Hum, hum, comme c'est bon! ne put-il s'empêcher de manifester. Très embarrassé, il reposa son choux sur la soucoupe, puis passa sa langue autour de sa bouche comme un petit animal sauvage. Marie-Christine, s'époumant de rire, devinait que Jean-Jacques n'avait pas beaucoup d'éducation, mais qui ne la dérangeait aucunement. Car cet enfant était tout simplement naturel, ce qui constituait pour elle une très bonne base pour ass-urer sa future éducation, pensa-t-elle. Lui, qui était à dix milles lieux des pensées de sa bienfaitrice, s' essuya ensuite la bouche avec la manche de sa redingote. bref, il n'en manquait pas une pour se faire remarquer! pensa-t-elle en dévisageant la foule. Elle n'avait pas commencé à tremper sa viennoiserie dans son thé qu'il avait déjà tout mangé et but son chocolat dans un vacarme assourdissant. Leurs vo-isins de table se demandaient à quelle espèce animale il avait affaire pour être si mal élevée? Snobis-me, snobisme! semblait-il leur répondre en se tapant maintenant sur le ventre comme en signe de sati-sfaction. Devant ce tableau vivant, Marie-Christine semblait heureuse d'avoir trouvé cet enfant, ce pe-tit animal qui dérangeait quelque peu la population de ses préjugés. Je crois que nous avons de gran-ds projets à faire ensemble! lui souffla-t-elle à l'oreille. Oh oui, je le crois, moi aussi! répondit-il d' un ton clair et assuré. Satisfaite par cette réponse, elle plongea sa brioche dans son thé et mordit de-dans.

Dans sa tête mille choses se bousculaient, alors que chez Jean-Jacques régnait plutôt un calme olym-pien au fait de savoir que ce soir, il aurait un endroit où dormir avec son petit poignard qui de temps en temps cognait dans sa poche en guise de contentement. C'est vrai que c'était un peu mesquin de la part de ces deux là. Mais bon, quand on était sans famille, un toit pour la nuit n'était-elle pas la plus grande récompense de la journée? Et de plus si le couvert était offert, mais qui s'en plaindrait, hum? Le sourire aux lèvres, il regardait maintenant sa bienfaitrice comme un don du ciel jusqu'a la comp-arer à une fée envoyée par les dieux afin qu'il puisse réaliser son rêve de devenir un jour un génie en-vié par la Terre entière! En sachant pertinement que ce génie qu'il attendait surgir hors de lui serait le résultat de l'amour et de la raison et non, comme certains pourraient le croire, de la pure mégalom-anie ne donnant aucun genie, mais seulement de la suffisance ou de la prétention. Car pour lui, le gé-nie, c'était l'alliance sacrée entre l'amour et la raison et s'il lui manquait un de ces deux élèments, le génie ne pourrait jamais éclater d'une manière flamboyante chez un individu ou bien dans une sociète, ce qui était parfaitement juste, n'est-ce pas? Car la justice devait être au service de tous les Hommes et non au service de tous ces aristocrates qui avaient aujourd'hui la main mise sur la justice en vue de servir leurs seuls intérêts. Et sur ce point là, il avait énormément de comptes à régler avec cette aris-tocratie qui depuis un siècle persécutait sa famille protestante aussi bien sur un plan religieux que financier. En étant pour lui, un crime abjecte qu'il fallait lui faire payer un jour de même que cette religion catholique complice de ce génocide. Parfois ses sombres pensées le submergeaient entièrem-ent au point de devenir subitement un monstre pour lui-même en essayant bien évidemment de le ca-cher!

Marie Christine, qui à ses côtés avait ressenti toute cette noirceur dans son regard, fut inquiète penda-nt un instant et lui demanda s'il allait bien : Jean-Jacques, vous allez bien? Lui, surpris dans le fond de ses pensées, répondit : Heu? Oui, oui, ça va bien! Mais je crois que j'ai mangé trop vite et j'ai com-me un mal à l'estomac. C'était à prévoir, mon gros chat. Tu as mangé comme un goinfre. Oui, je le sais bien, mais j'avais tellement faim. A l'avenir, mon ami, apprenez à réfréner vos instincts et votre faim, car c'est votre destin qui est en jeu, n'est-ce pas? Assommé qu'elle ait tout compris, il lâcha presque honteusement : Oui mère et à l'avenir, je ne vous cacherai plus rien. Les yeux brillants de ten-dresse et d'autorité, elle ne put lâcher un instant son regard sur le pauvre Jean-Jacques qui comprit soudainement que son avenir ne dépendait que d'elle. Pris par l'emotion, il posa subitement sa tête sur l'épaule de sa bienfaitrice où les gens autour d'eux semblaient crier au scandale : Mon dieu, mais que-lle impudeur, ce garçon! Mais quelle honte et en plus en public! Quant à elle, Marie-Christine sem-blait savourer ce bonheur et son visage rayonnait d'une éclatante joie de vivre. Tout à l'heure, nous prendrons ma calèche pour rentrer à la maison! dit-elle le sourire aux lèvres. Je vous suivrai jusqu'au au bout du monde! dit-il, la tête toujours posée contre son épaule. Aller, lève-toi, gros chat paress-eux! lâcha-t-elle comme exaspérée par ses effusions de tendresse. Mais lui, paralysé par ce bonheur, ne semblait plus rien entendre en étant submergé par cet amour qu'à une mère pour son enfant où il découvrait l'amour maternel pour la première fois! Sur le point de s'endormir, blottie contre son en-fant, mais voyant la situation devenir ridicule devant cette foule qui commençait à s'amasser devant ce spectacle pitoyable, elle se leva subitement en tirant Jean-Jacques par la manche. Allez, viens, je crois qu'il est temps de partir, mon enfant! Lui, assommé par ce bonheur inattendu, ne put rien dire et la suivit comme un petit chien.

La calèche attendait patiemment le retour de sa maitresse aux bords du lac où Xavier, le cocher, adm-irait la beauté du lac d'Annecy pour se maintenir éveillé. En étant pour lui une astuce comme une au-tre pour ne pas être surpris en train de dormir par sa maîtresse. En cas où l'attente était trop longue, il descendait de la voiture et faisait quelques pas ou bien allait s'occuper de ses bêtes afin de les enco-urager à garder la position de stationnement. Depuis que sa maîtresse était partie faire le marché aux fleurs, il avait fait ce rituel au moins cinq à six fois, mais ne s'en était plaint à aucun moment. Car tra-vailler pour sa maitresse était pour lui du pain béni, après qu'il ait connu en tant qu'orphelin, la maltr-aitance chez son maître d'apprentissage qui le battait au point qu'il avait dû fuir pour échapper à son calvaire. Errant seul sur les routes de campagne et mourant de faim, un jour le destin voulut l'aider en le mettant devant les grilles de la propriété de Marie-Christine où sur une plaque à l'entrée était insc-rit : Bienvenue au Domaine de l'Espérance! Hypnotisé par cette plaque pleines de promesses, où son destin semblait être inscrit, son coeur ne fit qu'un tour et décida d'y demander l'aumône en tirant sur la chainette où tinta le son d'une cloche comme celui de la providence! La suite, il la connaissait très bien et était très heureux que son histoire ait bien tournée. Quant aux autres malheureux, fort nom-breux dans ce monde, mais que pouvait bien faire sa maîtresse malgré sa grande générosité devant toute cette misère inépuisable? se demandait-il inquièt en remontant sur son siège. A peine avait-il oublié cette épineuse question qu'il entendit subitement derrière lui la voix de celle-ci : Xavier, retou-rnons à la maison! Bien, Madame! répondit-il sans se soucier du jeune garçon qui l'avait entraperçu en se retrournant avec discretion. Desormais attentif qu'ils soient tous les deux bien installés, il tira avec tact et douceur sur les brides( car ils traitaient bien ses bêtes) et la calèche partit sans accoups en suivant en premier lieux les bords du lac, puis coupa par un petit chemin qui menait à la proprièté de sa maitresse, installée sur les hauteurs d'Annecy où elle surplombait le lac.

Cétait seulement à une demi-lieue d'ici. Et Jean-Jacques, transporté de ravissements à bord de cette calèche aux sièges rembourés et aux portières décorées par de petits anges, se demandait si on ne l' emmenait pas au paradis? Curieusement, les gens qui défilaient devant lui se demandaient s'il n'avait pas affaire à un roi ou un prince? Pour la première fois de sa vie, il faillit pleurer, non pas de dou-leurs, mais de cette joie immense d'être enfin reconnu par les autres à sa juste valeur! Et ses larmes de bonheur, qui n'attendaient qu'à ruisseler chaudement sur ses joues, Marie-Christine fit semblant de ne pas les voir en regardant droit devant elle où de jeunes hommes lui faisaient des révérences en tirant leur chapeau au passage. Mais étrangement, elle resta comme insensible et quasiment froide à leurs yeux doux en gardant la tête haute. Mais pour combien de temps? se demanda-t-elle tiraillée sans ces-se entre la pureté de son coeur et ceux de ses désirs charnels. Parfois, elle avait le sentiment de vivre un véritable calvaire, comme une sainte qui désirait toucher le corps d'un homme pour échapper à la monotonie de sa vie et surtout au poids énorme d'une vie sans jouissance physique. Car si la nature avait donné aux hommes et aux femmes, un sexe, ce fut nécessairement pour s'en servir un jour, non forcément pour se reproduire, mais pour leur permettre en tant que créature d'atteindre la jouissance, n'est-ce pas, Car jouir, c'étai oublier pendant un bref instant toutes les misères du monde et surtout ses propres souffrances où ses pensées devenaient au fil du temps un poids énorme à supporter. Et la nature étant bien faite leur avait donc donné( afin qu'ils ne se suicident pas ou deviennent fou), cette capacité d'éffacer cette memoire encombrante grâce à la jouissance physique. Le désir de vivre, c'était uniquement ceci, l'envie de jouir de la vie et de tous ses organes, comme une bête fait de chair et de sang. Et la chair de Marie-Christine criait parfois sa souffrance de ne pas être consoleé, caressée par la main d'un homme et envoyée au septième ciel! Elle tombait alors dans un grand abattement en attendant une sorte de resurrection surgir d'elle-même, comme un miracle intérieur ou peut-être un désir de justice?

Mais ne savait pas exactement d'où ce miracle pouvait provenir et l'aider à supporter son martyr. Av-ec le sentiment que cette capacité à supporter l'insupportable avait commencé après la mort de son époux, Pierre Libe, journaliste de profession assassiné dans la forêt de Momorency, non loin de Paris, où il devait assister à un colloque sur la liberté de la presse avec ses confrères de la presse écrite. En ce lieu, elle possédait une petite maison pour qu'il puisse avoir un pied à terre ainsi que ses amis li-bres penseurs. Mais étrangement, il avait disparu juste avant ce colloque d'où ses amis républicains et hommes de bonne volonté projetaient de faire une véritable révolution dans la presse écrite en pub-liant un journal à l'échelle nationale. Dans le but de faire entendre partout la voix du peuple étouffée bien évidemment pour des raisons politiques et économiques de la part de l'aristocratie française et même Européenne. Car ces gens de la haute consideraient toujours les gens sans noblesse apparente comme des sujets de sa royale majesté auxquels on accordait pas le droit de penser par eux-mêmes! Pierre Libe et ses amis de bonne volonté souhaitèrent que tout cela changeât le plus rapidement poss-ible afin que ces derniers ne soient plus considérés comme des serfs, mais comme de véritables cito-yens participant à l'avenir de leur pays. Entre nous, Utopie ou bien suicide politique du peuple? Car le peuple peut-il être vraiment representé dans toutes ses formes, mouvances et particularités ou seul-ement caricaturé afin de ne pas repondre à ses exigences monstrueuses de liberté? Et en lui donnant la parole ne risque-t-on pas d'entendre un vacarme assourdissant? Est-ce pour cela que le pouvoir fort aura toujours de l'avenir pour tous les monarques de la Terre afin de limiter les exigences monstru-euses du peuple? Malgré tous ces paradoxes, Marie-Christine s'attachait toujours à ses lectures de jeunesse où les exploits de ces valeureux chevaliers defendaient au péril de leur vie, la veuve et l'orp-helin. Et même si ces temps étaient révolus avec cette nouvelle aristocratie imbue de tous ses pouv-oirs, elle pensait qu'ils pourraient revenir sous une forme nouvelle. En imaginant Jean-Jacques à ses cotés, comme une possible relève de ces chevaliers au coeur pur.

Sans se cacher pour l'instant que Jean-Jacques, avec son petit poignard caché dans sa poche, avait l'air plutôt ridicule devant les exigences, non entièrement dévoilées par sa bienfaitrice. Qui ne manqua pas d'étouffer un petit rire en y pensant et qu'il prit pour un moment de bonheur. Et de là qu'elle le trans-forme un jour en conquérant de la liberté, il y avait comme une montagne à gravir! Mais pour en rev-enir à l'assassinat de son mari, Pierre Libe, son corps fut découvert au fond d'un torrent par des cuei-lleurs de campignons et visiblement transpercé par plusieurs coups de lame. Etrangement, la police au cours de l'enquête trouva dans l'une de ses poches, sa langue coupée avec une extrême precision ainsi que sa main sectionnée posée sur ses parties génitales( qui par chance n'avaient pas été sectionn-ées!) comme s'il s'agissait d'un rite satanique ou d'une mise en garde contre tous ceux qui voudraient imiter les agissemements de ce pauvre journaliste, un fervent défenseur de la liberté de la presse. En fait, on en savait rien et la police se trouva très embarrassée d'être tombée sur ce genre d'affaire qui sentait l'étrangeté voir la magie noire. Mais ne voulant pas tomber dans ce genre de superstition (ou un maquillage du crime fut possible pour tromper les enquêteurs), elle choisit tout simplement d'ex-ercer son métier qui consistait à trouver tous les indices pouvant la mener sur la bonne piste. En reto-urnant la main du journaliste, elle découvrit à sa grande surprise sur sa paume, un étrange tatouage en forme de tête de mort! Ce qui commencait vraiment à en faire un peu trop pour une seule et même journée! pensa-t-elle et mit l'affaire sur le compte d'un fou ou d'un obsédé sexuel. Et il ne fut pas im-posible que son mari ait été à un rendez-vous de sodomites, comme le suggérait un journal royaliste, la couronne, afin de discréditer et de jeter dans la boue l'honneur du journaliste et ami de la liberté.

Trouvant cette affaire un peu trop complexe à gérer, la justice la confia à l'inspecteur Pugnac de la police royale de Paris et à l'inspecteur Labroque de la police prestigieuse d'Annecy le vieux afin que les deux hommes puissent collaborer et faire avancer l'affaire grâce à leurs enquêtes respectives. Mais pour l'instant aucune piste sérieuse n'avait été trouvée et l'affaire se trouvait toujours au point mort.

L'inspecteur Pugnac, homme dévoué corps et âme au service de la police royale de Paris dont les orn-ements étaient faits d'une couronne et d'un aigle tenant entre ses serres un petit animal (un lapin ou un renard, on se savait pas bien exactement) avait ses bureaux au dessus de la Seine au 37 rue des Or-nières. Et chaque matin, il ne manquait jamais de faire son petit rite qui consistait à aller à ses fenêtr-es, puis de regarder la ville de Paris et toutes ses rues avec des yeux térrifiants, comme si sa vue eut été dotée de l'oeil perçant de l'aigle afin de prendre sur le fait tous les voyous et criminels qui séviss-aient dans la ville du roi de France, sa majesté Louis 15. Sur son bureau était entassé un nombre imp-ressionnant de dossiers concernant des vols, des rapts, des viols, des assassinats ainsi que des dénonc-iations sur de soi-disant ennemis du Roi qui projetaient de l'assassiner lors des prochaines célébrati-ons qui auront lieu à Paris. Après qu'il ait longuement jeté ses regards haineux sur les faubourgs cra-sseux de Paris, il se retourna brusquement sur son bureau( il est vrai très encombré) et fixa en partic-ulier un dossier qui concernait l'assassinat du journaliste Pierre Libe qu'il n'avait pas fini de lire la veille pour lequel, il semblait très intrigué. Car hier après-midi, il avait reçu de Versailles une note hallucinante lui ordonnant de classer l'affaire, bref, de l'archiver, ce qui l'avait mis un peu en rogne au debut. Mais bon, si c'est le roi qui l'exige, j'obéirais comme je l'ai toujours fait! pensa-t-il en sachant parfaitement tenir son rang et son rôle d'assurer la sûreté du royaume. Pourtant, comme c'est domma-ge! dit-il en se mordant les lèvres. Car il avait fait rapatrier ici, dans son bureau personnel, toutes les pièces à convictions concernant l'affaire en mettant dans des bocaux, remplis de formol, la langue du journaliste ainsi que la main. Fasciné et intrigué en même temps par ces objets visqueux qu'il avait posé sur des étagères, il traversa la pièce d'un pas rapide et se mit à regarder cette main flottant dans le formol où une tête de mort apparaissait sur la paume. En la regardant très attentivement, il se disait que les médecins légistes avaient fait un excellent travail en la déployant avec art afin qu'on puisse voir tous les détails. Puis faisant tourner le bocal entre ses mains, il fut intrigué par deux lett-res, un R et un F tatouèes sur les extrémités des doigts du défunt!

L'inspecteur Pugnac, qui n'était pas né de la dernière pluie, se mit brutalement à réfléchir sur le sens cacher de ces deux lettres. Mais pour une raison inconnue, il grinça des dents et lâcha dans une langue inconnue des mots imprégnés semble-t-il de magie noire : Pustor, calisch, bastraga, noroton et entra soudainement dans une transe où il fut pris de terrifiantes secousses au point qu'il s'écroula au sol presque évanoui! Haletant et bavant un liquide noir entre ses lèvres, l'inspecteur se releva comme transfiguré en un étrange animal où son nez avait maintenant l'aspect d'un bec d'aigle et ses mains munies de griffes acérées et ses yeux, qu'il ouvrit subitement, avait la couleur d'un acier étincelant à faire froid dans le dos! En regardant à l'intérieur, on vit apparaître comme dans un film, les différen-tes affaires qu'il avait dû résoudre durant toute sa carrière et bien évidemment pleines de crimes et de sang! En auscultant sa mémoire, il s'arrêta soudainement sur une affaire pouvant se rapprocher de celle qu'il était en train d'étudier. Il s'agissait d'une imprimerie clandestine à Clichy-sous-bois où il avait découvert sur des documents les mêmes initiales, un R et un F apposés sur le parchemin comme étant la signature de son auteur. Le propiètaire de l'imprimerie, un certain Ratus Furius, dit le rat fur-ieux, fut aussitôt arrêté et mis en cause sur l'origine de ces documents ou tracts en tout genre qui lançaient, ne nous le cachons pas, des appels au meurtre et en particulier sur le Roi de France où une prime de 1000 écus or serait remise à celui qui arriverait à lui couper la tête! Le Roi, mis au courant sur cette odieuse conspiration sur sa tête en fit une affaire personnelle au point qu'il choisit lui-même le châtiment pour ce Ratus Furius, cet imprimeur de malheur, un vrai démon, comme il l'appelait! Le Roi choisit donc pour lui, non point la roue sur la place publique, ni la décapitation à la hâche par un bourreau, ni les coups de fouets que l'on pouvait à force de soins guérir, mais de le mettre sous une presse afin qu'il dénonce ses complices et qu'il se repente!

L'inspecteur se souvenait très bien de cette affaire où le bourreau fut tellement pressé d'en finir que la tête du pauvre homme éclata sous la presse ainsi que ses boyaux qui se déversèrent comme un paqu-et d'immondices sur le sol. Ce Ratus Furius n'avait eu ni le temps de dire un mot ni de dénoncer un seul de ses complices! Le Roi fut bien évidemment informé avec grands détails sur la boucherie, ce qui l'avait mis de très bonne humeur tout en nous conjurant moyennant une prime en pièces d'or de traquer où qu'ils soient tous ses fauteurs de troubles, ces petits révolutionnaire du dimanche, comme il aimait les appeler. Mon équipe et moi, voulant toucher absolument la prime en or, retournèrent da-ns l'imprimerie et découvrimes dans l'arrière boutique trois livres volumineux frappés chacun d'une tête de mort et des initiales RF! Ces trois livres avaient chacun un titre bien prècis. Le premier s'app-elait la Genèse, le second, la Révolution et le troisième, l'Epanouissement. Tout ceci, nous jeta bien évidemment dans des troubles inextricables au point qu'on envoyât ces trois volumes à Versailles et plus précisément aux autorités royales de la censure. J'appris quelques jours plus tard que ces livres avaient été très scrupuleusement décortiqués par les censeurs et déclarés comme immoraux et dange-reux pour l'intégrité du royaume. Puisque dans le deuxième volume, celui de la révolution, une prop-hétie annonçait clairement l'avènement d'un nouveau monde, quand la tête du Roi, celle du seizième de ce nom, aura été décapitée et mise sur une pique! Le Roi, Louis le quinzième de ce nom, notre Roi bien aimé, fut atterré d'entendre cela de la bouche de ses censeurs et décidèrent de brûler tous ces liv-res infâmes. Les autorités royales de la censure avaient été elles-même conviées à effectuer ce travail qu'elles prirent avec un très grand plaisir, ne nous le cachons pas. Aussitôt, on entassa dans un coin discret du jardin du Roi beaucoup de bois auquel on mit le feu et y jeta à l'intérieur les trois volumes. Le feu fut tellement impressionnant que les censeurs et le Roi, invités à cet autodafé, rièrent à grands éclats de voir le feu monter presque au ciel!

Voici les trois livres écrits par le diable découverts dans l'imprimerie de Ratus Furius!

Le feu extraordinairement dura toute une journée. Et le lendemain, le jardinier, censé de nettoyer l'endroit, découvrit dans les cendres encore chaudes les trois volumes en parfait état! et partit sur le champ les porter au Roi. Qui, les apercevant sous le bras de son jardinier, faillit tomber dans les po-mmes! Mais aussitôt les domestiques amernèrent les sels et les eaux parfumées pour ramener le Roi à la vie.

En racontant cette petite anecdote à son collègue, à la taverne du Puit sans Souci, situé en bas de l'h-ôtel de police, l'inspecteur Pugnac ne manqua pas de lâcher un petit rire que l'autre imita aussitôt, non pour se moquer du Roi, mais pour tout simplement décompresser de toutes ces affaires de crim-es et de sang ou bien étranges qu'ils devaient traiter en apparence sans état d'âme, ce qui était totale-ement faux.

-Allez chef, buvons un coup! lança Lagruge en levant son verre.

-Alors buvons au Roi de France! rectifia-t-il en cognant son verre contre celui de son collègue en regardant d'un œil méfiant toute la compagnie qui se trouvait dans la taverne où pouvait se cacher des conspirateurs.

-A Louis le quinzième de ce nom! lança-t-il à toute la compagnie qui aussitôt leva son verre en criant : Vive le Roi! L'inspecteur, qui était un homme très intelligent, avait vu d'un seul coup d'oeil ceux qui les avaient levé d'une manière très naturellement et ceux qui visiblement avaient eu du mal à le faire. Mais ne voulant pas être plus royaliste que le Roi, il lâcha cette idée de sa tête et se retourna vers son ami pour tout simplement discuter avec lui, boire, manger tout en se donnant des informa-tions mutuellement.

-Vous savez, mon cher Lagruge, dit l'inspecteur en tritouillant dans son assiette un tablier de sapeur, j'ai appris après cette vaine tentative de destruction par le feu de ces livres infâmes que le Roi avait exigé que ses censeurs les mettent à l'épreuve de l'épée, de la hache et du couteau!

-Tout ça? s'écria son collègue en écarquillant les yeux en pensant qu'un simple arrachage de feuilles eut suffit. Mais ont-ils au moins essayé d'arracher tout simplement les feuilles? lui demanda-t-il d' une façon fort naïve.

-Mais ça été fait, mon cher ami.

-Et alors?

-Et alors et alors? Eh ben, les feuilles ont résisté!

-Comment elles ont résisté? Oh sainte mère de l'Eglise, mais comment est-ce possible? le suppliait-il en levant les yeux au ciel. Est-ce possible que ce soit le diable lui-même qui les aurait écrites?

-Je n'en sais rien. Mais on me rapporta que les feuilles étaient faites dans une matière jusque là incon-nue même de nos plus grands savants!

Lagruge, qui semblait sonné par tout ce que son chef venait de lui raconter, vida d'un trait son verre et resta en état extatique pendant un petit moment. L'inspecteur, quant à lui, coupa un bon morceau de tablier de sapeur qu'il mit dans sa bouche avec gourmandise.

-Et l'épreuve de l'épée, de la  hache et du couteau, alors comment s'est-elle passée? lui demanda-t-il subitement.

-Oh, dit-il, en mâchouillant un morceau qu'il avait du mal à avaler et qu'il mit sur le bord de son ass-iette, vous savez ça pas été facile. Car il a fallu trouver les armes les plus tranchantes du royaume pour avoir au moins une chance d'en finir avec ces livres de malheur.

-Et les a-t-on trouvé?

-Oui, car le Roi avait à sa disposition les meilleurs armuriers du royaume. Et l'on fabriqua pour l'oc-casion les lames les plus effilées pour l'épée, la hache et le couteau qui serviraient alors à mettre en morceaux ces livres de damnés.

-Et comme s'est passée l'épreuve?

-Oh assez simple, voyez-vous, on accrocha ces livres à des chaînes afin que les meilleurs lames du royaume puissent les transpercer avec leurs armes affûtées comme des rasoirs.

-Et alors, ça a marché, hum ?

-Malheureusement, non! dit l'inspecteur en ravalant le morceau qu'il avait mis sur le bord de son assiette. En fait, ces livres semblaient indestructibles d'après les dires des plus valeureux chevaliers du roi et lui conseillèrent d'essayer plutôt l'épreuve des balles.

-L'épreuve des balles?

-Oui, c'est bien cela. Et le Roi, désemparé par toute cette histoire invraisemblable, convoqua aussitôt le conseil de guerre afin qu'il trouve une solution d'exterminer ces livres. C'était bien là son expressi-on qui, d'après lui, mettait en péril toute la monarchie des Bourbons!

-Quoi, toute la famille royale? Mais c'est pas possible que trois malheureux bouquins puissent mettre en péril tout le royaume sachant que le Roi tirait son pouvoir de dieu lui-même, n'est-ce pas? deman-da-t-il d'une manière idiote à son chef.

-Mon ami, vous avez entièrement raison, et si le Roi détenait ses pouvoirs de dieu lui-même, cela voulait dire tout simplement que ces livres étaient l'oeuvre du diable! Oui, l'oeuvre du diable! pron-onça-t-il avec une voix terrifiante.

-L'oeuvre du diable? Mais comment est-ce possible?

-Personnellement, je n'en sais rien. Mais quand le ministre de la guerre fut convoqué auprès du Roi pour cette raison, celui-ci prit la chose à la lègère en n'en croyant pas un mot et lâcha même un petit rire que le Roi n'apprécia guère. Mais il put se ratrapper en lui proposant l'épreuve des balles et si cela ne marchait pas, l'épreuve du canon!

-Quoi, l'épreuve du canon? Mais c'est fou, cette histoire! lâcha Lagruge en piochant avec ses doigts un petit morceau de lard dans son assiette.

-Oui, je sais, dit l'inspecteur en le regardant un peu abattu. Mais bon, ils n'avaient pas trop le choix, n'est-ce pas?

-Sûr qu'ils n'avaient pas trop le choix après toutes ces épreuves dignes d'une comédie de Dante! lança Lagruge qui voulait montrer à son chef qu'il avait un peu de culture.

-Heu, vous connaissez Dante? lui demanda-t-il d'un air curieux.

-Euh, oui, je l'ai lu un peu comme tout le monde. Mais dans sa divine comédie, il  y' a quelque chose qui m'a toujours dérouté. C'est sa démarche farfelue pour sauver son salut éternel que je trouve exce-ssive pour être véritablement sincère. Mon dieu, mais pourquoi tant d'épreuves pour un seul homme, sinon prouver qu'il était damné depuis sa naissance? demanda-t-il étrangement à l'inspecteur Pugnac.

-Euh, oui, ce que vous dites me semble très intéressant. Mais à quoi vous voulez faire allusion exact-ement? lui demanda-t-il en sentant comme un rapprochement avec le sort du Roi et de la monarchie des Bourbons.

Comprenant la balourdise qu'il venait de dire, il rectifia aussitôt son erreur en disant : Euh, en fait, je voulais dire que Dante en tant que poète était condamné d'avance. Car tout le monde sait qu'un ho-mme qui rêve trop est condamné à la misère et forcément aux tentations du diable! Alors que notre Roi bien aimé, qui est né avec toutes les richesses du ciel, ne peut que répandre le bien autour de lui, n'est-ce pas?

-C'est bien, mon ami, vous parlez bien et c'est pour cela que j'aime votre compagnie, lui dit-il avec sincérité. Et vous n'êtes pas comme tous ces manants et ces misérables qui n'attendent qu'une chose de vous voler ou de vous assassiner par derrière! lâcha violemment l'inspecteur avec des yeux injectés de sang.

-Ah!Ah! ria Lagruge en regardant d'un air cynique autour de lui des gueux qui mendiaient une pièce pour boire une pinte de bière.

-Ah!Ah! ria à son tour l'inspecteur en lançant une tape sur l'épaule de son ami. Les gueux, ça ne méritent pas de vivre! dit-il comme un couperet.

-Ils méritent plutôt une corde au cou, quand on voit leur inutilité dans le royaume, n'est-ce pas?

-C'est bête à dire, mais ils ne servent strictement à rien sauf à empuantir votre environnement, Ah!Ah!Ah!

-Dites chef, mais pour en revenir à notre discution, alors comment s'est passée l'épreuve des balles et du canon?

-Oh, mon ami, ne m'en parlez pas! Voyez-vous, lorsqu'on chargea les mousquets avec du plomb de 45 et qu'on tira dessus, les balles s'écrasèrent comme de la mie de pain sur ces livres de damnés au point qu'on passa directement à l'épreuve du canon, ce que le chef des armées croyait être la solution finale pour se débarrasser une bonne fois pour toute de ces livres écrits par le diable. On alla donc dans un champ accrocher ces livres sur une grande cible en bois, puis on tira dessus avec les meilleurs canons du royaume appartenant à notre majestueuse marine royale. Le Roi était présent, car il voulait absolument voir sa victoire, celle du bien sur le mal, qu'il ne cessait de répéter à son entourage. Mais après le tir et la fumée dissipée, on retrouva les livres à une cinquantaine de mètres plus loin, mais en parfait état! Le Roi, une nouvelle fois, faillit devenir fou et convoqua sur le champ, non pas ceux qui avaient échoué, mais cette fois-ci, les ordres religieux afin qu'ils exorcisent les livres du diable!

-C'est fou! dit Lagruge.

-Oui, mais comprenez bien, après tout ce qu'ils avaient éssayé, il était naturel de convoquer les saints hommes pour lutter contre le diable, n'est-ce pas?

-Oh oui, bien sûr et le Roi a eu entièrement raison! dit Lagruge en essayant bizarrement de tordre sa fourchette avec ses doigts, et quelle fut leur decision?

-Eh ben, ils décidèrent de couler les trois livres dans du plomb, puis d'enfermer le tout à la Bastille!

-Ah voilà enfin une bonne résolution! dit-il après avoir retrouvé le sourire en faisant un signe à l'aub-ergiste pour qui lui serve un autre verre. Quelques instants plus tard, l'aubergiste vint près de leur ta-ble et servit aussi l'inspecteur Pugnac auquel il fit un petit coup d'oeil, comme s'ils se connaissaient.

-Alors, buvons à? Heu? Eh ben, à toi l'aubergiste! lança-t-il en quasi état d'ébriété, non provoqué par l'alcool, mais tout simplement par l'histoire invraisemblable que lui avait raconté son chef.

-Dites, chef, pensez-vous que toute cette affaire pourrait avoir un lien avec le collier de la reine, le masque de fer et de l'évasion du conte de monté Cristo? demanda-t-il subitement.

-Chut, mon ami, taisez vous, on pourrait nous entendre! dit l'inspecteur à voix basse comme se méf-iant des espions. Mais ne vous inquiétez pas, on y réfléchira. Oui, c'est ça, on y réfléchira demain! expédia-t-il pour se débarrasser momentanément de cette affaire qui sentait la magie noire (mais qu'il aurait tant souhaité élucider pour son propre plaisir de policier afin de plaire à son Roi qui l'aurait aussitôt décoré de la médaille du meilleur inspecteur du royaume). Mais ne rêvons pas! pensa-t-il, les yeux mi-clos tournés vers toute la compagnie sachant que les autorités royales lui avaient retiré l'aff-aire pour des raisons obscures qu'il n'arrivait pas à comprendre, lui, l'inspecteur Pugnac, l'un des plus fins limiers de la police royale de Paris!

En se levant de table, on remarquait que l'inspecteur Pugnac était un homme de haute taille, mais av-ec le dos lègèrement voûté. Et quand il tourna ses yeux furieux vers la socièté, on vit enfin son visa-ge : un visage taillé à la hache qui n'était pas sans beauté que mêmes femmes put trouver beau, si sa bouche n'exprimât quelques mépris pour elles. On avait le sentiment que l'inspecteur avait des origi-nes aristocratiques lointaines, mais que son sang s'était altéré par un mauvais mélange problablement avec celui de la populace. Avec une forte chance qu'un de ses aïeuls ait forniqué avec une femme de chambre ou bien avec une prostituée. C'était la forte impression qui se dégageait de l'inspecteur, qua-nd celui-ci se leva de table où dans ses yeux, on y perçut comme une revanche à prendre sur la société des hommes!

En regardant l'heure à sa montre gousset, il dit à son adjoint : il est 19 heures. Demain, on se revoit pour l'affaire du petit maréchal?

-Pas de problème chef! dit Lagruge en le regardant partir de la taverne tel un démon.

Enfin débarrassé de son chef, il se sentit comme libéré d'un grand poids afin de pouvoir disposer de lui-même, bref, de penser par lui-même, de mettre ses coudes sur la table et de se saouler jusqu'à rouler sous la table sans aucune once de culpabilité! pensa-t-il en s'affalant sur celle-ci comme épu-isé par toute cette affaire qui sentait le satanisme. L'affaire du petit maréchal( dont l'inspecteur lui avait parlé avant de partir n'avait aucun rapport avec l'affaire des trois livres qui menaçaient de mett-re en péril toute la monarchie des Bourbons) en étant qu'une simple affaire d'escroquerie. Où le petit maréchal était un escroc se faisant passer pour un aristocrate issu de la branche directe de la famille royale, soit Messire Maréchal Comte de Paris qui soi-disant avait des mines d'or dans le Poitou et cherchait bien évidemment des investisseurs pour les exploiter. Ce petit maréchal était si fort qu'il avait lui-même saupoudré d'or les terrains qui, apparemment, renfermaient de grosses quantités d'or et avait, encore plus fort, enfoncer quelques grosses pépites dans le sol afin de prouver au futurs inv-estisseurs que cette affaire serait l'affaire du siècle. Il était évident que lui seul savait où se cachait ces pépites!

Il alla jusqu'à les inviter sur place et, truelle en main, déterrer sous leurs yeux quelques pépites étran-gement grosses qu'il montrait aussitôt à toute l'assistance enflammée d'apprendre que le Poitou puis-se renfermer des gisements d'or! Les paysans d'à côté, voyant toute cette côterie, se demandaient biz-arrement ce que faisaient tous ces nobles, les pieds dans la boue comme fascinés par un homme de petite taille, habillé en maréchal de France dont le poitrail était recouvert de décorations qui semb-laient peser bien lourd. A chaque contributeur, il demandait 10 000 Frs or, ce qui n'était rien par rap-port à ce qu'ils allaient gagner. En gros, il avait plumé les plus grandes familles de la noblesse de Fra-nce et avait disparu de la circulation en emportant avec lui au moins 3 millions de francs or, ce qui représentait une somme considérable au regard de la justice, des banques et surtout pour ceux qui avaient été floués. On recherchait donc un homme de petite taille qu'on avait vu, parait-il, d'après des témoins et autres espions, trainer dans le marais, un des quartiers les plus infâmes de Paris d'après son chef, l'inspecteur Pugnac. Il était évident pour lui qu'un homme de petite taille devait être un nain pour son chef qui était de grande taille, pensa-t-il, non sans étouffer un petit rire, Ah!Ah!Ah! Et s'ima-giner tous les deux dans le quartier du marais en train d'arrêter tous les nains, pouvant ressembler au petit maréchal, serait pour son chef comme une grosse farce, ironisait-il. Après qu'il avait été terrible-ment humilié par les autorités de Versailles en lui retirant l'affaire sur l'assassinat du journaliste Pie-rre Libre. Bref, comme une terrible injustice d'avoir été mis à l'écart de l'affaire au point d'éveiller en lui, comme une haine lointaine venant des âges des plus reculés de l'humanité!

Pierre Lagruge, en parlant ainsi de son chef, ne s'était pas bien trompé. Car lorsque ce dernier sortit furieux de la taverne, des gens crurent entendre derrère lui comme le bruit d'une tempête! Bref, celui d'un homme honteusement humilié en se retrouvant aux petites affaires du royaume, c'est à dire aux faits divers!

Quelques jours plus tard, l'inspecteur Labroque reçut la même missive que l''inspecteur Pugnac qui lui ordonnait d'arrêter toutes ses investigations sur l'assassinat du journaliste Pierre Libe. En lisant ce courrier, portant le sceau royal, celui de sa majesté Louis 15, il fut tellement déçu par ce qu'il avait sous les yeux qu'il s'éffondra littéralement sur sa chaise complètement dépité et il y avait de quoi! Car l'inspecteur Labroque, qui était beaucoup plus jeune que son homologue Parisien, comptait bea-ucoup sur cette affaire pour se faire un nom auprès du grand public, qui se trouvait pour lui à Paris et non à Annecy le vieux où les gens avaient dans leurs têtes des petits rêves d'épiciers, ce qui gâchait, il faut le dire, toutes ses espérances. Car comme tout romantique, il rêvait tout naturellement de gl-oires et de richesses, ce qu'on ne pouvait pas lui reprocher pour avoir l'âge des ambitions, n'est-ce pas? Et par cette missive, il avait la dure impression de redescendre plus bas qu'il était monté de-puis son entrée à la prestigieuse police d' Annecy avant tout au service du Duché de Savoie et non au service du royaume de France, comme il était entendu. Mais profitant d'une paix relative entre les deux royaumes, des accords en matière de justice et de criminalité avaient été signés entre le duc de Savoie, Charles-Emmanuel 3 et le Roi de France, Louis 15: accords qui, bien évidemment, ne pouv-aient être que temporaires vu les relations houleuses qu'entretenaient nos deux monarques remplis de rêves étincelant de victoires. Mais profitons de cet instant, mon cher lecteur, pour faire un peu d'Hi-stoire pour vous dire que des accords similaires avaient été signés par le passé entre la maison de Savoie et le royaume de France, et plus précisément, entre Louis 14 et Victor Amédée 2 pour le cas des Vaudois où il était question de les exterminer jusqu'aux derniers! Une telle violence de la part du Roi de France put surprendre, mais les ordres de la France furent bien été exécutés par la maison de Savoie au point que la secte des Vaudois, guidée entre autre par un certain Pierre Valdés, fut rayée de la carte du jour au lende-main. Mais si vous le voulez bien, essayons de comprendre ce qui avait pou-ssé Louis 14 et l'Eglise romaine à vouloir exterminer cette secte, pourtant chrétienne, mais dont le discours irritait les règles du dogme, ceux du Vatican. La première fois qu'on entendit parler de cette secte, ce fut à Lyon près de l'église Saint-Nizier : Eglise dont les lyonnais connaissent bien l'histoire et en particulier sur ses 2 clochers dont l'un ne fut jamais terminé à cause des commerçants lyonnais qui, par avarice et par amour de l'argent, refusèrent de financer la fin de la construction. Si bien, qu' au lieu d'avoir deux clochers identiques en pierre sculptée comme l'avait souhaité l'architecte, l'un des clochers fut simplement recouvert de tuiles romaines. Il est vrai très efficace pour éviter les fui-tes d'eau à l'intérieur de l'église, mais restait un défaut très visible que les badeaux ne manquaient ja-mais de remarquer quand ils venaient faire un tour sur la place Saint-Nizier. Mais pour en revenir à notre sujet, c'est sur cette place qu'un certain Pierre Valdés fit parler de lui pour la premiere fois : un fou illuminé d'après des témoins qui haranguait la foule afin qu'elle écoute les vraies paroles du Christ sortir de sa bouche, bien évidemment. Il eut tellement de succès auprès des gens de la rue que l'Eglise de Saint-Nizier semblait se vider de jour en jour et le curé presque rendu au chômage et se demandait si ce Pierre Valdés n'était pas le diable qui promettait le bonheur à tous les passants qui le suivraient? Plusieurs fois, le bon curé était venu le voir pour lui dire qu'il ne devait pas prêcher de-vant son église, car c'était interdit dans les usages de l'église catholique et lui avait même demandé s'il avait les diplômes requis pour enseigner la foi chrétienne? Mais à chaque fois,Valdés lui répon-dait que c'était le Christ qui parlait par sa bouche et que Dieu n'avait pas besoin du pape ni du Vatic-an pour dire la vérité aux hommes! Aussitôt, le curé alerta l'archevêché de Lyon sur le cas Valdés et en conclua qu'il avait affaire ici à un gourou qui organisait une sorte de secte afin de concurrencer l' Eglise romaine et catholique, ce qui fut intolérable pour elle et pour le Vatican qui sentit là comme une possible dérive de la religion chrétienne. Pierre Valdés et ses adeptes furent alors expulsés du ro-yaume de France et, disons la vérité, excommuniés par le pape Alexandre 3 et partirent s'exiler dans le royaume de Savoie rejoindre d'autres communautés chrétiennes qui refusaient elles aussi de se soumettre à Rome. Cette communauté, qu'on allait appeler plus tard celle des Vaudois, espérait natu-rellement trouver la liberté de culte dans ce pays de Savoie; mais ce ne fut point le cas car ils furent persécécutés puis exterminés jusqu'aux derniers. Mais si vous le voulez bien, mon cher lecteur, rev-enons sur le passé de notre cher inspecteur Labroque afin de connaître un peu mieux ce jeune homme ambitieux, de son vrai nom Remy Labroque, né à Annecy dans une famille de paysans qui travaillait depuis plusieurs générations sur les terres du comte de Buffort d'où elle tirait sa subsistance, mais aussi, assurait au comte des revenus substantiels afin d'accroître sa fortune personnelle. Sur ses ter-res, on y cultivait toutes sortes de choses allant de la pomme de terre jusqu'au choux ainsi que des fruits de saison, comme le raisin, l'abricot etc sans oublier un gros élevage de volailles qui assurait au comte une grosse partie de ses revenus annuels.

Ce qui ne pouvait en aucun cas assurer un avenir radieux à notre jeune Rémy, mais plutôt assez terne comme vous le conviendrez. Lui qui rêvait d'un destin auréolé d'étoiles, mais devait suivre inexorabl-ement les pas de ses parents et ancêtres, ceux de ces paysans attachés à la terre, non par amour, mais uniquement par nécessité, malheureusement, à moins que des circonstances extraordinaires intervins-sent pour en changer le destin. Mais bon, le jeune Rémy connaissait très bien la paysannerie du coin ainsi que les terres du Baron de Vals qui se trouvaient à quelques lieues de là où le frère de Marie-Christine, Paul Varenne, avait eu des heurts avec ce dernier. Car le jeune garçon était tombé amou-reux de sa fille unique, Cléantine, pour laquelle il envisageait un mariage digne de ce nom afin d'ajo-uter à sa lignée une branche avec peut-être la famille royale des Bourbons. Mais bizarrement, la jeune fille se terrait aussitôt dans son silence quand son père essayait de lui en parler. Car ce qui semblait retarder ce mariage qui, entre nous, rendait un peu fou le Baron, c'était son refus de reconnaître le jeune âge de sa fille( qui n'avait alors que 16 ans) pour envisager un tel arrangement entre les grandes familles de la noblesse, mais surtout parce qu'il ignorait qu'elle était tombée amoureuse d'un jeune garçon, Paul Varenne, un fils de paysan qu'on appelait tous ici le coureur des bois. Et pas un nom d' herbes, de fleurs, d'un buisson ne lui échappait ni même celui d'une bête de la forêt et des étoiles n'en parlons pas, il semblait toutes les connaître comme sa poche! Des gens du coin disaient que la nuit, il sortait pour parler aux étoiles ainsi qu'à toutes les bêtes de la forêt qui se regroupaient autour de lui pour l'écouter raconter d'étranges histoires dans une langue qui n'était connue que de lui seul et de ses amis, mais que les hommes ne pouvaient comprendre.

Un homme, si intelligent soit-il, et present n'aurait très certainement rien compris à cette langue issue des âges les plus reculés de la création de la Terre où le jeune coureur des bois et la nature enchantée s'entretenaient. On se demandait parfois s'il n'était pas sorcier? Certains avaient même écrit des lettres anonymes au curé de la paroisse Sainte Justine comme pour le dénoncer. Mais le bon curé, le père Blanchard, avait souri devant cette plainte où il avait perçu dans cette petite histoire des choses bien charmantes qui ne faisaient en fin de compte aucun mal à personne et surtout pas à Dieu, notre seig-neur à tous! avait-il dit dans un de ses sermons un dimanche à la paroisse. L'amour que portait Cléa-ntine pour le jeune coureur des bois devint si fort et si étrange qu'on se demandait s'il ne l'avait pas envoûté au point d'aller le rejoindre toutes les nuits au milieu de la forêt entouré de ses amis, les bê-tes, le ciel et les étoiles? Et pour éviter que son père s'aperçoive de son absence, elle glissait sous ses draps des oreillers ainsi que des couvertures pour simuler sa presence. Monsieur le Baron, qui avait perdu sa femme au cours d'une partie de chasse sur ses terres où il avait lui même causé sa mort en croyant tirer sur un faisan caché derrière un fourré( c'était pour cette raison qu'il se maudissait à mort depuis ce triste jour) ne se rendit pas compte de cet amour gardé en secret par sa fille pour le jeune coureur des bois. Et des bruits couraient, qu'aussitôt la forêt franchie, les deux enfants se transform-aient l'un en chevreuil et l'autre en biche en les rendant quasiment invisibles au Baron ainsi qu'à ses trois fils! La nuit, un mystère semblait les protéger des adultes. Mais un jour, oubliant le secret de le-ur amour en s'amusant comme tous les enfants du monde, le Baron les surprit entre train de se rouler dans l'herbe comme deux jeunes amants! Celui-ci furieux, ne pouvant contenir sa colère, lui lança violemment son bâton sur le crâne qui se transforma tout à coup en serpent, mais que le jeune cou-reur de bois évita de justesse en s'enfuyant à travers les champs. 

Courant vers les bois pour s'y réfugier, il crut entendre derrière lui comme l'orage se lever ainsi que la foudre s'abattre sur lui. Je te suivrai jusqu'en enfer! entendit-il craquer au dessus de sa tête tout en posant un pied léger dans les bois où il se transforma soudainement en chevreuil!

Oui, bien sûr, vous allez me dire une fois de plus que j'aie inventé cette histoire pour vous tenir en haleine, mon cher lecteur. Mais détrompez-vous, car j'ai moi-même entendu relater cette histoire de la bouche de mes proches ainsi que par les gens de mon pays. Vous dire que je ne suis pas un men-teur, mais seulement un messager d'histoires populaires qui bien sûr fera dresser les cheveux de ceux qui n'ont comme philosophie que celle de la raison, comme on en voit fleurir aujourd'hui à tout bout de champ dans le royaume de France, comme ce Voltaire à qui j'aurais bien donné des coups de bâ-tons tellement sa philosophie me semble insipide et dénuée de toute magie. Mais bon, laissons passer ces choses qui n'auront bien évidemment aucun succès, ni dans le royaume ni dans l'Europe toute en-tière. Pour poursuivre mes propos, il est vrai que l'épisode du jeune coureur des bois, qui se transfor-me en chevreuil pour échapper à la haine vindicative du baron, pourrait vous paraître douteux, voir délirant, je peux aussi le concevoir. Mais ne point y croire ferait de vous un être dénué de toute imag-ination, bref, un triste individu qui n'aurait comme unique croyance que la dure réalité, bref, un hom-me ou une femme qui serait jeté tous les jours en enfer! ce que je ne souhaite pas pour vous, bien évidemment. Mais restons optimistes, mon ami, car ce que je voudrais vous faire comprendre et sai-sir, c'est cette possibilité de vous faire voir les choses bien différemment et sous un angle tout à fait neuf. Écoutez-moi maintenant et laissez de côté votre raison qui, il faut le dire, vous égard de jour en jour sur des chemins bien funestes. Ecoutez-moi du fond du coeur et acceptez de croire à mon hist-oire fantastique, car vous allez ressentir à cet instant une force surnaturelle vous submerger, au point de vous faire voir la réalité, non comme la vérité, mais comme une réalité parmi d'autres!"

Ainsi s'exprimait étrangement l'inspecteur Labroque qui, malgré sa profession pleines de dures réa-lités, semblait avoir encore du mal à se debarasser de toutes ces superstitions héritées de sa plus ten-dre enfance auprès des gens de la campagne, qui par manque de culture étaient obligés d'inventer des histoires invraisemblables à partir d'une rumeur colportée par les habitants de la région. Sans pour autant imputer la faute au père Blanchard ni à l'Eglise catholique de n'avoir pas su les débarrasser de leurs superstitions ramenant toujours le diable là où on ne l'attendait pas. Mais écoutons-le main-tenant parler; car têtu comme un Savoyard, il ne veut surtout pas que vous le suspectiez d'être un cha-rlatan, lui, l'inspecteur de la police prestigieuse d'Annecy qui a tout de même la tête sur les épaules, ce qu'on ne pouvait pas lui contester, n'est-ce pas? " Oui, je peux aussi concevoir que tout cela puisse vous paraître suspect. Mais je peux vous certifier que Paul Varenne et Cléantine ont bien existé et que le baron de Vals et ses 3 fils sèment toujours la terreur dans les environs et sont considérés par les gens du coin comme une famille de démons! Mais je ne pense pas vous apprendre quelque chose de nouveau à ce sujet, n'est-ce pas? Vous savez, si les petites gens mettent des monstres dans leurs contes populaires, c'est qu'il y a forcément quelque chose de vrai là dessous, n'est-ce pas? Mais mon devoir de réserve m'interdit pour l'instant de vous en dire plus et j'espère bien que vous me compr-endrez, mon cher lecteur. Pour parler de moi, je vous confesserai sans aucune honte qu'avant d'être inspecteur à la police prestigieuse d'Annecy, j'ai exercé différents métiers qui sont, je ne vous le cach-erai pas, directement liés à toutes ces histoires fantastiques que j'ai pu entendre durant mon enfance. Ainsi, je fus journaliste à Paris, puis détective. Mais n'allons pas trop vite en besogne et retournons chez mes parents où, après en avoir discuté avec eux( j'avais alors 21 ans), j'ai pris pour la première fois de ma vie, une voiture à cheval sur une très longue distance.

Quelques jours auparavant, je m'étais renseigné au relais de postes, rue de la poule caillée, au centre ville, pour connaître les horaires et les prix pour Paris. Un employé me reçut très cordialement en m' indiquant qu'il y avait trois départs par semaine et que ça me coûterait 2 écus or : somme qui était dans mes moyens vu que j'avais économisé depuis l'été dernier le fruit de mon travail chez le comte de Bufford. Mon voyage passerait obligatoirement par Lyon, m'avait-il dit, sachant que c'était la seule route dans le royaume de France en état de me porter en toute sécurité jusqu'a la capitale et que ce parcourt me prendrait 6 jours, ce qui me semblait très correct. Mais ne me rassura aucunement sur les conditions de mon voyage, car j'avais lu des récits de voyageurs pas très élogieux sur ces carrosses ou berlines où le tangage permanent mettait tout le monde dans l'incommodité allant jusqu'au vomisse-ment collectif! Mais l'employé, voyant ma pâleur envahir mon visage, me rassura en me montrant sur un catalogue les nouvelles perfections des voitures où la nouvelle suspension faisait, parait-il, des miracles sur les estomacs des voyageurs, bref, une avancée sans commune mesure pour le transport du futur! Rassuré, je pris mon billet comme on prend un billet de loterie dont mon avenir dépendait totalement. Bien égoïstement, je gardais mon secret jusqu'a la dernière minute, afin de goûter à ce plaisir de me savoir libre dans quelques jours, bref, de pouvoir enfin quitter les terres du comte où j'étais un esclave à perpétuité. Mon seul regret était de devoir quitter mes parents, mon frère et ma soeur pour lesquels j'avais un attachement véritable. Mais bon, si Paris m'ouvrrait ses portes et toutes ses perspectives d'avenirs, pensai-je, que m'importait la terre de mes ancêtres où ils n'avaient jamais été heureux ou respectés! Pendant plusieurs jours, avant mon départ et après avoir fini mon travail aux champs, j'allais me promener sur une butte qui surplombant le lac où, couché dans l'herbe, je rêvassais à ma future liberté ainsi qu'a ma future réussite sociale!

Mon dieu, quel doux plaisir mon âme semblait se remplir et se complaire! Parfois, pris par ce vertige étrange, je m'évanouissais et me réveillais quelques heures plus tard quand la nuit commençait à tomber autour de moi. Mon rêve me semblait si fort et plus puissant que la réalité que je faillis plusi-eurs fois renoncer à ce voyage. Mais la dureté de mon travail le lendemain sur les terres du comte m' obligeait à me renier en ne faisant que consolider ma résolution de partir et d'échapper à mon destin funeste. Un soir, à table, je pris la decision de leur annoncer mon départ, ce qui mit tout le monde dans l'embarras vu que chacun y voyait de ma part, comme de la folie ou bien de la lâcheté à ne pas vouloir suivre le chemin tracé par nos ancêtres qui travaillaient depuis 6 générations sur les terres du comte de Bufford. Mon frère Alain et ma soeur Chloé étaient quant à eux très enthousiasmés par ce-tte nouvelle; mais mon père calma vite leur ardeur en leur faisant comprendre que cela ferait deux bras en moins à la ferme. Quand à ma mère, elle resta muette pendant une bonne partie du repas afin de ne pas exprimer ses sentiments. Mais quand on passa au fromage, l'ambiance se réchauffant un peu, je pus leur exprimer en toute confiance les raisons de mon départ pour Paris (qui n'étaient pas farfelues comme ils le croyaient), mais solides comme celles d'un savoyard construisant sa réussite sociale à la force de ses poignets, ce qui aussitôt dégela l'ambiance autour de la table et rassura mon père et ma mère sur mes réelles intentions. Pour fêter cela, mon père ouvrit une bouteille de vin blanc, un Ripaille qu'il gardait toujours pour la fin de l'année et puis, la joie en famile revenue, on entama une nouvelle tomme de Savoie et on veilla ce soir là jusqu'a très tard. Je vous avouerai du fond du coeur, mon cher lecteur, que je ne souhaitais laisser avant mon départ aucune peine à mes parents en prenant le temps de défendre ma cause pendant une bonne partie de la soirée.

N'ayant aucun métier valorisant entre les mains, sauf celui de la paysannerie, je savais qu'a Paris la vie serait rude. Oui, rude, mais d'une toute autre façon où dans cette majestueuse cité du Roi de Fr-ance, Louis le quinzième, seule comptait la brillance de l'esprit et cette croyance que tout soit possi-ble en termes de réussite allant même jusqu'à employer la superstition pour y parvenir! Et puis sac-hant que j'étais un amoureux fou d'histoires fantastiques où je pouvais broder la mienne au milieu de ces monarques fortunés, je sentis un destin fabuleux s'ouvrir devant moi. Comme vous le voyez, j'ét-ais têtu comme un savoyard, mais armé d'une folle imagination, ce qui ne pouvait que m'aider à reussir dans cette cité où mes yeux brillaient déjà de mille feux! La première idée qui me vint à l'es-prit était de devenir écrivain à Paris; mais sentant la tâche d'une énorme complexité, vu que je ne co-nnaissais rien aux moeurs des parisiens et des parisiennes pour avoir une petite chance de succès, je choisis donc une profession s'y rapprochant au plus près, bref, celle de journaliste. Et qu'en faisant quelques bons articles dans les jounaux où mêlant récits judiciaries et histoires fantastiques, ma plu-me serait comme reconnue et m'ouvrirait alors toutes les portes de la gloire. Vous dire alors que les ambitions de fortunes ne me manquaient pas! Mais sincèrement pouvait-on me le reprocher, moi qui depuis mon enfance n'avait vécu que derrière le cul des vaches? Et puis l'âge de 21 ans n'était-il pas le temps des ambitions et des rêves démesurés?" Ainsi se présentait à nous, Remy Labroque, un petit pa-ysan savoyard rempli d'ambitions qui ne pouvait que plaire à ces illustres citées ou capitales du mon-de qui se nourriraient alors de leurs excès ou folies pour devenir la grande dévoreuse d'hommes et de rêves, n'est-ce pas? Tel un aimant puissant qui allait les attirer vers elles et les magnétiser dans le mê-me sens que les aiguilles d'une boussole soit du sud vers le nord, de la province vers la capitale, de la misère vers la richesse!

Mais entre nous, combien d'entre eux y réussiraient sans y perdre leur âme? Et personnellement si cette réussite était à ce prix là, l'accepteriez-vous? Mon cher lecteur, je vous laisse le choix de la rép-onse. Quant à notre jeune aventurier Remy Labroque, ce choix avec le diable ne semblait lui poser aucun problème. Quelques jours avant de partir pour Paris, en se promenant dans la forêt, il trouva un collier au milieu des feuilles mortes où était accroché une petite médaille en or. Surpris par sa découverte et par les 2 fémurs croisées qui étaient gravés dessus, il ne put s'empêcher de la ramasser et de la glisser autour de son cou. Un signe du destin! s'écria-t-il en pensant à l'or qu'il pourrait reven-dre pour ne pas mourir de faim à Paris. La veille de son départ et un fois couché, Remy ne trouvant pas le sommeil, s'était mis à astiquer sa médaille avec frénésie, puis s'était endormi en la tenant entre ses lèvres comme un enfant suçant le biberon de sa destinée.

Ne voulant pas que je fasse des frais excessifs pendant les 6 jours que durerait mon voyage, ma mère me prépara un grand panier composé d'abricots, de noix, de perches péchées dans le lac, d'un poulet entier, d'un gros morceau de tomme de Savoie, des oeufs durs, une grosse couronne de pain, etc. Je savais bien qu'il aurait à chacune de mes étapes une auberge proposant le gîte et couverts, mais je comptais m'autosuffire avec ce panier garni ainsi que dormir sur la paille à l'étable pour éviter tout frais excessif. Ce qui serait bien évidemment mal perçu par ces aubergistes et autres bourgeois; mais bon à chacun ses moyens, n'est-ce pas? Et puis je me ferai discret comme un poisson pour ne pas éve-iller chez les autres, un certain avarisme de ma part. Vous savez, les gens de la capitale ont tellement de préjugés sur les gens de province et surtout sur les savoyards qu'ils les considèrent comme des têt-es de mules, Ah!Ah!Ah!

Mon père m'aida à transporter mon bagage avec sa charrette jusqu'à Annecy le vieux, rue de la poule caillée où se trouvait le relais de postes. Ma mère n'avait pas souhaité m'accompagner et on pouvait la comprendre en restant à la maison avec Chloé pour ne pas laisser la ferme sans surveillance. Mon frère Alain nous accompagna, mais semble-t-il pour la promenade par son sourire permanent durant le parcourt. Bref, c'est ainsi que je pris ma première voiture à cheval pour un si long voyage, c'était un 10 Juin 1730 et le temps était merveilleux beau.

Avant de partir, mon père me glissa dans la poche 3 écus d'or en toute discretion tellement il était pu-dique, mais non avare et malgré la dureté de son travail. Pense à nous! me dit-il en m'embrassant ten-drement. Quant à mon frère, il me souhaita bonne chance tout en esperant que je m'amuse follement dans mes nouvelles aventures. C'était lui craché! pensai-je en le regardant une dernière fois dans les yeux, bref, un jeune frère qui sûrement ferait un jour la même chose que moi de quitter le foyer fam-ilial. A l'intérieur du relais de postes se trouvait ma diligence belle comme un carrosse et équipée, comme me l'avait dit l'employé, de nouvelles suspensions ainsi que de lanternes pour le voyage de nuit. Six chevaux à l'avant et deux cochers assis en hauteur attendaient patiemment que tous les voya-geurs prennent place. C'était une voiture à huit places, semble-t-il, quand je vis tant de monde à l'in-térieur! Ce qui gâcha un peu mon plaisir de voyager avec autant de promiscuité. Espérons seulement que les arrêts au cours du voyage nous permettront de respirer un peu d'air! ruminai-je en prenant place à côté d'un homme lugubre ressemblant étrangement à un croquemort. Faut dire qu'il prit tout son temps pour enlever son chapeau haute forme qui dévoila un crane dégarni ressemblant à celui d' un vautour dont il avait un peu honte de montrer à la jeune femme assise en face de lui, belle comme un amour. Malgré cette chose charmante devant lui, son visage resta blanc comme un linge ou plutôt comme celui d'un mort, Ah!Ah!Ah! A côté de la jeune femme se trouvait un bourgeois ou un roturier habillé à la mode, âgé d'une trentaine d'années, qui lisait un petit livre de droit intitulé : Principe des droits féodaux sous l'aristocratie. J'ai tout de suite pensé à un avocat ou un juge qui venait de traiter une affaire ou un dossier important dans le duché de Savoie.

Espérons que la discution sera fructueuse pendant ce voyage! méditais-je devant ce tableau où la jeu-ne femme représentait la vie, le croquemort la mort, l'avocat l'habilité à se défendre dans la société et moi la jeunesse qui avait tout à apprendre. Et avant d'arriver à Paris, je tenais absolument à m'inform-er sur les mœurs des parisiens et des parisiennes, bref, connaître leur façon de penser pour ne pas être pris pour un balourd ou un paysan.

Quand la diligence s'ébranla sous le cri et le fouet du cocher, je me sentis heureux de partir de mon pays, bref, de ce pays que je connaissais trop bien par sa mentalité arriérée et ses injustices séculaires. En regardant à travers la vitre, la ville d'Annecy le vieux défiler sous mes yeux, je ressentis comme un énorme soulagement de la quitter et de la laisser baigner dans son jus telle qu'elle semblait s'y com-plaire et qu'en y revenant un jour, je savais qu'elle n'aurait rien changé à ses habitudes et à ses discut-ions sur le prix du cochon et du pot à lait. Mon seul regret fut de quitter mon lac et ses forêts de sapi-ns que nous longeâmes pendant un long moment où j'aperçus dans les yeux de mes voisins, comme des larmes de nostalgie. Après ces furtives expressions chargées de regrets, chacun rentra en lui-mê-me en plongeant dans ses souvenirs et dans ses pensées pour éprouver des choses plus agréables. Pour l'instant, il régnait à l'intérieur de la diligence un grand silence et je me demandais avec impatience qui allait bien pouvoir le rompre afin de faire de ce voyage une chose agréable et non un tombeau? A propos du croquemort, qui était assis à côté de moi, je savais que je ne pouvais pas compter sur lui pour rompre la glace, ni la jeune femme qui trop imprégnée de convenances y verrait comme de l'im-politesse. Quant à l'avocat, plongé dans la lecture de son livre de droit, je le sentais complètement in-different au monde extérieur, me sembla-t-il. J'avais oublié de vous dire, mon cher lecteur, que j'avais pris avec moi mon panier garni que je tenais sur mes genoux pour ne pas me le faire voler par les postillons ou cochers.

Au fur et à mesure que le temps passait, je sentais la bonne odeur de mon panier imprégner tout l'es-pace du compartiment, ce qui ne fut pas apprècié par tout le monde et bien que l'odeur soit des plus délicieuses. Vous avez quoi dedans? me demanda subitement l'avocat qui s'était arrêté de lire en jeta-nt un regard inquisiteur sur mon panier garni. Des abricots, des noix, de la perche du lac, du poulet! lui répondis-je d'un air triomphant en tenant mon panier comme un petit trésor. Jeune homme tous ces produits du terroir sont bien charmants. Mais je pense que les comestibles devraient rester à l'ext-érieur de l'habitacle! me lança-il d'un air arrogant avec l'impression de connaître par coeur tous les droits du voyageur en diligence publique. Interloqué par cette chose qui me semblait ahurissante pour le jeune homme que j'étais (qui pour l'instant n'avais jamais voyagé en compagnie de ses semblables dans un lieu confiné), je me sentis gêné d'avoir commis cette grosse maladresse. Mais que dites-vous là, monsieur? s'insurgea aussitôt la jeune femme en se tournant vers lui afin de prendre ma defense. Mais ce jeune homme est libre de voyager avec son panier à provisions s'il le desire! Et puis moi, je trouve que son panier apporte une bonne odeur au compartiment, dit-elle en me regardant délicieus-ement dans les yeux. Oh oui, mademoiselle, vous avez entièrement raison! je lui répondis avec le plus de persuasion possible afin que mon avocat comprenne qu'il était en minorité dans le compartiment. Et vous monsieur, demanda-t-il au croquemort, qu'en pensez-vous? Moi vous savez, cela m'indiffè-re complètement vu que j'ai perdu l'odorat depuis que j'exerce mon métier dans les pompes funèbres! dit-il d'une voix morne et chargée de regrets. Un instant, je faillis éclater de rire trouvant la chose très appropriée pour exercer un tel métier ou l'odeur de la mort devait être insupportable à respirer quoti-diennement. Mais je suis d'avis avec mademoiselle! répliqua-t-il avec aplomb en lui lâchant un grand sourire. Et je pense qu'il n'y a aucun mal à transporter son bien avec soi et de surcroît des biens com-estibles où l'odeur, d'après mademoiselle, n'en est que des plus agréable! 

L'avocat, qui ne voulait pas se sentir vaincu, attaqua par le fait que l'odeur ouvrait l'appétit aux voy-ageurs avant l'heure du repas! Ce qui pouvait être préjudiciable pour voyager dans de bonnes condit-ions en étant pas entièrement faux, il faut se l'avouer. Mais bon, était-ce un crime d'ouvrir l'appétit aux gens, car rien ne les empêchaient d'emmener avec eux leurs casse-croûtes, n'est-ce pas? lui fis-je remarquer en lui tenant tête. Mais ce dernier, ne pouvant combattre ce raisonnement, s'enfonça aussi-tôt dans son siège pour reprendre sa lecture sur les droits féodaux sous l'aristocratie. De tout façon, comme vous l'aviez senti, mon cher lecteur, je l'avais pris en grippe par ses lectures indigestes dont il allait être le défenseur, bref, de tout ce que j'arbhorrais et voulait fuir. Malheureusement, je sentais que la conversation avait très mal commencé et bien que je sois très content de l'avoir provoqué grâ-ce à mon panier garni. Car personnellement, j'ai toujours pensé que pour créer une quelconque conv-ersation avec son prochain, il fallait créer un incident plus ou moins léger pour lui faire décrocher sa mâchoire d'acier ou sa bouche d'ombre. Et comme j'étais pétri de superstitions et d'histoires fantast-iques, qu'on m'avait raconté pendant mon enfance, je souhaitais à tous connaître leur histoire si bana-le soit-elle sachant que l'étrangeté pouvait surgir à tout moment. Comme avec mon croquemort (que j'avais pris au début pour un mort-vivant) qui me montrait son humanité ainsi que la jeune femme( que j'avais cru pleines de convenances) prenant ma défense au point d'en devenir follement amoureux et puis mon avocat( que j'avais pris au premier abord pour un homme intelligent), alors qu'il était pl-ein de préjugés et de suffisance. En me baissant pour me gratter le mollet, ma médaille, représentant deux femurs croisés, sortit de ma chemise et sembla provoquer chez mon voisin un sourire démonia-que. Bref, une chose que je n'arrivais pas bien à comprendre en me demandant subitement dans le co-in de l'oreille si je faisais partie moi aussi de la maison?

Troublé par cette question, je remis aussitôt ma médaille sous ma chemise en ne sachant pas de quelle maison il voulait parler. Mais comme j'étais curieux de tout en voulant broder ma propre histoire avec celle des autres, je lui répondis : Mais bien sûr, monsieur! afin de le rassurer sur mon compte. La jeune femme et l'avocat, qui avaient entendu ma réponse, se demandaient ce qui se complotait de-vant eux entre un jeune homme et un croquemort en apercevant dans leurs yeux d'étranges questionn-ements, ce qui me ravit d'interroger leur intelligence ou leur croyance, ne nous le cachons pas. Le jeu-ne homme et la mort, mais qu'avaient-ils de beau à se raconter? se demandait l'avocat en se prenant pour l'avocat du diable. Quant à la jeune femme, elle se demandait si en face d'elle ne se tramait pas une histoire homosexuelle ou la naissance d'une amitié au cours d'un voyage en diligence? Et sem-blait me regarder comme jalouse de mon succès auprès des hommes! Mais ne voulant jeter aucun doute aux occupants sur mes orientations sexuelles, je lançai tout haut et tout fort : Mais bien sûr que je suis un homme courageux! ce qui mit aussitôt tout le monde à l'aise sauf le croquemort qui me prit pour un fou. Mais ne voulant pas le mettre mal à l'aise, je lui lançai un regard complice pour lui signifier le tour que je venais de lui jouer ainsi qu'aux autres occupants de la diligence. Oh! Oh! Oh! ria-t-il au point de s'étouffer lui même et déclencha chez les autres voyageurs de grands fous rires qui dégela l'ambiance morbide qui régnait depuis le départ. En me tournant vers le croquemort, ma curiosité me poussa à lui demander quel était le but son voyage à Paris? Les autres, surpris par mon impolitesse ou peut-être par mon audace, me regardèrent avec de grands yeux ahuris tandis que je me cramponnais à mon panier garni( qui me donnait tant d'assurance) en attendant le récit de son histoire. Ce dernier étrangement se tourna aussitôt vers l'auditoire pour ne pas se tordre le cou et, prenant un air grave, commença a relater son histoire peu banale, il faut le dire : Vous savez, je ne vais pas vous le cacher, mais je voyage uniquement à titre professionnel et jamais pour le plaisir de voyager comme on pourrait le supposer.

Et vous jeune homme! me lança-t-il en se tournant vers moi, je ne suis malheureusement pas origina-ire de votre beau pays de Savoie, mais je suis parisien de souche, bref, un parigot tel qu'on aime les appeler dans votre pays de cocagne. En nous précisant toutes ces choses, il sembla rassurer l'avocat et la jeune femme( qui devaient être selon moi eux aussi parisiens) par l'expression sur leurs visages qui exprimait une forte sympathie pour cet homme au ton solennel. "En fait, le but de mon voyage en Sa-voie était de ramener le corps d'un homme dans son pays natal, parce que les autorités royales ainsi que les ordres religieux avaient refusé son inhumation en Terre de France pour des raisons de satan-isme! Aussitôt, les yeux de l'auditoire lancèrent comme des éclairs d'interrogations et de mystères en mettant à mal leur foi chrétienne où l'étrangeté mettait tout le monde dans l'embarras vu qu'on bann-issait un homme après sa mort, comme si cela ne suffisait pas! s'interrogeaient-ils en attendant la suite du récit. Il faut signaler dans cette triste affaire que mon client (qui était le frère du défunt) eut beaucoup de mal à récupérer sa dépouille vu que cette dernière avait subi d'horribles sévices pour lui faire avouer ses crimes de satanisme ainsi que celle de lèse majesté. Apparemment, on considérait cet homme comme un espion faisant partie d'une secte qu'on supposait être celle des républicains : une secte que le Roi lui-même combattait avec force virulence. Scandaleux! lâcha soudainement l'avocat sans qu'on put savoir s'il trouvait scandaleux, les séances de tortures infligées à ce pauvre homme ou bien que la secte des républicains ait eu des désirs de prendre le pouvoir au Roi. Puis ricanant, il dit : Heureusement que notre Roi est là pour veiller sur notre beau Royaume, Ah!Ah!Ah! Aussitôt, je co-mpris dans quel camp il se trouvait. Bref, du côté des puissants, ce qui ne me surprit qu'à moitié à vrai dire.

Quand nous recuperâmes le corps au petit matin chez le bourreau, place de la buanderie à Paris, nous nous aperçûmes que le pauvre homme avait eu les yeux arrachés ainsi que les orteils. Mais ce qui nous horrifia le plus, ce fut sa langue qui d'une longueur inhabituelle pendait jusque sa poitrine! Ah quelle horreur! lança la jeune femme en se mettant les mains sur les yeux pour nous cacher son ex-pression. Il faut dire que nous dûmes la rouler pour pouvoir la remettre dans la bouche du défunt, ce qui ne fut pas une mince affaire à effectuer par les collègues. L'avocat, qui avait entendu ce petit dét-ail, passa sa langue sur ses lèvres comme avec délectation!

Il semble, continua le croquemort, que le jeune homme avait su tenir sa langue pour ne pas avouer ses complices, mais ceci à quel prix! dit-il en faisant une horrible moue. L'avocat, qui voulait ajouter son mot, dit : Cela prouve qu'il était coupable et comme on dit dans la profession : Une langue bien pendue, c'est le signe qu'on en sait trop! Moi personnellement, je ne peux pas me prononcer sur sa culpabilité, puisque je n'en ai aucune preuve et que mon métier m'interdit d'intervenir dans ce genre d'affaire où les vivants agissent comme ils l'entendent. Mon travail étant seulement de cacher la mort aux yeux des vivants telle que la socièté l'exige et me paie en contre partie. Noble profession! lança l'avocat heureux d'avoir devant lui un professionnel comme lui, qui l'un tranchait dans la chair viv-ante des hommes et l'autre ensevelissait les corps coupables ou innocents, ceci n'étant pas son prob-lème ou sa déontologie. La jeune femme, entendant tout ceci, se sentit soudainement gênée d'assister à ce genre de discution macabre et se mit à regarder par la fenêtre de la diligence pour penser à autre chose. Puis le croquemort reprenant son récit dit : En fait, ce qui nous impressionna le plus, ce fut de voir le corps du jeune homme entièrement recouvert de tatouages allant jusqu'aux fesses! La jeune femme, entendant cela, se retourna aussitôt sur l'auditoire et voulait semble-t-il rattraper le récit.

Cela montrait tout simplement qu'il était coupable et qu'il faisait partie d'une secte maléfique! dit l' avocat sûr de ses intuitions. Puis en nettoyant le corps pour le mettre en bière, nous vîmes que son dos était tatoué d'un texte correspondant apparemment à un rite sacré que mes collègues traduisirent comme un éloge à la démoncratie. Heu, vous voulez dire à la démocratie, je suppose? interrompit l'avocat qui pensait à une faute de français. Mais non, mon cher monsieur, je vous dis bien un éloge à la démoncratie ou si vous voulez une apologie au pouvoir des démons! Mon dieu! lança l'avocat qui n'en croyait ses oreilles ainsi que la jeune femme dont les yeux furent troublés un instant. Et sur les fesses du défunt étaient tatouées deux lettres, un R sur la fesse gauche et un F sur la droite! ce qui nous parut bien mystérieux pour moi et mes collèges qui n'étions pas nés de la dernière rosée, ajouta-t-il pour qu'on le crut vraiment. La jeune femme semblait touchée par le sort horrible de ce jeune homme( qu'elle aurait pu rencontrer dans un café a Paris et lier une aventure amoureuse avec lui si elle avait connu le secret de ses tatouages) et se tenait tristement la tête comme ballotté par la tangage de la diligence. Je ne vous parlerai pas aussi de ces deux têtes de mort tatouées sur la paume de ses mains pour ne pas noircir trop le tableau, messieurs et madame, dit-il en tapotant sur son cha-peau haute forme qu'il tenait sur ses genoux. Vous avez entièrement raison, mon ami, il est inutile de trop charger la mule qui en a déjà beaucoup sur le dos! dit l'avocat en me regardant bizarrement dans les yeux. Vous savez, mes amis, moi qui suis un royaliste convaincu qui a étudié le droit au collège de la Sorbonne, une très célèbre institution léguée par nos pères de l'Eglise, j'ai appris dans des livres anciens que la démoncratie était à l'origine de la démocratie. Et c'est au 7 éme siècle avant Jesus-Christ qu'on entendit parler pour la première fois d'une secte qu'on appelait la secte des rats furieux.

Des rats furieux, en êtes vous sûr? demanda le croquemort en mordant dans son chapeau. Oui, oui, entièrement sûr, et je pense que votre jeune défunt en faisait sûrement partie par ce R et ce F tatoués sur les fesses. Bien, si vous le dites! s'exclama-t-il impressionné par le savoir de l'avocat. Et d'après ces livres anciens, c'est ce qui a donné naissance plus tard à la secte des républicains dont l'avenir dépendait entièrement de l'établissement de la démoncratie à la surface du globe. Entendant cela, pour la première fois de ma vie, je fus impressionné moi-même par la version très originale de l'av-ocat qui nous parlait de l'origine de la démocratie dont le sort devait être apparemment funeste pour tous les hommes. Voyez-vous, mes amis, c'est au cours de l'Histoire que de fins politiques, en vu de répandre leur infâme croyance, changèrent le mot de démoncratie avec celui de démocrassie avec deux S. Mais qui ne fit pas l'unanimité en leur sein en faisant reference avec la crasse populaire qu'ils changèrent définitivement en démocratie avec cette fois-ci un T pour faire plus propre et plus admi-ssible par le peuple. Le croquemort, ébahi par cette demonstration fumeuse faite par l'avocat, laissa tomber son chapeau a ses pieds et le remit sur sa tête comme pour dire : Chapeau bas, messieurs! Chapeau bas, messieurs!

Pendant ce temps dans l'autre compartiment de la diligence, où les gens avaient entendu la discution, ces derniers entrèrent dans une grande meditation, comme s'ils avaient entendu Dieu leur parler à tra-vers une cloison. Et un grand silence régnait, parce que personne ne voulait montrer ses positions à l'égard du diable où le Roi était par sa fonction ancestrale l'ennemi héréditaire. Jouer avec cela leur sembla comme jouer avec le feu et chacun avait repris ses occupations qu'elles soient manuelles ou intellectuelles, tel que broder un napperon ou bien lire un livre sur la découverte de l'Amérique. 

Après qu'il avait enlevé son chapeau et posé sur ses genoux, le croquemort pris d'une folle envie de continuer son histoire dit à l'avocat : Vous savez, monsieur, le rapatriement du corps ne fut pas une mince affaire pour moi et mes collègues de la très célèbre maison funéraire parisienne, les frères Coi-ssard. Ah oui et pourquoi? lui demanda-t-il en ne saisissant pas le problème. Parce que durant notre parcourt jusqu'en Savoie, nous eûmes des pluies diluviennes ainsi que des giboulées dignes d'un mo-is de mars, alors que nous étions au debut du mois de juin, ce qui nous avait bien surpris! Mais moi je pense, avec ce genre d'individu qu'il fallait bien s'y attendre, non? lui expédia-t-il brutalement en voulant lui faire comprendre que son client n'était pas tout a fait ordinaire, mais un ami du diable. Ah!Ah!Ah! Je vois ce vous voulez dire! ria le croquemort. Mais voyez-vous dans notre profession, nous ne sommes pas du tout superstitieux et je pense qu'il s'agissait là plutôt d'une mauvaise météo qui, je ne vous le cacherai pas, avait bien endommagé notre corbillard. Votre corbillard? Oui, notre corbillard, parce qu'en partant de Paris, nous avions négligé d'emporter avec nous du matériel de dép-annage telle une roue de secours et des pelles pour nous désembourber d'une route en mauvaise état. Malheureusement, tout ceci nous arriva sans qu'on sût bien pourquoi, mes amis! dit-il en baissant les yeux. L'avocat, qui sentait sa supériorité sur les choses concernant la superstition, souria d'un air dé-moniaque et lui dit : Pourtant, c'était à prévoir avec cet être maléfique, mon ami! Oui, en fait, vous avez peut-être raison, cher monsieur; car au cours du voyage nous perdimes un essieu de roue ainsi que le cercueil du défunt! Oh c'est pas vrai! lancèrent soudainement tous les occupants de la diligen-ce, surpris par des faits inimaginables liès à la malédiction. Quant à moi, je gardais mon calme afin d'écouter la suite de son étrange histoire où le diable avait, semble-t-il, choisi d'inter-venir pour des raisons que j'esperais bien élucider.

Le croquemort reprit son histoire et dit : Vous savez, ce qui nous parut étrange à moi et à mes co-llègues, c'est que la plus grande partie du voyage s'était déroulée sans dommages. Mais c'est à partir de la ville de Lyon que tout commença à mal s'emboiter. Vous voulez dire quoi par mal s'emboiter? lui demanda subitement l'avocat. Eh ben par des faits étranges qui ont commencé à se manifester à notre arrivée à l'auberge de l'hotel-dieu où nous logions moi et mes collègues. Où pendant la nuit, nous avons été reveillès en sursaut par l'aubergiste dont les étables avaient pris feu où, il faut le dire, nous avions garé notre corbillard. Mais grâce a tous les clients de l'auberge, nous avions pu éteindre l'incendie et sauver notre chargement à temps. En fait, le cercueil avait partiellement brûlé au niveau du couvercle, mais qu'un bon coup de peinture avait permis de restaurer la belle apparence! dit le cro-quemort en laissant échapper un air de contentement chargé de pragmatisme. Et vous pensez que c'ét-ait un simple accident? lui demanda l'avocat en se tordant les doigts. Oh oui, je pense, car cette nuit des pluies diluviennes, accompagnées par de la foudre, s'étaient abattues sur la région et mis sans au-cun doute le feu à la grange. Bien, bien, si vous le dites! dit l'avocat en lui lançant une étrange grima-ce. La jeune femme, qui était assise à ses cotés, se demandait ce qu'elle faisait là dans cette diligence qui ressemblait de plus en plus à un tombeau. Mon dieu, quel étrange voyage! pensa-t-elle en plonge-ant soudainement sa main dans son sac à main où elle se saisit d'un petit crucifix avec dévotion. Et fermant les yeux quelques instants, elle priait le bon dieu qu'elle ne soit pas dans un mauvais rêve, mais bien dans la réalité où tout voyage avait un debut et une fin, bref, un départ et une arrivée.

Assis confortablement, avec mon panier garni sur mes genoux, j'écoutais avec de grands yeux cette histoire fantastique où le mal et le bien se battaient avec ses propres armes : le diable avec ses compl-ices de la secte des républicains et le bien avec son aristocratie d'âme représentée par le roi et l'Eglise. Tout en vous précisant, mon cher lecteur, que j'étais contre cette nouvelle aristocratie qui abusait de ses privilèges d'une manière scandaleuse. Pour avoir lu avec fascination dans mon enfance, les récits épiques de leurs ancêtres chevaliers armés de pouvoirs magiques pour détruire le mal et sauver le bien. A l'évidence, les temps avaient bien changé où le diable avait semble-t-il investi du terrain chez la noblesse, bref, là où on espérait moins le voir, n'est-ce pas? Et j'étais vraiment contrarié que mes chevaliers d'autrefois aient pu être floués par une nouvelle génération d'imposteurs dont la morale était devenue une nébuleuse sans réalité. Ce qui reprrésentait pour moi, comme un affront à mon enfance et à ma jeunesse où j'espérais de tout mon coeur faire revivre la magie qui m'avait donné tant de bonheur. Quand à la secte des rats furieux ou des républicains dont la doctrine était la raison, bref, le mal incarné et calculé par les hommes, celle-ci ne m'interessait pas. Car imaginez, mon cher lect-eur, ce que serait un monde sans magie et sans histoires fantastiques, sinon un enfer bien réel pour nous tous! Bien évidemment, j'étais contre, pas pour des raisons dogmatiques, mais de bon sens. Car si je devais choisir le diable comme héros pour les temps futurs, je choisirais plutôt l'original que la copie fabriquée par les hommes qui serait pire, n'est-ce pas? En sachant bien que la superstition était un moindre mal pour remettre les hommes à leur place où le mal et le bien étaient les deux côtés d' une même médaille portée par Dieu pour nous faire cracher la vérité! Pile ou face? semblait me dem-ander brutalement le diable avec l'histoire fantastique du croquemort. Mais pensez-vous vraiment, mon cher monsieur, que des espions auraient pu vous suivre depuis Paris? lui demanda soudainment l'avocat.

Oh oui, il est tout à fait possible que l'on nous ait suivi depuis Paris! Mais de là qu'ils aient mis le feu à la remise, cela me parait peu probable, monsieur. Excusez-moi, mais je ne voulais pas vous induire cette idée, dit l'avocat, mais plutôt l'idée que les autorités royales et religieuses ne voulaient en aucun cas voir le corps du damné inhumé sur notre belle terre de France pour des raisons toutes à fait légiti-mes, n'est-ce pas? Oui, je peux bien le comprendre. Mais notre travail à nous, les pompes funèbres, était avant tout de rapatrier le corps du défunt dans son pays natal et dans son meilleur état possible où le perdre en route eut été pour nous, comme un manque de professionnalisme. Je suis entièrem-ent d'accord avec vous! dit l'avocat en retrouvant une mine réjouie, et que le travail devait passer avant tout pour ne pas laisser la pourriture envahir notre beau royaume, n'est ce pas? Le croquemort, un peu surpris par cette expression, fut un instant interdit et se demandait si l'avocat parlait de la pou-rriture organique dégagée par les corps en voie de décomposition ou bien de cette pourriture idéolog-ique développée par les rats furieux ou les républicains pour faire tomber la monarchie? Comprenant soudainement la finesse d'esprit de l'avocat, il tourna les yeux à gauche puis à droite, comme pour at-tendre des autres une sorte d'assentiment ou de répobation. Mais étrangement dans la diligence perso-nne ne se manifesta et semblait tout a fait en paix avec leur monarchie où, Louis le quinzième, âgé seulement de 15 ans venait de reprendre les rênes du pouvoir après la régence du duc d'Orléan. Bref, une monarchie quasi-adolescente que tout le monde souhaitât le succès par sa jeunesse prometteuse. Et puis soyons clair avec les choses, dit l'avocat, notre royauté aime tellement les chevaux qui lui au-rait été inhumain de mettre le feu à la grange! Ca c'est certain! dit le croquemort touché par cette att-ention toute particulière adressée à nos chers amis les animaux et par un homme de loi.

En fait, comme je vous le disais précédemment, reprit le croquemort, c'est en sortant de Lyon, pour rejoindre la route de Savoie, que le mauvais temps ne nous lâcha pas d'une semelle! Hi!Hi!Hi! ria l' avocat qui ne put retenir son hilarité. Un instant, le croquemort crut qu'on se moquait de lui et arrêta de conter son histoire. Oh excusez-moi, excusez-moi, mes amis, mais cette histoire me parait si ex-travagante que j'ai bien peur que le diable ait souhaité la prolonger pour son propre plaisir, Hi!Hi!Hi! Mais que voulez-vous dire par là? lui demanda le croquemort dont les mains étaient devenues mo-ites. Heu..je voulais dire qu'une dégradation si soudaine de la météo ne pouvait pas, selon moi, être liée au hasard. A quoi vous voulez faire allusion, monsieur? insista-t-il en ne croyant pas à la supers-tition, mais seulement au travail bien fait et rénuméré selon les tarifs officiels des pompes funèbres générales. Aussitôt, un grand silence s'installa dans la diligence au point qu'on entendit à l'extérieur le souffle et le galop des chevaux sur une route qui semblait en mauvais état. Moi-même, j'étais un peu circonspect sur l'idée que le diable ait pu volontairement dégrader la météo pour ralentir le convoi jusqu'en Savoie qui est ma patrie. Mais il est vrai que des pluies diluviennes et des giboulées de mars en plein mois de juin avaient de quoi m'étonner et me mettre la puce à l'oreille, bref, que tout ceci ne fut pas bien naturel pour la saison. Sur le coup, je me mis soudainerment à regarder le croquemort avec des questions plein les yeux auxquelles, il ne semblait pas vouloir répondre avec honnêteté. Mê-me la jeune femme, qui était assise en face de lui, eut quelque doute quant à la véracité de son hist-oire et un petit sourire narquois se dessinait sur sa bouche délicatement maquillée.

Le croquemort, gêné par tous ces doutes qui planaient sur lui, semblait se cramponner à son chapeau haute forme pour ne pas s'évanouir. Mais voulant lui venir en aide (car il commençait à me faire pit-ié), je dis à l'auditoire que le temps dans ma région natale, la Savoie, changeait souvent brutalement au point qu'on crût pendant longtemps la région investie par le diable. C'est vrai qu'avec toutes ces forêts profondes et ces lacs étranges, on croirait sentir la présence du diable sous chaque buisson! dit l'avocat en inspirant profondèment. Et puis, il ne faut pas se le cacher, mais notre Royaume de France a toujours considéré le Duché de Savoie comme la demeure du diable à laquelle il a fait la guerre à maintes reprises. Et on dit a Versailles que cette dernière hebergerait Merlin l'enchanteur ou autres magiciens occultes qui lui assuraient la victoire à coup sûr. Mais que tout ceci reste entre nous, mes amis, rectifia l'avocat sachant que les relations diplomatiques entre le Royaume de France et le Duché de Savoir étaient revenues au beau fixe. Mais cela n'empêcha aucunement de faire tousser certaines personnes dans la diligence dont la liberté de parole irritait quelque peu les opinions bien ancrées. Sans parler de la communauté des Vaudois dont l'ombre planait encore sur toute la Savoie! lâcha su-bitement l'avocat comme pour enfoncer le clou. Oui, cela est vrai, lui dis-je pour m'introduire dans la disctution. Mais je crois bien, selon les dires des uns et des autres, qu'elle a été complètement dém-antelée voir anéantie par les autorités soutenues par le pouvoir de Rome pour des raisons d'hérésies. Oui, cela est vrai, dit l'avocat, et que ces tous protestants et amis du diable n'avaient reçu que la pun-ition qu'ils méritaient! lâcha-t-il d'une manière virulente. Aussitôt, un froid envahit la diligence sac-hant qu'il pouvait y avoir des protestants qui n'avoueraient jamais leur confession par la peur d'être démasqué. Et pour prouver mes dires sur ce pacte signé ente le diable, la secte des republicains et les protestants, expédia brutalement l'avocat, j'ai ici un document hautement confientiel qui l'atteste, messieurs et mesdames. Le voici! dit-il en le sortant de sa serviette et en nous le montrant.

Houhaa! lâchèrent soudainement tous les occupants de la diligence horrifiés de penser que l'on puisse vendre son âme pour forcer le destin. Oh mon dieu, mais comment est-ce possible de signer une telle horreur avec le diable! lancèrent les plus saints d'entre eux. Mais c'est un crime infâme qu'ils ont co-mmis là, ces monstres! ajoutèrent les autres en baisant leur croix de Jesus-Christ autour du cou. A l'intérieur de la diligence régnait alors une indignation générale mêlée à de la grande ferveur catho-lique.

Faites-voir! dit le croquemort impressionné par le document. Aussitôt, l'avocat le lui passa avec un petit air de triomphe. Tenez! lui dit-il, et vous verrez par vous-même, monsieur, que tout ce que je vous ai dit est l'entièrement vérité. En se saisissant du document, qui semblait être un vieux parchem-in, le croquemort n'en crut pas ses yeux quand il s'aperçut que l'écriture ressemblait à s'y méprendre à celle qu'il avait vu sur le dos de son dernier client, bref, sur ce jeune homme qui avait été banni de la Terre de France pour des raisons de satanisme. Mais où l'avez vous trouvé? lui demanda-t-il comme emporté par l'émotion. L'avocat, qui sentait sa supériorité sur les phénomènes concernant la sorcell-erie et sur ces sectes sataniques liées à Lucifer, dit : Mes amis, comme je vous l'ai dit précédemment, je suis professeur de droit au collège de la Sorbonne qui, ne l'oublions pas, est une admirable instit-ution que nous avait léguée nos pères de l'Eglise catholique. Et par ce fait, j'ai accès à toute heure et sans aucune limitation de temps à sa formidable bibliothèque qui renferme plus de 50 000 ouvrages traitant aussi bien de religion, de philosophie que de sorcelleries et ceci depuis l'aube du christiani-sme. Et ce travail admirable, ainsi peut-il être appelé, ne fut possible que grâce à la ténacité de nos pères de l'Eglise qui de tout temps avaient combattu avec force virulence les manifestations du dia-ble. C'est vrai! lançèrent les plus fanatiques d'entre eux en matière de religion. Mais que dit exactem-ent ce texte en prologue, cher professeur? demanda le croquemort. Ah, je vois que tout cela vous semble bien mystérieux, dit-il en fouillant précipitemment dans sa serviette pour y sortir un texte griffonné sur une feuille de papier. Voilà, voilà, mes amis, j'ai tout ce qu'il faut pour éclairer vos lanternes! Si monsieur est d'accord, j'aimerais qu'il le fasse passer aux autres afin qu'ils voient bien ce dont je veux parler. Faites voir! Faites voir! lançait-on de part et d'autre de la diligence. Comme vous le voyez, mes amis, ce document est divisé en deux parties. Une partie haute qui est un prologue écrit par le diable lui-même dont le signataire fait allégeance en lui cèdant en toute conscience son âme contre richesses et pouvoirs.

Et une partie centrale où figurent tous les concernants qui peuvent être aussi bien des personnes phy-siques que des partis politiques, organisations ou des sectes sataniques. Et comme vous le voyez, ils ont tous signé cet infâme document avec leur propre sang qui est la condition exigée par le diable pour obtenir tout ce qu'ils veulent sur la Terre. Faites-voir! Faites-voir! surgissait de part et d'autre de la diligence. Après que tout le monde ait retrouvé son calme, le professeur replongea sa main dans sa serviette et sortit, cette fois-ci, un petit miroir qu'il se mit à gesticuler entres ses mains. Mes amis, dit-il, voici l'instrument de la vérité qui va nous permettre de prendre connaissance du contenu de cet odieux document. Car voyez vous, celui-ci, afin de n'être point découvert et compris par nos saints hommes de l'inquisition, avait été écrit à travers le reflet d'un miroir. Oh, à travers le reflet d'un mir-oir! répétèrent en sourdine les occupants de la diligence. C'est une astuce, bien évidemment! lancèrent certains qui auraient souhaité commencer une discution sur l'art de la tromperie. Un débat, oui, mais qui parut un peu trop intellectuel pour la plupart d'entre eux qui préféraient plutôt poursuivre l'his-toire extraordinaire du professeur. Tenez, jeune homme! me dit-il soudainement en me voyant le doc-ument en mains et en me tendant le petit miroir. Merci professeur! acquiesciai-je avec un profond respect. Muni de mon petit miroir, pour prendre enfin connaissance de ce pacte avec le diable, je le plaçais de biais pour pouvoir le lire comme il faut. Instantanément, je vis les lettres et les phrases se remettrent dans le bon sens, mais sans pour autant comprendre la langue mystérieuse qu' elle renfe-rmait. Voici le texte à l'endroit.

Désolé, professeur, mais je n'y comprends rien! je  lui dis en le regardant d'un air un peu déçu.

Mais c'est tout à fait logique, me répondit-il ainsi qu'à tous les autres occupants de la diligence qui le regardaient bouches bées. Car le diable emploie une langue qui lui est propre et connue seulement de ses disciples ou adeptes de la secte satanique. Mais bien sûr que c'était prévisible! s'écrièrent les plus farouches ennemis du diable. D'après une légende, cette langue dite universelle pour certains, avait été conçue par Satan dans l'antre de l'enfer où il aurait fusionné toutes les langues de la terre pour ob-tenir ce résultat qui nous effraye tant par son incompréhension, n'est-ce pas? Pourtant, depuis le 7 ème siècle avant Jesus-Christ, nos plus grands savants et nos saints hommes avaient essayé de la trad-uire, mais en vain. Et je ne vous cacherai pas, quand j'ai été admis comme professeur au sein de cette admirable institution qu'est la Sorbonne, j'ai repris aussitôt les recherches de mes prédécesseurs qui, grâce à leur laborieux travail, m'ont permis d'obtenir des résultats très encourageants quand à la tra-duction des oeuvres du diable que mes paires n'ont pu que me féliciter. Youhaa! Youhaa! entendait-on à l'intérieur de la diligence. Alors, si j'ai bien compris, professeur, vous connaissez la langue du diable? lui demandait-on de concert. Mais oui, parfaititement! dit-il avec une grande modestie. Oh mon dieu, mais c'est un vrai miracle que vous soyez avec nous dans cette diligence! lancèrent les plus fanatiques. Vous êtes comme notre sauveur! osèrent lancer certains qui avaient peur du diable et de ses manifestations possibles en chacun de nous. Rassurès, ils se turent pour laisser le professeur con-tinuer son cours sur ces hommes et sur ces femmes qui avaient vendu leur âme au diable pour écha-pper à leur destin de minables. En se saisissant de la feuille de papier, qu'il avait sortie toute à l'heure de sa serviette, il commença à la lire : Voici, Messieurs et Mesdames, les propos du diable quant à son pacte avec ces êtres infâmes qui ont renié Dieu et le Bien pour toujours.

Moi, Satan, ROI des ROIS, du ciel, de la Terre et des ténèbres, offrira toutes les richesses de la Terre ainsi que la jeunesse éternelle à celui qui me cédera son âme en toute conscience. Et pour cela, il lui faudra signer ce document avec son propre sang. Une fois signé, ce pacte est inaliénable et ne pourra être rompu ni par lui-même ni par ses enfants qui deviendront ainsi mes serviteurs jusqu'à la fin des temps. Avant de signer, lisez ce serment qui vous ouvrira toutes les portes de la richesse et de la gloi-re. O Satan, fils de Lucifer et de bélsémuth, nous t'adorons pour tes prouesses et tes générosités ver-sées sur les hommes et les femmes comme nous, qui de tout temps ont été maudits par les hommes injustes. Mais qui désormais, grâce à tes pouvoirs colossaux, vont pouvoir régner sur la terre et po-rter le salut de l'humanité vers Toi, O Suprême ROI des ténèbres! Gloire à Satan! Gloire à Satan et jusqu'à la fin des temps!

Pendant cette lecture, où le diable avait écrit le texte avec ses propres mots, tout le monde s'était mis a trembler devant de telles propositions que chacun aurait pu signer s'il avait été un jour dans la dè-che, Ah!Ah!Ah! Mais après la fin de cette lecture, où le professeur avait éssuyé quelques gouttes de sueurs sur son front avec son mouchoir, tout le monde se sentit soudainement délivré de toutes ces tentations que le diable leur avait mis comme sur un plateau en or. Où bizarrement, chacun admirait en lui la pureté de son coeur et son honnêteté qui, jusque là, les avaient empêché de tomber dans le piège du diable et tout en déplorant, malheureusement, une bourse bien dégarnie au fond de leur po-che!

Pendant ce long silence, où tout le monde méditait dans son coin, moi qui avait toujours été curieux de toutes ces choses concernant le diable, je ne pus garder mon silence et demandai au professeur si ce document avait été rédigé en un seul exemplaire ou peut-être en plusieurs milliers? Très bonne qu-estion, jeune homme! me dit-il en me reprenant le miroir des mains et en le remettant dans sa ser-viette.

Puis reprenant la parole, il me  dit : D'après mes illustres prédécesseurs du collège de la Sorbonne et du tribunal de l'inquisition de 1435, ce document avait été tiré en 66 exemplaires exactement. Mais dont seulement 5 avaient été retrouvés. Et je vous prie de m'excusez, mes chers amis, mais j'ai oublié de vous dire que ce document était indestructible! Comment indestructible? lui demandait-on avec dans la voix un air de stupéfaction. Oui, j'ai bien dit indestructible! Et si vous voulez le vérifier par vous même, vous n'avez qu'a tirer dessus par tous les côtés et vous verrez qu'il est impossible à déch-irer ou à mettre en morceaux. Les gens, ébahis par de tels propos, n'y croyaient par leurs oreilles et se mirent à prendre chacun un bout du parchemin et à tirer dessus dans sa direction au point que 6 pers-onnes furent au travail. Mais après d'inutiles efforts et de cris de souffrances, le parchemin écrit par le diable garda sa forme initiale et semblait avoir triomphé. Mais je vous l'avais dit, mes amis, leur lan-ça-t-il à la figure, c'est une oeuvre du diable et que vous ne pouvez rien y faire sinon le cacher dans un coffre afin qu'il soit inoffensif. Moi qui avais tiré de toutes mes forces sur le document, j'étais un peu déçu quant aux explications à l'emporte-pièce du professeur en songeant à l'actualité du docum-ent. Mais professeur, ce pacte avec le diable est-il toujours actif? lui demandai-je en toute honnêteté. Soudainement, j'aperçus dans ses yeux une frayeur qui semblait venir d'un monde lointain et mysté-rieux, comme d'une terre à laquelle il ne voulait absolument pas aborder le rivage pour des raisons que lui seul connaissaient. Me cramponnant à mon panier garni, j'attendais bien évidemment sa répo-nse ainsi que les autres occupants de la diligence. Oui, il l'est! lâcha-t-il froidement, puis se referma dans un silence de mort. Pendant un instant personne ne voulut y croire et se demandait s'il n'y avait pas comme un gros malentendu sur la question que je venais de lui poser un peu trop naïvement?

Mais que voulez vous dire par là ? lui demanda soudainement la jeune femme qui se mit étrangeme-nt à lui serrer le bras pour ne pas y croire. Qui, attendri par son geste, lui lança un sourire un peu crispé et lui dit : Je suis désolé mademoiselle, mais c'est la vérité! Ce pacte avec le diable est toujours valide et malgré les siècles qui nous séparent des signataires. Oh mon dieu! lança-t-elle en jetant les bras en l'air qui plongea aussitôt toute la diligence dans un état infernal où certains se maudissaient d' avoir pris cette diligence de la mort. Alors que d'autres, sortant leurs têtes du véhicule, criaient au co-cher de vouloir descendre immédiatement. On sentait l'air devenir irrespirable dans l'habitacle..et moi qui avait posé cette question toute simple au professeur, je ne comprenais pas très bien pouquoi ce feu dans les cervelles, comme on dit. A le regarder s'enfonçer dans son siège, muet comme une carpe, il semblait me reprocher d'avoir mis en  dessus-dessous toute la diligence, bref, à cause de ma curio-sité un peu diabolique, il faut le dire. Mais la jeunesse n'est-elle pas par définition le temps de l'expè-rimentation, alors pourquoi s'en priver quand on en a toutes les facultés? Professeur, lui demandai-je avec une étrange audace, donc si j'ai bien compris n'importe qui d'entre nous pourraient aujourd'hui signer ce document et devenir riche du jour au lendemain? Mais oui, je ne vous dis pas le contraire! lâcha t-il comme malgré lui. Mais quelle impertinence, ce jeune homme! j'entendis lancer autour de moi. Donc si je signais moi-même ce document, tous mes rêves pourraient se réaliser à l'instant, n' est-ce pas? Mais oui, bien sûr, mais en étant damné en même temps, ce qui ne serait pas un cadeau à vous faire, jeune homme, Ah!Ah!Ah! ria-t-il avec ironie. C'est logique quoi! admettèrent ceux qui av-aient encore la tête sur les épaules. Et puis de toute façon, on ne pouvait pas avoir le beurre et l'argent du beurre! affirmèrent ceux qui avaient encore du bon sens et les pieds sur terre. Mais professeur, pouvez-vous vraiment nous prouver que ce document est réellement actif et non un vulgaire parc-hemin usé par le temps? 

Mais taisez-vous, jeune homme, vous allez nous attirer le malheur! lançait-on à travers la cloison de la diligence où les autres passagers étaient devenus nerveux. Mais sans problème, jeune homme, don-nez-moi un peu de votre sang et je vais vous le prouver immédiatement! me dit-il en sortant une seri-ngue de sa serviette et en me menaçant. Mais professeur, je n'ai jamais dit ça! lui envoyai-je en m'in-surgeant contre ses methodes un peu expéditives. Bien, j'aime mieux ça! dit-il en sortant cette fois-ci, une petite éprouvette remplie d'un liquide rouge qu'il montra à tout l'auditoire. Bon, puisque perso-nne ne veut me croire, messieurs et mesdames, je vais faire devant vous une expérience que je fais seulement devant mes étudiants de la Sorbonne et pour cause. Voyez, dans cette éprouvette que je tie-ns devant vous, il y a le sang d'un condamné à mort qui va nous servir à prouver l'existence du diable dans ce parchemin à l'aspect banal, mais qui ne l'est pas en vérité. Youhaa, le sang d'un condamné à mort! surgit de part et d'autre de la diligence. Avec une grande méticulosité, il ouvrit le petit bouchon qui le fermait, puis se saisit d'une seringue avec laquelle il aspira un peu de sang du condamné. Ca suffira! dit-il en voyant la quantité nécessaire pour mener à bien cette expérience peu banale, il faut le dire. En reprenant le document en main, il versa une goutte de sang sur le parchemin qui aussitôt sous nos yeux se tordit d'une horrible façon, puis se convulsa à nous rendre tous malades, puis grinça co-mme vieux parquet pourri et finit par changer de couleur en devenant rouge incandescent comme la couleur du diable! Après les dernières convulsions du diable, le document se raidit en laissant écha-pper une odeur de souffre et d'oeuf pourri. Oh mon dieu, quelle horreur! lâchèrent les gens en se pin-çant le nez. Aussitôt, on ouvrit les fenêtres pour laisser partir cette puanteur dégagée par le diable. CQFD! dit le professeur, satisfait, semble-t-il, par son expérience en rentrant tout son matériel de laboratoire dans sa serviette.

Mes chers amis, poursuivit-il, ceci nous prouve que le diable existe, non pas bel et bien, mais laid et mal aux pieds de nos habitations et prêt à nous séduire pour nous subtiliser notre âme chrétienne et catholique. Bien évidemment, tous les gens dans la diligence furent d'accord avec lui et obtempèrent de la tête pour lui signifier leur assentiment. Mais pour en revenir à notre sujet initial, lança le profe-sseur à ses nouveaux élèves totalement conquis, comme vous le voyez, ce pacte avec le diable a été signé par la secte des républicains appelée les rats furieux ainsi que par la secte des protestants que l'on peut voir au centre du document où ils ont apposé leurs signatures respectives, dit-il en nous les montrant tels des signes maléfiques. Mon dieu, mais faites voir! Je veux les voir! s'enrageait-on à l' intérieur de la diligence. Mais ne soyez pas pressés, mes chers amis, je vais vous le faire passer, en le donnant étrangement au plus ancien, bref, au croquemort qui sur l'instant ne comprit pas très bien ce privilège et le prit avec des mains tremblantes. Celui-ci le posa à plat sur son chapeau haute forme et le regarda avec des yeux remplis de frayeur où les gens autour de lui se penchaient pour essayer de voir les signatures incriminées, mais sans ré-ellement y parvenir. Avec stupeur, le croquemort dit en faisant une grimace: Désolé, professeur, mais votre document, je ne veux plus y toucher! Reprenez-le, je vous en prie ou peut-être vous jeune homme qui ne semblez point avoir peur du diable? me dit-il en soulevant son chapeau et me proposant de prendre le document. C'est gentil de votre part, lui dis-je en me saisissant du document avec des mains brûlantes et des yeux fascinés. Voici ce que le professeur souhaitait tous nous faire voir.

Me voyant le document en mains, le professeur me dit: Jeune homme, veuillez montrer à nos amis, ce dont il est question..et moi comme un élève studieux, je montrais à tous avec mon doigt l'ensemble des signatures incriminées dont je ne comprenais pas vraiment le sens. Je sais, je sais, dit-il en nous voyant loucher sur tout cela comme des aveugles. Mais regardez en haut à droite et vous verrez la si-gnature de Ratavor qui est l'ancêtre de Ratus furius, le fondateur des rats furieux et de la secte des ré-publicains. C'est vrai! dirent les gens en constatant par eux-même la signature qui semblait le prou-ver. Et juste en dessous, dit-il avec un air de triomphe( obtenu, il est vrai, par ses travaux d'historien au collège de la Sorbonne), nous avons les deux lettres R et F qui nous prouvent leur allégeance au diable jusqu'à la fin des temps. Tout à fait d'accord avec vous, maître! entendait-on maintenant sortir de la bouche des voyageurs. Je vous remercie beaucoup, mes amis, mais vraiment beaucoup. Mais sachez que je suis seulement professeur de droit canonique, théologien et historien à mes temps per-dus! dit-il avec un air plein de modestie. Mais c'est tout comme, maître! insistèrent les gens voulant à tout prix le vénérer pour son savoir immense sur Dieu et sur le diable qui était son infernal concurr-ent. Mais si vous le voulez, vous pouvez m'appeler professeur Philéas. C'est votre nom? lui deman-da la jeune femme assise à côté de lui. Oui, c'est bien mon nom que j'espère un jour entendre résonn-er dans tout le royaume de France, comme un nom illustre qui aura su déchiffrer la langue du diable pour pouvoir le combattre et le mettre à mort! lança-t-il avec une voix de prophéte jusque là jamais entendue parmi les mortels. Aussiôt de grands applaudissements surgirent dans la diligence au point qu'on crut celle-ci se transformer en une salle de spectacle montée sur roulettes, Ah!Ah!Ah! Et parmi tout ce vacarme ambulant, moi le petit savoyard qui devait me rendre à Paris, je trouvais le voyage très bien amorcé pour m'annoncer un avenir plein de promesses!

Mes chers amis, dit-il soudainement, nous en avons pas encore terminé avec ce document du diable. Et si vous regardez à gauche, au même niveau que la signature des rats furieux, vous verrez celle de la secte des protestants. Quelque peu étonné par cette affirmation, je ne voyais pas de quelle signature il voulait parler et je le regardais avec de grands yeux interrogatifs ainsi que les gens qui autour de moi ne trouvaient pas la chose si évidente. Voyant notre désarroi, il dit : Je sais et je peux comprendre que la chose ne vous paraisse pas évidente. Mais au juste y'a t-il quel-qu'un parmi vous qui a lu Ma-rtin Luther? nous demanda-t-il subitement comme pour jauger notre savoir ou peut-être pour nous démasquer. Mais étrangement personne ne dit rien et garda le silence, comme si on leur avait dema-ndé d'avouer leurs pêchès en public, ce qui comportait pour eux un réel danger. Bien, bien, dit-il avec dans la voix une sorte de conentement de savoir qu'il y avait devant lui d'apparents fervents catholiqu-es. Ah, continua-t-il, je suis bien content de savoir que personne d'entre vous ne connaîsse cet Allem-and de malheur qui est l'apôtre du diable et du protestantisme. Ce Martin Luther, c'est l'apôtre du dia-ble? lui demandait-on avec effroi. Oh oui et oh combien! leur dit-il en levant les bras en l'air au point d'impressionner toute la compagnie. Eh bien, la signature de la secte des protestants, comme vous le voyez sur le document, c'est l'ancre qui est dessinée à gauche, dit-il en m'obligeant à la montrer du doigt sans hésiter un instant. Une ancre, mais c'est pas du tout méchant! lançèrent-ils au professeur Phileas. Oh détrompez-vous, mes amis, car celle-ci est l'emblème du protestantisme qui, d'après une légende, appartiendrait à un vaisseau fantôme gouverné par le diable lui-même. Par le diable, lui mê-me? lui demandait-on le souffle coupé.

Oh oui, et d'après de vieux marins, ce vaisseau de la mort apparaîtrait de temps en temps sur les côtes de Norvège pour faire son commerce d'âmes vivantes afin de remplir ses cales moyennant, bien évid-emment, toutes les richesses de la terre en contre partie. D'après ces mêmes marins, il accosterait dans nos ports et relâcherait ses infâmes serviteurs afin qu'ils nous fassent le plus de mal possible en provoquant des catastrophes en tout genre : tremblements de terre, incendies criminels, tsunamis, att-entats à la bombe, guerres civiles, mondiales, crises économiques dans le but de faire tomber toutes les monarchies de droit divin pour établir le chaos, bref, tout ce que la secte des républicains et des protestants essayent de faire conjointement depuis le 7 ème siècle avant J-C! finit-il par dire au bord de l'épuisement moral et respiratoire. C'est un complot, bien évidemment! je lui dis sans aucune hési-tation. Oh oui, jeune homme, vous avez entièrement raison! C'est un complot de longue date qu'on doit démanteler au plus vite pour ne pas laisser à nos enfants, une vie infernale. A côté de lui, la jeu-ne femme acquiesça aussitôt d'un sourire qui illumina l'ambiance morbide qui regnait dans la dilig-ence. Mais professeur, ne m'avez-vous pas dit la tout à l'heure que vous en aviez retrouvé seulement 5 exemplaires? lui demandai-je curieux de connaître la suite de l'histoire. Oui, cela est vrai et malgré une ténacité sans égale du tribunal de l'inquisition de 1435 pour retrouver les 61 exemplaires man-quants en employant la torture sur ces adeptes du diable pour qu'ils dénoncent leurs complices, mais tout ceci fut en vain sans qu'on sut bien pourquoi. Ce sont des teignes! lança quelqu'un dans la dilig-ence. Ce sont des voyous! poursuivait-on. Ce sont des cafards qu'on devrait écraser avec les pieds! finit-on par clore ce chapitre d'énumérations envenimées. Bref, dit le professeur, d'après mes conna-issances, ce sont des êtres qui se moquent complètement de la torture, puisque d'après le pacte, ils ne ressentent plus la douleur. Comment ils ne ressentent plus la douleur? Mais en êtes vous sûr profe-sseur?

Oh oui, entièrement sûr! puisqu'en signant avec le diable, il leur accordait la jeunesse éternelle donc l'immortalité. Quoi, l'immortalité offerte parle diable, alors qu'une courte vie par Dieu? Mais com-ment est-ce possible ce tour de passe-passe ou bien ce mensonge proféré par le diable? lui demandait-on avec des yeux furieux. Mais si vous ne voulez pas me croire, leur dit-il, demandez à monsieur, en s'adressant soudainement au croquemort qui semblait pencher du nez au point de s'endormir. Comme je souhaitais connaître son avis, je lui balançai aussitôt un coup de coude pour le remettre en selle pour ainsi dire. Heu..oui, oui, qu'est ce qu'il y a? demanda-t-il en reprenant appui sur son chapeau ha-ute forme. Le professeur, semble-t-il, veut connaître votre avis, lui dis-je en le mettant sur le fait acc-ompli. Oui, que vouliez vous savoir exactement, professeur? lui demanda-t-il d'une façon un peu cér-émoniale. Oui, en fait, je voulais savoir comment s'est finie votre histoire avec ce jeune damné dont vous aviez, semble-t-il, perdu la trace sur la route de Savoie. Oui, c'est bien exact! dit-il, heureux qu' on s'intéressât à nouveau à son histoire qu'il avait eu du mal a terminer devant les doutes des occu-pants de la diligence. Oui, comme je vous le disais précédemment, suite à des pluies diluviennes et à des giboulées de mars en plein mois de juin, nous vîmes sur notre route les torrents se gonfler d'une manière monstrueuse au point que notre corbillard et notre attelage furent embarqués par les flots. Et nous eûmes la vie sauve, moi et mes collègues, grâce à Dieu, mais surtout grâce aux arbres en flanc de montagne sur lesquels nous étions montés jusqu'a la cime. Sans eux, je pense qu'on aurait tous péris comme nos chevaux! dit-il d'une manière navrée. Puis relevant l'encoluure, il dit : De là haut, accrochés aux branches, nous assistâmes impuissants a la disloquation de notre instrument de travail dans ces flots terribles. Quelques heures plus tard, lorsque la pluie cessa ainsi que ces satanées gibou-lées et les cours d'eau revenus à la normale, nous redescendimes des arbres pour essayer de retrouver notre corbillard ainsi que son chargement.

Drôle d'histoire! se demandaient à nouveau les occupants de la diligence en s'interrogeant toujours sur la véracité de son récit. Puis reprenant son invraisemblable histoire, il dit : Au bout de 4 heures de marche en arrière, nous aperçûmes sur la rive, non point les restes de notre corbillard, mais le ce-rcueil du défunt. Mais ne m'aviez vous pas dit tout à l'heure, monsieur, que vous l'aviez perdu? de-manda le professeur inquiet une nouvelle fois sur les libertés que se donnaient le croquemort. Si, si, dit-il d'une manière emportée, mais ce que j'avais oublié de vous dire, cher professeur, c'est lorsque nous retrouvâmes le cercueil, celui-ci n'avait plus de couvercle et que le mort s'était volatilisé! Oh mon dieu! entendait-on rugir à l'intérieur de la diligence, alors que le professeur riait à gorge déploy-ée, Ah! Ah!Ah! Mais je vous l'avais dit, mes amis, ces êtres infâmes sont immortels! Tout à fait d'a-ccord avec vous, dit le croquemort en se croisant les doigts sur son chapeau. Mais comment peut-on s'en débarrasser une bonne fois pour toute? lui demanda-t- il avec dans la voix une envie d'en finir. Heu, en fait, je n'en sais rien, dit-il en lançant ses regards hors de la diligence comme pour y cherch-er la réponse, puis il dit d'un air féroce : Mais il le faudra bien un jour, sinon nous risquons tous de perdre notre planète ainsi que notre humanité! Ébahi par tout ce que je venais d'entendre autour de moi, je ne pus garder mon silence un instant de plus et lui demandai si les 61 exemplaires manquants du diable "tournaient" en ce moment sur la planète? Excellente question, jeune homme, m'expédia-t-il, et c'est bien là le problème! en conclua-t-il par un silence de mort. Mais au juste, professeur Phi-leas, comment voit-on si une personne physique ou une organisation malhonnête a conclu un pacte avec diable? lui lançai-je un peu à l'emporte-pièce. A une fortune soudaine et inexpliquée! m'env-oya-t-il à la figure. Mais c'est évident! lâchèrent aussitôt tous les occupants de la diligence en s'av-ouant être ni riche ni pauvre, mais d'une honnêteté irréprochable envers leur coeur, leur foi et la so-ciété de leur temps.

Tout à coup, la diligence freina, puis bascula d'avant en arrière et enfin le Huuuu..du cocher finit par leur signaler la pose repas attendue par tous ainsi que l'envie de faire ses besoins naturels en pleine nature. Il est midi pile! annonça le professeur en sortant sa montre gousset de la petite poche de son veston. Ouf, il était temps! entendait-on pousser par la plupart des voyageurs dont la première mati-née s'était apparentée à un long voyage au bout de l'enfer. Au point que certains, troublés et écoeurés en descendant les marches du véhicule, se juraient de ne pas reprendre la même diligence, mais d'att-endre la prochaine pour ne pas devoir subir à nouveau cette torture et quel en serait le coût à l'aub-erge. Bref, tout ceci semblait ruminer au fond de leurs cervelles comme dans une grosse cocotte mi-nute. L'auberge, où nous déscendîmes, s'appelait l'auberge des 3 boussoles, ce qui avait de quoi déb- oussoler la plupart d'entre nous; mais sachant que j'avais apporté avec moi mon panier garni, je ne me sentais pas le courage d'y entrer et d'affronter le regard méchant de l'aubergiste, ce que vous pourriez comprendre aisément, mon cher lecteur. Donc à peine étais-je sorti de la diligence que volontairem-ent, je m'écartai du groupe pour aller m'asseoir dans un coin près de l'etable où l'attelage allait être remplacé par un nouvel. Je savais aussi que l'aubergiste ne m'en voudrait pas vu le nombre de clients qui étaient entrés à l'intérieur de son établissement, l'estomac vide et le gosier sec. Cette analyse me parut tout à fait judicieuse et j'allai de mon propre chef poser mon cul sur un petit talus de verdure où j'ouvris mon panier garni qui renfermait tant de bonnes choses à manger. Les seuls compagnons qui voulurent bien se joindre à mon repas furent les oiseaux, les poules et les canards en les voyant commencer à graviter autour de moi, mais surtout autour de mon panier garni. Pour les oiseaux, que j'ai toujours considérés comme des frères et soeurs, ça ne me gênait pas. Par contre, nourrir ces bêtes qui appartenaient au propriétaire de l'auberge, il était tout à fait exclu pour moi de les engraisser à mes frais!

Et puis je savais en toute lucidité qu'il allait les mettre au diner pour les prochains arrivants, ce qui avait pas de quoi m'enthousiasmer. En ouvrant mon panier, une bonne odeur de perche parfumée au romarin m'envahit aussitôt les narines et me rappelait ma famille que je venais tout juste de quitter. Comme dans un rêve, je revoyais ma mère faire frire à la poêle ces perches que j'avais péchées moi-même dans le lac, puis les enrouler dans de grandes feuilles de Rhubarde pour pou-voir les conserver pendant mon voyage. Chaque feuille en contenait deux et en les comptant à l'in-térieur de mon panier, j'en comptais 4, bref, 8 perches exactement, ce qui avait de quoi me donner du courage pour poursui-vre mon voyage vers je ne savais qu'elle aventure extraordinaire. Quand j'ouvris ma première feuille, hum, je découvris mes perches dorées à point ayant très bien tenu le transport. Aussitôt, je me rappe-lais ce que ma mère m'avait dit avant de partir, bref, de consommer en premier les aliments les plus périssables dont les perches, le pain, le poulet et le demi-gigo d'agneau faisaient parties. Quant au res-te, composé de pommes de terre, de 6 oeuf durs, d'un gros morceau de tomme de Savoie, de noix, d'amandes et de biscuits de minution, ça pouvait être conservé sans problème jusqu'à la fin du voya-ge. Me trouvant ainsi éloigné de ma famille protectrice, je compris aussitôt le bon sens savoyard de ma tendre mère qui m'avait prodigué de si bons conseils pour ne pas gaspiller la nourriture afin d' arriver à bon port sans dommage. Quand je mis dans ma bouche, un morceau de perche que j'avais péchée dans mon lac adoré, ce fut comme un émerveillement au point que je faillis m'évanouir de gourmandise chargée de nostalgie. J'étais bien, assis sur mon talus, loin de la foule et de cette prom-iscuité qui dans la diligence m'avait semblé pas bien naturelle, mais que j'avais dû tolérer en me mê-lant un peu maladroitement à la conversation.

Et bizarrement avec le sentiment d'y avoir bien joué mon rôle en leur faisant décrocher leur mâchoi-re d'acier ou leur bouche d'ombre, ce qui revenait au même. Satisfait par ma première prestation en public, je sentis que j'étais taillé pour faire parler mes contemporains et leur extirper la vérité qu'ils ne souhaitaient pas entendre. Déroulant un linge humide dans mon panier, où ma mère avait précau-tionneusement enroulé une couronne de pain, j'avais la sensation de revenir chez moi et de m'asseoir auprès des miens où l'odeur du bon pain était inséparable de mon bonheur passé. Canif en main, j'avais la sensation, en perçant cette croûte épaisse et brune d'un geste franc, de percer mon passé et de redécouvrir l'âme blanche de mon enfance dans cette mie immaculée! Couper du pain de cette façon me sembla comme un rituel très émouvant pour moi et de surcroît avec mon petit canif qui av-ait déjà vécu tant d'aventures à mes côtés ainsi qu'auprès de mes camarades de jeu. Comme de couper des branches pour faire des arcs et des flèches, puis de les tailler à la manière des indiens d'Amérique, puis d'autopsier des vers de terre pour voir ce qu'il y avait à l'intérieur ainsi que des oisillons morts tombés de leurs nids, faire ses premiers "lancer de couteaux" sur les troncs d'arbres, éplucher ses pre-mières pommes et pèches avec soin pour ne pas gaspiller leur chair si rafraîchissante et juteuse, etc. Bref, tout ce qu'un petit citadin ne pouvait connaître en jouant dans sa rue si bruyante et populeuse. Cette première bouchée de pain, mélangée à la saveur de mon poisson préféré, fut pour moi comme un envol vers l'extase de tous mes sens : où mon enfance était indissociable de ces parties de pêches organisées avec mes petits camarades ainsi que par ces fritures improvisées au bord du lac. L'odeur du feu de bois et des pierres brûlées me rappelait des moments inoubliables de joies enfantines et de camaraderie où la mesquinerie n'existait pas encore dans nos coeurs. Bref, une époque bénie qui ne reviendra plus jamais! pensai-je non sans amertume.

Car la discorde arriva un jour durant notre adolescence, lorsque certains d'entre nous voulurent s'éri-ger en chef, alors qu'auparavant, nous avions tous vécu dans une parfaite société égalitaire. Ceci mar-qua à tout jamais pour moi, la fin de mon enfance et de ses joies insouciantes par ce changement de rapports et de climat entre nous où la méchanceté de l'adulte allait s'emparer de nos âmes pour bien longtemps. Bref, un jour funeste pour moi où j'allais doucement m'écarter de tous mes amis d'enfa-nce avec le grand regret d'avoir perdu définitivement cet état de grâce. Et fort possible aujourd'hui que je sois toujours à la recherche de cet état d'équilibre parfait entre nos ambitions personnelles et notre bonheur à tous. En comprenant soudainement que la vie n'avait que cette seule et belle ambi-tion de nous rendre tous heureux, en recréant un monde parfait qui avait app-artenu a un monde oublié qu'on appelle l'enfance." Mâchant doucement sa nourriture entre ses dents, Rémy désirait ard-emment croquer à nouveau ce bonheur, mais sans réellement en calculer les éfforts ni les conséqu-ences que cela induieraient sur sa vie et sur celle des autres. Etait-il possible que la société des ho-mmes ne soit qu'un éternel recommencement ou un retour vers le passé et non, comme on pourrait le croire, vers une marche vers le futur? Bref, une société humaine en constante ré-évolution vers son bonheur initial, au temps zéro de nos premières sensations? se demandait-il tragiquement en distri-buant du pain aux oiseaux et aux canards qui claquaient du bec devant de lui. Et le diable quel rôle pouvait-il jouer dans ce retour au temps zéro de la création? Mais quelle avait été sa jeunesse à lui pour avoir autant de haine envers nous, les hommes? s'interrogeait-il en mordant soudainement sa petite médaille en or suspendue à son cou. Le diable s'était-il violemment affronté avec son frère, le bon dieu, et seulement pour se partager le monde en deux entre le bien et le mal?

Intrigué par toutes ces questions qui semblaient sortir de sa tête, comme de la fumée bien mystérieu-se, il se mit à examiner scrupuleusement sa médaille où les deux fémurs, gravés en relief, avaient ma-intenant comme une signification évidente pour lui. La plaçant face au soleil pour mieux la voir, il vit soudainement apparaître une tête de mort au milieu des deux fémurs dont les orbites lancèrent des éclats lumineux très intenses. Youhaa, mon dieu! s'écria-t-il émerveillé en la voyant miroiter au sol-eil où ses yeux, fascinés par la couleur rubis des éclats, ne voulaient plus la lâcher. Quelques instants plus tard, la tête de mort ouvrit la mâchoire et lâcha une fumée blanche, puis les deux fémurs se mi-rent soudainement à tourner à une vitesse vertigineuse au centre de la médaille! Au fur et à mesure que la vitesse augmentait, celle-ci devenait rouge incandescente et les deux fémurs, pour une raison inconnue, s'arrêtèrent sur une position quelque peu étrange en se confondant l'un et l'autre comme l' aiguille d'une boussole accompagné par le bruit d'un craquement d'os! Rémy, très étonné, leva aussi-tôt les yeux dans la direction donnée par l'aiguille et vit soudainement apparaître devant lui, un hom-me dont le visage était obscurci par le contre-jour. Est-ce vous Rémy Labroque, originaire de Savoie qui partez à Paris pour réussir? lui demanda soudainement l'homme qui portait un chapeau biscornu sur la tête, une veste d'un rouge éclatant, une chemise aux couleurs bariolées, un bermuda tenu par des bretelles ainsi que des sandalettes assorties à l'ensemble. Troublé qu'on sut ses ambitions cachées, il fut pour le moins surprit et lui répondit: Oui, c'est parfaitement exact, monsieur! Mais Rémy sentit à cet instant là comme un malaise à vouloir engager cette conversation avec cet homme qui semblait cacher son visage pour une raison inconnue. En le regardant à hauteur de visage, il ne vit apparaître aucun trait, sinon qu'un trou noir d'où sortit brutalement ces mots : Et ben, je te souhaite bonne chan-ce, Rémy, Ah!Ah!Ah! lâcha-t-il d'un air méprisant tout en disparaissant de la circulation.

Au même instant, les deux fémurs reprirent leur position initiale et les orbites de la tête de mort s' éteignirent de tout feu.

                                 Médaille que Rémy avait trouvée dans la forêt d'Annecy

Brutalement, il se demandait si ce n'était pas le diable qui s'était présenté à lui dans cet accoutrement ridi-cule? Les yeux fascinés et rivés sur sa petite médaille, il avait comme le sentiment qu'elle avait un lien direct avec le diable, mais sans en connaître la raison. Puis en réfléchissant sur sa découverte, qui fut non moins mystérieuse au cours d'une promenade dans la forêt d'Annecy, il se demandait à qui elle avait pu bien appartenir vu son poids en or : à un grand prêtre, à un voleur, à un adepte de Satan? Et avait-elle été perdue par hasard ou bien s'en était-on débarrassé volontairement pour ne pas devoir assumer ses pouvoirs magiques ou maléfiques? s'interrogeait-il non sans frayeur.

Pendant un instant, il faillit l'arracher à son cou et la jeter dans l'herbe. Mais étrangement, une voix intèrieure lui interdisait de le faire afin qu'il ne gâche pas toutes ses chances de réussite à Paris et dé-cevoir ses parents qui attendaient beaucoup de lui. Comme si une force magnètique voulait retenir son geste où le métal précieux renfermait des forces de vie et de mort millénairement entremêlées. Bon, pourquoi résister? dit-il lâchement en la glissant aussitôt sous sa chemise. Assis sur son petit talus de verdure, il resta ainsi dans l'expectative, comme pour mesurer son courage de jeune aventu-rier. Et même si cette médaille ressemblait en tout point à une boussole pouvant détecter la présence du diable, je n'avais pour l'instant signé aucun pacte avec lui! se rassurait-il en pensant au professeur Phileas qui détenait entre ses mains le document brûlant de convoitises et de maléfices. Avant de finir son repas, par quelques noix et abricots, il la tapota à travers sa chemise, comme en signe de confiance et d'amitié non moins redoutable.

Ohé, jeune homme! Ohé, jeune homme! criait-on de l'autre côté où Rémy aperçut soudainement l'au-bergiste lui faire de grands signes. Quand il arriva près de lui très essoufflé par sa course et par son ventre énorme( heureusement soutenu par son tablier!), il lui dit : Allons, jeune homme, vous n'allez pas rester tout seul dehors, alors que tous vos amis vous demandent à l'intérieur! Ah bon? lui dema-nda-t-il l'air surpris d'entendre que ses compagnons de voyage s'inquiétaient pour lui. Bizarrement, il sentit que ces lieux sonnaient merveilleusement faux et hantés par des hallucinations où le diable s' était présenté à lui dans un costume ridicule, puis un aubergiste lui montrer un visage fort sympa-thique( alors qu'il n'avait pas encore gaspiller un seul centimes dans son établissement!) et enfin ses compagnons de voyage se faire du mauvais sang pour lui. Bref, il semblait régner quelque chose d' anormal dans cette auberge au nom si évocateur des 3 boussoles. De quoi déboussoler tout le monde! pensa-t-il en suivant les pas casimodesques de l'aubergiste, après qu'il ait refermé son panier garni sur l'appétit vorace de ces oiseaux de basse-cour.

Mais qu'attendait-on de moi exactement, je me demandais en entrant non sans inquiètude dans l'aube-rge? A peine avais-je posé le pied à l'intérieur que tout le monde se tourna vers moi et leva son verre pour me souhaiter quelque chose que je n'arrivais pas bien à comprendre. Au milieu de la grande sal-le, il y avait une longue table où se tenait toute la compagnie et à l'extrémité, le professeur Phileas siègeant tel un maitre de cérémonie. Stupéfait par cet accueil si chaleureux pour ma personne, j'atten-dais bien évidemment une explication. Et même si celle-ci fut des plus farfelues, j'étais prêt à l'enten-dre vu les événements anormaux auxquels j'avais assisté depuis le début de mon voyage. A votre san-té, Rémy! me lança soudainement le professeur en levant son verre dans ma direction et en m'adres-sant un grand sourire. Aussitôt, les autres convives firent de même en m'adressant un étrange : A vo-tre réussite, Rémy! Mais venez vous asseoir, mon cher ami! me dit-il en me demandant de prendre place à l'autre extrémité de la table comme pour me traiter à égal. Pour le moins, j'étais confus par cet honneur, ne nous le cachons pas, mais surtout troublé qu'on sût mon prénom, alors que je ne l' avais dévoilé à personne. Peut-être l'avais-je épelé dans la diligence dans un semi-sommeil? me dem-andai-je en me dirigeant, non moins sans frayeur, vers la table où se tenait toute la compagnie. Quand je pris ma place, l'aubergiste qui se tenait derrière moi me servit un grand verre de vin afin de me donner du courage ainsi que toute la compagnie qui faisait tout pour me mettre à l'aise en attendant que le maitre de cérémonie, le professeur Phileas veuille bien me donner la raison de toute cette co-médie. Un long silence suivit ce grand verre de vin que je bus d'un trait et observé, non sans interêt, par tout le monde. Mon cher Rémy, dit soudainement le professeur, j'ai quelque chose de très impo-rtant à vous dire. Bien, professeur, je vous écoute, lui dis-je en m'éfforçant de ne pas m'évanouir. Vo-yez-vous, la médaille que vous portez autour de votre cou et que tout le monde à sûrement remarqué( les gens optempérèrent aussitôt par un hochement de tête) avait appartenu à un grand maitre qui s' appelait Balthazart Mostafort qui, depuis bien longtemps, nous avait laissé sans nouvelle de lui!

Peut-être que vous ne le saviez pas, mais mon statut de professeur au collège de la Sorbonne m'a per- mis d'accéder à son dossier personnel dont les états de service auprès de l'église catholique furent re-marquables au point d'entrer au Vatican pour une mission très spéciale. Au Vatican? Oui, au Vatic-an, répétait-on en sourdine autour de la table. Mais sans indiscretion, où l'avez-vous trouvée? me de-manda-t-il avec une voix pleine de gravité. Ah vous voulez parler de ça! m'écriai-je en la sortant de ma chemise pour la montrer à toute la compagnie qui semblait stupéfait de la regarder comme un tal-isman chargés de mystères. Oui, c'est bien celle dont il s'agit avec une tête de mort en son centre et cr-oisée par deux fémurs, dit-il avec une grande précision. Surpris par toute cette comédie, jouée autour d'une simple médaille, je lui dis que j'étais désolé, mais je ne connaissais aucun Balthazart Mostafor! Mais où l'avez-vous donc trouvée, si ce n'est pas son propriétaire qui vous l'avait léguée? insista-t-il avec un ton maintenant plus menaçant. Sans vouloir vous décevoir professeur ainsi que vous tous ré-unis autour de cette table, je l'ai trouvé tout à fait par hasard au cours d'une promenade dans la forêt d'Annecy, voilà la vérité! leur dis-je en toute franchise. Mais une réponse qui apparemment ne sembl-ait pas convenir à leurs attentes ni à leurs désirs ni au professeur qui, accusant une lourde deception, se laissa tomber de tout son poids sur sa chaise comme abattu. Voyant la deception que j'avais causée autour de moi, je ne pouvais pas laisser la situation dans un tel état en lui demandant qui était ce ma-itre Balthazart Mostafor qu'il semblait vénérer pour des raisons que j'ignorais complètement. Ranimé par mon vif intérêt pour cet homme mystérieux, le professeur se releva et commença à nous raconter son histoire, digne d'une saga fantastique, où dieu et le diable ne pouvaient s'empêcher de se faire la guerre depuis la création du monde. Tous les gens autour de la table semblaient comme en prière de-vant le maitre de cérémonie et prêts à boire ses paroles comme le vin contenu dans un calice. Avant de commencer, mes chers amis, il est important pour moi de mettre les choses au clair avec ce jeune homme qui semble ignorer l'importance de ce qu'il a autour du cou.  

C'est vrai! lançèrent les convives en le regardant comme une bête curieuse ou comme un messie qui feignait de rien comprendre à son histoire. Maitre Balthazart Mostafor, mon cher Rémy, faisait partie autrefois d'une loge secrète créée par le Vatican afin de s'approcher du diable pour pouvoir l'assassi-ner! lâcha-t-il brutalement en tapant violemment son poing sur la table, ce qui fit sursauter tous les convives à moitié endormis par le vin ainsi que leur conscience, va s'en dire. Et pour y parvenir, repr-it-il, le Vatican avait fondu cette médaille avec l'or qui avait été extrait d'une mine située au Mexique dans laquelle les grands prêtres Aztèques et Mayas avaient enfermé le diable jusqu'a la fin des temps pour qu'il ne nuise plus jamais aux hommes. Mais un jour, un grand malheur arriva par la personne d' un dénommé Cortez. Bref, par un fou avide de richesses et de gloires qui, voulant vider toutes les mi-nes d'or du Mexique, finit par libérer le diable de sa prison! Il va s'en dire que le malin ne se pria pas de prendre aussitôt un bateau pour envahir notre vieux continent européen. Tout le monde autour de la table semblait frémir d'horreur par la bêtise irrévocable qu'avait commise un seul homme déno-mmé Cortez. Il faut vous dire, mes chers amis, qu'un million d'hommes n'aurait pas suffit à faire une telle bêtise; mais lui apparemment était très doué et l'avait faite comme par plaisir! finit par lâcher le professeur désabusé par la bêtise humaine. Mais qui est-ce Cortez? lui demandait-on expréssement. Ah, je vois que peu d'entre vous connaissez cet irresponsable qui à lui tout seul et aidé seulement par quelques milliers de soldats décima deux grandes civilisations, celles des Aztèques et des Mayas. A lui tout seul? Mais comment est-ce possible? demandait-on sans bien y croire. Je sais, je sais que cela pourrait vous paraître invraisemblable, mais il le fit réellement sans l'accord de ses supérieurs qui se trouvaient à ce moment à Cuba dont le gouverrneur Velasquez avait comme mission d'établir des col-onies et non de décimer les civilisation amérindiennes.

Quel monstre, cet homme avide d'or et de richesses! entendait-on se propager autour de la table. Mais où est donc né ce fou, professeur? je ne pus m'empêcher de lui demander vu les faits d'armes halluc-inants de cet homme que j'aurais bien pu nommer, monsieur catastrophe, sans problème. Le profess-eur, ému par ma remarque pertinente, reprit aussitôt son cours d'histoire. Ce fou, comme vous l'avez si bien nommé, mon cher Rémy, est né en Espagne à Medellin dans une famille de l'ancienne noblesse ayant des liens de parenté avec la famille des Pizzaro qui, n'oublions pas, faisait partie de la petite no-blesse voulant redorer leur blason. C'est dire qu'il n'y avait pas de fumée sans feu, n'est-ce pas, mes amis? lâcha-t-il en plaquant ses mains contre la table. Bref, peu doué pour les études, il en fit peu et s' orienta tout naturellement vers la carrière militaire et, plus précisément, vers la conquête du nouveau monde où il y entrevoyait un rêve de richesse afin de redorer le blason de sa famille. A l'époque, Cha-rles Quint, maître de l'Espagne, des 17 provinces des Pays-Bas, du royaume de Naples et des posessi-ons des Haslbourg, encourageait ces expéditions pour enrichir son empire déjà immensément riche. Fernando Cortez, qui quelques années plus tôt avait abandonné ses études et essuyé quelques dépits amoureux et ne sachant toujours pas quoi faire de sa vie, vit ici une occasion inespérée d'oublier tous ses problèmes et s'engagea comme conquistador dans l'une de ces expéditions vers le nouveau mon-de. Conquistador? professeur, mais qu'est-ce que cela veut dire au juste, demanda un curieux dans la compagnie. Bien, bien, je vois que votre curiosité mérite quelle soit satisfaite et je vais m'y appliquer maintenant! dit-il en maitre de cérémonie. Conquistador veut dire: un homme qui part à la conquête de l'or en vu de s'enrichir et quelles en seront les conséquences sur le monde! Quoi, vous voulez dire que la catastrophe était prévisible par nous tous et que l'Espagne serait sans le savoir le pays qui allait délivrer le diable de sa prison? Après avoir essuyé quelques gouttes de sueur sur son front, le profess-eur dit sèchement : Oui, ceci est parfaitement exact! Oh mon dieu, l'Espagne quelle calamité pour le monde entier! lancèrent certains en levant les bras en l'air, alors que d'autres en pleurant de désespoir.

Au bout de la table, tel un maitre de cérémonie, il sentit qu'il avait atteint l'apogée de son discours et se tut en attendant que son auditoire se soit remis de toutes ses émotions. Après un long silence pe-sant, il enchaîna et dit : Quand les grands prêtres Aztèques et Mayas apprirent la terrible nouvelle( que le diable s'était échappé de la mine appelée mina del diablo à cause de ce Cortez de malheur), il leur fallut peu de temps pour aller prévenir un prêtre catholique missionnaire qui s'appelait le père Don José Luis. Ici, bizarrement, pour la première fois de leur Histoire, ces prêtres se comprirent sur Dieu et Don José Luis écrivit, non sans panique, à son archevêque en Espagne ainsi qu'au Vatican pour leur annoncer que le diable venait de s'échapper de sa prison du Mexique! Aussitôt, la nouvelle enfla-mma toutes les cervelles au point que la folie faillit tout emporter chez ces saintes personnes.

Professeur, votre histoire est sûrement vraie. Car tout a l'heure, j'ai vu le diable devant moi en chair et en os! lança soudainement Rémy en voulant surprendre tout le monde. Mais étrangement la plupart des convives ne s'en étonnèrent guère et même esquissa un sourire en apprenant que leur l'homme providentiel se tenait assis à cette table. Surpris et désappointé en même temps, par l'accueil bien ch-aleureux de son horrible confidence, il se tourna aussitôt vers le professeur comme pour attendre de lui une explication. Hum, hum, mon cher Rémy, dit-il, en se raclant la gorge, il est un fait indéniable que si vous avec pu voir le diable en personne en chair et en os, cela nous prouve à tous que vous êtes notre homme providentiel! Aussitôt les convives s'agitèrent en approuvant la juste analyse du pr-ofesseur et commencèrent à lever leur verre en vu de fêter l'événement. Professeur, lança soudai-nement Rémy, mais ce n'est pas de ma faute si le diable s'est manifesté devant moi! Mais c'est la faute à la médaille! s'écria-t-il en essayant de s'en débarrasser. Non, jeune homme, ne faites pas ça! le me-naça-t-il. Mais pourquoi devrais-je la garder? répliqua-t-il. Parce que vous en êtes désormais le digne propriétaire, lui dit-il d'une manière solennel. Et maintenant, mon cher Rémy, je voudrais vous dem-ander en toute honnêteté, si vous accepteriez de succéder à maitre Balthazart Mostafor?

Autour de la table, un silence énorme s'installa au point qu'on entendit les mouches voler. Mais succ-éder à quoi exactement? lui demanda-t-il en étant plus ou moins abasourdi par cette étrange propo-sition. Mais de poursuivre le diable et de l'assassiner! lâcha le professeur avec une voix de tonnerre. Mais professeur, vous êtes fou! Mais comment le ferais-je, avec mes mains peut-être? lança-t-il d'un air désespéré. C'est vrai, il a raison! s'exclaffèrent les convives en se tournant vers le professeur avec des yeux réprobateurs. Une dernière chose, mon jeune Rémy, avez-vous trouvé avec la médaille, une dague en argent? lui demanda-t-il en se tordant les doigts. Une dague en argent, mais c'est quoi exact-ement? en ne sachant pas ce dont il s'agissait. Une dague, c'est un long poignard ni plus ni moins, lui dit-il en connaîssant parfaitement les détails du dossier sur la loge secrète du Vatican, où le corps du Christ était sculpté sur le manche. Bref, tout un symbole pour pouvoir tuer le diable et ceci pour tou-jours! lança-t-il en voulant rassurer la compagnie qui commençait à s'irriter de ne pas connaitre la fin de l'histoire. Heu, professeur, je suis désolé, mais je n'ai trouvé aucune dague en argent à proximité de la médaille! expédia-t-il en se soulageant d'un grand poids de ne pas pouvoir tuer le diable avec ses propres mains. Tous les convives semblèrent déçus de l'apprendre en regardant le professeur Phileas se crisper au bord de la table. Quant à Rémy, il n'était pas loin de l'hilarité et la cachait sous une bon-homie bonne enfant en demandant un grand verre d'eau à l'aubergiste. Bon, si vous n'avez pas trouvé la dague, il vous sera bien difficile de tuer le diable! dit le professeur d'un air embarrassé. Mais si on la retrouvait, accepteriez-vous toujours la proposition? lâcha-t-il sans prévenir. Oh oui, sans problè-me, répondit Rémy en voulant se faire mousser auprès de toute la compagnie. Ah enfin une bonne no-uvelle! lâcha-t-elle d'une seule voix, heureuse d'apprendre qu'un jeune homme courageux était prêt à relever le défit et d'aller tuer le diable quand il aura retrouvé la dague.

Voici la dague perdue qui devait à servir à tuer le diable!

Le professeur dans son coin semblait jubiler et, huilant ses lèvres, il dit à toute la compagnie : Mes chers amis, buvons maintenant à notre jeune Rémy qui, par son courage et sa loyauté envers notre Ég-lise catholique, est prêt à relever le défit! Que Dieu le bénisse! Que Dieu vous bénisse! enchaina auss-itôt toute la compagnie en levant son verre dans sa direction. A votre réussite! dit enfin le professeur en vidant son verre d'un trait avec un bruit d'enfer. Quant à notre jeune aventurier, buvant son grand verre d'eau, il espérait de tout son coeur que la dague ne soit jamais retrouvée et on pouvait bien le comprendre. Heros malgré lui, il fut aussitôt assaillit de questions par ses voisins de table qui lui de-mandèrent comment le diable s'était manifesté à lui et surtout à quoi il pouvait bien ressembler. Enth-ousiasmé par tant d'intérêts pour son histoire extraordinaire avec le diable, il ne fut pas long à leur répondre en commençant par ces mots : Au début, j'ai cru voir une hallucination quand ma petite mé-daille s'est illuminée de mille feux et le crâne jeter de la fumée blanche!

-De la fumée blanche, vous dites? lui demanda la petite troupe transportée par l'étrangeté.

-Oui, de la fumée blanche, comme si la petite médaille sortait d'un sommeil profond, peut-être des catacombes, je ne savais pas exactement. Puis les deux fémurs, pour une raison inconnue, se sont mis à tourner horriblement vite au centre de la médaille au point de la rendre rouge incandescente, mais sans pour autant me brûler les doigts! ajouta-t-il pour rester dans le paranormal. Tout le monde sem-blait stupéfait par son histoire et l'écoutait la bouche grande ouverte et les oreilles tendues comme celles des petits animaux de la forêt. Quelques secondes plus tard, les deux fémurs se sont arrêtés de tourner pour se confondre l'un et l'autre, comme l'aiguille d'une boussole.

-Comme l'aiguille d'une boussole, vous croyez?

-Oui, du moins ça y ressemblait, répondit Rémy en écarquillant les yeux.

Et c'est en levant les yeux dans la direction de l'aiguille que j'ai aperçu le diable devant moi qui était habillé, il faut le dire, comme un clown, Ah!Ah!Ah! ria-t-il sans en mesurer les conséquences en se moquant du diable.

-Comme un clown, mais en êtes vous sûr?

-Oui, parfaitement sûr..en portant un chapeau biscornu, une veste rouge écarlate, une chemise à pois verts, un bermuda tenue par des bretelles et une paire de sandalettes assorties à l'ensemble! dit-il d'un air ironiique.

-Bien, si vous le dites. Mais vous a t-il parlé ou peut-être dit quelque chose le diable? lui demandait-on avec empressement.

-En fait, il m'a demandé si je m'appelais Rémy Labroque et si je comptais réussir à Paris.

-Et que lui avez-vous répondu?

-Que oui, bien effectivement, et qu'il avait vu juste.

-Mais comment a t-il su que vous vous appeliez Rémy Labroque?

-En fait, je n'en sais rien, mais qu'il me souhaitait une bonne chance!

-Ah, c'était évident qu'il vous parlerait ainsi le diable, avec dans la voix un milliard de tentations pour vous acheter votre âme! lui disait-on avec le cœur plein de jalousies inavouées.

-Et quoi d'autre, mon ami?

-Rien de plus, dit Rémy qui commençait à être un peu fatigué par cet interrogatoire.

-Mais à quoi au juste ressemblait le diable? lui demanda subitement quelqu'un parmi les convives qu'il n'avait pas remarqué jusque là. Cet homme le regardait avec un air étrangement cynique, comme s'il fut un disciple du diable, pensait Rémy avant de prendre la parole avec toute la prudence du mo-nde.

-En fait, le diable ne ressemblait à rien puisqu'il n'avait pas de visage! expédia-t-il à toute la compag-nie qui aussitôt poussa des cris de frayeur. Mais je n'en suis pas entièrement sûr, car un terrible con-tre-jour m'empêchait alors de le voir. Mais fort possible qu'il en eut un des plus banals pour pouvoir s'introduire parmi nous et dans tous les milieux. Bref, comme un beau miroir qu'il nous tendait afin de nous plaire et de nous convaincre de le suivre, rectifia Rémy en voulant rester précis sur les impr-essions que lui avaient laissé le diable.

-Mais alors, le démon peut nous avoir quand il le veut! s'insurgeait-on parmi la compagnie qui sem-blait tétanisée par l'idée que le diable put avoir un physique rigolo et ressembler à n'importe lequel d' entre eux, bref, à monsieur tout le monde!  

Ah!Ah!Ah! surgit soudainement de la table où l'aubergiste trinquait avec une personne qu'il semblait connaître, mais qui cachait sa tête sous un chapeau de feutre vert.

Pendant un instant, Rémy crut sentir sa médaille vibrer sous sa chemise, comme si elle avait détecté la présence du diable dans les lieux. Mais posant sa main tremblante sur sa poitrine, à l'endroit exact où elle se trouvait, il sentit avec soulagement que c'était seulement son cœur qui battait un peu trop fort. Puis voyant l'homme au feutre vert se découvrir la tête devant l'aubergiste, il se rassura aussitôt en affichant sur son visage un large sourire de contentement. Quelques instants plus tard, le cocher et le conducteur de la diligence entrèrent dans l'auberge pour annoncer la reprise du voyage. Une heure s'était passée depuis notre arrivée où nous avions mangé, bu et surtout beaucoup parlé. En sortant de table, j'allai aussitôt récupérer mon panier que j'avais laissé près de l'étable où se trouvait notre dili-gence maintenant rutilante de propreté ainsi qu'attelée à de frais et vigoureux chevaux. Tout le mon-de, en se levant de table, sentit ses jambes peser au moins deux tonnes et leur l'estomac bien indisposé à supporter un voyage en diligence et bien qu'elle fut équipée des nouvelles suspensions à ressort du dernier modèle. Mais l'idée de ne rien faire après le repas leur semblât une chose plutôt agréable, bref, de faire une bonne sieste jusqu'à l'auberge suivante. Pour ne créer aucun scandale à l'intérieur, tout le monde reprit la place qu'il avait depuis le départ et à côté de moi se trouvait à nouveau le croquemort plus mort que nature, en face le professeur avachis sur son siège et à ses côtés la jeune femme qui av-ait fermé, semble-t-il, les yeux ainsi que les oreilles pour ne plus entendre parler du diable. Avant de monter, le cocher me dit, non sans un air cynique, que je pouvais mettre mon panier garni sur la gal-erie, car personne ne le mangerait, Ah!Ah!Ah! Et encore quoi! lui lançai-je en m'insurgeant contre son indélicatesse. Mais sachant qu'il m'avait gène toute la matinée pour étendre mes jambes, je lui accor-dais toute ma confiance.

Débarrassé de mon panier encombrant, je pus enfin étendre mes jambes comme je le souhaitais et sa-ns pour autant en abuser. En face de moi, le professeur Phileas souriait et semblait satisfait par mes sages resolutions concernant aussi bien mon panier garni que mon engagement d'aller tuer le diable quand j'en aurai les moyens matériels. Sages résolutions! semblait-il se dire en sachant bien que c'éta-it moi qui prenait tous les risques, bien évidemment! Mais bon tant qu'on avait pas retrouvé la dague de maitre Balthazart Mostafor, je pouvais dormir tranquille. Bref, comme tout le monde dans la dili-gence qui après avoir déjeuné calait ses idées dans son esprit ainsi que son arrière-train au fond de son siège. Quelques minutes plus tard, après s'être réhabitué au roulis de la voiture, tout le monde s' endormit avec des idées plus ou moins farfelues dans la tête : le professeur avec ses rêves de grande-ur de devenir un jour, le sauveur de l'humanité en tuant le diable et pour l'occasion se faire canoni-ser par le Vatican! Et moi, le bras armé de son extraordinaire audace, qui devrait m'éclipser pour qu'il ait à lui tout seul tous les honneurs, bien évidemment! En le regardant discrêtement de mon siège, je vis sur son visage une sorte de plénitude qui me parut bien exagérée pour le rôle qui voulut bien s' attribuer dans le futur assassinat du diable. Tout ceci, mon cher lecteur, ne manqua pas de me faire sourire au fond de mon siège. A côté de lui, la jeune femme (dont je n'ai pas pu apprendre le petit nom) cachait son visage derrière un énorme chapeau fleuri afin qu'on ne la vit point en train de dor-mir ou peut-être de ronfler, qui sait? Celle-ci semblait partie dans un autre monde où elle était en train de danser une valse dans une prestigieuse soirée à Vienne ou à Paris. Bref, en tournoyant et tou-rnoyant aux bras d'un beau jeune homme qui la faisait rire jusqu'au bout de la nuit. A la voir goûter égoïstement à ses délices, je ne pouvais pas lui en vouloir véritablement, car qu'était-ce une femme sinon qu'une machine à fantasmes? Et que faisaient-ils les autres dans la diligence, sinon la même ch-ose? Bref, où le professeur prenait ses désirs pour des réalités et moi qui souhaitait sortir de cette histoire infernale pour aller me fondre dans la foule quand j'arriverai à Paris et le croquemort qui rê-vait de ne plus avoir affaire aux morts, mais de travailler dans l'administration des vivants! Pour moi tout ceci semblait grotesque et paradoxal, car malheureusement dans ce monde, nous n'étions pas les personnes que nous avions rêvé d'être!

Avec le sentiment que la réalité nous jouait un tour des plus farfelus! Comme ces magiciens qui jou-aient sur les illusions en se basant sur la rapidité du geste en occupant notre regard à autre chose pen-dant qu'ils déplaçaient l'objet recherché. Dans cette réalité étions-nous vraiment des être agissants ou bien de simples spectateurs, je me demandais souvent? Et la question ne fut pas une question de gran-diloquence ou théâtrale, comme être ou ne pas être, mais bien, sommes-nous là ou absent? Dit d'une autre façon, sommes-nous vivants au moment où nous nous exprimons, agissons ou bien répétions-nous toujours les mêmes mots, les mêmes gestes depuis des temps ancestraux comme des petites ma-chines? Là était la question. Et Rémy, par l'acuité de ses sens, sentit qu'il était bien vivant à ce mome-nt présent en arrivant à entrer dans l'imagination des autres, non grâce à la raison, mais grâce à son en-fance nourrie de contes fantastiques. Dans l'autre compartiment de la diligence, tout le monde semb-lait en mode digestion où un silence régnait en ce début d'après-midi, ce qui était pour eux une grande sagesse après avoir écouté à l'auberge des propos ahurissants sur le diable et sur ses voeux maléfi-ques pour les hommes. Se sentant du bon côté de l'humanité, bref, du côté de Dieu, au fond d'eux mêmes, ils plaignaient beaucoup ces hommes et ces femmes qui avaient vendu leur âme au diable pour échapper à leur destin de minables. Pourtant Dieu ne leur avait-il pas dit qu'être pauvre n'était pas un échec, mais une façon d'atteindre la sagesse et la vérité? Alors pourquoi ces êtres maléfiques voulaient absolument réussir par la pire des manières, bref, en employant les moyens du mal pour s' enrichir et se faire estimer par leurs semblables? Toutes ces pensées semblaient tourner au fond de le-urs cervelles, comme un lion en cage. Gêné par le soleil tapant de l'après-midi, on baissa les stores à l' intèrieur de la diligence pour apporter un peu de fraîcheur; mais au bout de quelques kilomètres, on commença à manquer d'air et à suffoquer. " Mes amis, ouvrons les fenêtres, car je crois que nous all-ons rôtir comme des poulets! lança le professeur en remontant le store de sa fenêtre, puis en ouvrant la vitre ou un vent brûlant s'engouffra. Les autres firent de même et un courant d'air à l'intérieur de la diligence fut vite apprécié par tous, au point que le chapeau fleuri de la jeune femme s'envola dans l'habitacle et fit plusieurs tours au plafond avant de se poser sur mes genoux! Après que tout le mon-de ait bien ri de cette distraction, tous semblèrent consternés par une telle coincïdence et commen-cèrent à me jalouser terriblement d'avoir eu cette chance. Mademoiselle, lui dis-je d'une manière cordiale, c'est une chance que le vent ne l'ait point emporté à l'extérieur, sinon il aurait été perdu pour vous!

C'est vrai, dit le professeur Phileas, car je ne pense pas que la diligence se serait arrêtée vu le retatd qu'elle semble avoir pris sur ses horaires déjà tirés aux cordeaux, il faut le dire. Tenez, je vous le ren-ds! lui dis-je en lui remettant entre ses mains. Merci, jeune homme! me dit-elle en me faisant un gr-and sourire qui illumina aussitôt son beau visage. Je sais bien que le temps nous est tous compté pour ce voyage. Mais perdre un si beau chapeau eut été pour moi comme perdre un grand ami, voyez-vous, messieurs. Nous pouvons le comprendre entièrement, dit le croquemort dont le chapeau noir inspirait de macabres idées et certainement pas l'amour ni l'amitié. Mais voyez-vous, continua-t-il, moi aussi, je tenais beaucoup à mon chapeau pour des raisons professionnelles, bien évidemment. Et je pense qu'il m'aurait été impossible d'exercer mon métier sans ce quelque chose sur la tête qui représentait le respect et la décence pour le défunt et sa famille, dit-il en tapotant dessus comme on tape sur l'épaule d'un vieil ami. Nous pouvons le comprendre entièrement, dit le professeur qui ne portait pas de chapeau, mais une serviette contenant un document brûlant de convoitises. Mais la jeu-ne femme, ne voulant pas entrer une nouvelle fois dans ces macabres discutions, lâcha un sourire et se tourna vers la fenêtre comme pour admirer le paysage. J'ai une soif d'enfer! dit tout à coup le prof-esseur. Moi aussi! lâcha quelqu'un dans la diligence, puis un autre dans le compartiment voisin, puis un autre encore au point que tout le monde eut soudainement soif par le simple fait d'entendre ce mot, comme s'il avait entendu le mot délivrance! Bref, un mot ou une idée aussitôt transformée en désir, passion à laquelle on ne pouvait résister bien longtemps. Méditant un instant sur ce que je ve-nais d'entendre, puis obsverver les réactions sur les hommes, il me semblait que l'homme était une machine à idées où les mots avaient une importance primordiale pour le mettre en branle ou en mo-uvement, si vous voulez. En saisissant lucidement qu'un seul mot eut suffit, je pense, à rendre fou un homme ou bien à le rendre meilleur! Et c'est apparemment ce que nous voyons tous les jours parmi nos semblables, n'est-ce pas, mon cher lecteur? Dites un mot de travers à un homme, qui toute sa sie a été frustré de choses élémentaires comme du bonheur ou de la jouissance, je pense qu'il vous en-fonçera son poignard dans le coeur sans aucun remords, je vous l'assure. Alors que des paroles en-courageantes le propulsera à aimer son prochain et à faire le bien autour de lui, n'est-ce pas? Appare-mment, les mots avaient une réalité bien plus proche qu'on le crut. Et que nous étions probablement des machines dont le logiciel était fait d'un texte littéraire plus ou moins bien écrit lors de notre con-ception. Ainsi, je supposais que les mots formaient nos idées, puis nos actions parmi les hommes et, selon la richesse de notre texte intérieur, on avait plus ou moins de talent ou de génie, il ne faut pas se le cacher.

Où certains, à les écouter parler d'une façon fort débridée ou décousue, semblaient avoir hérité d'un texte fragmenté où il manquait des parties pour qu'il soit intelligible. Et à l'évidence pour ces raisons que leurs propriétaires avaient beaucoup de mal à se faire comprendre et à se comprendre eux-mêm-es, ne nous le cachons pas. Bref, étiez-vous en possession d'un texte intact ou bien altéré? Là était la question. Et s'il avait été altéré par la vie, comme par exemple, par une enfance malheureuse où un père violent vous aurait assemé des coups pour se défouler et exprimer ses échecs dans la vie, il ser-ait néanmoins possible pour vous de le reconstituer sachant que le texte intact se trouvait enfoui au plus profond de votre mémoire. Et grâce à un retour au calme et à des conditions de vie plus agréa-bles pour vous, tout concourait à ce que vous le retrouviez en parfait état d'être lu et compris par vous-même afin de vous connaître entièrement. J'imaginais alors votre joie éclater comme un feu d' artifice devant ces retrouvailles entre l'homme apparent et votre être véritable! Par contre si la vie, par un quelconque accident, vous avait causé un traumatisme crânien, je crains que vous devriez dire adieu au programme initial. Car je ne pensais pas que la science pourrait reconstituer votre mémoire et de surcroît le texte original. Mon dieu, les mots, quelle machine puissante pour engager des acti-ons parmi les hommes! Et le souffle quelle machinerie pour les faire sortir hors de soi! De là à dire que les mots n'étaient que du vent et les actions des hommes que des bourrasques épisodiques, en fait, nous en étions pas loin! A ce propos, il m'est souvent arrivé de penser que leurs actions n'étaient que d'inutiles tentatives de faire souffler le vent dans une direction et pas dans une autre, afin de croire qu'ils allaient être maitre de leur destin. Mais sachant que le vent était une chose bien aléatoire et capricieuse, tout pouvait tourner aussi vite dans l'autre sens et se retourner contre leurs auteurs tel un crachat envoyé en l'air qui leur retombait sur le visage ou bien un bâton sur la tête. Ainsi en était-il pour toutes les révolutions entreprises par les hommes depuis des lustres où souvent la barbarie revenait au grand galop, alors qu'ils avaient défendu de soi-disant idées de justice et d'égalité pour tous. Personnellement, je me suis toujours méfié de ces soi-disant grandes idées généreuses, comme d'un enfer pavé de bonnes intention, Ah!Ah!Ah! C'est sûrement mon esprit très indépendant de savo-yard qui me faisait parler ainsi, mon cher lecteur, ce que je ne vous cacherai pas. Et comme en ce mo-ment, je ne peux faire confiance à personne, il m'est très difficile d'extraire la vérité du mensonge dans ce que j'entends autour de moi. Et je ne fais qu'écouter ce que les gens veuillent bien me raco-nter d'allucinants afin de me faire une idée de ce qui les préoccupe et non les critiquer d'une façon obtue, comme les philosophes ou les intellectuels. Je ne peux pas être plus simple avec vous, mon cher lecteur.

Et quand le professeur s'était écrié "J'ai une soif d'enfer!" il aurait bien pu s'écrier "J'ai envie de faire la guerre!" que tous les gens dans la diligence l'auraient suivi sans broncher, je pense. En fait, tout dépendait de la situation politique et économique où notre société se trouvait. Et qu'en remplaçant un mot par un autre, on pouvait complètement changer le sens de notre action et bien que le ton em-ployé fut le même. Comme vous le voyez, je ne critiquais pas les actions humaines( auxquelles, je comptais participer pour mes intérêts personnels), mais plutôt l'amusement instructif qu'elles me procuraient afin de pouvoir tirer mes propres épingles du jeu. Et que les gens ou organisations secr-ètes, qui avaient signé le pacte avec le diable, avaient eux aussi beaucoup à m'apprendre sur les hom-mes et sur la vérité. Mais malheureusement, je n'en connaissais pas la liste complète par le peu de temps que j'avais eu le document en mains, sinon que les protestants et les républicains en faisaient partie. Mon futur grand projet serait un jour de tous les connaître afin de comprendre le monde dans tous ses rouages et non dans ses apparences conventionnelles. En regardant le visage angélique de la jeune femme, qui était d'une blancheur éclatante et piqué de taches de rousseur, je ne pouvais que l' imaginer blonde ou rousse. Et par je ne sais quel heureux hasard ou caprice, la nature l'avait fait blo-nde comme un champ de blé où des yeux d'un bleu très pur ne pouvaient que magnifier la candeur. Eut-elle des nattes blondes que je l'imaginais venir des pays scandinaves ou germaniques. Eut-elle des cheveux plaqués et lissés à la perfection que je l'imaginais vivre dans un château en Suède telle une comtesse entourée d'élégants lévriers et de chats angora. Mais à l'observer très attentivement, je vis que sa coupe de cheveux se situait entre le pragmatisme pour un long voyage et la coquetterie d'une femme qui avait attaché ses cheveux avec un bandeau de couleur rouge. La bouche restait mi-gnonne malgré son état d'assèchement visible causé par la chaleur suffoquante dans la diligence. Plusieurs fois, je la vis passer sa langue sur ses lèvres comme pour les assouplir ou pour les rendre plus attirantes envers la compagnie et même parfois étirer son corps telle une liane raidie et désséch-ée. Habillée d'une robe, pas du tout conçue pour le voyage en diligence, elle semblait souffrir attr-ocement de la mode et des convenances de son époque. A la voir étouffer dans son carcan, je la sentis prête à devenir un garçon et porter des pantalons et pourquoi pas un pistolet pour se défendre en cas? Je ne vous cacherai pas, mon cher lecteur, que toutes ces pensées la concernant, me fit bien rire sur le moment et qu'elle dût forcément s'en rendre compte par ma physionomie exprimant mes folles pen-sées. Par là, je voyais la supériorité de l'homme sur la femme par le fait extraordinaire que la femme souhaitait revêtir les habits intellectuels et vestimentaires de l'homme et non le contraire. Car j'avais beaucoup de mal à croire qu'un homme pût un jour porter des jupes pour ressembler à une fille et prendre du plaisir, AhAh!Ah!

En pensant cela, je ne pdisais pas que les femmes ne méritassent point notre respect, oh non, certa-inement pas. Mais seulement qu'il fallait se méfier des imitateurs du fait qu'ils pourraient bien un jour prendre la place de l'original, ce qui entre nous était une mauvaise chose pour l'harmonie entre l'homme et la femme, n'est-ce pas? Ce qui entraînerait, non forcément la guerre entre les sexes, mais la guerre pour le pouvoir. On disait même chez les musulmans, lorsque l'homme sera devenu une femme et la femme un homme, ce sera la fin du monde! Comme les républicains qui voulaient pre-ndre la place du Roi ainsi que les protestants prendre le pouvoir au Vatican en signant un pacte avec le diable. Dans ce climat insurrectionnel et révolutionnaire, j'étais pour le moins en ébullition, com-me vous l'auriez compris, mon cher lecteur. Quand elle remit son chapeau fleuri dans son carton (qu'elle sortit de sous la banquette), il s'échappa de l'emballage un petit papier qui vint se poser juste à mes pieds. Je ne vous cacherai pas, mon cher lecteur, que ma curiosité pour cette jeune femme ne fit que grandir en moi depuis le départ en sachant d'elle ni son petit nom ni son histoire. Alors que le croquemort et le professeur avaient été très prolixes voir même très envahissant quant à nous raco-nter leur vie peu commune, il faut le dire. En ramassant le petit papier plié en deux pour le lui rendre, je vis furtivement qu'il était écrit dessus, Genevieve Lacase, 3 rue Plantin, Paris. Sur le coup, je pens-ais au nom de la chapelière. Mais après une rapide réfle-xion, il me parut logique que ce nom fut le sien par la façon qu'elle me le reprit des mains avec un sourire coquin. Mais pour une raison incom-préhensible, elle prit le papier et le jeta par la fenêtre, ce qui stupéfia tout le monde! En le regardant partir dans les airs, je crus voir à la place du petit morceau de papier, un petit papillon s'envoler! J'étais surpris et en même temps désappointé par l'image poétique qu'elle voulut bien m'envoyer d' elle tel un amour inaccessible et fuyant. Bref, il semblait régner autour d'elle un mystère qui m'écha-ppait complètement. En me demandant subitement, non sans frayeur, si elle aussi avait signé un pacte avec le diable ou peut-être comptait-elle le signer depuis qu'elle en avait eu connaissance? En fait, je n'en savais rien à cause de tous ces paradoxes ou idées qui me passaient alors par la tête et m'empê-chaient de dénouer le vrai du faux, bref, tant que j'en saurai pas plus sur cette étrange personne. Et l'idée qu'elle put être une voleuse de grands chemins et opportuniste me parut une possibilité comme une autre, bref, une aventurière prête à tout pour faire fortune comme moi!

Je meurs de soif! lança à nouveau le professeur. Désolé, professeur, mais ma gourde est restée dans mon panier! je lui balançai d'une manière un peu expéditive et maladroite. Dommage pour vous! lan-ça aussitôt la jeune femme comme pour l'égratiner. Bon, si c'est comme ça! dit-il en se penchant à la fenêtre pour interpeller le cocher : Oh cocher, avez-vous quelque chose à boire, car ici on meurt de soif! Le cocher, ne voulant pas s'arrêter pour faire boire les gens chez l'habitant ou bien au fond d'une rivière et perdre du temps, lui dit : Attendez, j'ai quelque chose pour vous et lui passa par la fenêtre une gourde en peau de chèvre. Merci, mon ami! dit-il proche de l'évanouissement. Tout le monde da-ns la diligence était fasciné par l'esprit pragmatique du professeur et malgré qu'il fut bardé de diplô-mes et de distinctions académiques. Mais en le regardant manipuler cette gourde pleine d'eau fraîche, ils ne purent que lui trouver des qualités bien plus utiles que des diplômes qui, entre nous, ne pouv-aient pas vous permettre de trouver de l'eau dans la nature ou bien remplir son estomac. Passant leurs langues sur leurs lèvres crevassées et desséchées, ils attendaient tous leur tour de boire le précieux breuvage. Le professeur, conscient de tenir un tel un pouvoir entre les mains, prit son temps et ouvrit sa serviette pour y sortir un gobelet ciselé en argent. Sur le gobelet était ciselé un C et un S ainsi que la croix du Christ. C'était un bel objet que le professeur regarda avec une grande admiration pendant un petit moment et qu'il astiqua avec une peau de chamois qu'il prit dans sa serviette. Mais il en met du temps pour boire, celui là! se disaient les gens proches de la déshidratation et de l'évanouissement. Puis il versa un peu d'eau à l'intérieur pour le nettoyer, puis jeta le contenu par la fenêtre. Et en plus, il gâche de l'eau! s'indignèrent les occupants de la diligence. Conscient d'avoir fait endurer les nerfs de ses compagnons de voyage, comme pour se venger, il remplit le gobelet, désormais propre et raf-raîchi, et lança à la jeune femme : Honneur aux dames! en lui tendant tel un breuvage magique pouv-ant redonner vie à n'importe quelle espèce vivante qu'elle soit végétale ou animale. Merci beaucoup, professeur, je vous redevrais ça! dit-elle en se jetant aussitôt sur le calice en rafraîchissant au passage ses lèvres, sa bouche, sa gorge, son corps ainsi que toutes ses pensées que la chaleur avait asséché les fonds. Tout le monde dans la diligence la regardait avec une envie d'étancher sa soif d'enfer. Le croq-uemort déboutonna le col de sa chemise comme pour mieux respirer et le professeur semblait suspe-ndu aux lèvres de la jeune femme, pressé de récupérer son gobelet en argent. Étant le plus jeune dans la diligence, je savais que j'allais être servi en dernier. Bref, comme dans la société, où l'on estimait que la jeunesse avait toute la vie devant elle pour attendre son tour et en profiter. Ainsi me sentis-je maltraité par mes prédécesseurs et autres persécuteurs. 

Après qu'elle avait vidé son verre, la jeune femme trempa ses doigts au fond pour se rafraîchir le vi-sage avec toute la grâce qu'on attendait d'une jeune demoiselle. Et tout le monde dans la diligence fut conquis par la beauté de son geste. Le professeur, impatient, reprit le gobelet et le remplit à ras bord pour nous montrer sa soif d'enfer et le vida d'un trait comme un trou sans fond. Youhha! lâcha-t-il en s'essuyant la bouche avec son mouchoir pour ne pas être grossier. Mon dieu, comme ça fait du bien par où ça passe! s'écria-t-il pour nous exprimer son contentement d'avoir assouvi sa soif. En face de lui, le croquemort semblait à l'agonie et sur son front dégarni ruisselait des gouttes de sueurs qu'il aurait bien bu s'il avait été tout seul dans un coin de la nature. Mais par politesse et par une longue patience acquise par son métier, il attendit son tour. Tenez, monsieur Coissart, dit le professeur en lui tendant le gobelet, je vais vous le remplir. Merci beaucoup professeur, mais je suis désolé de vous di-re que je ne m'appelle pas, monsieur Coissart! rectifia-t-il sans aucune animosité. Ah bon? fut surpris le professeur en remplissant son verre. Oui, les frères Coissart, c'est le nom des pompes funèbres où je travaille et je n'ai aucun lien de parenté avec la famille. Mon nom est Alphonse Lagouture et si j'ai choisi cette profession, c'est par vocation et non pour faire fortune. Car dans cette profession on chô-me guère pour avoir toujours de la marchandise à emballer, Ah!Ah!Ah! ria-t-il cyniquement pour la première fois. Oh vous le dites bien, mon cher Alphonse! et tout le monde ne peut pas avoir votre ch-ance, dit le professeur admiratif devant une profession sûre de son avenir et de sa pérennité. Vous êtes une sorte de fonctionnaire à perpétuité, n'est-ce pas? lui demanda-t-il. Oui, on peut le dire comme ça, mais sans en avoir les privilèges, malheureusement. Voyez-vous, les honneurs et la gloire ne sont pas faits pour nous, comme vous l'auriez compris. Et c'est bien malheureux, car vous le mériteriez entièr-ement, dit le professeur en finissant de remplir son verre à ras bord. Mais comme j'avais fait aupara-vant un apprentissage dans la menuiserie, où l'ajustement des planches de bois n'avait plus de secrets pour moi ainsi que de la manipulation du marteau à clou, les frères Coissart aussitôt m'embauchèrent pour les avantages que je pouvais leur apporter. Malgré la bouche sèche et le gosier irrité, le croque-mort très calme but son verre avec une grand dignité que tout le monde admira. Il aurait pu être un grand homme, pensaient sincèrement tous les voyageurs, s'il n' avait pas choisi de travailler dans les pompes funèbres!

Gardant toujours le verre entre ses mains dont il admirait les ciselages en argent, il dit au professeur : D'une certaine façon, vous aussi vous êtes un fonctionnaire, non? Quelques secondes plus tard, après qu'il ait tourné sa langue trois fois dans sa bouche, il lui répondit : Oui, d'une certaine façon, vous avez raison. Mais je vous préciserai, mon cher Alphonse, que je ne suis pas payé par les deniers du Roi, mais par ceux de l'Eglise catholique. Mais c'est tout comme, répliqua-t-il, car je ne pense pas que l'Eglise soit un jour rendue au chômage ni ses employés, n'est-ce pas? Oh non, certainement pas, approuva-t-il en voulant récupérer son gobelet en argent, mais que ce dernier ne semblait pas vouloir lâcher, comme s'il le tenait entre deux serres. A ce propos, dit le professeur, je vous confesserai que Dieu était avant tout pour moi mon patron, comme il l'était pour le Roi et pour l'Eglise catholique et que personne ne pourrait le démentir, n'est-ce pas? Le démen..tir, oh non, certainement pas, expédia le croquemort, à part les adeptes de Satan comme on le sait tous ici. Et j'ai souvent pensé, continua-t-il, que Dieu était une sorte de haut fonctionnaire assis à son bureau dans les nuages et régissait le bien sur la Terre, hum? Vous entièrement raison, dit le professeur, enthousiasmé par ces propos. Pour ma part, je crois sincèrement que Dieu était tout simplement un professionnel et, plus précisément, celui du Bien. Et le diable, un professionnel du mal! eus-je la balourdisme de balancer à toute la compa-gnie. Au moins, c'est quelqu'un qui sait faire son job! lança furieusement quelqu'un dans l'autre com-partiment de la diligence et qui jeta un froid dans l'atmosphère. On crève de soif ici! lança aussitôt la même voix. Ah!Ah!Ah! ria le professeur qui comprit sur le coup le sens caché de cette phrase ainsi que tous les voyageurs. On va vous passer de l'eau! lança-t-il en se prenant pour le sauveur de l'huma-nité. Puis reprenant le gobelet au croquemort, il le passa entre les sièges ainsi que la gourde en peau de chèvre. C'est pas trop tôt! entendait-on grogner de la part des autres voyageurs qui crevaient de soif. Ainsi tout le monde retrouva son calme dans la diligence, disons pour un certain temps; car le professeur, ne voyant pas revenir son gobelet en argent massif, s'exaspérait qu'on ne lui rende pas! Remuant sur son siège, comme agité par des hémorroïdes, il ne put tenir un instant de plus et cria son exaspération à travers la diligence : Messieurs et Mesdames, nous attendons toujours le retour du gobelet!   

Prière de le rendre, sinon le professeur va se fâcher! lança-t-il furieusement à travers la diligence. Au-ssitôt, on entendit une lutte s'engager dans l'autre compartiment où un des voyageurs avait semble-t-il voulu soustraire l'objet précieux aux yeux de tous, mais que les autres voyageurs avaient aperçu. Après une lutte acharnée, entre ce malotru et ces gens honnêtes, ils le récupérèrent et le rendirent au professeur, qui fut tout heureux de le saisir à nouveau entre ses mains. Mais pourquoi professeur tenez-vous tant à ce gobelet? lui demandai-je par simple curiosité. Voyez-vous, mon cher Remy, sur ce gobelet en argent est ciselé un C et un S qui signifie Collège de la Sorbonne que mes paires m'ont offert quand j'ai réussi à traduire la langue du diable. C'est comme un trophée! lui lançai-je pour le faire mousser. Oui, mon garçon, c'en est un qui récompense tous mes efforts entrepris dans cette no-ble institution qu'est le Collège de la Sorbonne. Et qui bien sûr sera couronné par les plus grands élo-ges quand vous aurez tué le diable, mon cher Rémy! me dit-il d'une manière toute naturelle. Oh oui, je suis d'accord avec vous, mais il nous faudra attendre que l'on ait retrouve la dague pour pouvoir le faire, n'est-ce pas? ne puis-je que lui opposer. Oui, ceci ne fait aucun doute. Mais je pense qu'on la retrouvera, car Dieu veille sur le Bien et nous guidera sur le bon chemin pour que le Bien l'emporte sur le Mal. Comme il le fut de tout temps! ajouta le croquemort qui semblait se réveiller de sa longue léthargie. De toute façon, les républicains et les protestants ne pourront pas gagner, sinon ce sera la fin du monde pour nous tous! lança le professeur avec grandiloquence. Je suis d'accord avec vous. Mais, mon dieu, comment combattre le diable qui a des armes si redoutables contre nous, hum? lui demandai-je un peu naïvement. Mon cher Rémy, comprenez bien que je ne vous propose pas de vous battre contre le diable, où vous ne ferez certainement pas le poids, mais tout simplement de l'assas-siner par derrière! me lança-t-il avec une féroce conviction et des yeux injectés de sang. Vous voulez dire en traître? Oui, bien effectivement, car le diable a tout corrompu autour de lui afin qu'il gagne à coup sûr. Quoi, vous voulez dire même les plus grandes institutions et leurs dirigeants? Oui, et plus précisément, les institutions démocratiques qui, ne l'oublions pas, sont issues de la Démoncratie, bref, du pouvoir des démons. Nous y revoilà! lança la jeune femme énervée qu'on ne laissât pas le diable dans sa boite où il s'y trouvait très bien. Peuff..lâcha-t-elle exaspérée. Mes amis, si vous cont-inuer à parler du diable de cette façon, je crois bien que vous aller l'attirer dans cette diligence! dit-elle avec du bon sens. Et si c'est votre but caché, professeur, je m'y oppose fermement.

Car nous avons tous payés notre billet pour un voyage tranquille et non pour aller à la recherche du diable, n'est-ce pas? dit-elle comme au bord de la crise de nerf. Mademoiselle, je suis entièrement de votre avis et je pense que nous allons finir d'en parler pour la tranquillité de tous, dit le professeur, en voulant apaiser les tensions ainsi qu'entamer une bonne sieste jusqu'à la prochaine auberge. Avant de m'assoupir, d'étranges idées me submergeaient l'esprit, comme si le professeur avait l'idée farfelue de me faire signer le pacte avec le diable pour m'en approcher et pour l'assassiner froidement! Il est vrai qu'en le signant la chose fut possible et d'un stratège si dieubolique que le diable lui-même ne put contrecarrer. Décidement, le grand homme avait de folles idées me concernant. Mais entre nous qui pouvait lui certifier, après avoir signé le pacte, que je respécterais son engagement? Personne, bien évidemment. Car il était possible aussi en le signant que je devienne un homme fort différent vu que le diable avait l'art d'éffacer la mémoire de tous ces êtres qui avaient signé avec lui un contrat des plus fructueux pour jouir enfin de toutes les richesses de la terre. Et me sentirais-je haï par toute l' humanité (ce qui n'était pas le cas) que j'aurais souhaité qu'on m'offrit un tel contrat! m'exclamai-je en silence dans le roulis intempestif de la diligence. Mais le calme regagna aussitôt l'habitacle au po-int de ressembler à un tombeau monté sur roulettes. Parfois, je ne savais par qu'elle folie de mon im-agination, j'avais le sentiment qu'on nous suivait depuis le départ. En entrevoyant le carosse du diable nous poursuivre sur la route avec toutes ses forces corruptives, ô possibles embarquées! et dans notre diligence ses bêtes de proies où le professeur devait théoriquement nous protéger contre la tentation du mal. Tenant fermement sa serviette entre ses mains, qu'il avait attaché avec une petite menotte, il avait sensiblement beaucoup de mal à trouver le sommeil. De ma place, je l'observais régulièrement y jeter un coup d'oeil comme s'il avait peur qu'on lui la vole. Je pouvais bien évidemment comprendre ses inquiètudes vu le trésor qu'elle renfermait. Où apparemment, je n'étais pas le seul à le convoiter dans la diligence en cachant son jeu, comme dans la vie entre autre. Après 6 heures de route, plus ou moins cahotique sur les routes de Savoie, nous arrivâmes enfin à notre nouvelle auberge qui s'appe-lait étrangement l'auberge des trois servantes! Exténué par le voyage, nous décendîmes sans trop nous poser de questions sur ce nom un peu équivoque des trois servantes et je partis aussitôt récupérer mon panier garni que le cocher m'envoya du haut de la galerie avec force adresse.  

En descendant du véhicule certains voyageurs s'étendirent sur l'herbe afin de soulager leurs fessiers et leurs colonnes vertébrales que le voyage avait, semble-t-il, maltraité. Quant aux autres, ils les regard-aient, non méprisemment, mais comme des naufragés d'un long voyage au bout de l'enfer. Eux, ils av-aient tenu le coup, se disaient-ils fièrement en voulant le montrer à tous. Apparemment, l'orgueil des hommes était toujours aussi vivace et malgré que le voyage en commun fut des plus inconfortables. A la porte de l'établissement se tenait l'aubergiste qui, cette fois-ci, n'était pas petit et ventru comme on aurait pu s'y attendre, mais grand et maigre. D'un air jovial, il semblait très fier de son établissem-ent qui, il faut le dire, était très cossu. C'était une grosse auberge beaucoup plus imposante que celle des trois boussoles où les affaires semblaient marcher du tonnerre! C'est ce que j'ai pu ressentir au premier coup d'oeil en admirant ses couleurs chatoyantes recouvrirent la facade principale d'un rouge éclatant et d'un vert grenouille pour les portes et fenêtres. De même que le propriétaire n'avait pas lé-siné sur les moyens pour décorer son établissement avec de petits tableaux extérieurs, qui décrivaient des scènes d'animaux aux têtes et aux corps étranges. Apparemment, tout cela avait été concocté pour amuser les clients qui, après un rude voyage sur les routes de Savoie, ne désiraient que se changer les idées et se distraire, nécessairement. L'impression n'en restait pour le moins étrange et inconfortable malgré le grand confort de l'établissement où le nombre de chambres, vu la hauteur de la bâtisse, aurait pu accueillir une légion romaine ou toute une armée. Comme le temps était clair et chaud pour le mois de juin où nous nous trouvions, une grande table avait été dressée sur la terrasse pour nous restaurer. Aussitôt, toute la compagnie s'y dirigea sans trop se poser de questions et s'y posa, le gosier sec et l'estomac dans les talons, ce qui enthousiasma l'aubergiste que ses pensées aient été comprises et exécutées sur le champ. Le télégraphe n'existant pas encore, ni le téléphone, il semblait avoir tout prévu et avait disposé le nombre exact de couverts sur la table, c'est à dire huit, bref, le nombre exact de voyageurs que nous étions. Tout cela me parut d'une extraordinaire coincïdence, je me disais en me tenant à quelques mètres de celle-ci sachant que je ne comptais pas m'y instaler pour ne pas épui-ser mon petit pécule que j'avais difficilement acquis. L'aubergiste, enthousiasmé par la bonne humeur de ses hôtes, repartit à l'intérieur de son établissement et sortit quelques instants plus tard avec des carafes d'eau et de vin qu'il porta aussitôt aux convives assoiffés. Quand il les posa sur la table, il le-ur dit avec un accent fort complaisant et enjoué : Messieurs, Mesdames, demandez-moi tout ce que vous voulez et tous vos désirs seront exhaussés!

Toute la compagnie fut alors stupéfaite par la proposition hallucinante de l'aubergiste qui tenait plus du magicien que de l'hôtelier près de ses sous. Moi qui me tenait toujours à quelques mètres de la table, j'observais tout cela avec un grand étonnement, comme si une fois de plus l'endroit sonnait étrangement faux. Le professeur, assis au milieu de la table, comme dans le dernier repas du Christ, lui dit : Monsieur, l'aubergiste, c'est très gentil de votre part, mais nous souhaitons seulement diner et non faire la tournée des grands Ducs. Et puis nous n'en avons pas les moyens! s'exclamèrent certains qui commençaient à compter leurs sous dans leurs mains. Bien sûr, bien sur, je peux parfaitement le comprendre, dit l'aubergiste d'un air calme et rassurant. Mais je tiens absolument que ce repas, qui sera celui de vos rêves, vous soit offert par la maison! Comment? Comment? Mais c'est un rêve ou quoi? lancèrent les gens autour de la table dont l'estomac commençait à gargouiller. Le professeur, très méfiant sur la magie et les situations anormales, dit : C'est très généreux de votre part, mais qui au juste nous offre ce repas qui pourrait lui coûter des millions, hum? C'est un généreux donateur qui vous l'offre et qui se trouve à l'intérieur de l'auberge. Et quand il vous a vu descendre de la dil-igence, exténué de fatigue, il voulait absolument faire une bonne action en vous offrant le repas de vos rêve, dit l'aubergiste, mais qu'il ne voulait pas dévoiler son identité pour ne pas être pris pour un parvenu. Ceci est très noble de sa part et remerciez-le pour sa gentillesse, car si on nous sert pas dans une minute ou deux, je crois bien que nous allons mourir de faim, Ah!Ah!Ah! ria le professeur aff-amé comme une bête. Je veux bien vous croire et je pense qu'il sera conquis par votre savoir vivre et par la simplicité de vos moeurs. Vous savez les gens d'aujourd'hui sont si difficiles à convaincre que même pour tout l'or du monde, ils en sont réduits à devenir des idiots, croyez-moi! Mais je vous cr-ois sincèrement, monsieur, car même mes étudiants refusent parfois d'entendre la vérité et se réfug-ient dans la superstition et la distraction sans lendemain. C'est la génération d'aujourd'hui! lâcha bru-talement l'aubergiste qui semblait connaître, par son métier très au contact avec les hommes, les mo-eurs des nouvelles générations ainsi que les nouvelles idées venant des quatres coins du monde. Son auberge ressemblait étrangement à un carrefour où toutes les nouvelles, plus ou moins farfelues ou très sérieuses, se croisaient, s'interpénétraient grâce à tous ces voyageurs qui y faisaient une halte pendant leur voyage d'affaire. Sous entendu qu'un voyage d'affaire ne signifiait rien de précis, sinon vouloir gagner de l'argent, percevoir des intérêts, gagner des protections ou infuences dans une autre grande affaire qui sera bien évidemment plus fructueuse.

Le mot affaire, comme vous le voyez, pouvait aussi bien signifier une fuite pour échapper à ses créan-ciers qu'à fuir ses propres crimes, n'est-ce pas? Et l'aubergiste à écouter toute la journée des histoires farfelues ou extraordinaires ne semblait plus désormais être impressionné par la folie ou la bêtise des hommes. En étant une sorte de Dieu qui voyait tout, entendait tout. Mais mon cher lecteur, n'anticip-ons pas trop les événements qui pourraient bien nous surprendre, comme un loup dans la bergerie, n'est-ce pas? Mais pour qui au juste travaillait-il, je me demandais? Pour lui? Pour dieu? Pour le diable? En fait, je n'en savais rien, car ma médaille n'avait pas vibré un seul instant depuis mon arri-vée à l'auberge. Et sachant que le repas était offert par la maison, je n'eus aucune hésitation à prendre ma place avec la compagnie, qui semblait fort joyeuse d'un repas gratis et de surcroît à volonté. En m'asseyant, le professeur me fit un signe pour me demander si ma médaille avait détecté la présence du diable ou un de ses apôtres en ces lieux. Mais quand je lui montrais mon calme olympien et sa question si mal venue, je le vis respirer à nouveau et tapoter la table avec ses doigts. Bien, si c'est comme ça, dit-il à l'aubergiste, je prendrais 3 douzaines d'huitres de Cancale avec des toasts beurrés au saumon de Norvège sans oubliez un demi-citron et de l'échalote pour magnifier le tout. Très bon choix, monsieur le professeur, dit l'aubergiste qui, étrangement ne prenait aucune note sur un papier, mais notait tout dans sa tête. Quoi d'autre? lui demanda-t-il en le regardant à moitié satisfait. Bien, si je peux encore, je prendrais un demi-chevreuil rôti avec du gratin dauphinois doré au four, puis une cassolète de champignons sauvages. Je pense que des girolles feront l'affaire et le tout accompagné par un bon vieux Chateau Pétrus, dit-il l'air satisfait de ses choix judicieux. Mais vous êtes fou, professeur, lui expédièrent ses voisins de table, mais vous allez vous exploser le ventre avec tout ça et mourir d'indigestion! Mais non, mais non, mes amis, ne vous inquiétez pas pour moi, j'ai un estomac en acier et une excellente digestion qui me permet d'assimiler un peu tout et n'importe quoi sans éff-orts. Je vous crois entièrement, monsieur le professeur! dit l'aubergiste avec un regard chargé de ma-lices et de mystères. Quant au dessert, nous y penserons tout à l'heure, n'est-ce pas? Mais c'est à cha-cun ses limites, cher monsieur,  dit-il en se retournant aussitôt vers la compagnie. C'est sûr! lança-t-elle en attendant patiemment son tour de commander. Ainsi passa en revue entre les oreilles de l'aub-ergiste tous les plats merveilleux de la gastronomie française. Les femmes, qui ne voulaient pas boire du vin en mangeant, pour ne pas qu'on les vit s'écrouler sous les tables et s'imaginer faire des choses inimaginables, commandèrent du champagne. Ainsi dix bouteilles de Mouton Rothschild furent au menu de ces dames de même que du crabe farci, du homard à l'américaine et des langoustines de No-uvelle Zélande.

Quant à moi, je pris un couscous royal avec un Sidi Brahim pour changer de mes spécialités savoy-ardes dont j'avais lu les qualités culinaires dans les contes des milles et une nuit de Sherazad. Alors que d'autres, plus provocateurs, commandèrent un étouffe-chrétien ainsi qu'une palette à la diable, ce qui ne fut pas du goût de tout le monde, je peux vous le certifier. En pensant que seul l'aubergiste put rire de ces plaisanteries où pendant notre premier jour de voyage, nous avions eu comme une over-dose de diable à toutes les sauces. A notre grand étonnement, cinq ou six minutes plus tard, on vit l' aubergiste suivi de ses trois servantes apporter dans de grands plateaux tout ce que nous avions com-mandé! Il était suivi par la grand-mère, la fille et la petite fille telle que le voulait la tradition depuis des siècles dans la maison qui lui assurait sa prospérité. Étrangement, la grand-mère paraissait fort jeune, la fille encore plus et la petite fille, une gamine qui avait déjà de robustes bras. Après qu'ils les aient déposé au milieu de la table, l'aubergiste dit : Messieurs et Mesdames, je vous crois assez adul-tes pour choisir vos mets sans vous disputer, Ah! Ah!Ah! Nous vous souhaitons un bon appetit! Le professeur Phileas, qui se prenait toujours pour un grand homme, ne manqua pas alors de lui répon-dre : Monsieur l'auberiste, je n'ai jamais vu de ma vie un service aussi rapide que le vôtre et j'espère bien qu'il sera à la hauteur de la réputation de votre Etablissement. Autour de la table, toute la com-pagnie était exaspérée par la grandiloquence inutile du professeur qui retardait ni plus ni moins le repas d'être englouti par leur soin. Je n'en doute guère! répondit-il vu que c'est un homme riche et puissant qui vous l'offre. Remerciez-le plutôt et non ses aimables serviteurs que nous sommes. Bien, alors dites-lui toute notre gratitude pour ce repas digne d'un roi que nous pouvons que flatter la générosité en buvant à sa santé! lança le professeur en s'emparant d'une bouteille de champagne sur la table en essayant de faire sauter le bouchon, tandis que la compagnie affamée et assoiffée rassemblait les verres pour qu'il les remplissent avec générosité. Mais après de multiples tentatives infructueuses de faire sauter le bouchon avec art et élégance, beaucoup de convives se désolaient de la maladresse du professeur pour un geste si simple a faire, au point que ce fut le croquemort qui se proposa de le faire, lui qui pourtant toute sa vie avait fait des mises en bière! Allez, professeur, laissez-moi faire, lui dit-il avec empressement, et ne croyez pas parce que je suis croquemort que je n'ai jamais fait la fête dans ma vie! Ce qui choqua un peu tout le monde, mais en provoquant une soudaine hilarité au-tour de la table, Ah! Ah!Ah! Ah! Ah! Ah!

Moi-même qui assistait à la scene, je ne pus m'empêcher de rire à grands éclats. L'aubergiste et ses trois servantes, qui n'avaient pas quitté la proximité de la table, par politesse n'éclatèrent pas de rire, mais regardaient étrangement du coté de l'hôtel avec un sourire énigmatique. Je vous confirme Me-ssieurs et Mesdames que votre bienfaiteur vous regarde en ce moment de sa chambre et qu'il se félici-te de votre bonne humeur! Intrigués par ce language mystérieux, ils se tournèrent aussitôt du coté de l'hôtel où, après qu'ils aient rempli leurs verres de champagne et des plus chès de Paris, ils le levèrent dans sa direction. Bizarrement, on aperçut personne à travers ces fenêtres innombrables, sauf quelqu-es ombres mobiles sans véritables visages ou expressions. Mais le geste était là pour qu'il soit vu et non pris en défaut, pensions-nous alors prêts à engloutir un repas qui durerait jusqu'au bout de la nu-it vu qu'il était à volonté. Buvant ce breuvage pour la première fois de ma vie, je le trouvais très raf-finé et plein de promesses pour la suite de mon voyage. Quelques instants plus tard, l'aubergiste et ses trois servantes repartirent vers l'auberge pour servir les autres clients affamés de comestibles et d' ambitions, ne nous le cachons pas. Aussitôt, les convives se jetèrent sur les plats comme des tigres et, le professeur, bien qu'il fut éduqué aux bonnes moeurs, n'y échappa pas en sautant sur son demi-che-vreuil rôti telle une bête féroce! Les femmes, outrées par son comportement, lui firent la grimace et l'obligèrent à leur servir du champagne en lâchant ses dents carnassières de la pauvre bête. De l'autre coté de la table, on se battait pour une longe de porc qu'un convive avait pris pour de la poitrine fu-mée qu'il avait commandé d'après ses dires; mais heureusement la dispute se termina après que cha-cun ait retrouvé ses morceaux préférés dans les plats des voisins. En fait, ce fut un véritable casse-tête de retrouver ce que nous avions commandé, car tous les mets avaient été placés apparemment sans ordre dans les plateaux, ce qui créa un gros remue ménage autour de la table pendant un petit moment. Ainsi trouvais-je mon couscous royal à l'autre bout de la table à coté de côtes de porc rôt-ies! Ce qui me sembla fort condamnable si j'eus été musulman de confession! Seul le professeur sem-blait avoir été ménagé en trouvant devant lui ses huîtres de Cancale, son gratin doré au four, sa cass-olète de champignons, son château Petrus ainsi que son demi-chevreuil rôti. Ayant une faim de loup, je ramenais vers moi mon couscous royal et mon Sidi Brahim et commençais à le déguster avec del-ectation. Délicatement, j'arrosais ses fines perles avec de la sauce légèrement pimentée qui avait été mise dans un grand bol, me prouvant qu'ici on était pas avare, puis déposais par dessus les morceaux d'agneaux, de poulets ainsi que six merguez que je goûtais pour la première fois de ma vie. Bref, c' était tout l'orient que je revivais grâce aux contes des milles et une nuit qui avaient autrefois enfla-mmé mon imagination.

Ainsi voyais-je autour de moi, mes hôtes habillés de soie d'or et d'argent, les femmes faire des danses du ventre en mangeant leur crabe farci, les ustensiles de cuisine se transformer en or et les verres en cristal de Venise, les vins rouges en rubis, les vins blancs en diamant cristallin, le professeur en sultan et la jeune femme en princesse orientale et moi son chevalier servant. Apparemment ma tête se trou-blait par toute cette euphorie collective provoquée par ce buffet à volonté et vis un musulman man-ger avec délectation un étouffe-chrétien, le croquemort se changer en soldat Moresque et manger une palette à la diable et moi m'étouffer en mangeant mon couscous royal! Il fallait absolument que je re-trouve mes esprits afin de sortir de cette magie où le diable n'était pas étranger, me sembla-t-il. J'av-ais l'impression que tout le monde perdait la tête autour de moi où j'entendis subitement le croquem-ort commencer à raconter des blagues salaces aux jeunes demoiselles! Il s'agissait d'une pratique cou-rante dans les pompes funèbres où la veuve inconsolable après l'enterrement de son mari se faisait sauter par tous les collègues de la maison! C'était apparemment pour elle, la seule façon d'être conso-lée avant le deuil de ses amours, Ah!Ah!Ah! ria monstrueusement le croquemort complètement ivre. Et puis il enchaîna sur ses collègues qui violaient les mortes dont le corps était encore en bon état! Et que dire des petites filles mortes sans avoir connu l'amour ni l'acte sexuel? auxquelles il fit une hor-rible allusion. Extraordinairement, tout ceci ne sembla choquer personne tellement il avait bu et som-brer comme dans la folie. Le professeur commença à blasphémer sur le Christ qu'il traita d'impost-eur après avoir bu sa bouteille de Château Pétrus suivi de deux bouteilles de champagne. Seule Gene-vieve, ma jeune heroïne semblait garder son calme en buvant peu de vin, mais de l'eau comme par st-ratégie, me sembla-t-il. Ainsi m'épargnais-je de boire mon Sidi Brahim à 14 ° que j'offris à mes vo-isins de table qui furent très heureux de ma générosité. Étrangement, la table ne désemplissait jamais de mets délicieux que l'aubergiste et ses trois servantes par un don divinatoire ravitaillaient au fur et à mesure que les plats se vidaient et l'enthousiasme des convives s'essouffler. C'était une soirée mer-veilleuse qui s'annonçait en voyant passer au dessus de nos têtes, une nuée d'étoiles filantes traverser le ciel piqué de milliards d'étoiles. Aussitôt, les arbres qui nous environnaient s'illuminèrent tels des sapins de noel comme pour nous éclairer jusqu'au bout de la nuit! Et les petits tableaux sur la facade de l'hôtel commençèrent à s'agiter telles des scènes vivantes : où nous vîmes un serpent bleu fluore-scent s'enrouler horriblement autour d'un pauvre petit lapin blanc, ce qui fit rire tout le monde, suivi d'un concert de grenouilles fait de croassements lyriques, puis un concours de jets de langue sur une cible mouvante.

Sur un autre tableau des chateaux en Espagne où l'on vit Don Quichotte et son ami Pancho réussir à battre tous les moulins de la terre! Ensuite des montagnes d'or où des cascades, dévalant les pentes abruptes, avaient le son des pièces d'or et d'argent, puis de riches vergers où poussaient sur les arbres, non pas des fruits, mais des diamants et des rubis! Apparemment, un monde féerique que tout le mo-nde souhaitât investir au plus vite afin de rattraper sa vie ratée à part les poètes et les écrivains qui, comme vous le savez, mon cher lecteur, vivaient d'amour et d'eau fraîche, bien évidemment! Bref, un nouveau monde devenu possible, car tournant ce soir étonnament à l'envers! Mais un monde si capti-vant pour les hommes et les femmes dotés de peu d'imagination, n'est-ce pas? Mais je n'en dirai pas plus pour ne pas être méchant. En regardant avec fascination, tous ces petits tableaux qui s'animaient devant eux, chacun y cherchait la clef magique pour y pénétrer et vivre enfin une vie remplie de succ-ès. Quant à moi, par mon jeune âge, je ne savais pas exactement ce que pouvait représenter une vie ré-ussie ou ratée. Sinon relever d'une question d'orgueil et non d'une profonde réflexion sur soi-même, car au bout de l'histoire tout le monde mourait, n'est-ce pas? Peut-être étais-je trop lucide en ce mo-ment où l'illusion chez mes compagnons semblait faire des étincelles dans leurs cervelles par ce repas gargantuesque offert par un mystérieux bienfaiteur et par un ciel décoré d'étoiles filantes et un spec-tacle digne d'enflammer l'imagination des plus sombres d'entre nous. J'avais le sentiment que mon voyage s'était transformé en colonie de vacances où tous mes compagnons étaient redevenus des en-fants prêts à croire au père noel! Pendant que ces derniers s'amusaient follement, je décidais de sortir de table pour voir ce qui se passait dans les cuisines de l'établissement, afin de comprendre comment cette ogresse magie pouvait bien opérer. Pour passer inaperçu, je pris le chemin des étables et de la remise où, pénétrant à l'intérieur, j'aperçus un superbe carrosse au ton rouge écrevisse virant au bro-nze laqué. A vrai dire, il ressemblait plutôt a un char d'assaut conçu pour les rudes et longs chemins que pour des ballades tranquilles à travers la campagne. C'est le sentiment qui se dégageait de ses superbes lanternes en forme de tête de mort et magnifiquement ornées de léopards et de serpents do-rés à l'or fin. Il me semblait tout particulièrement destiné au voyage de nuit, vu leurs dimensions im-pressionnantes ainsi que par ses gardes boues qui ressemblaient étrangement à des pinces d'écreviss-es recourbées sur les roues dont les rayons étaient fait de fémurs humains!  

En m'approchant de ce corps apparemment vivant, je sentis comme un souffle glacé me transpercer la chair et les os! Puis jetant un coup d'oeil à l'intérieur, je vis du sol au plafond des signes mystérieux faits de lunes bleues, d'étoiles biscornues, de soleils noirs, de tridents, de sirènes voluptueuses et des millions de signatures comme celles que j'avais pu lire sur le pacte avec le diable! Sans nul doute, le diable nous avait suivi sur la route et fait halte dans le même hôtel que le nôtre en notant l'extraordin-aire coïncidence. Etait-ce le fruit du hasard ou bien à un parcourt régulier que le diable faisait d'hôtel en hôtel pour y corrompre les âmes et faire vulgairement son marché? Tout cela était possible. Mais ne voulant pas sortir le monstre de son sommeil profond, qui m'arrangeait bien, je pénétrais à l'intéri-eur de la remise qui était immense. Avec stupéfaction, je vis des centaines de carrosses et de fiacres plus ou moins luxueux qui attendaient après qu'ils aient déposé leurs très ambitieux voyageurs à l'au-berge. Ainsi qu'un nombre impressionnant de vélos garés un peu partout par leurs pauvres proprié-taires qui rêvaient eux aussi d'une grande vie. Avec l'impression que les rois et les reines venaient ici afin d'agrandir leur fortune et leur royaume déjà immense et les parvenus essayer de tenter le diable en voulant jouer dans la cour des grands, ce que le diable pouvait réaliser pour chacun d'entre eux du moment qu'ils étaient prêts à leur vendre leur âme en toute conscience et honnêteté. J'avais le senti-ment que ce pacte avec le diable ne fut pas sans fondement moral ou éthique en demandant à son sig-nataire une totale adhesion à ses principes fondés sur le mal. Et que tout engagement biaisé ou insin-cère de sa part put empêcher le diable de posséder une âme fraîche et dispos pour accomplir ses mé-faits en toute impunité dans la société des hommes. Et depuis des lustres qu'il s'était installé dans no-tre vie quotidienne, jamais il n'avait eu de scrupule à revêtir les habits d'un saint pour se prendre pour Dieu. Ainsi naquit notre incompréhension pour les guerres entre les hommes, les fleaux et les catas-trophes naturelles qu'on ne put s'imaginer venir d'un Dieu bon et clément. Le monothéisme put-il être une erreur, quand nous constations ici plutôt un duotheisme? Bref, un dieu à 2 têtes, mais incon-cevable par notre esprit habitué au chiffre 1 ou 0? Le nombre 2 put-il être le nombre magique pour nous ouvrir l'accès à l'univers?  

Me questionnant sur toutes ces choses qui me passaient par la tête, j'entendis soudainement des voix venir des étables voisines. M'avançant avec toute la prudence du monde, je vis deux chevaux à pois verts et bleus discuter ensemble : Alors qu'est-ce qu'il t'a promis le Grandé?( je supposais qu'il parlait du diable). Hé ben, il m'a promis deux ailes afin que je puisse voler comme Pégase et parcourir le monde sans devoir user un seul de mes sabots! Elle est chouette ton idée! lança l'autre cheval plein d'entrain. Et toi qu'est ce qu'il t'a promis? Moi, il m'a promis des sabots en or afin que je puisse séduire toutes les juments de la terre et devenir la légende du cheval aux sabots d'or, hiiiii, hénnisa-t-il tout en se dressant sur ses pattes arrières. Oh, oh, ne t'emballes pas comme ça, camarade, c'est pas encore gagné! Et je vois que tes sabots sont pour l'instant bien crottés! lui expédia-t-il sans ménag-ement. Mais j'admets que c'est un beau projet pour un cheval comme toi de diligence. L'autre baissa alors l'encolure en regardant tristement ses sabots crottés et déjà bien usés par les longues courses quotidiennes. Et à quelle heure, il t'a promis le grand rêve? Je crois que c'est à minuit pile que le Gra-ndé opère ses transformations dans l'auberge pour tous ceux qui le veulent bien, forcément. Stupéfait d'entendre pour la première fois de ma vie parler des chevaux, je sentis que j'étais entré dans un autre monde qui m'accordait des dons jusque là inconnus par moi-même. Pourtant, je n'avais signé aucun pacte avec le diable, mais il fut possible que ma petite médaille accrochée à mon cou me permit d'ent-endre parler les animaux comme d'une chose tout à fait normale! Où peut-être s'agissait-il ici d'un piège tendu par le diable ou bien d'un privilège qu'il voulut bien m'accorder avant que je signe la dec-ision irrévocable? me demandai-je en tremblant. En fait, je n'en savais rien en continuant à m'avancer à l'intérieur des étables qui étaient immenses. Un peu plus loin, j'entendis du bruit me parvenir et, m'y précipitant avec toute la prudence du monde, je vis une bande de lutins qui chantait et dansait au ryt-hme d'une farandole : Dansons la carmagnole, vive le son, vive le son! Dansons la carmagnole et tous s'en vont! Dansons la carmagnole, vive le son, vive le son! Dansons la carmagnole, c'est moi le pa-tron! Caché derrière une botte de paille, je ne vous cacherai pas que leur joie de vivre m'enthousias-ma véritablement, mais sans en connaître la raison exacte. Quelques instants plus tard, ils s'assirent tous en rond en se tenant la main comme des enfants, puis le plus grand, qui faisait à vue d'oeil 1 ou 2 centimètres de plus que les autres, se plaça au centre pour prendre la parole : Mes chers amis, leur dit-il, ce soir nous allons enfin vivre notre grand rêve qui est celui de devenir grand! Youpii! Youpii! lancèrent-ils en applaudissant avec une grande ferveur. 

Et de combien de centimètres? demandèrent-ils de concert. De 40 centimètres! m'a dit le Grandé. Et de partout? demanda un lutin qui regardait sa braguette. Mais oui, mes amis, de partout! Oh mon dieu enfin le grand rêve qui se réalise! lancèrent-ils en se prenant tous dans les bras. Bien que le tableau fut très émouvant, j'avais l'impression d'être tombé chez les fous. Mais il est vrai fort amusant pour moi. Tout en m'avançant avec toute la prudence du monde dans cette cour des miracles, un peu plus loin, je vis un vieil homme en train d'écrire à côté d'un petit enfant. Visiblement, il semblait très absorbé par son travail au point de délaisser quelque peu le petit garçon qui jouait à ses cotés avec des fétus de paille dans lesquels, il soufflait dedans ou bien utilisait comme son grand-père tel un crayon. A les voir tous les deux si proches et si lointains en même temps, j'avais l'impression que le petit garçon était ni plus ou moins le vieil homme dans son enfance. L'enfant s'ennuyant visiblement lui demanda soudainement : Oh grand-père, alors qu'est-ce qu'il t'a promis le Grandé? Le vieux, levant les yeux de son cahier, lui répondit : Vois-tu, mon enfant, le Grandé m'a promis la gloire littéraire! puis replon-gea aussitôt dans son ouvrage. Abasourdi par cette réponse, qu'aucun enfant ne put comprendre le se-ns, je compris que le vieil écrivain (qui semblait être un écrivain raté) s'entretenait en vérité avec l' enfant qu'il avait été. Mais c'est quoi la gloire littéraire? lui demanda-il subitement. Le vieil homme, frappé par la naïveté de l'enfant, leva à nouveau les yeux de son ouvrage et lui dit : Vois-tu, mon ga-rçon, la gloire littéraire, c'est la consécration dont rêve tout écrivain pour justifier sa vie. C'est à dire de mettre fin à une vie souvent remplie de malheurs et d'expériences pénibles pour lui, tu peux me croire, mon petit! puis replongea l'air pensif dans son ouvrage qui lui semblait plus important que la vie qui pourtant s'adressait à lui par l'intermédiaire de l'enfant. C'était là visiblement le grand para-doxe de l'écrivain qui préférât délaisser la vraie vie pour se consacrer, comme on dit, à l'orgueilleuse littérature, bref, au monde imaginaire. Sincèrement, je le plaignais terriblement d'avoir choisi cette voie sans issue dont le regret se faisait sentir dans sa confession intime avec lui-même. Bref, d'avoir si peu joui de la vie en se consacrant à l'ingrate littérature ou plutôt à l'ingratitude des Hommes, si je voulais être plus exact. Mais ce soir, mon petit, tout cela va changer, car le Grandé m'a promis le grand rêve! dit-il en levant les yeux vers le plafond de l'étable où les planches de bois l'empêchaient pour l'instant de voir le ciel et la voie lactée. Soudainement, je vis le vieil homme presser l'enfant entre ses bras et le bercer de paroles très très douces.

Ce fut si émouvant pour moi que je sentis à cet instant que le vieil homme et l'enfant s'étaient récon-ciliés avec leur passé, leur présent et leur avenir, non grâce à la justice ou la bonté de dieu, mais grâce au pouvoir du diable de pouvoir changer le destin de chacun d'entre nous. Qui l'eut cru? m'interro-geai-je ému jusqu'aux larmes caché dans mon coin. Apparemment, le diable me séduisait de plus en plus dans ces étables appartenant à l'Histoire cachée des hommes. Poursuivant mon chemin à travers ces sombres allèes, j'aperçus un peu plus loin, un petit homme coiffé d'un bicorne montrer une im-patience folle à vouloir monter sur ses grands chevaux, au point d'épuiser les nerfs de son aide de camp et de ses officiers attentifs à ses désirs. L'attente lui semblait si longue qu'il faisait avec une gra-nde nervosité des aller-retours dans l'étable, la main sur l'estomac en faisant une horrible grimace, comme s'il n'arrivait pas à digérer la réalité ou une chose comme ça. Alors qu'est-ce qu'il vous à pro-mis? lui demanda l'un de ses officiers. Le Grandé m'a promis d'éclatantes victoires militaires sur to-ute l'Europe sur laquelle, je bâtirai mon Empire! lança-t-il avec toute la fougue qu'on attendait de lui que les autres applaudirent à grand fracas. Gloire au Grandé! Gloire au Grandé! Gloire à Satan! lâcha soudainement le petit homme qui mit aussitôt son bicorne de travers ressemblant désormais aux cor-nes du diable! Troublé par tous ces engouements frénétiques des locataires de l'étable à vouloir chan-ger leur destin par la grâce du diable, j'entendis un plus loin des boeufs réclamer, avec de forts mugi-ssements, une paire de cornes supplémentaires, puis des moutons bêler pour avoir chacun une toison d'or, puis des poules caqueter bruyamment pour pouvoir pondre des oeufs d'or! Bref, tout ce bruit in-fernal autour de moi, concernant les attenttes délirantes de mes hôtes, finit par me rendre complèm-ement fou au point de vouloir sortir de cet endroit au plus vite pour ne pas prendre mes désirs pour des réalités, pensai-je lucidement en arrivant à la fin des étables où j'apercus une porte donnant derri-ère l'hôtel, comme je l'avais espéré. En passant ma tête en toute discretion par l'embrasure, j'aperçus enfin les cuisines de l'auberge qui étaient immenses et ressemblaient étrangement à l'antre de l'enfer ou un feu gigantesque intérieur brûlait continuellement afin de servir tous les clients affamés de l' auberge. Poussé par la curiosité, je sortis en longeant un long mur de briques rouges, puis trouvant un point de vue idéal pour observer sans être vu, je fus saisi par le beauté du site où se trouvait en fa-ce des cuisines, une immense contrée sauvage qui s'étendait à perte de vue au point de ressembler au grenier de la Terre!

En contre bas de riches vergers coloraient la campagne de fruits de toutes les espèces qu'on ne put s' imaginer ainsi que des potagers de la taille d'une contrée, des sources donnant aussi bien les eaux les plus pures de la terre que les meilleurs vins comparables aux vins du Bordelais ou de la Champagne. Ainsi qu'une forêt magnifique abritant toutes les espèces animales afin de servir les meilleurs tables de l'auberge par sa proximité. Elle ressemblait à s'y méprendre plutôt à une reserve animale qu'à un parc animalier, me sembla-t-il. Quelques instants plus tard, je vis un géant coiffé d'une toque( qui se-mblait faire au moins 2 mètres!) sortir de ses cuisines et, à l'aide d'une petite clochette, appeler une bête qu'il souhaitât cuisiner. Sans attendre bien longtemps, un chevreuil se présenta à lui et le suivit dans les cuisines comme pris par un ensorcellement magique. J'en croyais pas mes yeux de voir ces choses se passer si facilement pour le chef cuisinier! Je savais bien ce qu'allait devenir la pauvre bête, mais j'étais un peu trop loin pour voir en détail la découpe de l'animal, puis de sa préparation soit en sauce soit en rôti, malheureusement. Quelques minutes plus tard, il ressortit avec une clochette diffé-rente qu'il fit sonner avec énergie pour recevoir en un rien de temps des corbeilles de fruits et de lég-umes que des lutins déposèrent à ses pieds. Ce monde avait tout l'air d'un conte magique, pensai-je en m'approchant avec prudence des cuisines qui sentaient diablement bon! Poussé par ma terrible curio-sité, je longeais le mur qui à fur et à mesure devenait de plus en plus chaud, comme si je m'approch-ais de l'antre de l'enfer. Au point que je dus m'en écarter pour ne pas être moi-même grillé par les fla-mmes de l'enfer. Après avoir franchi un muret, où je faillis me brûler les mains ainsi que le derrière, j'aperçus enfin l'entrée gigantesque de la cuisine, éblouissante de mille feux, qui donnait sur le gren-ier de la terre, mais sans trouver un coin d'observation discret. Mais après quelques recherches, je re-marquai, non loin des fenêtres des cuisines, de grosses barriques de vin ou d'elixir de jeunesse (je ne savais pas exactement) et m'y portai sans trop réfléchir. Vu leur contenance, qui pouvait bien faire 10 000 litres de vin ou autre breuvage magique, toute chose ici me semblait disproportionnée, bref, à l' image de la dépense gargantuesque du diable où le " tu gagneras ton salaire à la sueur de front" fut considéré ici comme une ineptie! A travers les vitres des cuisines, un foyer incandescent brûlait conti-nuellement afin de servir en temps voulu tous les clients de l'auberge, mais sans apercevoir aucune brigade ou armée de marmitons telle qu'on pouvait les voir s'agiter dans les cuisines des plus grands restaurants!

De même aucune grosse cuisinière en fonte qu'un bon cuisinier ne put se passer pour élaborer ses plats les plus délicats, mais un immense feu central où le géant jetait dedans tous les ingrédients néc-essaires pour réaliser ses plats en un tour de main, il faut le dire. Ainsi, je le vis jeter dedans des mor-ceaux de lapin, puis par dessus quelques poudres magiques comme pour les épicer ou bien amorcer le processus, en fait, je n'en savais rien. Dans le feu incandescent dansaient avec ivresse des poêles et des chaudrons de toutes sortes que le chef cuisinier semblait commander au doigt et a l'oeil ainsi que la hauteur du feu. J'avais l'impression qu'il avait pactisé avec le diable pour avoir tous les pouvoirs dans sa cuisine! me sembla-t-il, comme l'aurait rêvé tout chef digne de ce nom, ne nous le cachons pas. Le géant avait un nez immense que le feu avait rougi et noirci par endroit telle une aubergine, mais s'en servait à merveille pour sentir et surveiller tous ses plats sur le feu. Son visage était d'un rouge éca-rlate et ne lui manquait plus que des cornes pour ressembler au diable et ses mains étaient cramoisies comme par une trop longue exposition à la chaleur incandescent de l'antre. Sur de longues étagères, près de la porte d'entrée, se trouvaient des milliers de clochettes qu'il utilisait pour se servir dans sa réserve de nourriture. Sous chacune d'elle était inscrit l'ingrédient concerné afin de faciliter le bon fonctionnement des cuisines qui, ne nous le cachons pas, avait le rythme d'un fast food. Sans prévenir, je vis le géant sortir avec une de ces clochettes, puis la faire tinter afin de confectionner son prochain plat. Aussitôt, un énorme cochon se présenta à lui et le suivit à l'intérieur des cuisines. Tout en gro-gnant bruyamment, ce dernier ne sembla pas très perturbé ou révolté contre son horrible sort ni le vo-ir trainer des pattes, vu l'engouement qu'il prit à suivre son maitre cuisinier. Puis le faisant entrer da-ns une sorte de tunnel près du feu, quelques secondes plus tard, il sortit en rondelles de saucissons, jambons, Jésu, rosette de Lyon et poitrine de porc! et le tout transporté sur un tapis roulant. Il n'avait alors qu'à les poser sur les plats commandés par les clients que les trois servantes allaient servir avec toute la courtoisie qu'on leur connaissait. Enfin, je connaissais le secret sur la rapidité de son service! m'exclamai-je avec joie derrière mes barriques. Bref, une chose qui me paraissait maintenant tout à fait cohérente, n'est-ce pas? Comprenez par là, mon cher lecteur, qu'étant désormais habitué à la ma-gie rien ne pouvait plus me surprendre où les choses anormales étaient devenues normales et les cho-ses normales, anormales. C'est comme si vous nourrissiez tous les jours un tigre qui à la longue fini-rait par trouver cela tout à fait naturel et logique.

De même qu'un homme politique payé grassement par le peuple qui trouverait sa situation normale et légitime ainsi qu'un jeune homme vivant dans un pays libre qui abuserait de la liberté d'expression pour dire la vérité à ses contemporains. Bref, de nouvelles habitudes pour moi qui me permettaient d' accéder à un état supérieur de la conscience par la puissance de ses répétitions sur mon corps et sur mon esprit. Satisfait par mes découvertes, je repris le chemin des étables afin de regagner mes compa-gnons qui, pensai-je, devaient se faire exploser la panse. Ma montre marquait minuit moins quart qu-and retournant à l'intérieur, je sentis comme une grosse agitation préoccuper l'esprit des bêtes et des hommes. Où visiblement, ils semblaient tous prier à leur nouvelle vie en regardant le plafond qui da-ns un quart d'heure allait s'ouvrir comme la mer d'Egypte à Moïse! En fait, Moisis fut ici plus appro-priè pour nommer le diable que tout le monde appelait Le Grandé avec un léger accent espagnol vu qu'il avait été libéré par un espagnol dénommé Cortez de sa mine du Mexique Mina del diabolo. Mais ne voulant pas écouter leurs dernières incantations diaboliques, je franchis vite fait les étables pour rejoindre la remise, puis mes compagnons que j'entendais de loin parler très fort et pousser des excla-mations de joie, ce qui me surprit qu'à moitié à vrai dire. Mais chose extraordinaire, quand je repris ma place, je m'aperçus que mon couscous avait disparu! En me demandant avec emportement, mais quel zigotto avait pu me le prendre pendant mon absence? Mais comme je ne voulais accuser perso-nne, sans le prendre sur le fait, je me mis à scruter toutes les assiettes des convives en m'apercevant avec stupeur que le professeur était en train de manger mon couscous sans aucune culpabilité! En étant pas loin de lui sauter à la gorge pour lui montrer ma réprobation sur ses nouvelles moeurs dep-uis le début de ce repas gargantuesque offert par un bienfaiteur inconnu. Sur ses genoux se trouvaient une jolie fille à laquelle il demandait de mordre dans une merguez en ricanant honteusement. Décidé-ment, le professeur prenait ses désirs pour des réalités, Ah!Ah!Ah! riai-je dans mon coin en voulant absolument connaître la suite. Mais un geste déplacé qui ne sembla pas choquer la jeune fille, pour être complètement ivre, en se saisissant de la merguez pour la glisser d'une manière obcène dans sa bouche et la croquer telle une bête féroce où un liquide rouge sanguignolant gicla entre ses lèvres pulpeuses! Le professeur, profondément choqué, pendant un instant, fit une horrible grimace en sim-ulant la douleur, puis éclata de rire, Ah!Ah!Ah! En saisissant que la jeune fille bien que ivre voulait lui montrer ce qui pourrait lui arriver s'il prenait ses désirs pour des réalités, Ah!Ah!Ah! Mais pour ne pas perdre son aplomb en tant qu'avocat et lui montrer que la femme était l'égale de l'homme, il prit une merguez dans son assiette et mordit dedant avec voracité. Rham! lâcha t-il pour lui montrer sa bestialité à lui aussi. Ah!Ah!Ah! éclatèrent-ils soudainement de rire comme deux enfants qui s'étaient pris à leur propre jeu.

Apparemment, tout sembla rentrer dans l'ordre, mais avec le sentiment d'être victime d'une grande ha-llucination depuis notre départ en diligence. Car entre nous, mon cher lecteur, qu'est-ce qu'un voya-ge sinon qu'une grande hallucination en visitant les illusions du monde? Et si les voyages, parait-il, formaient la jeunesse, j'étais convaincu qu'ils n'étaient qu'une illusion, Ah!Ah!Ah! Autour de la table tout le monde semblait avoir perdu la boule à cause de ce repas gratuit et à volonté où d'autres voy-ageurs s'étaient aglutinès pour son ambiance dégantée. En ne croyant pas un seul instant que la jolie fille eut l'ambition de voler la serviette du professeur pour réaliser tous ses rêves en signant le pacte avec le diable. Car vu leur état d'ébriété avancé, ils semblaient tous vouloir jouir du moment présent où toute lucidité fut à bannir pour retrouver l'état d'une bête heureuse, Ah!Ah!Ah! Avec la certitude que cette nuit, le diable n'aurait aucun pouvoir de faire signer son pacte à de la viande saoule prête à s'éffondrer de fatigue ou la force de tenir une plume entre les mains, Ah!Ah!Ah! C'était l'impression générale qui se dégageait de cette fin de soirée où, il faut le dire, j'en avais trop vu pour que ce soit vrai. Par magie, ma haine envers le professeur s'envola en le considérant désormais comme un min-able quand il avait trop bu et trop mangé et bien qu'il fut bardé de diplômes académiques, Ah!Ah!Ah! Quand minuit sonna, nous eûmes droit à un fabuleux feu d'artifice au dessus de nos têtes qui enthou-siasma tout le monde afin de clôturer semble-t-il cette soirée féerique que nous venions de passer en-semble. Décidément, notre bienfaiteur inconnu était un homme riche et puissant! pensions-nous alors totalement séduits et prêts à nous éffondrer de sommeil. Mais à notre grand étonnement, quand le sp-ectacle prit fin quelqu'un frappa soudainement sur la table avec le dos d'une cuillère pour attirer no-tre attention. Aussitôt, nous aperçûmes le conducteur de la diligence nous dire avec une voix claire et assurée : Messieurs et Mesdames, une minute d'attention, je vous prie. Demain, la diligence partira à 8 h et je compte sur votre exactitude, n'est-ce pas? Merci et bonne nuit! Malgré qu'on entendit quel-ques grognements parmi les convives, tous était convancu que toute bonne chose avait une fin et qu' il était temps d'aller se coucher pour restaurer nos forces en vue de reprendre ce voyage peu banal, il faut le dire. A proximité de la table se tenaient l'aubergiste et ses trois servantes qui aussitôt nous co-nvièrent à gagner nos chambres dans l'auberge en nous disant : Messieurs et Mesdames, je vous prie de nous suivre où chacun aura une chambre individuelle. Youhaa! lancèrent les convives qui n'en cr-oyaient pas leurs oreilles. Et nos bagages et nos bagages? demandèrent avec inquiètude ceux qui ten-aient à leurs affaires personnelles, comme à la prunelle de leurs yeux.

N'ayez crainte, mes amis, vos bagages sont dans vos chambres! dit-il d'une manière toute naturelle en ne sachant pas comment il avait pu résoudre ce problème puisqu'il ne connaissait ni nos noms ni nos bagages attitrés. Décidément que de mystères dans cette auberge au nom étrange des trois servantes où en état semi-comateux, nous suivîmes nos braves serviteurs à l'intérieur de l'etablissement. Devant le comptoir de l'hôtel, l'aubergiste au lieu de nous donner les clefs de nos chambres, nous donna à chacun un jeton de casino où était inscrit un numéro. Ce qui nous étonna beaucoup, il faut le dire, en supposant que le numéro devait correspondre à notre chambre. Mais rassurez-vous, mes amis! dit-il d'un ton paternel, toute les chambres ont un verrou pour assurer votre sécurité, Ah!Ah!Ah! ria-t-il avec ses trois servantes qui n'avaient pas l'air bien fatigué malgré qu'elles aient porté des centaines de plateaux repas durant la journée. Bref, avec le sentiment d'être dans un casino où les numéros sur les jetons avaient une signification magique ou maléfique. J'avais hérité du numéro 66, ce qui ne m'em-ballait pas vraiment. Allez, suivez nos charmantes demoiselles! dit-il en parlant de ses trois servantes, qui aussitôt nous conduisirent à nos chambres en empruntant un très long escalier qui semblait nous mener vers l'echaffaud vu que nous tenions à peine sur nos jambes. Quand on ouvrit ma chambre, j'eus l'heureuse surprise d'y trouver mon bagage et mon panier garni, ce qui me rassura sur le sérieux de l'établissement. Après avoir fermé le verrou intérieur, je m'assis sur mon lit et ouvris mon panier garni pour combler ma faim, vu que le professeur avait dévoré mon couscous sans ma permission. Décidément, la prévoyance savoyarde quelle formidable idée pour arriver en un seul morceau à des-tination! pensai-je en m'allongeant sur mon lit avec une cuisse de poulet entre les dents. Et quelle ex-traordinaire journée, il venait de passer! s'enthousiasmait-il avant de sombrer dans un sommeil profo-nd. Pour une raison inconnue, durant la nuit, il fit un horrible cauchemar où il aperçut un prêtre qu' on précipitait du haut d'une fenêtre d'un établissement hôtelier! Bref, un crime qui pour lui était un non sens en s'attaquant à un homme de bien, n'est-ce pas? Malheureusement, comme les lieux étaient plongés dans une grande obscurité, il n'eut pas le temps d'apercevoir le visage du criminel qui appare-mment se tenait derrière sa victime pour la pousser. Quand il s'écrasa au sol devant l'entrée de l'hôtel où une lanterne rouge éclairait les lieux, un inconnu entendit son cri et se précipita pour lui venir en aide. Avant de mourir, le prêtre lui dit : C'est le diable qui m'a tué! C'est le diable qui m'a tué! S'il vo-us plait, prenez ma médaille et ma dague pour poursuivre ma mission! Mais de quelle mission vous voulez parler, monsieur? lui demanda l'homme pris par l'étrangeté de la situation. Malheureusement, le prêtre n'eut pas le temps de lui dire de quelle mission il s'agissait et expira dans un dernier soubres-saut.

L'inconnu, qui semblait être l'homme à tout faire de l'hôtel, partit prévenir aussitôt son patron pour signaler l'accident mortel et bien évidemment sans lui déclarer les objets qu'on lui avait transmis. Etant donné qu'il pourrait les revendre au poids de l'or et de l'argent pour mettre un peu de beurre da-ns ses épinards, Ah!Ah!Ah! Rémy comprit aussitôt le sens de ce cauchemar qui ressemblait étonnam-ment à l'histoire de maître Balhtazard Mostafort que lui avait racontée le professeur philéas, mais do-nt on avait plus de nouvelles depuis très longtemps. C'est à dire d'un émissaire envoyé par le vatican pour aller tuer le diable! Connaissant désormais d'une manière inattendue les circonstances de sa dis-parition, mais aussi de sa dague en argent qui elle-seule eut le pouvoir de tuer le diable définitivem-ent, Remy se saisit de sa petite médaille et la caressa comme un petit trésor de guerre en sachant qu' elle seule avait été retrouvée dans la région. Peut-être parlerait-il de ce rêve au professeur ou bien le garderait-il pour lui afin que la dague ne soit pas découverte et poursuivre la mission de maître Ba-lthazard Mostafort? se demandait-il en essayant de retrouver le sommeil. Décidément, ce serait non, pensa-t-il, afin de ne pas gâcher son voyage ou Paris l'attendait les bras ouverts!

Retour chez Marie-Christine au Domaine de l'Espérance

En arrivant à proximité de la proprièté, Jean-Jacques fut surpris de voir sur les murs alentours des inscriptions odieuses concernant sa bienfaitrive: Marie la révolutionnaire! Marie la folle! Marie la sorcière, le bûcher t'attend! Choqué par ce qu'il venait de voir, il se tourna discrêtement vers elle et vit qu'elle avait mise sa main sur sa bouche comme pour étouffer un cri. Mais ne voulant pas se montrer discourtois, en tant que nouveau locataire, il ne dit rien et attendit que la calèche se positi-onne devant le portail. Xavier! dit-elle soudainement. Oui, Madame. Vous direz à Grandin qu'il effa-ce toutes ces odieuses inscriptions et dites-lui aussi qu'il me prelève un échantillon de cette peinture qui a servit à écrire ces grossièretés, car je compte les analyser dans mon laboratoire. Très bien, ma-dame, repondit Xavier avec une sorte de vénération non déguisée. Jean-Jacques, assistant à toutes ces choses bien étranges, se demandait s'il n'était pas descendu chez la maison des fous? Et lorsqu'ils arrivèrent devant le portail, un petit groupe d'enfants en guenilles assaillirent la calèche comme pour demander l'aumône à sa bienfaitrice. Avec la dure impression de redescendre de son piédestal en vo-yant cette concurrence déloyale lui damer le pion, estimait-il. Mais quand il vit sur le visage de sa bienfaitrice réapparaitre les traits de la joie, il ne put s'empecher de sourire à ce tableau plein de ch-arme où la fée avait de nouveau sorti sa baguette magique.

Mais attendez, mes petits! Mais attendez qu'on vienne vous ouvrir le portail et qu'on vous restaure! dit-elle avec dans la voix une chose qui n'appartenait pas à ce monde, mais à un monde extraterrestre. Jean-jacques, pleurant d'émotion et ne pouvant contenir ses larmes, se mit à regarder intensément sur le mur, la plaque de la propriété ou il était marqué : Domaine de l'Espérance. Emu jusqu'aux larmes, il dit du bout des lèvres : Oui, nous sommes bien au domaine de l'espérance, bref, à la maison du bo-nheur, reconnaissait-il avec humilité. Quelques instant plus tard, un homme grand et robuste accom-pagné de son chien vinrent ouvrir le protail; c'était Grandin et son fidèle compagnon Mirette. Une bousculade à l'entrée du portail faillit sortir Grandin de ses gonds, mais il se calma dès que sa maitr-esse lui dit : Grandin, appelez Maria et dites-lui de preparer des couverts pour ces jeunes affamées. Car je crains, s'ils attendent trop longtemps, qu'ils meurent de faim et je m'en voudrais pour le resta-nt de mes jours, dit-elle comme une sainte. Jean-Jacques toujours posée sur son petit nuage compr-enait par toutes ces bizarreries qu'il était tombé sur une autre planéte où apparemment la maitresse des lieux était une illuminée. Et d'après ce qu'il avait entendu sur Marie-Christine, elle était une so-rte d'alchimiste puisqu'elle avait demandé a Xavier que Grandin prelève des échantillons afin de les analyser. Et les inscriptions sur les murs ne voulaient-elles pas dire qu'elle était un peu sorcière? Mais où se trouvait donc la vérité se demandait-il d'une façon tourmenté. Et quand il posa le pied de-vant l'escalier du petit manoir, il lui demanda aussitôt à voir son laboratoire. Mais ne veut-tu pas manger avant? lui demanda-elle avec dans les yeux comme une envie de ne pas trop en dire. Géné d' avoir été trop loin le premier jour, il lui répondit : Oui, mère, vous avez entièrement raison et j'aim-erai bien manger avec nos chers petits arrivés. Ah je suis content de voir que cela ne te génes pas d' aller manger avec eux où, il faut le dire, les voir engloutir leurs repas comme des tigres va sûrement beaucoup t'amuser, Ah!Ah!Ah! Oh oui, ça j'en suis sûr, dit-il en comprenant ce qu'elle voulait dire. Mais j'aimerais aussi connaitre à chacun leur histoire, car ces enfants abandonnées ont sûrement bea-ucoup de choses à nous raconter, n'est-ce pas? Je peux comprendre ta curiosité, mais crois-moi ne cherche pas d'une manière ou d'une autre à les interroger, car ils se refermeront aussitôt conne des huitres. Tu ne sais pas, mais les enfants sont des anges et les choses horribles qu'ils ont vecu sont co-mme des choses déjà oubliées. Et si tu es temoin d'une de leur confidence fait mine de ne pas t'y inte-rresser, car ils devineront que tu les épies et les enfants ont horreur de ça. Jean-Jacques buvant les paroles de sa bienfaitrice comme un elixir dut s'avouer qu'elle avait quelque chose qui lui échappait complètement. Pour lui, Marie-christine n'avait pas 29 ans, mais elle semblait en avoir 200 avec tou-tes les apparences de la jeunesse.

Avait-elle le secret de la jeunesse éternelle et concoctait-elle ses elixirs de jouvence ou potion magi-que dans son laboratire? se demandait-il en passant son bras sous celui de sa bienfaitrice, comme vo-ulant l'entraîner vers des chemins que peu d'hommes auraient eu le courage d'emprunter. Etrangem-ent depuis son arrivée dans la proprièté, le petit poignard dans sa poche avait gardé le silence et il se demandait pour quelle raison? D'habitude, lui si arrogant en sachant tout sur tout, avait-il quelque chose à lui cacher? Avait-il perdu une partie de ses pouvoirs en pénétrant dans ces lieux ou bien att-endait-il le moment propice pour me faire un résumé de la situation. Jean-Jacques perplexe, mis sa main dans sa poche et le sentit tout fievreux et tremblant de froid ou de peur, il ne savait pas exacte-ment. Quand il le sortit pour le mettre sur la table à la vue de tous en faisant mine de s'en servir pour couper du pain, tous les enfants soudainement s'arretèrent de manger en le regardant avec plein de te-rreur, comme s'il le connaissait. Troublé par ce qu'il venait de commettre, il le remit aussitot dans sa poche en disant a l'assemblée sans un trait d'humour: Ah, Ah, le pain est si tendre ici qu'il est inutile d'avoir un couteau, n'est-ce pas, mes amis? Tous les enfants, étonnés par cette phrase à laquelle ils n' avaient rien compris, restèrent un instant les yeux effarés, puis replongèrent leurs têtes dans leurs assiettes de petits pois et pommes de terre où un morceau de lard bien gras restait tout de même a sucer avant la nouvelle diète. La salle était grande et vaste avec de longues tables pouvant accueillir toute la misère du monde! pensait-il sans ironie, mais avec un grand respect pour sa maîtresse qu'il considérait désormais comme sa mère. Assis devant lui, une dizaine d'enfants habillés en guenilles que la vie avait maltraitée pour des raisons que personne ne connaissait, sinon les intéressés et leurs tortionnaires. Il aurait tant aimé leur parler afin de connaître la vérité de chacun en vue de rétablir un jour la justice dans la socièté. Car l'ignorance était pour lui la raison de l'injustice où l'Histoire col-lective était la somme des histoires individuelles, découvrait-il avec étonnement devant son assiette qui lui avait été servie avec amour par Maria, l'intendante de la maison. Et en résolvant tous les pro-blèmes individuels, on resolverait par la même voie tous les problèmes de la socièté en vue de cons-truire une socièté idéale où la souffrance n'aurait plus lieu d'exister, pensait-il avec enthousiasme en dévorant son repas. Malgré son jeune âge de 16 ans, il sentit qu'il avait une grande âme prête à sauv-er le monde de la destruction, mais sans savoir comment y parvenir pour l'instant. Nul doute qu'il était un jeune idéalise que Marie-Christine avait pressentie, comme un futur justicier ou chevalier pour retrouver l'assassin de son mari, le journaliste, Pierre Libe. Et malgré qu'il fut de confession protestante, elle comptait le convertir au catholiscisme afin de parfaire son éducation.

Car pour elle, le protestantisme était la religion du diable en vue de créer le chaos sur la terre! Et Martin Luther ne s'était-il pas opposé au pape, comme au bon dieu, disait-on dans les milieux saints? N'était-ce pas la preuve qu'il voulait détruire l'autorité de pape ainsi que la mission du Vatican à pér-énniser le message bienveillant du Christ : où les pauvres entreraient les premiers au paradis et les riches en second du fait qu'ils avaient joui de la vie? Ce qui bien évidemment avait irrité les protes-tants et tout particulièrement Luther en y voyant une possibilité de créer un schisme diabolique. En exploitant l'affaire des lettres d'indulgences, alors qu'elle était paradoxalement une manière de faire entrer au paradis les plus riches, n'est-ce pas? Puisqu'elles leur permettaient, moyennant de l'argent, d'être absous de tous leurs péchés ou disons d'une partie! N'était-ce pas le voeux de la réforme pro-testante, mon cher lecteur? A l'évidence, Luther ne cherchait qu'à semer la zizanie dans la religion catholique en étant un apôtre du diable. Et toutes les nuits, parait-il, le diable venait le visiter en éla-borant son plan d'une manière insidieuse. Le pape Leon 5, qui savait lire entre les lignes, compris au-ssitôt le jeu machiavélique de Luther et lui demanda de se rétracter sachant que sacrifier une partie de son argent était une manière d'imiter le voeux de pauvreté du Christ, n'est-ce pas? Mais le moine refusa et fut excommunié pour hérésie. Jean-Jacques, âgé seulement de 16 ans, n'avait pas tout à fait conscience que sa religion fut une religion hors la loi dans le royaume de France. Ayant perdu sa mè-re à sa naissance et vu son père jeté en prison pour proxénétisme et sa maison partir en fumée à cause d'une rumeur qui disait qu'elle était hantée par le diable, il se sentit très seul au milieu de tous ses enfants orphelins qui semble-t-il n'étaient pas prêts à partager ses malheurs. Pour être accaparés par des malheurs peut-être plus grands que les siens? se demandait-il en observant la salle qui semblait avoir été autrefois un grand salon d'apparat, mais transformé en refectoire par Marie-Christine pour des raisons pratiques. Les murs étaient recouverts par une belle tapisserie décorée de motifs buco-liques et champêtres afin de mettre à l'aise les hôtes de passage. En montrant des paysans au moment des semailles ou de la récolte, une vue plongeante sur le lac d'Annecy où sur les hauteurs des gens s' entretenaient paisiblement en admirant le spectacle grandiose du site et des animaux de ferme heu-reux de travailler pour les hommes, comme l'avait souhaité le dieu de la création. A mi-hauteur se trouvait un portrait de François de Sales, l'enfant du pays qui, avec une grande virulence, s'était opp-osé à la contre-réforme protestante, lorsque Genève s'était déclarée ville protestante afin de ne plus dépandre des Français et de Rome. C'est dire une déclaration de guerre à peine déguisée aux puiss-ants royaumes catholiques, n'est-ce pas?  

Un peu en dessous du plafond, il y avait une série de tableaux représentant les fables de la Fontaine dont les enfants semblaient subjugués par les images animalières cachant comme des messages subli-minaux. Pour ma part, étant un amoureux des livres depuis mon plus jeune âge, je connaissais les fables de la Fontaine où le corbeau et le renard était ma préférée. Car j'ai toujours aimé faire parler les gens afin de connaître la vérité. Sous entendu que le fromage était une métaphore de la vérité, bien entendu. Si j'avais certainement de la ruse, ce ne fut pas à but lucratif, mais seulement pour sau-ver le monde du mensonge endémique." Telles étaient alors les pensées du jeune Jean-Jacques devant le tableau éloquent de ces orphelins maltraités par la vie que Marie Christine comptait sauver d'un destin funeste. Quand Maria apporta le dessert composé d'un gros gâteau au chocolat, tous les enfa-nts jetèrent des cris de joie, Youhaa, Youpi! Et là pas trop vite les enfants, dit-elle, en le posant sur la table. Il y a un nombre exact de part et si l'un d'entre vous en prend deux, un de vos petits camarades n'en aura pas! précisa-t-elle afin qu'aucune injustice soit commise au sein des enfants dont la nature égoïste n'était plus à démontrer. Ce qui jeta comme un froid autour de la table, mais remit les cho-ses à leur place avec un message de bon sens, n'est-ce pas? En les regardant dévorer chacun leur part, j'avais le sentiment que c'était la première fois qu'ils goutaient à un gâteau au chocolat dont le cacao, il faut le dire, était une denrée chère puisque importée des Amériques ou d'Afrique. Mais grâce à son frère, Paul Varenne, qui s'était exilé en Amérique suite à des heurts avec la baronnie du coin où il était devenu un riche céréalier, il lui versait 10 milles livres de rente par an pour financer son oeuvre de bienfaisance appelée le domaine de l'espérance. En oubliant jamais de lui envoyer des sacs de ca-cao d'une trentaine de kilo afin de réjouir les enfants abandonnés ou en fuite à cause de maltraitanc-es familliales. Sans occulter l'effet antidépresseur du chocolat que les Mayas appelaient la nourriture des Dieux. Avec le sentiment qu'elle voulait les élever aux rangs des dieux ou du moins dans la reli-gion catholique, comme des petits enfants du bon dieu. Où apparemment, manger bon, pouvait aussi nous aider à devenir bon! méditait Jean-Jacques en croquant pour la première fois de sa vie dans un gâteau au chocolat où une sorte de bien-être l'envahit soudainement. Marie-Christine, qui avait en-tendu de l'agitation dans le refectoire, ne tarda pas à arriver afin d'en connaître la raison. Car bien qu' elle fut d'une grande générosité d'âme, elle ne tolérait pas le désordre dans sa maison. En s'arrêtant devant l'entrée, elle jeta un regard inquisiteur sur tous les enfants qui avaient semble-t-il retrouvé le calme. Bien, mes enfants, dit-elle, après le repas vous irez vous doucher pour que vous soyez des enfants propres. Puis, on vous donnera des vêtements neufs pour être présentable en société.

Jean-Jacques, dit-elle, vous aiderez Maria à préparer le bain des enfants où nous constituerons deux groupes : un groupe pour les filles et un autre pour les garçons. Oui, maman, lui dis-je sans hésiter un instant en sachant que cela ne pouvait que lui faire plaisir d'être appelée ainsi devant toute l'audi-toire. Car entre nous, mon cher lecteur, n'était-ce pas le rêve de toute femme d'être appelée maman? Et de surcroit Marie-Christine dont le mari assassiné ne lui avait pas donné d'enfants? Avais-je été trop loin ou bien était-ce de ma part une juste récompense envers ma bienfaitrice dont je désirais être le fils idéal voir irréprochable? Apparemment, troublée par mon expression, je sentis sur son visage comme un frémissement de joie parcourir aussitôt son corps, telle une mère tenant enfin entre ses bras l'enfant désiré depuis toujours. A l'évidence, Marie-Christine et moi étions deux êtres idéalistes qui par un mystérieux hasard s'étaient trouvés, n'est-ce pas? Bien évidemment, on ne savait pas pour combien de temps, mais pour l'instant c'était bien une réalité. Et par ce petit incident, d'aspect banal, j'avais sans aucun doute augmenté mon prestige auprès des enfants qui pensaient que j'étais le fils de la patronne pour être clair. Ce qui ne me gênait pas pour le moins du monde en voulant connaître à tous leurs histoires tragiques. Et que d'être considéré comme leur grand frère me sembla comme la meilleure façon d'y parvenir. Avant de partir vers d'autres occupations, Marie-Christine me lança un regard plein de reconnaissance à rendre jaloux tous les enfants sans familles dans la pièce; mais dotée d'une grande psychologie, elle n'insista pas pour ne pas accentuer leur desespoir. Ce que je compris immédiatement en ne montrant aucun orgueil, mais en allant aider Maria à préparer le bain des enfa-nts. Quand je sortis du refectoire, je suivis un long couloir où deux portes plus loin, j'aperçus Maria me faire un signe d'entrer apparemment dans une salle d'eau ou salle de bain. Au milieu de la pièce carrelée, il y avait deux grandes bassines de forme circulaire pouvant contenir au moins cinq à six personnes. Tiens, remplis-les avec de l'eau chaude, me dit-elle, en me tendant un tuyau en caoutcho-uc sortant d'un grand reservoir en metal ressemblant à un chauffe-eau. C'était la première fois de ma vie que je voyais une telle installation dans une maison où l'organisation semblait huilée comme une machine. Sûrement une invention venant d'Amérique, pensai-je, non sans admiration ou peut-être une machinerie empruntée aux bains thermaux de l'antiquité? Car je savais que l'eau chaude n'était pas une invention nouvelle, mais déjà employée dans les thermes à Rome où le citoyen était sensible à la propreté du corps. Où, il faut le dire, on employait un grand nombre d'esclaves pour entretenir le feu afin de produire de l'eau chaude en grande quantité. En revenant à la réalité, je vis Maria tirer sur un fil suspendu au plafond, un long rideau afin de séparer le bain des filles des garçons. A l'évidence, j'allais devoir m'occuper du bain des garçons et elle des filles. Ce qui ne me gênait pas en comptant me rendre utile à maman et au domaine de l'espérance dans lequel, j'avais de grandes ambitions hum-anistes.

Quand j'eus fini de remplir les deux bassines, Maria deversa dedans une sorte de produit moussant que je crus sortir d'un miracle en sentant si bon. C'est quoi exactement? lui demandai-je avec plein de curiosité. C'est un produit d'hygiène que Madame fabrique dans son laboratoire de même que des savons très efficaces pour enlever la crasse, Ah!Ah! ria-t-elle en pensant aux enfants dont la crasse avait sûrement plusieurs mois. Ce que je ne doutais pas en sachant que de se laver sous la pluie ou au bord d'une rivière ne fut pas la meilleur methode pour devenir propre, pensai-je en toute lucidité. Une fois de plus, j'étais impressionné par les talents d'alchimistes de Marie-Christine de vouloir am-éliorer le sort de l'humanité. Quand Maria me passa ces petites savonnettes de formes rectangulaires que je n'avais jamais vu de ma vie, je fus saisi par le produit fini qui avait une très bonne odeur, comme celle des fleurs. Avait-elle trouvé la pierre philosophale? me demandai-je avec admiration en pouvant transformer toutes ses idées en biens utiles pour chacun d'entre nous? Certes, ce n'était pas la transformation du plomb en or, mais sûrement quelque chose de plus important qui ferait la mode de demain ou les usages, n'est-ce pas? A l'évidence, Marie-Christine était en avance sur son temps sur le plan de l'hygiène, quand Maria m'apporta des serviettes éponges pour sécher les enfants après le bain, puis des brosses en crin de cheval pour enlever la crasse endémique de nos sociètés vivant toujours au moyen-âge. Décidément, une organisation dressée au cordeau dans le but de réinsérer les enfants dans la socièté, n'est-ce pas? En ne pensant à aucun moment que les enfants puissent être réf-ractaires à la propreté même s'ils devaient se mettre nu devant leurs autres petits camarades. Sous en-tendu que de se laver était une façon pour eux de nettoyer leur passé calamiteux et de recommencer une nouvelle vie avec une peau neuve. Et Marie-Christine ne leur avait-elle pas promis des vêtem-ents neufs? Va chercher les garçons, me dit Maria avec un ton énergique. Bien, lui répondis-je sans contester son autorité en repartant vers le refectoire non sans inquiètude sur mon autorité personn-elle. Allez, les garçons, suivez-moi pour la douche! lançai-je dès que je franchis la porte. A ma gra-nde surprise, ils se levèrent tous comme une petite armée à mes ordres! Visiblement, depuis que j' étais entré au domaine de l'espérance, j'avais comme repris du poil de la bête en doutant moins de moi-même, ce qui était un bon début pour se faire entendre de nos semblables, n'est-ce pas? La plu-part avait une dizaine d'années et n'étaient pas encore des adolescents. Et sur ce plan là, avec mes sei-ze ans, j'étais le plus agé, mais aussi le plus grand de taille, ce qui m'arrangeait bien pour affirmer mon autorité. Prenant la tête de la troupe, je les menais vers la salle de bain où la peur des enfants ét-ait discernable par des chuchotements aussitôt étouffés.

Mais je m'en souciais guère en étant pas un père fouettard pour eux, mais plutôt un ami, bref, un grand frère. Car ayant été maltraité par leurs parents ou leurs maîtres d'apprentissages, ils avaient be-soin d'une nouvelle référence pour devenir des adultes épanouis et transformer la socièté en une so-cièté juste et bonne. Pour la simple raison que j'étais convaincu que l'homme était né bon, mais que la socièté de son temps le rendait méchant! En le voyant tous les jours autour de nous, n'est-ce pas, mon cher lecteur? Et que la méchanceté soit gratuite ou inexpliquée, quand elle vous tombait dess-us, elle découlait d'un principe simple d'un manque d'éducation des gens ou pour aller jusqu'au bout de ma pensée d'une humanité plongée dans l'ignorance par nos institutions politiques. Pour je ne sav-ais quelle raison, j'étais traversé par toutes ces pensées, alors que j'aurai pu m'interesser à autre cho-se de bien plus amusant, n'est-ce pas? Mais visiblement, le sort du monde et de mes semblables sem-blait être ma grande préoccupation existentielle parce que j'étais sans aucun doute quelqu'un de bien ou de bon, ce qui revenait au même. Car en retrouvant une mère adoptive avec Marie-Christine ainsi son amour, j'avais de nouveau confiance à l'humanité et prêt à défendre mes semblables contre la ty-rannie des puissants! Quand je franchis la porte de la salle de bain, suivie par ma petite armée en gu-enilles, Maria m'envoya un grand sourire en voyant que j'avais exécuté ses ordres et que mon autori-té n'avait pas été remise en question par les enfants. Bon travail, nous formons une bonne équipe, me dit-elle en soulevant le rideau pour nous laisser passer. Mais non moins troublé par son expression; car pour vous dire toute la vérité, je ne comptais pas de devenir domestique au domaine de l'espéra-nce, mais plutôt un savant voir un génie! Avec la ferme intention d'en parler à maman afin de précis-er mon statut au sein du Domaine. Mais toujours prêt à donner un coup de main si cela était nécessa-ire hors de mes temps d'études, bien évidemment. Ce qui n'était pas de l'orgueil de ma part, mais une simple mise au point où Marie-Christine m'avait donné la mission de trouver l'assassin de son mari, le journaliste, Pierre Libe, et non de faire le ménage. Et fort possible qu'elle m'ait testé le pre-mier jour afin de savoir si j'étais un gros fainéant ou bien un homme de bonne volonté. Compte tenu que son enquête ou recherche de la vérité pouvait durer des années voir une décénnie sachant que la just-ice était quasiment inexistante, sinon prendre les gens en flagrant délit. Ce qui était très rare pour ne rien vous cacher où moyennant de l'argent, les plus riches pouvaient se payer un témoin pour avoir un alibi auprès du tribunal! Décidément, Marie-Christine n'était pas prête à résoudre son enquête et moi de même à moins d'utiliser mon poignard magique qui connaissait le passé comme l'avenir; mais qui pour l'instant était resté muet pour une raison que j'ignorais en pénétrant au domaine de l' espérance.

Allez, les garçons, déshabillez-vous et entrez dans le bain! leur lançai-je, comme si je m'adressais à l' humanité pour qu'elle se débarrasse de sa crasse endémique. Mais étrangement, ils semblèrent tétani-sés par l'idée de se mettre nus devant leurs petits camarades ou peut-être tenaient-ils tant à leurs gue-nilles et à leurs godillots troués? je me demandais curieusement. Car j'avais remarqué, durant ma pe-tite expérience chez les hommes, que certains portaient un amour véritable pour leurs vieux vêtem-ents usés jusqu'à la corde en les considérant comme une seconde peau. Ce que je pouvais entièrem-ent comprendre quand on avait pas les moyens d'en acheter de nouveaux. Mais maman ne leur avait-elle pas promis des vêtements neufs ou l'avaient-il déjà oublié, me demandais-je en les regardant co-mme des idiots ou des têtes de bois. Mais rassurez-vous, mes enfants, après votre bain vous aurez dr-oit à des vêtements neufs. leur dis-je comme une perspective d'avenir réjouissante pour des orpheli-ns. Chouette dans ce cas! s'écrièrent-ils de concert en commençant à se déshabiller entièrement ou j' aperçus leurs petits corps maigrichons ainsi que leurs zizis qui pour l'instant ne servaient qu'à faire pipi. En sachant bien que l'enfance était par définition un monde sans sexualité à moins qu'elle ait subi des violences sexuelles? je me demandais en voulant rester lucide devant des enfants dont je ne connaissais pas le drame personnel pour l'instant. Avec l'idée que toute éducation sérieuse d'un ho-mme devait se faire avant l'age de la sexualité qui, comme nous le savions tous, chamboulait tous nos sens ainsi que notre raison, n'est-ce pas? D'où l'importance d'éduquer les hommes dès l'enfance pour en faire des adultes animés par la sagesse et non par la violence issue de l'ignorance. Avec l'idée saugrenue qu'un retard de la sexualité eut comme conséquence un développement d'une super inte-lligence! Bref, un grand projet d'avenir pour l'humanité, n'est-ce pas, mon cher lecteur? Plongés dans une eau chaude parfumée aux senteurs de fleurs grâce au bain moussant, je les voyais retrouver le sourire tels des enfants au paradis. Sans aucun doute pour eux , un bain de jouvence ou une façon de retrouver leur virginité, pensai-je en leur passant des savonnettes ainsi que des brosses pour se déba-rrasser de leur crasse existentielle. De l'autre côté de la pièce, derrière le rideau, Maria s'occupait des filles comme une petite mère. Et des rires enfantins nous parvenaient, comme si le domaine de l'es-pérance était devenu un paradis pour les enfants. Avec le sentiment qu'un joli conte s'écrivait devant moi où tous nos rêves se réaliseraient comme par enchantement grâce à maman. Au point d'imagi-ner après le bain, un goûter fait d'un grand bol de chocolat au lait avec des tartines beurrées larges comme des roues de charrettes, puis des jeux dans le parc où une fête foraine aurait élu domicile!

Décidément, je revenais en enfance par leur présence et par celle de maman qui nous offrait sur terre un lieu idyllique pour nous épanouir et devenir heureux. Vivais-je dans la réalité ou bien étais-je en train de fantasmer sur mon bonheur qui dorénavant ne serait plus entâché par la méchanceté des ho-mmes? me demandai-je le souffle coupé par l'émotion. Mais voyant les enfants plutôt s'amuser dans leur bain que de se décrasser, je pris l'initiative de les brosser avec energie afin de leur montrer c'était quoi se décrasser. Car l'exemple fut pour moi la meilleur façon de leur enseigner les rudiments de la propreté. Et n'oubliez pas de vous laver la tête, leur lançai-je où leurs longues tignasses devaient he-berger des colonies de poux et de tiques suceuses de sang. Maria, qui m'avait entendu, me passe au-ssitôt sous le rideau, un flacon où il était écrit dessus shampoing. Apparemment, un produit d'ori-gine anglaise, pensai-je, que Marie-Christine avait dû importer d'amérique ou peut-être élaboré dans son laboratoire. Car si nos grand-mères utilisaient des jaunes d'oeufs ou de l'argile pour se laver les cheveux, le shampoing de maman sentait très bon et ne semblait pas irriter les yeux des enfants, qua-nd je me mis à leur frictionner la tête. C'était sûrement la première fois qu'ils se lavaient les cheveux avec un produit facile à l'emploi et dosage à souhait. En les voyant se passer le flacon dans un élan de solidarité pour que chacun profite de ses bienfaits. Quand au rinçage, je décidai d'utiliser le tuyau d'eau chaude pour me faciliter la tâche, ce qui ne les choqua pas vu que c'était très éfficace en pre-nant peu de temps. Mais je vous avouerai, mon cher lecteur, que j'étais épuisé dès le premier jour au domaine de l'espérance. Et je me demandais si c'était bon signe pour moi ou bien l'épreuve du feu pour tout candidat à aimer ses prochains? Sachant qu'il y avait devant moi un tas de guenilles pleines de puces que je ne voulais pas toucher de peur d'attraper des maladies. Par précaution, je pris un balai et les éloignai des enfants qui dorénavant étaient propres comme des sous neufs. Maria, mais que dois-je faire de ces vieux vêtements? lui demandai-je à travers le rideau. Brûle-les dans la chau-dière en utilisant les grandes pinces qu'il y a à proximité. D'accord, c'est compris, lui répondis-je en ouvrant le foyer de la chaudière où je jetai ce tas de guenilles dans le feu. Mais qui ne semblait pas être au goût des enfants vu leurs têtes éffarées! En pensant que certains avaient dû laisser dans leurs poches des objets auxquels ils tenaient beaucoup, comme de petits coquillages ou de petites pierres brillantes ou un ruban en soie ramassés au cours de leurs vagabondages ou chapadages. Car quel enf-ant n'aimât pas emporter dans ses poches son petit trésor, mon cher lecteur et de surcroit quand il était sans famille? Et chaque soir de le regarder avec fascination entre ses mains avec l'impression de posséder quelque chose?

En ce moment, j'étais sûrement un monstre pour eux; mais entre nous n'étaient-ils pas venus de leur plein grès au domaine de l'espérance afin d'oublier leur douloureux passé? Sans prévenir, Maria me passa les guenilles des filles sous le rideau pour effectuer la même opération à laquelle je comm-ençais à prendre à coeur en les regardant brûler comme de vieux oripeaux. Après avoir refermé le fo-yer de la chaudière, tout le monde se sentit nu en attendant les évènements à venir. Allez, les garçons, sortez du bain et prenez une serviette pour vous sécher! leur dis-je en leur distribuant une à chacun. Puis, quand vous aurez fini, enveloppez-vous avec pour aller chercher vos habits neufs. Aussitôt, Maria qui m'avait entendu me dit : Emmène-les dans la pièce à côté où ils pourront se vêtir, comme des garçons de bonne famille. Sans tergiversser, j'entraînai avec moi ma petite troupe en file indienne vers ce lieu magique où les enfants allaient retrouver leur dignité. La pièce était vaste et haute où des étagères n'en finissaient pas de s'étendre jusqu'au plafond dans lesquelles étaient rangées soigneuse-ment par taille des vêtements et des chaussures. Une longue échelle coulissante sur un rail permettait d'y accéder sans grande difficulté. Au sol se trouvait encore des ballots de vêtements qui n'avaient pas été ouverts où ils étaient écrits dessus : Made in Boston. Décidément, l'Amérique était en avance sur notre vieille europe en confectionnant des habits en quantité industrielle pour revêtir le cul de monde, pensai-je avec admiration. A la vue de tout ce trésor, les enfants avaient le sentiment de se trouver dans la caverne d'Ali Baba où l'émotion était visible sur leurs visages. Ca sent le neuf! dit l' un d'entre eux poussé par l'impatience. Quand Maria arriva, elle fit avancer un enfant devant elle et d' un simple coup d'oeil, grâce à sa grande expérience, dit : Toi, tu dois faire du 5 vue ta taille, hein? Le garçon, ne comprenant rien aux tailles, ne dit rien et la regardait comme une géante au savoir colos-sal. Aussitôt, elle fit glisser l'échelle aux étagères correspondantes aux tailles 5 et me les envoya avec adresse. Bon reflexe! me dit-elle en redescendant apparemment satisfaite de son choix. Pendant qu' elle passait au suivant, j'aidais le premier à enfiler ses nouveaux vêtements où visiblement, elle avait le compas dans l'oeil en ayant rien à redire et qu'elle aurait pu faciement travailler ches les grands couturiers parisiens si elle avait eu de grandes ambitions. Malheureusement ou heureusement, Maria avait voué sa vie aux enfants malheureux ainsi qu'au Domaine de l'espérance. Qui pour moi n'était pas véritablement un orphelinat, vu le peu d'enfants que j'y avais aperçu, mais plutôt un hôtel de tra-nsit pour enfants en attendant d'être placés dans des familles des environs ou si la demande était séri-euse dans des contrées voisines. Pendant ce temps là, Marie-Christine était dans son labo et revêtue d'un tablier, elle analysait les échantillons de peinture qui avaient servit à écrire des grossièretés sur les murs de sa proprièté, telles que Marie la folle ou Marie la sorcière, le bûcher t'attend etc.

Qui, il faut le dire, lui était restée à travers de la gorge! Car elle n'était ni une folle ni une sorcière, mais en avance sur son temps. Ce qu'aucun de ses contemporains et de sucroît homme n'était prêt à lui dire, sinon la discréditer par de la sorcellerie en usage courant dans le Duché de Savoie. Car par-ait-il, Merlin l'enchanteur avait servi à maintes reprises les ducs de Savoie à se débarrasser des Fra-nçais occupant leur territoire, comme à la bataille de Saint-Quentin et de Turin. Au point de chanter au jour d'anniversaire un Te Deum pour célébrer leur victoire sur les arrogants Français. Tout ceci faisait bien évidemment la fierté des savoyards dont l'esprit indépendant voir têtu n'était plus à démo-ntrer à notre cher lecteur, n'est-ce pas? Par sa nature originale, Marie-Christine était sans nul doute une femme savante, mais qui avait du coeur, ce qui était assez rare de trouver chez ces êtres qui pas-saient leur temps à sonder l'invisible et peu le coeur des hommes. Mais apparemment la caractéristi-que des génies qui visaient l'humanité toute enière pour trouver une solution globale à ses prob-lèmes. Son labo était la réalisation de ses rêves d'enfant grâce aux fonds de son frère Paul en étant lui aussi un adepte de la science afin d'augmenter le rendement de ses récoltes céréalières en Amérique. Où tout compte fait produire plus permettait de nourrir le monde et d'éviter les famines, n'est-ce pas? A l'évidence, une famille d'humaniste qui ne la savait pas vraiment. Quitte à mettre les mains dans le cambouis pour perfectionner ses machines agricoles et demander des conseils à son érudite soeur sur les engrais et autres produits phytosanitaires pour ne pas appauvrir les sols. Appuyée lég-èrement contre la table de son labo, elle analysait l'échantillon de peinture qu'elle avait dissout dans de l'alcool dans un tube à essai. La consistance était grasse et de couleur rouge, remarqua-t-elle, puis l'agita au dessus d'une flamme où elle aperçut, après évaporation, un dépot de metaux lourds, sem-ble-t-il. Tiens donc du plomb! s'écria-t-elle en remarquant de l'oxyde de plomb à l'intérieur du tube après avoir étudié les principes de Lavoisier où rien ne se perd, rien ne se crée, mais tout se trans-forme. Visiblement, l'auteur des odieuses inscriptions sur les murs de sa proprièté avait utilisé de la peinture au plomb pour commettre son crime! surgit aussitôt de ses pensées heureuse d'avoir un premier indice matériel. Demain, j'enverrai Grandin à Annecy le vieux questionner les marchands de peinture pour savoir qui avait acheté récemment une grosse quantité de peinture rouge! pensa-t-elle pour en avoir le coeur net. Satisfaite par sa découverte, elle sortit du labo pour chercher Grandin: l'homme à tout faire de la maison dont la force physique était indispensable à la proprièté pour cou-per le bois de chauffage, faire du gros oeuvre ainsi que d'assurer la sécurité dans la proprièté avec sa chienne Mirette, un Saint-bernard.