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LE FILS DU DESERT

 

 

Ce livre d'une grande honnêteté intellectuelle exprime, en fait, les désillusions sur ce qu'on appelle l'intégration des peuples qui ont dû s'exiler de leur pays pour tout simplement survivre : Mouloud poussé indirectement par la guerre d'Algérie et Simone par le Nazisme. Ces deux êtres, et malgré tous les éfforts de la France pour les intégrer, resteront à tout jamais des êtres déracinés. Et ce constat d'échec pour la France, qu'on peut déplorer, est dû essentiellement à un vice de fabrication de la société française, qui étrangement a horreur des traditions et s'en méfie comme de la peste! Nayant plus aucun appui pour asseoir leur nouvel exil, ces deux êtres ressentent leur déracinement comme un déchirement intérieur, presque comme une trahison de leur pays d'accueil. Le problème de la France d'aujourd'hui ne se situerait-il pas à cet endroit stratégique où tous les enfants d'immigrés rejettent la France au point de devenir des terroristes et de lui faire du mal? Actuellement dans nos sociétés, où tout va très vite, mais qui aura le courage et, disons même, le temps de réfléchir à toutes ces questions qui semblent venir d'un autre temps, alors qu'aux portes de l'Europe frappent des millions de réfugiés? Le rêve d'une vie meilleure et ailleurs serait-elle la grande désillusion des temps modernes? Question que se pose l'auteur et ne peut y répondre que par l'affirmative.

 

 

           

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Quelque part dans le sud de la France, août 2006

« Un jour, il te faudra revenir mon fils.

Mais quelle croix il faudra mettre sur ta tombe? »

 

En écrivant ces mots sur ces feuilles blanches, où le soleil venait comme un incendie mettre le feu et révéler l'extrême blancheur des jours, Mouloud laissa tomber la plume de sa main transie par l'effroi. Il semblait pris par un malaise et des gouttes de sueur coulaient maintenant sur son visage aux traits fins et méditerranéen: visage lisse et presque antique où les pleurs semblaient se mêler étrangement à cette sueur de l'été impossible. Ses yeux noirs, habituellement profonds et réfléchis, étaient devenus lumineux de vérité fugitive et évanescente, comme ils le sont toujours chez les peuples du soleil. Mouloud, qui était sur le point de s'évanouir, renversa instinctiveme-nt sa tête en arrière afin de se dégager de cette torpeur qu'il avait lui même malheureusement mi-se à jour. Mon dieu, mais que suis-je en train de faire? Mais quelle bêtise suis-je en train de fai-re? répéta-t-il d'une voix remplie de pitié pour lui-même. Dans son coeur, il sentit une grande douleur l'envahir comme venant d'une époque lointaine, mais faisant partie intégrante de son pa-ssé étrangement occulté par lui-même que la vie française pleine de réalité avait fait disparaître derrière un écran d'alcool et de fumée. Mais pourquoi essayait-il encore de se cacher la vérité? lui demandait une voix intérieure. Ne s'était-il pas juré de toute la dire avant de commencer son manuscrit? Alors pourquoi cette éternelle hésitation, si ce n'est par la crainte d'y découvrir les vraies racines de son mal? Mouloud, qui semblait déstabilisé par toutes ces questions, se recala aussitôt dans son fauteuil et fit dans le même mouvement un geste de désapprobation. Puis pren-ant son courage à deux mains se lâcha enfin..

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Mais pourquoi se sentait-il si mal en France, après y avoir vécu une bonne partie de sa vie? se demanda-t-il dans un excès de sincérité. Oui, pourquoi ne suis-je pas toujours intégré à cette cu-lture que le monde entier pourrait m'envier? Oui ou non, suis-je en train de devenir fou? réitéra-t-il. En fait, c'était beaucoup plus grave qu'il le pensait. Car cette douleur, il l'a ressentait tous les jours dans sa vie quotidienne et non par crise comme on aurait pu le croire au point d'être devenue pour lui comme un lourd fardeau à porter sur ses larges épaules : épaules olympiennes que le temps avait taillé par on ne savait quelle magie, comme pour mieux supporter son malh-eur? D'après lui, cela devait remonter au plus haut de ses origines, parce qu'il se sentait issu d'une sorte d'esclavage indéfinissable et incompréhensible : n'était-il pas de race blanche et orie-ntale? Alors pourquoi tout ce tohu-bohu intérieur pour expliquer peut-être qu'un simple problè-me d'amour propre ou d'orgueil? Mais non, ça ne pouvait pas être cela! s'emportait-il contre lui même et contre tous ces préjugés simplistes qui nous faisaient souvent croire que tout le monde pouvait se ressembler et comprendre nos joies et nos douleurs! Ainsi le ressentait-il au fond de son coeur comme pour justifier son immense solitude. Pendant ses longues promenades solita-ires, il cherchait souvent à comprendre pourquoi la présence de l'autre l'empêchait à proprement parlé d'être heureux? Et pourquoi, il existait encore chez lui, cette étrange incompatibilité entre son bonheur et celui des autres? Mais quel âge avait-il réellement pour pouvoir ressentir ces choses datant presque de la préhistoire? Questions étranges qui semblaient venir d'un autre mo-nde!

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J'avais l'impression de revenir à des temps immémoriaux, lorsque je me retrouvais seul face à cette monstrueuse modernité qui m'accablait de maux indescriptibles. Et je me demandais, non sans inquiétudes, comment il fallait faire pour survivre à tous ses cataclysmes intérieurs?

Toutes ces pensées résonnaient étrangement dans son âme, comme le son du tocsin au dessus des buildings d'une ville moderne. Aussitôt, la cité moderne prit la parole et lui dit : Mon pauvre petit Mouloud ne vois-tu pas que seuls les grands enjeux m'enivrent à la folie? Mais que repré-sentent réellement pour moi tous tes petits problèmes existentiels devant ces grands bouleverse-ments planétaires qui nous attendent? Allez, n'insiste pas et laisse-moi travailler afin d'accroitre les richesses et les crimes. Et ne crois surtout pas que je suis là pour réduire les injustices qu'il a entre les Hommes, oh non, bien au contraire. Car je ne suis en vérité qu'un vertige, qu'un tou-rbillon et très certainement le vestige d'une future cité détruite et ça peu de gens le savent. Mais toi, sois prudent et n'oublie pas que seul l'Homme en mouvement évite le mépris des autres. Mouloud était maintenant convaincu que les autres n'étaient qu'une émanation du monde en mouvement et que ce monde allait le broyer un jour à l'autre sans lui demander son avis! Que pouvait-il faire aujourd'hui, sinon qu'assumer sa future douleur? se demandait-il d'un air rempli de fatalisme. Après avoir entendu et compris parfaitement ces voix, j'abandonnais immédiatem-ent cette soi-disant bonne idée qui me stipulait que je pouvais moi aussi être compris par les autres, ce qui me procurait un réel plaisir de ne plus y penser. Car j'allais éviter par la logique même toutes sortes de désagréments, à savoir à ne plus expliquer le pourquoi du comment j'étais différent des autres et surtout ne plus devoir avouer mon éternelle détresse. D'une certaine faç-on, ça m'arrangeait bien, mais j'étais tout de même gêné de jouer un rôle. Mouloud semblait se reprocher une attitude qu'il sentait étrangère à sa culture avec l'impression de vouloir imiter une manière d'être et de faire une sorte de compromis avec ses ancêtres, qu'il n'avait jamais pu nommer, mais dont il sentait l'existence.

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Dès le premier jour, je me suis senti en vérité très mal devant ma page d'écriture où j'étais comme accablé de milles remords qui étrangement n'appartenaient pas à mon caractère ni à ma personnalité. Avec ni plus ni moins l'impression de subir un chantage morbide avec moi-même où ma vie était confrontée à un ennemi dont je ne connaissais pas le nom. Je n'ai su que bien plus tard que c'était la mort elle-même qui s'était installée à ma table de travail et qu'elle ne l'avait plus quittée depuis ce jour là. Durant ces longues nuits d'hiver, j'avais ressenti au dessus de mon épaule comme le souffle glacé de sa grande tolérance et de son calme évident où j'avais fini bien sûr par accepter sa présence lugubre à mes côtés. Une chose m'avait beaucoup intrigué, c'était son manque total de pudeur à l'égard de ce que j'écrivais de plus ou moins sincère sur la feuille de papier. Où elle avait tendance à embaumer un peu tout et n'importe quoi qui lui pas-sait sous mes doigts : mes bêtises, mais aussi mes tous premiers sentiments qui surgissaient al-ors de mon jeune coeur remplies d'ivresses folles. Et j'étais véritablement paniqué par l'idée qu' elle allait les embaumer sous mes yeux et qu'ils n'allaient plus m'appartenir en mon nom propre. Mais après toutes ces heures passées à ses côtés, je constatais, non sans amertume, que j'avais bel et bien envoyé à la mort mes tous premiers émois et sentiments personnels! Bref, on sentait clairement chez Mouloud, d'après ses propos sur la mort, qu'il avait tout de même peur de l'irré-parable!

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Comme les français!

Cette petite phrase résonna plusieurs fois dans sa tête et fut surpris par le ridicule qu'il avait fait naître en lui, comme une sorte de monstruosité. Curieusement, il se demandait s'il fallait en rire ou en pleurer? Mais au fond de lui même, il riait, puisque rire dans ses propres larmes était aussi une façon de cacher ses larmes aux autres, n'est-ce pas? Comme la vie est cruelle! se plaignait-il amèrement. Mon dieu, mais quelle injustice d'avoir un coeur rempli de contradictions! remar-quait-il en se prenant pour quelqu'un d'autre ou peut-être de plus important qu'il était dans la vie? Mon dieu, quelle horreur cette fée qu'on appelle impunément la pensée! Et quand je pense qu'on dit qu'elle est la source de tout savoir et de tout progrès humain, brrrr, j'en ai la chair de poule du seul fait d'y penser! Car je sais en ce moment que c'est elle qui dirige nos humeurs ou peut-être notre folie en sachant bien que nos sociétés anciennes et des plus sophistiquées en ont déjà éprouvées les conséquences, n'est-ce pas? Moi même aujourd'hui, j'en ressens toute la puis-sance et toute la terreur qu'elle dégage autour d'elle, celle de son extrême liberté à juger l'autre ainsi qu'à la choisir comme victime toute désignée. Je sais aussi d'une façon étrangement souve-raine que je serai une de ses futures victimes. Mais dans combien de temps et pour quelle rais-on? En fait, je l'ignore complètement. Disons plutôt, sans vouloir vous induire en erreur, qu' au-jourd'hui, je ne fais qu'attendre les signes annonciateurs de ma future condamnation. Oui, je sais et vous l'entends dire, qu'attendre bêtement qu'on vienne vous cueillir est une forme de lâcheté. Mais oui, je suis parfaitement de votre avis! Mais comment vous dire, sans vouloir vous fâcher, que feindre est pour moi la seule solution pour pouvoir survivre à mon siècle en déclin!En serait-il autrement pour tout homme ou toute femme désirant vivre ardemment son siècle? Car feindre d'être fort, invulnérable, inspirer la peur, cela marche. L'inverse aussi, avoir peur de l'au-tre, le craindre, faire le gentil alors qu'on ne demande qu'à se venger. Mais au fait, je remarque depuis le début, je ne fais dire que des évidences, comme c'est étrange! Comme si le temps ne de-mandait que ça, à faire des évidences, c'est à dire à faire la justice à coups de faucilles et de canons. En vérité, ce que je voudrais dire aux Hommes de tous les pouvoirs, c' est :

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Assez, Assez!

Assez de voir, l'ignoble chose se répéter à des siècles d'intervales et toujours sous le même bruit incessant des canons!

Assez, Assez!

Assez de voir, cet horizon en feu où meurt par millions, toujours et encore, ces mêmes victimes innocentes, choisies d'avance? Pourqui, pourquoi tous ces morts ensevelis dans le silence? Mais qui a décidé pour eux que leur vie ne valait plus rien? Mais qui a décidé pour eux que la terre n'était pas assez grande?

Assez, Assez!

Assez de voir tous ces cadavres flottants à la dérive de notre ignoble passé!

Assez, Assez!

Assez de faire partie de cette horrible histoire sans paroles : histoire sans morale que chacun de nous supporte la charge, le poids, sans crier! Oui, j'ai honte d'être un homme comme tout le monde, c'est à dire faible et peureux qu'on peut abattre à la moindre occasion par des mots ou par des balles. Et si je ne me connais aucune cruauté envers les autres, celle des autres m'a sou-vent fait très mal au point que j'en souffre toujours aujourd'hui. Oui, j'en ai assez de vivre comme une bête traquée pour des raisons inadmissibles de gloire et de trophée! Oui, ce que je veux dire aux Hommes de tous les pouvoir, c'est : Disparaissez maintenant de ma vue! Dispar-aissez de l'Histoire pour que je puisse enfin respirer sur une Terre au bonheur simple d'être partagé. Vous vous dites qu' il doit être affreux de mourir comme un homme ordinaire. Mais il le faudra bien un jour et celle qui me le dit n'est pas Dieu, mais Déesse et elle s'appelle Pensée. C'est elle aussi qui me dirige en ce moment sur cette simple feuille de papier où j'écris les mots que j'aime le plus qui sont ceux de liberté, de dignité et d'amitié. Mais pourquoi devrait-on con-sidérer comme quelqu'un de dangereux, celle ou celui qui voudrait par ces trois mots défendre leur évidente universalité?

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Souvent derrière les mots simples se cachent la vérité qui ont toujours fâcher nos futurs dicta-teurs pour éviter que les hommes et les femmes (qui sont souvent exploités pour rien du tout) se révoltent contre leur propre condition de travail afin qu'ils ne sachent rien de la vraie vie que les institutions politiques et religieuses leurs dissimulent pour défendre leurs propres intérêts. Qu-estion : Faudrait-il alors accuser la religion et la politique d'asservir les hommes et les femmes pour leur propre pérennité? En fait, nous en sommes pas loin. Mais est-ce à moi de le dire, ô vénérable pensée dont j'attends la réponse? Elle me parle et me dit :  Mon pauvre petit Mouloud, mais pour qui te prends-tu pour me demander une telle chose qui ne te concerne pas? Mais qua-nd vas-tu cesser de dire des bêtises? Car il sera peut-être trop tard pour toi dans un instant à l' autre où le soupçon de vérité que tu auras jeté sur le monde et sur tes voisins de palier se retour-nera sur toi même. Peut-être t-en voudront-ils à vie ou peut-être te tueront-ils dès demain? C'est à toi de choisir! Un obus verbal avait éclaté au beau milieu d'une ligne et je me demandais à qui pouvait bien venir la faute : à celui qui le lançait ou bien à celui qui en mal d'émotions le recev-ait en plein coeur? Cette pensée m'inspirait véritablement de la peur en me faisant douter sur ma propre capacité à raconter mon histoire appartenant au petit Mouloud et à toute la poésie de l'O-rient, qui restait comme en suspend au dessus des jardins parfumés par le figuier et la fleur d'or-anger. Parfums sublimes qui un jour d'orage avaient été emprisonnés au fond de notre coeur, afin de nous sauver d'un naufrage certain, celui du temps et de l'oubli nécessaire à la survie de chaque homme et de chaque femme. Pour Mouloud, il semblait n'y avoir aucune différence entre cet homme et cette femme, entre ces deux masques que l'humanité portait sans cesse et intercha-ngeait dans l'ombre, comme par une pudeur excessive de cacher l'éternelle douleur?

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Mouloud sentait au plus profond de lui même qu'il avait des choses à dire, mais ne savait pas comment s'y prendre. Car c'était la première fois qu'il se mettait à l'écriture de ses souvenirs d' enfance et se sentait plutôt maladroit, comme un enfant qui n'avait jamais appris à écrire. Pourt-ant, il avait été à bonne école en France comme beaucoup d'enfants de son âge. Mais une chose particulièrement lui pinçait le coeur quand il y repensait, c'était l'effroyable sensation de n'y avoir rien appris! Et il en prit conscience un jour par une après-midi pluvieuse où le mot prit chair en son esprit en se mettant à vibrer à l'intérieur de son crâne en en demandant d'autres afin de cons-truire une sorte d'édifice où chaque pierre devenait un mot où chaque rangée devenait une phrase où l'ensemble des rangées formait un mur. Bref, une maison semblait se construire à l'intérieur de lui-même et il trouvait cela charmant d'y installer plus tard, un jardin d' hiver. Tout ceci était joliment dit par lui-même, mais il ne faudrait pas oublier dire, qu'avant de poser la première pier-re sur le sol aride de son coeur, ô combien, il fut frappé par cette expérience négative de l'enfance qui se déroulait comme toujours sous les préaux de l'école où tout le temps on se chamaillait et on se bagarrait avec les autres!

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Pour vous dire toute la vérité, ce fut souvent pour moi l'enfer. Car au lieu de rechercher l'action parmi mes camarades, moi je recherchais plutôt le calme à l'ombre des platanes où je ramassais traditionnellement les feuilles mortes tombées au sol que je décharnais lentement jusqu'à la fin de la récréation. Tout ceci m'attira bien éviemment les foudres de tous mes camarades! Mais ce qui marqua le plus mon esprit à cette époque, à part la cruauté des enfants( toute naturelle), ce fut de sentir déjà très tôt la dureté et l'archaïsme du système scolaire français où nous les élèves allions devenir les cobayes pour la future nation française. Je savais aussi que le jeu était truqué d'avance et que les fils de riches s'en sortiraient une fois de plus, haut la main! Mais moi, le pau-vre, je me consolais comme je pouvais en me disant que malgré cette grande hypocrisie de la société française, la France restait tout de même un beau pays où le formatage des esprits y était gratuit. Donc ne pouvant m'y soustraire, je lui laissais mon cerveau comme lieu d'expérimen-tations. Et comme on devait s'y attendre, l'expérience tourna vite au désastre où des troubles comportementaux commençèrent à se manifester en moi au point d'alerter l'équipe psycholo-gique de l'école qui aussitôt m'isola dans une pièce pour me faire faire tout un tas de tests afin de savoir si j'étais un petit génie ou bien un petit idiot! Bref, on calcula mon QI (coefficient intellectuel) avec la très célèbre méthode américaine( que tout le monde connais, je crois) et l'on me trouva 60, ce qui m'enfermait définitivement dans la case des idiots, Ah!Ah!Ah! Ainsi com-mença, si lon peut dire, ma longue désentente avec cette institution qu'on appelle l'Education Nationale qui pour des raisons obscures me condamnait précocement à une mort intellectuelle, ce dont mon propre intellect se refusait d'entendre.

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Dans son crâne était inscrit en souvenirs sombres, les années scolaires et en souvenirs lumineux, les périodes de vacances où la liberté et le soleil étaient à nouveau réunis. Et c'était volontairem-ent qu'il terrait au plus profond de lui même, cette période bien funeste pour sa sensibilité ori-entale où l'art du savoir était plutôt une question du moment choisi que d'ambition sociale. Savaient-ils ce que mon coeur renfermait de précieux? Si oui, alors pourquoi ont-ils eu un malin plaisir à tout saccager à l'intérieur de mon propre jardin d'Eden? N'était-ce point ici où je me ressourçais où je reprenais à chaque fois des forces afin de garder ma dignité? Mais comment ont-ils pu me faire cela, me faire souffrir au point qu'aujourd'hui à l'âge de 36 ans j'en porte en-core les stigmates? Mon dieu, mais quelle période affreuse pour tous mes sens qui s'ouvraient alors à la nature environnante.

En fait, dans cette histoire d'incompréhensions mutuelles, tout le monde avait bien évidemment perdu son temps. Moi le premier, par le fait que je me sentais aujourd'hui plutôt indifférent au monde qui m'entourait (et je me demandais même s'il fallait le déplorer?). Et puis en second, la société française et toute sa culture qui avaient perdu défnitivement un individu qui aurait pu la défendre, prendre ses positions afin de l'aimer véritablement. Mais étant donné qu'elle m'avait fait trop souffrir, je ne pouvais souhaiter d'elle que sa mort prochaine et bien évidemment sans qu'elle eut un quelconque remerciement de ma part. Bref, j'avais bien trop souffert de son ingra-titude pour devoir encore la nourrir de ma propre chair et dans le seul but d'enrichir son dictio-nnaire imaginaire!

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Vivre avec les autres m'a toujours paru très difficile, non que je sois un asociale, car je ne crois pas l'être fondamentalement. Mais il y a quelque chose qui m'a toujours troublé, c'est cette peur indéfinissable de l'autre où la société s'ajuste et commence à exister, à prendre consistance où les rapports de forces commencent à se tendre, à se confronter pour le soi-disant bien de tous : où les meilleurs seront en haut et les médiocres en bas! Comme ça, disaient-ils les professeurs, le monde sera au moins organisé et il pourra dormir tranquille! Tels étaient leurs propos sur le su-jet épineux de l'éducation scolaire qui avait pour ainsi dire gâché toute mon existence, mais aussi celle de tous mes camarades. Oh mon dieu, que cette vie me semblait triste en sachant très tôt que toute cette mascarade était un délire de grands parents face à cette belle inconnue qu'on appelle tout bêtement l'avenir! Bah que le monde est bête! Pourra-t-il changer un jour (j'ose la question?). J'ai à peine prononcé ce mot que je vois déjà tout le monde frémir de terreur autour de ce mot tragique. Mon dieu, l'avenir quelle sottise! L'avenir, bien sûr tout le monde en veux et moi le premier, mais pas pour les mêmes raisons qu'une grosse machine inhumaine désire en fabriquer à la chaîne. Car qui d'entre nous n'a jamais connu l'ennui dans sa propre chambre deve-nue trop étroite pour ses membres ainsi que pour sa cervelle qui ne réfléchissait que sur elle-même? Tout le monde a bien sûr connu ces moments difficiles, je crois, hum? A part peut-être quelques exceptions qui seraient comme frappées d'une éternelle idiotie? Mais ne parlons pas de celles-ci et parlons plutôt de cette cervelle qui nous gouverne que nous connaissons très peu en vérité. En pensant à elle (double réflexion sur soi-même), je me demande si celle-ci aura un jour de l'avenir? Question étrange, oui je sais, mais qui en vaut bien le détour. Car sa véritable vo-cation n'est-elle pas de nous affranchir de tout sans exceptions, même des contraintes de la vie quotidienne afin de nous faire découvrir de nouveaux horizons pour notre futur bonheur? Mais n'est-ce pas trop demander en ce début de livre que de vouloir le monde en réduction? Allez, arrêtons nous là quelques instants afin de reprendre notre souffle, si vous le voulez bien.

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( silence)

Oui, comme je vous le disais, l'avenir en France se vend très bien et paradoxalement, il y en aura pour tout le monde. En voulez vous au kilo ou à la tonne? En fait, tout dépendra de vos origines riches ou pauvres! Évidente banalité, me direz-vous. Oui peut être pour vous, mais pas pour moi. Car la société française sait si bien occulter ses véritables problèmes qu'il est aujourd'hui pratiquement déplacé de parler de la misère en France, puisque tout le monde semble devenu riche (rire). Mais n'empêche que ce problème est toujours d'actualité (quelle boutade!). Mais quelle honte d'en parler, vous me suivez? En fait, ceci nous montrait ni plus ni moins l'évolution de la société française qui en quelques décennies était devenue la société la plus hypocrite du monde! Et la question qu'on devait tous se poser était de savoir pourquoi un tel desastre et quel serait alors l'avenir politique d'une nation qui aurait choisi l'hypocrisie pour gouverner son peu-ple et non la franchise et la vérité? Malheureusement, l'évidence est là où un peuple d'hypocrites ne peut voter que pour une bande d'hypocrites, telle est la dure loi des moeurs, n'est-ce pas? En fait, le problème avec cette politique exécrable, c'est qu'on ne sait plus qui est qui. Qui est le gentil? Qui est le méchant? Qui est l'imposteur? Qui est le génie? Bref, il semblerait que les Français aimeraient nager en eau trouble pour des raisons qui nous échappent toujours en ne promettant rien de grand à la France. Et la grande question finale était de savoir, pourquoi ils en étaient arrivés à un tel état de dissolution morale et intellectuelle? se demandait lucidement Mouloud, qui n'oublions pas avait subi cette colonisation française de l'intérieur en provoquant un vrai désastre pour lui et pour les siens. Involontairement, il y revenait sans cesse, comme un homme qui ne pouvait éviter de retomber dans le même piège tendu par des brigands qu'il conn-aissait très bien ou comme un homme qui ne pouvait éviter le bord de la falaise d'où on allait une nouvelle fois le précipiter!

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C'est la chute qui faisait mal..murmura-t-il du bout des lèvres tout en se tenant la tête entre les mains. Avait-il vraiment mal à ce moment là ou bien singeait-il sa souffrance? Mouloud ferma les yeux quelques instants, puis les rouvrit afin de poursuivre sa vengeance. En fait, si la France était devenue le pays le plus hypocrite du monde, c'était dû en grande partie au cynisme de Nap-oleon et des américains. Au cynisme de Napoleon parce qu'il lui avait fait croire que son orgueil démesuré ne se dégonflerait jamais. Et enfin au cynisme des américains qui lui avait faire croire qu'elle avait gagné elle aussi la guerre en 1945! Oh douces illusions, quand tu nous quittes que la vie devient dure! pensait Mouloud en regardant la société française se dissoudre dans le coca, bref, c'était la Bérézina! Mouloud sentait qu'il revisitait l'Histoire à sa façon et il trouvait cela captivant, car il y découvrait la vérité que les Français voulaient se cacher.

En fait, il avait appris beaucoup et peu de choses sur ce peuple de France dont la culture était une sorte de nature morte qu'il essayait en vain de faire revivre par les mots et par les idées. C'est ce qui l'avait le plus frappé chez ce peuple où l'esprit avait remplacé avec férocité le coeur au cours de son histoire pour des raisons qu'on ne conaisait toujours pas. Peut-être à cause des inj-ustices sociales subies sans relâche ou bien par une ambition démesurée de ce peuple inventif et cruel? Bizarrement, à une époque joyeuse de sa vie, Mouloud s'était essayé à imiter le génie français en se lançant corps et âme dans la poésie en espérant bien sûr égaler le génie d'un Chat-eaubriand ou d'un Baudelaire maladif, ce qui ne lui aurait pas déplu. Mais à son grand dam, il dut vite déchanter en renonçant à ses rêves de grandeurs, non qu'il fut dénué de talents pour y pa-rvenir, mais il sentit d'une façon quasi instinctive que les sujets souvemment empruntés à ses auteurs favoris semblaient poussiéreux, voir à la limite de la profanation poétique. Bref, il ab-andonna, non sans quelques tristesses, cette idée extravagante de devenir lui aussi un génie! Voi-ci un petit extrait qu'il réussit à sauver de ses papiers et qu'il vous donne maintenant à lire. Là où l'esprit est la fleur et le canon l'emblème de la force virile, cet esprit semblait s'être fondu dans l'acier des sabres et des canons. Aucun pays ne pouvait lutter contre cela, contre la force des id-ées où des hommes et des femmes étaient prêts à mourir pour défendre leur idéal de liberté! Dé-vastatrices et universelles furent ces idées, puisque celles-ci décimèrent en peu de temps toutes nos traditions ainsi que notre ancienne vision du monde. Le style est plutôt guerrier ne trouvez-vous pas? Napoléon, bien évidemment, c'est dépassé, voir ringard. Mais la liberté est toujours un problème concrêt pour les Hommes, n'est-ce pas? Et des sociétés possédant leurs propres gé-nies se sont effondrées à cause d'un mot qui a résonné à leurs oreilles et dans toutes les langues, ce mot était celui de Liberté!

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Écrire ses mémoires! Mais quelle bêtise suis-je en train de faire? se demandait Mouloud, comme s'il pressentait un désastre ou un signe de mauvaise augure pour lui et sa petite famille. Son instinct de survie s'était réveillé brutalement à cette réalité qu'il avait oublié un peu vite et qui maintenant le tenaillait de tout son corps et de tout son esprit. Ca pouvait être aussi un bon pré-sage, mais comment le savoir? Cette chose révélée par les écritures intimes, mais que signifiait-elle exactement? Mais que signifiait pour lui ce message qui lui parvenait depuis la nuit des temps? Voulait-il lui annoncer de grands malheurs ou tout simplement le mettre en garde contre un danger imminent? Mouloud ne comprenait pas véritablement le sens de ce message. Car pour lui en ce moment tout allait bien du moins au niveau financier où il venait tout juste d'ouvrir sa troisième boucherie à Marseille, rue de l'Esplanade où les affaires marchaient bien. Oui, mais que signifiait réellement pour lui cette réussite matérielle, alors qu'au même instant un vent étra-nge s'était mis à souffler à l'intérieur de sa vie? Cette voix, qu'il avait entendu au début de son manuscrit, ne s'était-elle pas clairement exprimée? Mais alors pourquoi continuait-il à se cacher la vérité? lui demanda-t-elle pour la seconde fois. Se sentant condamné, il ne put qu'approuver par un petit hochement de tête en laissant cette voix envahir son esprit.

Mon cher fils, je ne peux désormais plus rien faire pour toi, car tu étais devenu un inconnu par-mi les tiens! Mais pour quelles raisons as-tu trahi ton peuple par ta fuite en avant vers l'Oc-cident? Je te prie de me donner une explication, sinon tu seras damné pour le restant de tes jours! Oui, je peux bien comprendre que la liberté ait été un grand attrait pour toi. Mais de là à tout abandonner, sa famille et son peuple pour une chose si légère et futile, je veux que tu me dises la vérité!

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A cette révélation stupéfiante, qui semblait venir de l'au-delà, Mouloud se sentit une nouvelle fois déraciné et arraché à la terre de ses ancêtres, à cette Algérie qui l'avait bercée au son du fifre et du tambour. Aussitôt son coeur sembla défaillir et se dégorger telle une panse de brebis per-cée de milles flèches ancestrales. Mais comment est-ce possible, mon dieu, de me faire tant de souffrances, alors que je suis sur une terre étrangère? lança-t-il au ciel. Veux-tu ma mort ou bien veux-tu me dire quelque chose d'important? Réponds-moi, je t'en pris. Car il me semble bien étrange que tu veuilles ma mort, alors que je suis devenu riche et prospère. Et qu'il est cer-tainement plus facile pour moi aujourd'hui d'aider mes parents et mon peuple, qui sont restés là haut dans la misère, que je ne le pouvais hier, n'est-ce pas? (silence). Ah!Ah! Ah! Je sais que tu ne me répondras pas, car je devine en toi l'éternelle lâcheté de ne pas vouloir laisser le temps aux mortels de se défendre. Et qu'il est plus facile de m'accuser de lâche, alors que toi tu ne te déco-uvres jamais en restant caché dans tes limbes impénétrables où aucun mortel n'est admis! Non, ta sentence, je ne l'accepte pas et pour ces raisons! Dieu n'est il pas raison? Raison du coeur ou bien raison des sciences? semblait lui demander le ciel où des nuages transportaient des cargai-sons d'eau et de déluges.

En lui parlant de cette façon, à mon dieu, je voulais lui donner une leçon d'intelligence en me ba-sant sur ma nouvelle condition d'homme moderne. Mais je compris assez vite que j'avais eu tort de lui parler de cette façon en saisissant ma propre lâcheté! Et je me demandais, non sans inqu-iétude, si je pouvais me guérir moi-même de toutes ces ambitions de grandeurs que l'Occident avait fait naître à l'intérieur de mon cerveau? Le temps était comme une lame de couteau suspen-due à notre cou où il nous suffisait seulement de glisser un peu hors de la réalité pour la voir apparaître! Mouloud, qui avait entrepris en cachette d'écrire ses mémoires, pouvait-il savoir que l'écriture pouvait être considérée comme un blasphème envers le créateur de toute chose vivante en sachant que l'écriture était réservée aux scribes et aux initiés qui connaissaient parfaitement les limites à ne pas dépasser? Je savais par instinct que l'écriture pouvait punir de mort celui qui s'y aventurait incognito, car les mots étaient des choses vivantes et les éléments énergétiques qui nous permettaient de passer d'une réalité à une autre tout en gardant notre propre identité. Des hommes et des femmes étaient morts d'avoir trop écrit sur eux-mêmes, le savaient-ils? N'y avait-il eu personne pour leur dire que l'on écrivait non pour soi, mais bien pour les autres, comme l' est la destinée de tout savoir transmis par les écritures? Et si Dieu nous avait donné cette idée magique de pouvoir écrire nos propres sentiments, ce n'était pas pour notre propre gloire, mais bien pour nous faire subir une épreuve autrement plus douloureuse qu'échappant au destin de l'animal. Mais en ce moment, l'homme qui avait peu, c'était moi!

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L'écriture pouvait porter malheur à celui qui s'y aventurait sans y être initié, tel était le constat que j'éprouvais dès la première ligne de mes souvenirs. Mais je sais qu'il faut que je dépasse cette crainte d'ouvrir mon âme aux autres, oui. Mais alors quelle douleur de vivre ces moments intenses où mon visage devient tout à coup inconnu à mon propre regard! Mais combien de te-mps me sera-t-il possible de tenir avec ses yeux de l'esprit sans pour me prendre pour un dieu? me demandai-je cruellement. La punission qui m'attendra pour avoir été au plus près de la créat-ion sera immédiate et sans pitié, je le sais bien. Mais ma vie ne vaut-elle pas plus que cela? Je sais d'emblée qu'elle m'attendra sur des failles que je ne me connais point. Mais il faut tout de même continuer ce chemin menant peut-être vers le bonheur. Mouloud était guidé, non par une curiosité artistique, mais par une volonté de retrouver un peu de réconfort dans sa propre vie où les gloires païennes de l'Occident menaient tout de même la ronde. Il savait intuitivement que cette histoire qu'il vivait avec la France finirait en tragédie. Car un jour, elle se débarasserait de lui de la plus odieuse façon en l'immolant sur le bucher des étrangers. Désemparé, il se demand-ait maintenant où il allait trouver cette force pour se battre contre ce mal invisible qui le ronge-ait un peu chaque jour? Aussitôt, en cet appel, il reconnut la présence divine de son Dieu où l' unique prophète qui soit digne d'écouter parlait dans son coeur.

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Il en avait tellement besoin! se disait-il, parce qu'il se sentait écartelé entre ces deux mondes ind-estructibles et sans pitié : l'Orient et l'Occident. Cette voix remplie de bienveillance ne voulait pas seulement le prévenir, mais aussi le sauver d'une mort certaine qui serait pour lui très inju-ste, car sans pitié et sans témoin historique. C'est à dire tout d'abord physiquement, puis symbo-liquement, comme le sont toutes les victimes d'aujourd'hui dans nos sociétés modernes où leur mort est sans gloire, sans beauté, silencieuse, cachée par le bruit incessant d'une civilisation en déclin. Non, sincèrement, je n'en voulais pas de cette mort sans gloire et sans beauté que me pro-posait le monde occidental. Pour vous dire toute la vérité, je me suis toujours senti mal à l'aise dans cette socièté froide et matérialiste avec le sentiment d'appartenir à une autre civilisation qui malheureusement avait disparu de la surface de la terre. Mouloud avait senti et compris très vite, en écrivant ses mémoires et ses souvenirs à l'abri du monde, qu'il allait au devant de son malheur accompagné, bien évidemment, par l'humanité toute entière en déterrant sans le savoir des siècles d'histoires qui étaient inscrits au plus profond de sa chair. Il avait encore la possibilité de faire marche arrière (il venait tout juste de commencer ses écrits). Mais poussé par une volonté hors du commun, il avait plus de courage qu'il le disait et parlait maintenant à voix haute : Oui, je suis prêt à continuer le chemin vers cette oeuvre destructrice. Je sais que j'en sacrifierai ma vie, mais c'est la vérité que je veux atteindre et non cet état d'auto-satisfaction que le monde occi-dental nous propose comme une fin en soi : publicité d'un mensonge où l'image fluorescente n' est pas aussi florissante pour nos jours suspendus au dessus des buildings eux aussi éphémères. Enseignes lumineuses pour nos coeurs blessés...

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Enseignes au bord des routes sur le goudron de nos peurs. Enseignes sur les parois de verre où ma vie se tranche les veines. Enseignes multicolores où mon sang fait mouche avec le réel dég-lingué. Non, je ne veux pas de ce monde là où la conjugaison du futur me fait froid dans le dos pour ne rien vous cacher. Car c'est bien le moment présent que je veux louer pour mes jeunes années au bord d'un lac ou bien d'une oasis bleue de couleur, de vies et de pêches extraordin-aires, le bonheur, le vrai! Ce que je veux, c'est sentir la fraîcheur maritime enivrer mes narines de sels odorants et colorer mes joues de pourpre vraie, sentir la feuille de menthe parfumer les sen-tiers et les rivages de nos jours clandestins, aimer à loisir les gens que nous aimons. Aimer à mo-urir sans haine et sans assassiner Dieu pour ce qu'il n'a pas fait. Dire, oui, j'ai vécu, non pour être un héros, mais pour être enfin débarrassé du tourment qui nous oppresse, de la guerre qui pointe son nez sous les tropiques et sous les caoutchoucs morts et artificiels de nos jardins suspendus au dessus des villes et de nos vies parsemées par l'industrie de nos sous en toc : médaille, non de la providence, mais de la compromission humaine, de la basse tâche, du sous-prolétariat et du sûr-prolétariat du pauvre. Ce que je veux, ce sont ces jours habillés de couleurs simples et blanc-hes, blanches comme les terres lointaines et africaines, blanches comme du sable remué par les eaux pures de nos rivages clandestins, un peu vives, mais  jamais oppressées par ces navires ind-écents de notre civilisation en déclin. J'en demande un peu trop, me direz-vous. Oui, mais ne so-mmes nous pas mortels? Mais demain que seront nous devenus? Avons-nous réellement le tem-ps d'attendre le sel de nos vies parsemées au hasard des causes et des conséquences ignorées par nous mêmes? L'intuition n'est-elle pas notre seule chance d'être heureux, un jour? Je sais que je m'étale sur ma vie et je vous vois déjà l'oeil méfiant sur mon cas où j'en ai trop dit, me dites vous. Certainement, mon frère, mon ennemi, je ne sais? Mais comme je vous le disais précédem-ment, c'est la vérité que je veux pour nous et non celle que nous propose le monde en faillite!

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Ca y'est, j'ai trahi le lien qui nous unissait, semble-t-il? Mais comment vous dire que je ne crois plus à cette justice que les hommes ont sali. Le monde n'est-il pas en vérité un monstre aux ap-pétits multiples : moraux, intellectuels, financiers et pour finir sanguinaires pour ceux qui ne passeraient pas dans la maille du filet social?

-Trahison! me dites vous, je ne serais qu'un roi frustré.

-Hé ben donc, pendant que vous y êtes!

-On m'arrêtera demain! vous me dites.

-Je le sais bien. Mais pourquoi devrai-je partir ailleurs puisque le monde est partout le même? Ceci n'est-elle pas ma défense universelle? Car je vous vois présent ce jour là et jouer parfaite-ment votre rôle, non d'apprenti sorcier, mais de manipulateurs de cordes, de leviers, de tringles et de roues écorcheuses, huilées par vos hommes d'honneurs et de patries usées par vos soleils cra-chés! Vos rires fuseront alors de la salle en délire et demanderont bizarrement ma peau! Puis vous demanderez à voir couler du sang, mon sang! ô public, population, masse, gens de la rue, travailleurs anonymes, savez-vous qui vous êtes vraiment? Après avoir bu tout le sang de ma vie intime, vous brûlerez un corps devenu anonyme qui ne sera plus le mien sur le bûcher de vos idôles occidentales. Non, non, de tout cela, je n'en veux point! lâcha violemment Mouloud qui sentit tout à coup venir la punition de son Dieu pour avoir fait ressurgir du passé des doueurs que lui même et son peuple avaient dû subir dans les temps les plus reculés de l'histoire.

L'ALGERIE

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C'était le pays où Mouloud désirait revenir afin d'y mourir près de sa famille. C'était la terre qui l'avait vu naître et bercé au son du fifre et du tambour que le vent du désert mêlait à son chant éternel. Il savait que sa vie allait être changée pour toujours et qu'elle ne pourrait plus jamais ressembler à celle qu'il aimait au fond de son coeur : là où ses souvenirs d'enfance se trouvaient enfouis comme des trésors inestimables. D'un amour fanatique, il aimait les retrouver tels qui les avait laissé, c'est à dire intacts et remplis de la poésie de l'enfance. O combien de fois s'était-il perdu et oublié dans cette cité où son coeur battait comme au premier jour! Oui, c'est vrai qu'il aimait s'y perdre un peu trop souvent! s'avouait-il d'une voix remplie de bonheur : bonheur sublime qu'il pouvait réveiller d'un long sommeil grâce à la pureté de son coeur qu'il tenait sur la main, comme une lanterne magique au milieu du désert, que malheureusement personne ne voyait. Et c'était souvent cela qui le rendait chaque jour un peu plus malheureux au point de se sentir toujours plus seul dans la vie. Mais cela avait-il vraiment de l'importance pour lui qui continuait son chemin sans rien demander à personne? Pourtant lui si gai et si généreux! s'indig-nait-il face à ses contemporains. Tanpis, c'est la vie qui le voulait ainsi. Et puis à qui pouvais-je me plaindre, moi le petit arabe venu d'un quartier pauvre de Sétif? Apparemment, ses dures con-temporains ne voulaient pas l'écouter ni le comprendre! 

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-Mais n'es-tu pas le fils du désert? lui demanda orgueilleusement une voix intérieure.

Bien sûr que oui! répondit-il joyeusement où son coeur reprit aussitôt du courage grâce à ce pouvoir magique hérité de son père et de sa mère à sa naissance sur la terre d'Algérie. C'était au-ssi celui de tout son peuple qui se reconnaissait par ce signe distinctif, mais invisible pour celui dont le coeur était mort. Et le ressentait en lui comme une force que le monde autour de lui ne pouvait détruire. Mouloud avait comme tout oriental, le coeur sur la main et s'il vous le disait, ce n'était pas pour se donner une quelconque importance, oh non, croyez-bien. Mais étrangem-ent, cela vous avait fait rire qu'il vous le dise comme ça de but en blanc et vous ne pouviez plus alors vous retenir tellement la chose vous semblait hilarante, Ah!Ah!Ah! Puis sans prévenir la magie s'envola, voilà votre grande bêtise! comme dirait monsieur de la Fontaine qui en savait quelque chose sur la matière, n'est ce pas? Pour les autres qui ne voudraient pas me croire, vous pourrez le vérifier par vous-même auprès de votre ami oriental( si vous en avez un). Demandez lui ce que vous voulez, il fera tout pour obtenir ce que vous désirez. La magie de l'orient, c'est à vous d'y croire ou non?

Son secret, il le tenait caché au plus profond de lui-même à l'intérieur d'un petit coffret d'argent brodé de motifs langoureux dont il avait la capacité d'offrir l'éclat (le mirage?) à quiconque le désirait. Mais en vérité très peu de gens venaient vers lui afin de connaître par ses paroles, la ma-gie de l'Orient où les contes et les légendes naissaient comme des parfums magnifiques. Oui, très peu de gens désiraient l'écouter parce qu'ils sentaient au plus profond d'eux-même s'élever un mur qui semblait infranchissable : un mur qui semblait séparer deux mondes inséparables, mais toujours en constante opposition sur la finalité de la vie. Un mur invisible! murmura-t-il du bout des lèvres dans un sommeil éveillé. Un mur infranchissable, né d'un mirage au milieu du désert que seul l'Orient avait su créer par sa magie au delà des époques et des modes des cités modern-es. Mais afin de se protéger contre quoi au juste? se demandait-il surpris par tant de contradic-tions. Il avait maintenant repris le sens des réalités et ne comprenait plus pourquoi il attendait un réconfort que les autres ne pouvaient lui offrir. Mais qui me parle ainsi à moi, le petit arabe de Sétif? Hein, qui me parle à l'intérieur avec un langage si beau, rempli de poésie? Ainsi, il désirait remercier ces moments où son coeur chantait ses origines, puis subitement se demandait ce qu'il faisait là assis aux terrasses des cafés à méditer sur la vie et sur la mort?

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Mouloud avait maintenant le corps fatigué, comme par un très long voyage à travers le visage des passants où il pouvait y lire tous les drames intérieurs qui se jouaient en silence parmi le va-carme assourdissant de la vie moderne : des autos qui klaxonnaient, des chiens qui gueulaient comme des tigres, des trolleybus qui glissaient sur leurs perches comme de gros insectes et ray-aient le paysage urbain d'un bruit métallique et strident. En état second, tel un magicien qui res-pectait une loi ancestrale, il lisait sur leurs visages fermés par le tonnerre de la ville, le livre de leurs vies. Non pour les trahir, mais pour tout simplement aimer ces hommes et ses femmes dont les visages défaits exprimaient les joies et les douleurs de l'existence. Leur peau ressem-blait à un parchemin vivant qui avait été sans aucun doute roulé, puis déroulé devant les événe-ments de leur existence. L'histoire écrite était toujours la même, déplorait-il en sachant qu'elle se répétait depuis des millénaires, comme une mécanique invisible sous le soleil d'une cité mod-erne d'aujourd'hui. Où passé et modernité semblaient inséparables de la vie des hommes et de femmes qui, coincés entre ces deux blocs monolithiques, devaient se dépêcher de vivre dans le tourbillon de leurs sens. Comme c'est  étrange que les gens soient restés sauvages malgré les va-leurs civiliantes du progrè! se demandait-il curieusement. Oui, c'était étrange que ce soit toujo-urs et encore des histoires d'amours et de haines qui gouvernaient le monde : histoires et problè-mes à jamais résolus par l'humanité? Histoire des hommes et des femmes qui ne se compren-aient pas et ne se comprenaient plus, lorsque chacun se retrouvait dans sa solitude.

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Pris par je ne sais quelle révolte sourde et ne pouvant y répondre par des mots, il remarquait ma-intenant la folie du monde où les hommes et les femmes semblaient courir à leur perte évidente et respective. Mais où allaient-ils tous ces gens dont les regards semblaient s'être vidés de toute substance humaine? Il donnait à chacun de ces instants leur véritable dimension et c'était tout l' Orient qui renaissait et lui apportait le baume pour apaiser ses blessures intérieures. Malgré tout, il se demandait tel un enfant apeuré s'il pourra survivre à ce cataclysme intérieur où il devra su-bir docilement sa dépersonnalisation, celle de sa pensée et sans se défendre? Pourra-t-il survivre à cette réalité qui n'était pas la sienne, mais appartenait aux jours gris des hauts fourneaux que l'Occident avaient mis sur sa route afin que lui, le petit prince du désert, meurt et disparaisse co-mme ces millions d'êtres sans importance : esclaves sans âge, éternels esclaves de nos socétés boursouflées par la matière? Et des joies de l'instant qu'en faites-vous, homme éternellement privé de votre liberté? Mouloud avait remarqué chez ces hommes de fer que leur vie semblait s'être figée à l'intérieur de leurs regards, comme des morceaux d'acier se refroidissant à l'ombre des jours, des saisons, à l'ombre d'un bonheur à chaque fois reculé, à chaque fois enterré? Non, il ne pouvait pas être des leurs, car il en mourrait à coup sûr! lança-t-il d'une manière poignante en le ressentant comme un coup de poignard dans son coeur. En vérité, son coeur ne désirait pas remonter le temps et le passé, car se resouvenir, c'était mourir une seconde fois et ça il n'en vou-lait pas.

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Son esprit, qui s'était formé en France au principe de la liberté, maintenant le poussait et le vio-lentait jusqu'à ses derniers retranchements afin qu'il saigne et qu'il se sacrifie une nouvelle fois sur le bûcher de l'Occident; son esprit le désirait ardemment, mais son coeur ne le voulait tou-jours pas. Une résistance implacable semblait se mettre en place pour éviter cette mort prochaine où le petit prince du désert sentit qu'il allait être une nouvelle fois pris au piège par l'Histoire, pas uniquement la sienne, mais aussi celle de son pays, l'Algérie. C'était tout son peuple qui sem-blait gémir à l'annonce de cette nouvelle cruauté inventée par l'Occident, c'était tout le monde oriental qui, peuplé de soleils de magies et de légendes, était touché par le canon de la liberté "l'âpre liberté" disait-il en devenant le poète exilé de toute une génération perdue. Et tout ça alla-it être anéanti en quelques secondes par la plus simple des manoeuvres intellectuelles que l'esprit avait inventé, un mot, une idée voulant tout dire et rien dire en même temps qu'on appelait tout bêtement la liberté! Tour de passe-passe où bien magie de l'Occident? Elle aussi jouant les magi-ciennes? Mais qu'offrait-elle comme mirage nouveau pour le monde de demain : des terres brû-lées ou bien des sables mouvants jusque là inexplorés par Mouloud, le fils du désert? Ces terres inconnues, création de la folie humaine, ne ressemblaient-elles pas à celles qu'il avait entraperçu dans son enfance au bord du désert? C'est la liberté qui nous tuera! lança-t-il furieusement en voulant accuser cet esprit que l'Occident avait inventé pour tout anéantir à la surface de la terre où le coeur des hommes battaient au rythme des saisons et le soleil aiguisait nos sens afin d' ex-traire toutes les magies du monde : parfum d'absolu où la vérité n'était qu'une illusion, qu'une chimère!

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Mouloud apprenait par ses rêveries, la beauté du monde hors du temps et surtout loin des hom-mes. Ainsi, il retrouvait auprès de son coeur l'authenticité des choses. Il ne parlait jamais d'am-our parce qu'il savait que l'amour était une invention de l'Occident. Amour révélé par le sacrifice de Jésus-Christ sur son propre autel qui fut la condition éterna pour qu'il retrouve un peu de coeur au fond de ses entrailles. Mais sacrifice vain, car les guerres recommencèrent à pleuvoir entre les hommes dont l'erreur fut de croire que l'amour était le contraire de la haine et la paix le contraire de la guerre. Bref, un cercle infernal où l'humanité se retrouvait à chaque fois embar-quée. Maintenant, il entendait le bruit des vagues incessantes venir à lui, comme un amour nais-sant d'un pays lointain pour le caresser et lui parler des jours, de ces premiers ou derniers jours sur la terre dont il aimait la lumière et les instants. Il en ressentait toute la durée, toute la lang-ueur sur son corps et sur ses pensées : envahissements et évanouissements total des jours ainsi que les joies entraperçues par son coeur. Tout cela pouvait disparaître à tout jamais de moi, si je les écrivais sur une simple feuille de papier! pensa-t-il dans un sommeil entre rêve et réalité. Et s'ils avaient encore autant de clarté au fond de mon coeur, c'était par la grâce de Dieu! lança-t-il au ciel, comme un homme pris d'un terrible doute face à son destin qui lançait une louange uni-verselle au ciel bleu ensoleillé où souvent il n'y avait jamais de réponse en retour. Car demander l'impossible, c'était souvent errer près des sentinelles couvertes d'or et d'argent. Non, ce n'était pas cela qu'il fallait faire pour exhausser un voeux ou convertir une prière en salut. Et que dem-ander la pitié sans avoir combattu jusqu'à la mort lui semblait comme une chose maladroite, in-concevable pour l'ancien monde qui nous avait enfanté sans amour.

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Le temps est bien quelque chose de continu et il n' y a jamais eu de fracture du temps depuis que le monde est monde et la connaissance fragmentaire des choses nous le prouve chaque jour. Et c'est avec un courage de titan que l'on peut s'attaquer à recoller les morceaux du vase originel que l'humanité a sans cesse brisé, puis recollé, afin de croire qu'elle inventait quelque chose de nouveau? La question reste sans réponse. L'important est que l'illusion soit toujours dans le co-eur des hommes où la liberté de penser en fait partie, elle aussi. Si bien que j'ai l'impression de redécouvrir une joie interdite, immense, lorsque je traverse cette frontière menant au royaume des Dieux où les gardiens sont des fantômes postés pour l'éternité. L'important est de les saluer au passage, car ils s'y ennuient à mourir. Et d'avoir quelques visites de temps en temps, cela les rassure de penser qu'il y ait encore des fous pour venir dans ces coins perdus où seul le voleur de feu aura la vie sauve, car le vol est l'essence même de la vie! Mais comment le faire comprendre aux autres que la naissance du monde est bâti sur le crime? Vaut mieux ne pas trop en parler, car le monde risquerait alors de s'embraser comme une torche vi-vante à l'approche de ces vérités non dites, tenues très loin de l'ouïe fine du monde. Mais heureusement que dans ce monde cruel, nous avons des artistes, ô combien talentueux qui arrivent malgré tout à travestir la laideur en beauté. De même que des musiciens bien plus convaincants que nos imams, pasteurs, rabbins, curés, recherchant l'éternelle musique des cieux, l'inaccessible vertige de l'âme? Mais en fait ch-erchent-ils vraiment la même chose? Il faut absolument que j' arrête de trop réfléchir, sinon je vais devenir fou! murmura Mouloud du bout des lèvres.  

26

Il est vrai que depuis le début de ses grands travaux( censés raconter ses souvenirs d'enfance un peu chaque jour, comme pour se rassurer du chemin à accomplir), il avait ressenti au plus pro-fond de lui-même ses propres sentiments changer à l'égard du monde et que ses proches avaient dû forcément le ressentir et tout ça, l'inquiètait beaucoup. Djaïda, son épouse, avait remarqué depuis quelques jours que son petit Mouloud chéri ne lui répondait plus comme avant. En étant plus distant avec elle où les petits gestes qu'elle aimait tant voir chez lui semblaient évanoui on ne sait où. Mais qu'est-ce qui lui arrive à mon pauvre mari? Je ne le reconnais plus! Est-il en train de devenir fou, ma parole? se demandait-elle exaspérée. Moi, sa tendre épouse, si dévouée, j'en suis sûre qu'il me cache quelque chose, car d'habitude il me dit tout! Djaïda, prit dans ses orages intérieurs, rêvait maintenant à ces jours sublimes. Oh, il n'y avait pas si longtemps que cela! disait-elle avec des yeux de braise où elle et lui, allongés sur le lit, le corps serré l'un contre l'autre attendaient tous les pardons du monde. Oh, ce lit non défait, comme celui des trônes au temps des reines de sabbat où, comme des amoureux aux regards de sphinx et d'antilope, ils se racontaient tout. Elle ses désirs inassouvis et lui ses peines et ses chagrins du petit enfant qu'il était resté dans son coeur malgré le temps et les affaires où il s'était taillé une réputation impito-yable. Djaïda, amoureuse devant tant de petites lâchetés et de jalousies de son petit mari, l'aimait encore plus et lui pardonnait tout, le consolait, l'embrassait dans un emportement presque anim-al. Mais au juste, n'avait-elle pas elle aussi une famille à nourrir et à préserver?

27

Djaïda semblait regretter ces moments inoubliables où sa vie puisait ses raisons d'exister dans ce monde si méchant aimait-elle souvent à dire. Mais depuis "ses grands travaux" tout semblait av-oir changé dans la maison et, bien évidemment, Mouloud ne lui avait pas dit ce que de mal il était en train de faire : car un homme n'avait-il pas le droit lui aussi d'avoir un jardin secret où son coeur aimât à saigner encore dans la solitude? Bref, c'était trop intime trop écorché vif pour être dévoilé à sa femme qu'il affectionnait tout de même. Il l'aimait sans hypocrisie, comme tout homme devait le faire envers la mère de ses enfants. Mais en vérité, il la sentait de plus en plus étrangère à ses propres interrogations, n'osant même plus lui demander un avis sur telle ou telle question de peur qu'elle s'en effraye, comme s'il la sentait impuissante à assumer ce nouveau rôle qu'il voulait lui proposer : lui qui avait mûri dans son âme et dans son coeur.

Djaïda était dans sa cuisine, lorsque le petit Sofiane arriva tout essoufflé. Il posa son gros cart-able sur la table où Djaïda était en train de préparer le repas du soir. Non, non et non, je t'ai dit cent fois de ne pas poser ton cartable sur la table! Tu ne vois pas que je suis en train de faire la cuisine, hein? Allez Sofiane, prends tes affaires et va les ranger dans ta chambre. J'espère que tes professeurs t-ont donné des devoirs. N' me dit pas l'contraire, car si tu mens, tu vas la recevoir sur la figure cette main! Djaïda avait levé une de ses mains tout en gardant l'autre dans le plat, qui continuait à rouler énergiquement les graines de couscous : elle semblait très énervée.

-Oh m'an, j'ten prie, laisse-moi au manger quelque chose. Tu sais, je crève de faim!

-Mon dieu, mais qu'est-ce qu'il te donne à manger à la cantine? Tu vas pas me dire que je donne tous les mois 1000 Francs pour que tu reviennes à chaque fois à la maison comme un crève la faim?

-S'il te plaît, m'an, laisse-moi regarder dans le frigo pour voir s'il ne reste pas un morceau de fromage ou un peu de gâteau d'hier soir.

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-Non, non, Sofiane, qu'est-ce que je t'ai dit, hein? T'es sourd ou quoi? Prend tes affaires immédi-atement et va les mettre dans ta chambre! Le petit sofiane, blessé dans son amour propre, baissa la tête et prit machinalement son cartable et sortit. Aussitôt, il disparut après avoir franchi le seu-il de la cuisine. Pendant ce temps là, Djaïda imperturbable, continuait à rouler les graines de co-uscous entre ses doigts fins et agiles, puis s'arrêta pour prendre un torchon sur le dossier d'une chaise pour aller ouvrir son four où un gigot d'agneau rôtissait allègrement. Oulala que c'est chaud! dit-elle en tatant la chair du gigot avec son index flexible et rapide. Puis voyant qu'elle se brûlait, elle prit une fourchette sur le bord de la cuisinière et piqua dedant pour voir s'il était bien cuit. C'est pas encore ça et en plus, il manque du sel et du poivre, dit-elle en léchant la fo-urchette. Tout ceci se fit à une vitesse vertigineuse, puis regagna sa table de travail où tous les légumes l'attendaient à l'intérieur de deux grandes feuilles de papier journal refermées sur elles- mêmes. Ces feuilles appartenaient, semble-t-il, au journal le Provençal. Car on pouvait le voir sur l'une des pages froissées où ce nom un peu équivoque était écrit en grosses lettres rouges. On arrivait même à décrypter le titre du journal où il était question de l'équipe de foot de Marse-ille qui, apparemment, avait perdu un match important. Le titre était celui-ci : L'OM, mais pour-quoi tu nous as fait ça à nous? Ce titre, un peu incompréhensible pour une personne qui ne vi-vrait pas à Marseille, l'était lui aussi pour Djaïda qui n'y prêta aucune attention et déplia délica-tement les deux grandes feuilles de papier journal où elle vit apparaître tous ses légumes gonflés par le soleil et l'air marin. Il y avait deux gros poivrons verts, une livre de carotte, deux gros na-vets, un céleris et un bouquet garnis composé de menthe, de thym et de laurier.

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Elle avait fait ce matin elle-même le marché et avait donc choisi tous ses légumes. Ouf, ils y étaient tous: le marchand ne l'avait pas volé! dit-elle en sourdine. Mais soucieuse de la nourriture qu'elle donnait aux siens( en ne faisant aucunement confiance à ces maraîchers venus de la banl-ieue Nord de Marseille où ils avaient mauvaise réputation), elle les retourna un par un et dans tous les sens afin de voir s'ils ne cachaient pas un côté pourri. Car les marchands savaient si bien présenter leur marchandise sur le bon côté des choses que d'après eux, ils avaient toujours les plus beaux légumes du marché. Et si vous essayez de les tâter, aussitôt ils vous insulteront com-me du poisson pourri. Leur réponse étant toute faite : Imaginer ma p'tite dame si tout le monde faisait comme vous. Hè, peuchère, on aurait plus rien à vendre! Avec vos doigts vous les faites souffrir nos beaux légumes, oh ma bonne mère! Ayez pitié de nous( le marchand semblait déli-rer!). Allez ma p'tite dame, vous en voulez un kilo? Je vous assure qu'ils sont les meilleurs du marché. Bon d'accord, mettez-moi z'en un kilo, c'était la réponse qu'attendait le marchand. Tous des charlatans, ces maraîcher! lança-t-elle en remarquant qu'un de ses poivrons était un peu flétri. Ouillouillouille, le salaud, mais qu'est-ce qu'il m' a encore vendu le bandit?

Pour en savoir un peu plus, elle prit un couteau dans le tiroir et coupa net le poivron en deux. Ouillouillouille, c'est bien ce que je pensais, il s'est foutu de ma gueule! Eh ben, y'a plus qu'à le jeter à la poubelle. Et v'lan, encore de la marchandise foutue en l'air! lança-t-elle énervée dans sa cuisine. Mais qu'est-ce qu'il va me rester si les autres sont pareils? Elle jeta un coup d'oeil rap-ide sur le reste de la marchandise et vit soulagée que les autres étaient comme il faut. Bon d'acc-ord, ça suffira pour le repas, mais ça sera juste. Puis de toute façon, j'leur dirai ce soir de se ser-vir modérément en pensant à leur voisin. Car lorqu'ils sont autour de la table, on dirait de vrais  rapaces! pensa-t-elle en levant les yeux au ciel. Ah quelle éducation, on leur a donné à ces goss-es! Je ne sais pas comment faire pour qu'ils soient des enfants modèles. Mououd ne veut même pas s'en occuper, car il va tous les soir au café avec ses copains et ne revient que très tard la nuit. Je me demande bien ce qu'il doit faire si tard la nuit, alors que moi je suis déjà couchée? Le ferait-il exprès? Ne veut-il plus me voir, ma parole? Mon dieu, mais qu'est-ce que j'ai bien pu lui faire pour qu'il soit si distant avec moi? La nuit, quand j'entends la clef tourner dans la porte d'entrée, je tremble comme une feuille. Car j'ai peur qu'il soit saoul et qu'il me frappe sans sav-oir ce qu'il est en train de faire. Si l'ose un jour me frapper, je le jure sur la tête de mes enfants, je le tue! Et ce n'est pas parce qu'il est mon mari que je dois tout lui permettre, même de me casser la gueule! Il doit me respecter, je suis sa femme, sinon, moi aussi, je peux être méchante! Djaida pleurait maintenant dans sa cuisine et des larmes s'étaient mises à couler le long de ses joues creusées par toutes ces pensées, mais aussi par tout ce travail que pouvait bien représenter la cuisine pour une mère de famille. Elle s'arrêta tout naturellement d'éplucher les légumes, emportée par tant d'émotions déclenchées par elle-même, mais aussi par sa vie où la méchanceté des autres et leur ingratitude étaient devenus un poids insupportable.

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Mon dieu, mais comment sortir de cette chienne de vie? lança t-elle au ciel. Oui, comment faire pour être respectée une bonne fois pour toute? Les pleurs de Djaïda redoublèrent et elle ne put retenir ses cris de douleurs en se retenant à la table pour ne pas tomber, le corps tremblant de peur de ne pouvoir supporter les jours à venir!

Mais au fait, comment se fait-il que Faycel et la petite Nora ne soient pas encore rentrés? se de-manda-t-elle subitement en regardant sa montre qui indiquait 6h du soir. Mais qu'est-ce qu'ils peuvent bien faire ces deux là? J'parie qu' ils sont encore en train de s'amuser avec les gosses des quartiers pauvre de Marseille. J'sais pas de qui ils tiennent ses gosses, mais je n'arrive pas à com-prendre où ils peuvent avoir du plaisir à jouer avec des gosses qui ne sont pas du même milieu qu'eux. Non, franchemement, je n'arrive pas bien  à comprendre, c'est un mystère qui m'échappe! pensa-t-elle avec des yeux plongés dans le vague. Mais leur père ne leur avait-il pas dit que dans cette nouvelle résidence où nous habitions, tous les enfants et leurs parents étaient des gens bien et de bonne famille? Mais alors pourquoi ne veulent-ils pas jouer avec le petit Moshé qui est fils de monsieur Benamou, un avocat de grande réputation à Marseille? Ah oui, y'a vraiment un my-stère là d'sous. Hum, hum, on va bien voir si ce petit jeu va durer longtemps avec moi! Djaïda avait repris ses esprits et on le ressentait vraiment par la vigueur qu'elle avait retrouvée en batt-ant maintenant les blancs d'oeufs, afin de préparer une mousse aux fruits d'agrumes.

Pendant ce temps là, à la boucherie de l'Esplanade, sur le vieux port..

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Mouloud était assis derrière son petit bureau en fer blanc où il observait avec attention ses ouvr-iers bouchers ainsi que l'arrivée de la clientèle. Une petite vitre en verre teinté lui permettait de voir sans se faire voir pour ainsi dire. Ses ouvriers devaient impérativement garder le sourire de-vant la clientèle ainsi que le tablier du boucher aussi propre que possible, pensait-il en ce mom-ent. Ce qui était pour les garçons bouchers une équation hygiénique assez difficile à tenir, car il leur fallait tout de même couper la viande, n'est-ce pas? Et puis après tout qu'est-ce que cela pouvait bien leur faire qu'il y ait du sang partout sur leur beau tablier blanc, puisqu'ils y avaient des clientes qui venaient exprès à la boutique pour voir les tâches de sang sécher sur leur beau tablier blanc, Ah!Ah!Ah! riaient-ils souvent ensemble comme pour décompresser au travail. Peut être trouvaient-elles cela excitant après tout? se demandaient-ils ironiquement en voulant se mo-quer de leur patron, mais aussi de certaines clientes qui, lorsqu'on découpait leur viande, faisa-ient alors d'horribles grimaces! Mais entre nous que serait un boucher sans les traces de sang sur son beau tablier blanc, hum? Parfois, les ouvriers se révoltaient en silence contre leur patron afin qu'il soit plus indulgent envers eux et souvent il leur donnait raison. En leur disant à chaque fois d'une manière emportée : Que ce n'était pas une raison pour ne plus faire attention à ces petites choses qui pour des clients pouvaient provoquer des malaises! Quand ses ouvriers l'ent-endaient parler de la sorte, ils pouffaient tous de rire en toute discrétion, bien évidemment. Et il leur disait : Ah si vous saviez ce qu'était réellement un client, vous ne rigoleriez pas comme ce-la! Vous ne le savez peut être pas, mais sur le vieux port il y a beaucoup de concurrence et moi je joue sur le service à la clientèle, sur le sourire, sur l'amabilité des gens etc, etc. Combien de fois leur avait-il répété ces mêmes mots, ces mêmes phrases? Il ne s'en souvenait plus vraiment. Mouloud aimait mieux organiser une réunion en fin de semaine, afin de régler tous les problèm-es qu'il avait aperçus depuis sa petite fenêtre en verre teinté.

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Ouf, il n'avait pas oublié son manuscrit! s'exclama-t-il en apercevant au fond de sa serviette en peau de chèvre, la tranche épaisse et blanche d'une liasse de papiers. Cette serviette était bien pr-atique pour lui en lui permettant de cacher aux regards des autres (souvent indiscrets) pas mal de choses, comme son manuscrit à sa femme et ses comptes personnels aux employés de la bouche-rie qui selon lui étaient toujours trop curieux. Et puis fouineuse comme elle est, j'en suis sûr qu' elle l'aurait déniché en faisant le ménage dans mon bureau. L'important étant pour moi de limiter les risques, pensait-il en lisant les chiffres qu'ils avaient devant lui qui représentaient les tarifs en gros de chaque morceau de viande d'une bête. Ca allait du prix du jarret jusqu' au prix du pied de veau! Il devait bien surveiller tout ça de près, car les abattoirs du nord de Marseille commençai-ent un peu à l'exaspérer avec leur prix qui ne faisaient que monter. Mais quoi, un veau à 3000 Frs, alors qu'il était le mois dernier à 2000 Frs! Mais ils deviennent tarés ou quoi? Je vais les appeler immédiatement. Ah non, j'vais plutôt demander à? Heu..à Youssef qui s'est occupé de ces derniers achats et lui demander pourquoi il a pris ce veau entier à ce prix là, alors que chez l' abattoir "de la plaine" ils le font beaucoup plus bas." Mouloud se leva de son bureau visiblement très vexé, entrouvrit discrêtement la porte de l'arrière boutique donnant sur le magasin et appela d'une voix contenue Youssef (qui était en train de servir une cliente).Yousseff, Yousseff, laisse Kader servir Madame! (bonjour madame! dit-il en passant). Ce dernier s'exécuta et Mouloud le laissa passer dans l'arrière boutique, puis referma la porte derrière lui.

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-Et alors, c'est quoi ça? lui demanda-t-il en lui montrant la facture du veau pris chez "Gigolet".

-Oui et alors qu'est-ce qu'il y a d'anormal? répliqua Youssef surpris par cet entretien inattendu.

-Non, tu ne trouves rien d'anormal? Quoi, le prix d'un veau entier 3000 Frs, ça t'as pas tapé à l' oeil qu'ils essayaient de nous voler?

-Mais m'sieur Mouloud, moi j'connais pas les prix pratiqués chez les autres concurrents!

-Ayayaille, il faut vraiment tout vous apprendre ou quoi? J'sais pas, mais il fallait m'appeler chez moi si tu pensais avoir un doute, non? Ayayaille! Bon, c'est fait, tanpis. Mais la prochaine fois, je laisserai Kader le faire à ta place. Car radin comme il est, il aurait tout de suite vu la superch-erie. Bon, bon, retourne à ton boulot, les clients vont commencer à se poser des questions. You-ssef, ne pouvant répondre à de tels arguments et sans failles de son patron, baissa les yeux et ret-ourna à sa place au magasin. Il était vraiment gêné par ce qui venait de lui arriver : lui qui avait rêvé un jour devenir un employé modèle pour son patron. Mais avec cette gaffe tout était bien sûr remis en question; ses avancements et surtout l'estime des autres, bref, du travail bien fait. Peut-être était-il fait uniquement pour couper la viande et sourire bêtement aux clients? se dem-andait-il en réajustant son tablier. Et que le travail comportant une certaine responsabilité n'était pas son fort. Puisque souvent, quand il fallait appeler les abattoirs, il bafouillait au téléphone et n'osait pas négocier les prix. Pourtant Mouloud leur avait dit à tous : Attention les gars, ne méla-ngez pas mes clients et les gens qui travaillent aux abattoirs! Oulala, surtout pas! Pour les clien-ts, c'est toujours le sourire, ça c'est IM.PE.RA.TIF. Quant aux abattoirs, c'est une autre histoire. Montrer leur plutôt les crocs, car ils veulent à chaque fois nous voler et c'est bien sûr leur métier d'essayer. Mais merde, il ne faudrait pas oublier que c'est nous leur client et non l'inverse, non? Par la cuisse de Jupiter! Apparamment Youssef n'avait pas retenu la leçon et avait maladroitem-ent confondu les rôles en croyant qu'il fallait sourire aussi bien aux clients qu'aux gens des aba-ttoirs. Replongé dans son travail, il n'y pensait déjà plus et son sourire gracieux avait repris sa forme au beau milieu de son visage.

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Après cet intermède qui lui avait un peu échauffé les sangs, il sortit son manuscrit de sa serviette et le posa sur son bureau. Il savait qu'il devait corriger certains passages qui lui paraissaient en-core trop flous pour le lecteur avertit qu'il était et malgré les apparences qui étaient souvent tro-mpeuses. Il fallait corriger les fautes d'orthographes, la syntaxe, bien sûr et c'était beaucoup de travail, savait-il. Mais il fallait bien le faire, sinon qui d'autre que lui le ferait? Et puis il faut do-nner à mon manuscrit une forme idéale, une forme qui lui permettra d'être lu comme un long poème et non comme un roman. Car ce que j'écris, c'est bien ma vie, mes souvenirs et non des bagatelles de roman policier ou des histoires d'amour à l'eau de rose. Il avait repris cet air grave et solennel et ses yeux parcouraient maintenant les feuilles de son manuscrit qui restait tout de même inachevé. Le finirait-il un jour? Voudrait-il le publier? Il n'en savait rien et s'en moquait un peu à vrai dire, car la vie le happait à nouveau. Oh zut alors, quelle heure est-il? Oulala 19h! J'allais complètement oublier la commande de madame Sarfaty! Aussitôt, il se leva de son siège et entrouvrit la porte donnant sur le magasin pour demander à Youssef : Heu, j'avais complètem-ent oublié. Peux-tu me préparer pour madame Sarfaty, une livre de merguez, trois rondelles de mortadelle et 200 grammes de mou pour ses chats? Tu me feras deux paquets séparés, ok? Heu, tu les poseras à côté de la balance, je les prendrai tout à l'heure. Je te remercie. Pendant que Yo-ussef préparait la commande de madame Sarfaty, il se demandait comment il allait faire pour all-ez chez elle, au 62 rue des cachalots, qui se trouvait pratiquement à l'opposé du vieux port. Merde à cette heure-ci, j'ferai mieux d'y aller à pieds que d'prendre bêtement ma bagnole. Car co-mme d'habitude, il doit avoir des embouteillages monstres au centre ville et de plus il faut pass-er par l'avenue de la Libération. Alors ça, non, j'irai à pieds, c'est décidé! Tanpis, ça va me faire marcher un peu. Mais après tout, Marseille à pieds, c'est pas mal non plus, hum?

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En se disant cela d'un air ennuyé, il jouait en fait un peu les hypocrites, car tout ceci allait indub-itablement lui rappeler de merveilleux souvenirs d'arpenter à nouveau ces rues qu'il connaissait presque par cœur. N' y avait-il pas connu ses heures de gloire avec tous ses copains du quartier à une certaine époque? Pour vous dire la vérité, les vols à la roulotte et à la tire étaient alors une de nos occupations favorites pour nous procurer facilement de l'argent à moi et à mes amis. Vo-us me demandez comment on faisait? Oui, je sais bien que cela pourrait vous surprendre, mais à l'époque nous avions des yeux de lynx et rien ne nous échappait. Il nous suffisait tout bêtement de nous promener dans les rues pour observer ce que les gens faisaient sur leurs lieux de travail: chantiers, entreprises, bureaux, etc, là où nous allions exercer nos talents si particuliers pour sai-sir leurs valeurs, bref, leur argent. Pour passer inaperçu auprès des ouvriers( afin d'aller jusqu'à leur vestiaire), on enfilait des bleus de travail qu'on saupoudrait de plâtre mélangé à de la peintu-re et le tour était joué. Bref, on était méconnaissable jusqu'à prendre la grosse voix d'ouvrier po-ur nous fondre complètement dans cette population rugueuse, mais non insensible à l'air du tem-ps. Vous ne pouvez pas vous imaginer comment les gens étaient à cette époque à la fin des anné-es 70! Pour nous, ils étaient complètement inconscients en faisant confiance à tout le monde, Ah!Ah!Ah! Bref, c'était le monde rêvé pour nous, les petits voleurs qui vivions alors un véritab-le âge d'or. A chaque fois qu'on en parlait, c'était la franche rigolade, parce qu'on savait que tout-es ces idées de baba-cool et de peace and love, c'était bien sûr encore une histoire pour baiser les gens entre deux joints, Ah!Ah!Ah!

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Les gros qui avaient lancé ces idées savaient parfaitement ce qu'ils faisaient, en voulant endormir la population par ces idées de non violence et de "tenons-nous la main autour du feu de camps" Alors qu'eux, ils ramassaient le magot : trafics de stupéfiants et de beaucoup autres choses aussi. En politique, cela arrangeait pas mal de gens que la jeunesse gratte la guitare et dorme à belle étoile au lieu d'agir réellement. Pour moi et mes amis, les fautifs étaient les gens et nous on a fait que se servir et rien de plus, Ah!Ah!Ah! Et quand on rêve trop, c'est normal qu'on se réveille un jour à poil! N'êtes-vous pas du même avis que moi? Si ma mémoire est bonne, un jour, il nous ait arrivé de trouver dans une petite sacoche, qui ne faisait pas de mine, dans les 15000 Frs, extraordinaire! Avec du recul, je vois bien qu'à chaque époque, il y a des idées dominantes où une grosse partie de la population s'y engouffre et y gaspille son temps et son argent. Les plus malins sont bien sûr à chaque fois au rendez-vous de ces nouvelles tendances de la masse. Sentir l'air du temps n'est pas permis à tout le monde, mais c'est quelque chose de formidable pour les bandits ainsi que pour beaucoup d'autres personnes dont je tairais le nom. Car à vous dire la vé-rité, je ne me suis jamais senti assez intellectuel pour pouvoir changer le monde et dénoncer ceux qui organisaient le massacre. Bref, j'ai toujours été plutôt un garçon discret et les affaires des autres ne m'ont jamais intéressé. Question de survie, bien évidemment. Peut-être ne suis-je qu'un bandit comme eux? C'est fort possible. Mais sachez-bien que je ne vous demanderais jamais votre avis sur la question, car dieu seul peut me juger.

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En parlant des vols dans les voitures, voilà comment nous faisions moi et mes amis. Comme je vous le disais précédemment, les gens étaient négligents et laissaient souvent leurs voitures ou-vertes et la suite devenait alors un véritable jeu d'enfant où l'on s'emparait du sac à main ou de la sacoche, puis on courait à fond dans la direction opposée à la circulation afin de brouiller les pistes. Ca marchait à chaque fois et personne ne pouvait nous rattraper tellement on était agile et léger comme l'air. Quand la voiture était fermée (hé oui, ça arrivait), on avait trouvé une astuce pour l'ouvrir en utilisant un passe. C'était une petite lame souple en acier inoxydable qu'on trou-vait sur certains modèles de voiture telles que les 4L à l'intérieur d'un petit feu clignotant placé sur les ailes qu'on arrachait en tout discrétion. Parfois, ça nous prenait toute une journée pour en trouver un, car les autres bandes du quartier faisaient de même. Et souvent, on tombait sur le bon modèle de voiture, mais qui avait déjà subi cette étrange opération du saint esprit. Je sais qu' à cette époque beaucoup d'automobilistes, possédant ce modèle de voiture, ont dû vraiment être surpris qu'on leur vole ce petit clignotant de valeur insignifiante sur leurs ailes.Voilà l'explica-tion de ce grand mystère. C'était incroyable comme on trouvait d'argent à l'intérieur de ces peti-tes sacoches en cuir ou en simili! Et pour ne rien vous cacher, celles-ci nous faisaient souvent penser à une peau de chagrin du fait qu'on ne savait jamais d'avance ce qu'on allait y trouver à l'intérieur. Bref, une vraie peau de chagrin dans le sens que s'il n 'y avait rien, nos ambitions de grandeurs étaient amoindries et notre espace de liberté rétréci.

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Quand on y trouvait que des papiers d'identité ou des photos personnelles, tout ceci ne représ-entait pour nous aucune valeur marchande sauf dans certains cas où l'on trouvait des photos assez compromettantes pour le propriétaire où on le voyait complètement nu avec des personnes du même sexe! C'était assez dégueulasse, j'vous l'assure. C'est vrai qu'on aurait pu faire du chan-tage avec cette personne, mais cela ne nous intéressait pas du tout. Car nous avions à l'époque 15 ou 16 ans et on faisait tout cela quand même par jeu et par défit avec les autres copains où c'était souvent à celui qui ramenait le plus que lui revenait la palme du plus chanceux, Ah!Ah!Ah! Nous avions beaucoup d' humour à cet cette époque, ne trouvez-vous pas? C'était vraiment une époque formidable pour nous où tout était facile pour se procurer de l'argent. Je pense sin-cèrement que les gens dans les années 70 étaient beaucoup plus riches qu'ils le sont aujourd'hui. Je sais que c'est un peu déplacé de ma part de faire cette analyse sur la société française. Mais ce que je dis est sûrement vrai. Regardez les gens autour de vous aujourd'hui, ils sont plutôt fauch-és, proches de la faillite personnelle, n'est-ce pas? A qui la faute? Demandez-le à vos hommes politiques, Ah!Ah!Ah! Je sais bien que personne me croira, mais je m'en fiche complèmement. Car pour moi cette époque est totalement terminée et il me semble en avoir fini avec ce genre de conneries. Aujourd'hui d'autres m'attendent et j'espère bien qu'elles seront beaucoup plus intére-ssantes que les anciennes, Ah!Ah!Ah! Peut-être reverra-t-il d'anciennes prostituées dans les rues qu'il avait fréquenté avant son mariage avec Djaïda? se demandait-il l'air gêné en espèrant que non, bien évidemment.

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Ses anciens démons semblaient s'être réveillés d'un long sommeil, comme pour le revoir dans de drôles de situations, se disait-il par l'évocation de ses souvenirs d'ancien voyou. Et cela le rem-uait d'autant plus qu'elles pourraient bien le reconnaître! Et puis de toute façon n'avait-il pas au-tre chose à faire que de jouer à nouveau au gigolo? pensa-t-il comme pour se rassurer. En se souvenant très bien un jour qu'une fille lui avait demandé s'il voulait vivre avec elle. Mais étran-gement, il n'avait pas voulu lui répondre spontanément afin de faire durer le plaisir, bien évide-mment. Il était alors en train de se regarder dans la glace pour voir si tout était normal : sa coif-fure, l'ajustement de son costume, quand tout à coup ces mots délicieux sortirent de sa bouche parfaitement dessinée par le contre jour. Mouloud, envoûté par ce chant des sirènes, se deman-dait si ce chant magnifique pouvait durer éternellement autour de lui et s'en abreuver jour après jour sans en rompre la merveilleuse mélodie? Il savait que plus d'un homme se serait damner, trancher les veines pour l'entendre à nouveau, mais il n'en fit rien et continua son manège en réa-justant son col, puis le noeud de sa cravate, puis joua avec un de ses boutons en nacre de sa che-mise légère. Pendant tout ce temps, où il essayait de cacher son embarras, la fille qui lui parlait se tenait le bassin légèrement appuyé contre la porte de l'appartement qu'elle tenait pratiquement fermé depuis le début de son chant envoûtant. Par moment, on entendait des chocs brutaux seco-uer cette vieille porte qui pourtant ne lui avait rien fait! Elle semblait vouloir lui dire : Non, tu ne sortiras pas d'ici tant que tu ne m'auras pas donné ta réponse! Cette fille ne plaisantait plus maintenant et un énorme silence avait remplacé son chant mélodieux en attendant sa réponse.

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Mouloud sentit alors une gêne l'envahir des pieds à la tête où il était hors de question qu'elle puisse vivre avec lui ou qu'il puisse vivre avec elle, ce qui revenait au même. Mais comment lui dire sans la fâcher? se demanda-t-il. Ce temps de réflexion sembla durer une éternité pour lui, qui venait tout juste d'avoir 25 ans en se sentant comme un animal sauvage prêt à se jeter sur toutes ses aventures qui allaient lui procurer tous les plaisirs de la terre que sa jeunesse avide de sensations fortes pouvait lui procurer au grès de ses voyages entrepris en toute clandestinité. Ainsi, il pourrait goûter à tous les plaisirs de la terre sans rien perdre de cette liberté qu'il chéri-ssait comme un enfant : la liberté garante de son indépendance. Qu'allait-il s'embarrasser la vie avec une fille de mauvaise vie? se demanda-t-il subtement. Et puis de toute façon, ce n'était pas le moment de lui parler d'amour ou de lui demander ce genre de chose liée aux sentiments. Pri-mo, parce qu'il était fatigué (il venait de lui faire l'amour) et secundo, parce qu'il voulait retrou-ver sa liberté. Inquiet, il se demandait comment lui dire sans trop la blesser? Car j'ai toujours été gentil avec elle et lui donner une réponse négative va sûrement la mettre en colère et me traiter de sale égoïste et d'hypocrite. Reprenant son courage pour lui donner sa réponse( sachant que sa simulation avait trop duré et qu'elle pouvait s'en apervevoir), il détacha son regard du miroir, puis se retourna sur la fille qui bloquait toujours la porte de l'appartement. En fin stratège, il lui lança un grand sourire auquel la fille ne put résister en lui adressant en retour un grand sourire. Puis quand il fut près d'elle, il lui prit ses deux jolis avant bras qu'il pressa légèrement entre ses mains herculéennes au teint brûlé par le soleil où Gisèle sembla défaillir, mais se laissa saisir par cet homme viril qui lui dit d'un ton clair et assuré : Sais-tu, ma petite Gisèle, que je fréquente déjà une fille?

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-Ah oui? répondit-elle surprise. Un long silence s'installa dans la pièce où Gisèle pensa qu'une de ses collègues avait dû la devancer. Mais comment se faisait-il qu'elle n'avait pas été mise au courant? se demanda-t-elle subitement. Mais avec qui comme fille? demanda-t-elle rageusem-ent.

-Mais avec une fille normale, quoi! lui répondit-il en faisant l'étonné. Gisèle ne comprit rien du tout à cette expression " avec une fille normale", car elle était plus ou moins assommée de sa-voir qu'il vivait déjà avec une fille et qui lui en avait jamais parlé. Oui, elle était vraiment éton-née et ne semblait pas vouloir le croire tout à fait. Hum, hum, il trahissait sa petite amie avec moi et cela ne semblait pas le gêner le moins du monde. Y'avait quelque chose de louche derri-ère tout ça, lui disait son instinct de femme. Et puis cette façon qu'il avait de me faire l'amour, cela ne voulait-il pas dire que nous étions fait l'un pour l'autre? Mouloud, quant à lui, essayait de garder son assurance devant les doutes de Ggisèle en sachant bien que toute cette histoire de fille normale avec qui il semblait filer un parfait amour était absolument fausse. Mais il n'avait pas le choix s'il voulait retrouver sa liberté. Gisèle avait toujours le dos appuyé contre la porte et l'empêchait de sortir, mais il se refusait d'employer la violence contre elle parce qu'ils se connai-ssaient un peu malgré tout ce qui les séparait dans la vie : lui son esprit d'aventure et elle, une pauvre putain! Mais il comptait bien sur ce beau mensonge pour s'en débarrasser une bonne fois pour toute et d'une manière tout à fait naturelle. C'est à dire sans qu'elle puisse s'apercevoir qu'il lui mentait depuis le début. En fait, il avait remarqué chez beaucoup de femmes, une bizarrerie qui faisait que plus vous leur mentiez plus elles vous croyaient! C'était bien sûr une histoire à dormir debout, mais dont le jeune séducteur ne pouvait pas laisser aux autres concurrents.

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Le principe fonctionnait si bien qu'il en abusait d'une façon quotidienne afin d'arriver à ses fins de gloires, de richesses, mais aussi de plaisirs. Les femmes seraient bien évidemment ses premi-ères victimes en lui ouvrant toutes les portes dont elles détenaient étrangement les clefs pour se servir au passage d'une façon magnifique : là était son seul et unique but. Il laisserait donc après son départ un grand vide, mais qui ne le gênait aucunement puisqu'il aura d'une certaine façon regagné sa liberté: lieu où il redevenait intouchable et très loin de l'agitation du monde. C'était un principe assez ignoble, ne nous le cachons pas, mais dont l'exercice lui procurait une grande jouissance à chaque fois qu'il se mettait à inventer de drôles d'histoires que seules et seulement les femmes étaient prêtes à croire. Le rêve de sa vie se jouait dans cette imposture à transformer sa vie, mais aussi celle des autres où il intervenait sans demander leur accord. En les surprenant par sa drôlerie, mais aussi par cet air détaché qu'il prenait pour raconter les événements qui avai-ent marqué d'une manière indélébile l'Histoire de l'humanité et la sienne au passage, elle aussi remplies de folles péripéties. Avec lui, quand les gens l'écoutaient, seul l'instant comptait et le temps perdait de son épaisseur et la vie redevenait tout à coup légère, comme un voile transpare-nt au dessus de ces beaux visages, de ces belles inconnues cherchant sans aucun doute l'amour, toujours l'amour. La température des salons surchargés de lustres et de miroirs étincelants mon-tait et les yeux des femmes brillaient! Ce rêve d'or et d'argent, Mouloud en rêvait jour et nuit. Rêve de vanité? Possible. Rêve d'amour? N'allons pas trop loin! Rêve de gloire traversant le te-mps? Et Pourquoi pas? Mais que Gisèle, malgré sa grande beauté, ne pouvait lui offir? Exact.

En abandonnant Gisèle à son pauvre sort de putain, il savait qu'il y gagnerait sur tous les plans de l'existence où sa vie serait des plus amusantes et des moins ennuieuse au possible, pensait-il avec jubilation. Les filles sont naturelles, soyons-le nous aussi! semblait être sa devise pour la gente féminine. Gisèle hésitait entre la jalousie et la compréhension en gardant toujours la porte le dos appuyé contre. Quant à lui, il essayait toujours de lui expliquer par le mensonge que leur vie en commun ne pouvait exister que d'une façon anormale. Et que leur amour n'était en fin de compte qu'un délire, qu'une hystérie de la solitude mal supportée par Gisèle, une pute de rien du tout qui n'avait pas droit à l'amour! C'est ce qu'il essayait brutalement de lui expliquer. Pouvait-elle le comprendre? Et pourra-t-elle supporter qu'on lui le dise au détour d'une discussion tout à fait banale par les sentiments ordinaires qu'elle exprime et par les engagements de la vie exposés comme un mode d'emploi de l'existence? Pauvre Gisèle, pauvre fille des temps perdus! Seule au monde, devant ces hommes brutaux qui veulent ton corps, tu voudrais qu'on t'aime pour ce que tu es vraiment : un enfant de l'amour. Mais porté par le silence des mots, seul ton regard exprime l'antique souffrance du monde sans âge, sans frontières où le pourquoi pas devient ta seule rais-on d'être. Pourquoi pas rire, pourquoi pas pleurer, pourquoi pas garder silence au fond? J'ai ass-ez pleuré aux bras des singes! J'ai assez pleuré aux bords des fleuves! J'ai assez pleuré, un point c'est tout. Oh ma douce Gisèle que ta peau est belle! chantent les caméléons. Pourquoi ne pas s'amuser ensemble, chantent-ils, alors que le monde est si triste, non? Oh ma douce Gisèle, vien-dras-tu nous donnner l'illusion d'avoir aimé? Oh ma douce Gisèle, pourras-tu m'aimer, moi l'in-connu qui vit sans amours, sans lois à respecter, sans patrie à glorifier?

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Gisèle, pris par ces chants ensorcelés, s'enfuit alors et se mit à courir à travers les champs, les près et les rivières et parvint à se cacher au fond d'un temple où un piédestal en marbre rose, installé depuis peut être mille ans, l'attendait. Une jeune femme habillée de soie d'or vint à sa rencontre et, sans lui dire un mot, lui prit la main et la fit asseoir sur son trône pour qu'elle pui-sse prendre la pose pour l'éternité. Sur le fronton du temple était écrit en lettre gréco-romaine : Ici, tout homme respectable pourra piétiner et insulter l'amour qu'il aura un jour encensé! Pen-dant tout ce temps, où Mouloud lui avait fait connaître la vérité par un mensonge inventé de tou-tes pièces par lui-même, Gisèle n'avait rien dit contre cette nouvelle attaque que la vie ordinaire lui portait en plein coeur. Revenue maintenant à la réalité, elle mesurait toute l'étendue de sa souffrance "avec une fille normale!" expression lâchement employée par Mouloud comme pour l'humilier. Ce qui représentait pour elle, toute sa souffrance intérieure et le hors du monde où elle vivait malgré les apparences qu'elle se donnait quand elle terminait son "travail". Elle se sen-tit une fois de plus bannie de la vie, de sa vie qu'elle aurait souhaité tout à fait normale et ordi-naire. C'est à dire avec un avenir prévisible, des bonheurs simples, semés, puis récoltés à la bon-ne saison, des enfants jouant et criant dans un beau jardin de verdure, cueillant des fleurs et s'ém-erveillant devant leur beauté éphémère, des parents souriant à l'ombre des tilleuls et s'enthousis-asmant pour leur progéniture, les grondant quand ils font une bêtise. Bref, tout cela lui semblait être refusée, parce qu'elle n'était qu'une pute qui se vendait au premier venu! Mouloud ne lui av-ait-il pas fait comprendre avec cette expression "avec une fille normale?"

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Ne sachant plus quoi répondre, elle se demandait si toute sa vie n'avait pas été en vérité ces ince-ssants coups de pieds et coups de poings que les hommes violents, qui avaient traversé sa vie, lui avaient assemé depuis son enfance? Elle savait pleurer, comme quand elle était petite fille. Mais elle avait déjà versé beaucoup trop de larmes pour pouvoir donner ce plaisir à ses nouveaux goê-liers. Non, elle ne cèdera pas à la facilité, pensa-t-elle prit de violents tourments, car cela leur procurerait trop de plaisirs! dit-elle enfin. Elle se mit alors à le regarder droit dans les yeux et voulut les lui arracher, mais Mouloud étrangement ne les baissa point et soutint son regard sur cette fille qui semblait être pour lui et pour tous les hommes (aussi lâches qu'ils étaient), une pauvre fille. Non, ils n'avaient plus rien à se dire. Alors Gisèle, ayant tout compris sur la comé-die jouée par Mouloud, ouvrit en grand la porte et lui dit : Maintenant, tu peux partir! Et surtout ne reviens plus jamais, Ah!Ah!Ah! Ah!Ah!Ah! Vous êtes bien tous les mêmes, ria-t-elle comme une vieille sorcière. Mouloud éffrayé par ces rires endiablés qui, sans même se retourner, dévala l'étroit escalier de pierre qui semblait tourner interminablement sur lui-même comme une spirale sans fin, mais qui allait déboucher pour lui sur le monde de la lumière et sur le monde de la libe-rté. Jamais, il n'avait connu un sentiment aussi fort que celui-là où l'enfant retrouvait sa rue avec ses gens et ses automobiles; les bruits de la ville le réconfortaient, l'apaisaient où il pouvait enfin se fondre dans la foule et se sentir à nouveau libre et anonyme où personne ne connaissait son nom, ne savait d'où il venait et quelle lâcheté il avait commise où il se sentit à nouveau redeve-nir un homme!

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Oui, il avait bien failli devenir gigolo comme il vous le disait et la raison pour laquelle, il avait pris son temps pour vous raconter son histoire d'il y a 5 ans. Non, pour s'en vanter, mais unique-ment pour que sachiez, vous lecteur indiscret et curieux, que cette vie de voyou qu'il faillit em-brasser dans le monde de la prostitution aurait pu l'embarquer dans des histoires impossibles et sanguinaires. Car il ne se sentit jamais le coeur assez solide pour soutenir un tel combat auprès d'une pauvre fille qui, en fin de compte, n'avait que le défaut d'être très belle, mais aussi très exploitable comme une vulgaire marchandise. Gisèle connaissait très bien "la "musique" et sa seule liberté était celle de choisir son mac. Mais pas n'importe lequel, celui qui lui plaisait et prêt à se battre pour elle et à la soutenir jusqu'à la mort! Bref, nous étions dans un autre monde que celui frèquenté par les gens ordinaires et les gens biens. Nous étions dans les bas fonds des cités antiques où le crime attendait patiemment derrière de sombres piliers. Et tout ça, Mouloud le savait comme par intuition et qu'il n'aurait pas fait de vieux os dans ce milieu en vivant aux côtés de la très belle Gisèle. Revenant doucement de ce très long voyage, il avait maintenant le tournis de revoir devant lui, la réalité de la cité phocéenne, Marseille. Il n'avait pas changé de lieu, mais changé d'époque. Oh zut alors, 19h10! Il faut que j'y aille, sinon madame Sarfaty risque de ne pas manger ce soir ainsi que ses chats! Aussitôt, il sortit de la boutique avec dans sa filoche, la viande de madame Sarfaty. Mais à peine avait-il fait 10 mètres sur le port qu'il remar-qua qu'il avait oublié de dire quelque chose à Youssef. Retournant sur ses pas et entrouvant la porte, il lui dit : Youssef, j'allais oublié. N'oublie pas de fermer la boucherie à 19h30 exacte-ment et le rideau de fer. Tu sais après 20 h, y' a pas mal de cocos qui traînent sur le port. Ok? Allez, j'y vais. A demain 8 heures. 

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Youssef semblait très ému, malgré la bêtise qu'il avait faite sur la dernière commande, en sentant son patron à nouveau lui faire confiance. Kader, quant à lui, semblait complètement destabilisé et ne comprenait pas l'indulgence de son patron à l'égard de Youssef. Alors que lui toujours sér-ieux, dure à la tâche, l'air grave, attendait patiemment les faveurs de son patron. Il est vrai que Mouloud n'avait jamais pu le prendre en défaut depuis qu'il avait embauché, il y a 2 ans : il était toujours à l'heure, jamais malade, son tablier toujours propre devant la clientèle, toujours le sourire, un peu forcé, c'est vrai, mais tout de même crédible auprès des habitués. Kader était presque parfait et c'était peut-être cela qui le gênait le plus, lui qui se savait plein de défauts, de vices cachés, d'emportements colèriques et un goût prononcé pour la boisson. Mais les affaires étaient son domaine de prédilection et ça personne ne pouvait le contester. En fait, il avait trop de respect pour Kader pour lui demander une chose comme de fermer le rideau de fer en fin de journée! Non, ce qu'il prévoyait pour lui, c'était plutôt un avancement un peu plus conséquent. Peut-être ouvrirait-il une quatrième boucherie, afin de lui en confier la gestion? Mais pour l'ins-tant, il n'en savait rien et ça tournait dans sa tête, comme toute chose devait tout naturellement tourner dans tête avant d'être réalisée.  

Kader le regardait s'éloigner à travers la vitrine d'un air rempli de dépit. Il avait paru égaré pen-dant quelques secondes, mais il reprit vite ses esprits et pensait déjà au travail qu'il avait à faire où il fallait commencer à ranger la marchandise à l'intérieur des chambres froides. Quand Moul-oud sortit de la boutique, curieusement, il se demanda si au lieu de passer par derrière, il ne fer-ait pas mieux de passer tout bêtement par le vieux port? En y voyant les pêcheurs étendre leurs filets sur les berges et les faire sécher aux derniers rayons de soleil de l'après-midi. Après tout, pourquoi pas? se dit-il. J'pense pas que je vais les gêner avec mon filet à provisions. Et puis j'ai vraiment envie de marcher et de respirer un peu d'air frais. Par la cuisse de Jupiter, rester enfe-rmé toute la journée dans une arrière boutique, c'est pas une vie tout ça!  

Sur le vieux port..

Ebloui par le soleil, Mouloud avait mis naturellement sa main devant ses yeux pour se protéger ainsi que pour pouvoir continuer cette longue marche à travers les dalles défoncées de ce vieux port, qu'il connaissait presque par coeur chaque centimètre, chaque trou, chaque fissure qui dès la nuit tombée arrivaient à déjouer les chevilles les plus agiles des promeneurs solitaires et, tout particulièrement, celles de ces alcooliques anonymes déambulant comme des somnanbules. Tout en faisant attention à ne pas trébucher bêtement (parce qu'il en connaissait tous les pièges), il sa-vait pertinemment que ce chemin allait le retarder encore un peu plus. Mais il n'y pouvait ri-en, car nous étions en septembre et les rayons du soleil, pratiquement à l'horizontal, étaient deve-nus quasiment aveuglant pour tous ceux qui s'étaient attardés à attendre les derniers clients de la journée. Les commerçants se dépêchaient maintenant de ranger leurs tourniquets de cartes post-ales "souvenirs" montrant le vieux port sous ses aspects les plus monstrueux : vue de la Caneb-ière, vue d'un vieux rafiot amarré tant bien que mal au quai, vue de la pointe du Pharo, vue du bistrot chez "Marius" etc, je vous laisse deviner la suite affeuse ainsi que de rentrer, comme ils le pouvaient, ces immenses caisses en bois compartimentées et montées sur roulettes leur perme-ttant de vendre à l'extérieur tout un monde de pacotilles fait de porte-clefs, de fausses encres marines recouvertes de peinture dorée, mais aussi des savonnettes parfumées à la lavande et des micro peluches en polyester fabriqués en Chine et des huiles solaires à l'aspect quelque peu dou-teux. Mais étrangement, Mouloud n'avait plus le temps d'apprécier tous ces instants fugaces de la vie commerçantes phocéenes et toutes ses idées maintenant se bousculaient intensément à l'intér-ieur de son crâne, qui était comme écrasé par ce soleil implacable. En se disant d'une voix mon-ocorde qu'il n'avait réellement plus le temps de rêvasser et qu'il devait maintenant se dépêcher. Car de l'autre côté de la ville, une personne douce à son coeur l'attendait impatiemment, c'était madame Sarfaty!

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AVIS AU LECTEUR

Mon cher lecteur, si je me permet d'interrompre momentanément ce récit, ce n'est pas pour mon bon plaisir, croyez-le bien. Mais plutôt par souci de vérité que j'y suis contraint. Car je ne voudr-ais en aucun cas que cette pseudo-réalité dans laquelle nous sommes plongés quotidiennement par nos médias : presse parlée, presse écrite et même notre bonne vieille télévision française pui-ssent nous induire en erreur en falsifiant notre histoire qui est particulièrement émouvante com-me vous l'avez remarqué. Il est certain que par le passé, nos médias ont pu créer des monstres à leur insu à propos de ces monstres audiovisuels, comme la mère Denis ou bien Madame de Fontenay, par exemple. Et personnellement, je n'y trouve rien à redire sachant que ces monstres ont eu une fin de carrière tout à fait honorable à la télé. Mais si on devait parler aujourd'hui de ces nouveaux monstres qu'ils créaient pour leur seul plaisir, on pourrait sans crainte crier au scandale! Car ces derniers se faisaient littéralement massacrer en direct devant plus d'un million de téléspectateurs! Je voulais parler bien évidemment de la pauvre madame Sarfaty dont les goêl-iers s'appelaient comme par hasard Elie Kakku, un marseillais de souche et un parisien invétéré, un certain Michel Drucker, je crois. Il est certain que notre bonne vieille télévision française ait dépassé les bornes avec ces horribles spectacles touchant à la dignité humaine et qu'on peut s'en indigner et s'en alarmer. Car au rythme où va notre télévision française, il est fort possible dans la prochaine décennie qu'on assiste aux heures dites de grande écoute, bref, dès 20H30 à des éb-ats pornographiques sans que notre famille en soit scandalisée! Tout ceci est bien sûr effrayant, je ne vous le fais pas dire.

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Mais pour en revenir à nos moutons, afin de ne pas trop nous égarer dans cette jungle politico-moro-médiatique, je voudrais vous dire que toute cette mascarade n'a eu en vérité que très peu d'incidences sur la vie de la vraie madame Sarfaty, mise à part au début où les enfants de sa vois-ine( madame Cornera) venaient l'embêter en grattant sa porte et en criant son nom horriblement fort dans les couloirs, comme des monstres en furies! Mais elle y remédiait d'une manière assez originale, voyez-vous, en poussant le bouton de son poste de télévision à fond afin de les faire taire. Ca marchait à chaque fois et ils décampaient aussitôt comme des rats, Ah!Ah!Ah! Madame Sarfaty, malgré son grand âge, n'avait pas fait la deuxième guerre mondiale et la guerre d'Algérie pour rien, Ah!Ah!Ah! pouffait-elle souvent d'un rire malheureusement édenté. En connaissant pas mal d'astuces pour tromper l'ennemi qui, paradoxalement, s'était transformé en même pas 30 ans en petits merdeux qui se croyaient tout permis, parce que leurs parents les laissaient faire tout ce qu'ils voulaient! C'était le signe évident d'une nouvelle décadence qui allait très certaine-ment se terminer un jour en guérilla urbaine dans les rues de Marseille où d'ailleurs. Mises à part toutes ces considérations, Simone n'arrivait pas à comprendre, comment la semaine dernière, elle avait pu perdre l'équilibre dans ses escaliers et faire une chute monumentale qui l'avait laissé pour ainsi dire à moitié morte sur le palier du bas? Elle avait alors pensé à un mauvais tour joué par les enfants de sa voisine qui auraient pu tendre un fil sur les marches de ses escaliers pour la faire tomber, mais n'avait eu ni le courage ni la force d'aller vérifier. Bref, ce jour noir, elle n' avait pas eu beaucoup de chance où bizarrement dans l'immeuble tout le monde était semble-t-il parti en vacances, puisque ses appels à l'aide étaient restés vains! Elle avait vécu cela comme un vrai cauchemar et s'en remettait que très difficilement en ne cessant plus d'en revoir les images affreuses durant ses longues siestes qui occupaient une bonne partie de ses journées.

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Mais qui pouvait bien être la vraie madame Sarfaty? Et que représentait-elle exactement pour Mouloud qui, malgré le temps qui passait, essayait de la rejoindre au plus vite? Et sa femme Dj-aïda que savait-elle de cette étrange relation qu'il entretenait avec cette femme qui était juive et "pied-noir" en plus. Quel étrange garçon, il était! se disait-il en remontant le vieux port où le ve-nt s'était mis à souffler. Il avait l'impression une fois de plus de vouloir remonter le temps mal-gré lui. Mais qui pouvait bien le pousser ainsi qu'un fétu de paille vers cette femme au nom ri-dicule de madame Sarfaty? Mais qui le poussait vers ce passé qu'il ne connaissait que par bribes et par accouchements successifs de ses divinités. Le mystère semblait régner dans sa propre vie et c'était affreux où sa vie essayait de trouver une raison de continuer cette route, qu'il ne connai-ssait pas, mais qu'il devait emprunter chaque jour comme ces millions de gens anonymes étrang-ement attirés par les embouteillages des villes : coeur hypertrophique des cités modernes et an-tiques!

Là où la ville commençait, l'homme avait toujours su, mais l'homme moderne en avait perdu la trace! Et Mouloud, sans le savoir, cherchait cette trace effacée par cette humanité sans cesse en mouvement pour accroître les villes, les richesses et les crimes. Pourra-t-il retrouver son chemin parmi le fracas abominable des villes? Aura-t-il l'ouïe assez fine pour écouter le son continu du temps à travers les jours en fuite? Pourra-t-il sortir dignement de ces grands fleuves urbains où règnent en absolue la peur de l'autre? Mouloud chantait maintenant dans son coeur, une mélodie entrecoupée par le son du tambour qui se mit aussitôt à se gonfler de tristesse telle une petite rivière dévalant les plaines sinueuses des terres blanches et africaines. Mais qui pourra lui dire sa vie? Mais qui pourra lui dire ce qu'il est vraiment pour lui-même? Mais qui pourra lui dire ce qu'il ressent au fond de son coeur? N'était-ce qu'un échos de plus parmi le chaos du monde qu'il aurait entendu depuis le début de son manuscrit et rien de plus? Il avait maintenant la certitude qu'il n'avait fait que passer d'un monde à l'autre en passant par toutes les couleurs de l'arc en ciel afin de renaître à la lumière la plus intense : la lumière du jour! Il était passé par les profondeurs de son passé pour émerger à nouveau dans le monde des apparences, celui des hommes. C'est ce mouvement qu'il put saisir dans toute sa brutalité. Car d'être à nouveau dans la réalité rien de ne-uf ne se montra à lui où le soleil avait rougi à l'horizon et les petites embarcations, frémissantes sur le vieux port, avaient maintenant des couleurs sombres et ténébreuses où le clapotis de l'eau s'était comme alourdi de plomb. Et il se demandait, étrangement, s'il devait continuer cette long-ue marche vers ce quoi l'inconnu le poussait?

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Pendant ce temps là, au 62 rue des cachalots..

Mais qu'est qu'il peut bien faire à cette heure-ci, Mouloud? se demandait Simone les yeux rivés sur sa pendule : 9 h et toujours pas arrivé! Mais qu'est-ce qu'il fait, non de dieu? Mais qu'est-ce que je vais donner à mes animaux s'il ne vient pas? C'est que mon frigo est complètement vide et il me reste même plus une seule boite! Et des restes n'en parlons pas, hier, je les ai jeté à la pou-belle! Alors là, Mouloud, il est vraiment pas sérieux du tout. Mais merde, il sait bien que mes ja-mbes sont en compotes et que je ne peux plus me déplacer aussi facilement qu'avant, non? Pour-tant hier, au téléphone, il m' avait bien dit qu'il serait là vers les 8 h, non? Hum, hum, j'parie qu'il est en train de rêvasser sur la jetée en pensant à la mort de Louis 14 ou bien à son Algérie natale. Ca doit être ça, vu qu' il m'en a déjà faites des vertes et des pas mûres, cet enfant là. C'est qu'il peut venir d'un instant à l'autre avec plein de cadeaux sur les bras pour me faire plaisir ou bien venir à minuit me dire en pleurant qu'il n'avait pas vu l'heure passée tel que je le connais. Ce gos-se de 36 ans est un vrai poète et c'est pour cela qu'il m'aime. Et bien évidemment, je serais com-plètement folle de lui en faire un quelconque reproche où sans lui, je pense sincèrement que je me serais suicidée depuis belle lurette. Car ce monde est devenu trop méchant pour une femme comme moi qui souffre desormais de maux indescriptibles que la jeunesse ne veut évidemment ni entendre les plaintes ni voir les plaies. Lui, Mouloud, il me comprend et c'est pour cela que je l'attends toujours avec un petit serrement de coeur. Ca me rappelle ma famille que je n'ai plus et ça, c'est de l'amour et du vrai!

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Et ce n'est pas du tout comme au cinéma où l'on nous montre l'amour en gros plan où des com-édiens et des comédiennes font semblant de s'aimer parce qu'ils sont payés pour le faire croire! C'est vraiment ridicule, ce jeu là! Et puis de toute façon, ces acteurs et actrices, ils jouent co-mme des pieds et on devrait leur interdire de faire du cinéma. Ils jouent vraiment trop mal et ce n'est pas à en pleurer d'émotions, mais bien de tristesses. Mais personne n'ose leur dire qu'ils so-nt mauvais et c'est vraiment de la politesse mal placée, selon moi. On devrait plutôt les embau-cher à remonter les bobines que d'y apparaître dessus, Ah!Ah!Ah! C'est malheureux, mais les gens d'aujourd'hui ne pensent qu'à l'argent et à rien d'autre et ne veulent surtout pas qu'on leur parle d'arts et d'éssais, parce qu'ils veulent que ça marche du premier coup pour eux afin d'em-pocher le magot et se tirer sur les îles pour s'la couler douce. Mais c'est affreux, cette nouvelle génération d'artistes! Et des joueurs de foot parlons-en! Mon dieu, gagner des millions en tapant comme des demeurés dans un ballon, c'est un vrai scandale, mais que personne ne veut dénoncer! Simone était maintenant épuisée de penser que la France était devenue, en même pas 30 ans, un repère de bandits. Elle se rendormit aussitôt dans son fauteuil au tissus meultonné. Ses chats, qui l'avaient entendu marmonner quelque chose, tout à coup se réveillèrent en sortant de ce sommeil profond dans lequel ils étaient plongés depuis le début de l'après-midi. Après avoir baillé très longuement, ils se dressèrent impérialement sur leur pattes, comme de petites statuettes égyptie-nnes où un courant électrique semblable aux machines semblait les traverser et les galvaniser en même temps.

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Tout ceci se fit à une vitesse si impressionnante que Simone n'aperçut rien de cette étrange gym-nastique venue de la nuit des temps. Après leur retour vers la réalité, ils se mirent à tourner aut-our de son large fauteuil d'où étrangement ses jambes pendaient. Et dans un mouvement incess-ant de va-et-vient, comme dans un rituel mystérieux, ils caressaient ses jambes malades abomin-ablement grossies et déformées par la maladie que l'accident de la semaine dernière avait empiré l'état. Elle se souvenait alors d'avoir débaroulé sur chacune de ces marches (heureusement en bois!), la tête la première et en rebondissant comme un vulgaire punching-bal jusqu'au palier du bas. Simone ne voulait plus y penser et on pouvait bien la comprendre. Mais contrairement à ce qu'elle avait vécu( car elle avait pu se relever toute seule et remonter jusqu'à chez elle à la force de ses poignets malgré ses jambes en bouillie), elle n'en finissait pas de chuter interminablement dans ses escaliers comme dans un puit sans fond. Etrangement ses voisins, qui la voyaient desc-endre comme un obus, avaient plutôt l'air de s'en réjouir que de vouloir lui apporter réellement une aide. Et employaient à son égard un vocabulaire assez féroce qui n'était nullement à la hau-teur de la situation. Alors ma p'tite Simone, on n'dit plus bonjour à ses voisins? Mais c'est pas beau ce que vous nous faites là! Ah, j'vous croyais pas comme ça! Oh, madame Sarfaty, mais c'est la jeunesse qui revient ou quoi? Ah!Ah!Ah! Mais on plaisantait, ma p'tite Simone!

Allez, prenez ma main pour vous sortir de ce pétrin où vous vous êtes mis bien maladroitem- ent toute seule. Et si vous en êtes là, c'est uniquement de votre faute et nullement de la nôtre, croyez-le bien. Allez, ma p'tite Simone, encore un petit effort et je l' attrape votre main. Au mo-ment où madame Sarfaty se saisissait de cette main, celle-ci se retirait aussitôt des siennes acco-mpagnées par de gros éclats de rires, Ah! Ah! Ah! Mais ça va pas? Vous n'alliez pas croire tout de même qu'on allait vous aider? Non mais! Moi, j'vous croyais moins naïve que ça pour vos 101 ans! Ah! Ah! Ah!

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-Oh les monstres! leur criait-elle indignée tout en continuant sa chute qui ressemblait à un vérit-able cauchemar en ne connaissant pas la suite des évènements.

-Au fait, madame Sarfaty, votre créateur n'est-il pas mort? Non? Oui? Et alors qu'est-que vous faites encore parmi nous à nous embêter avec vos vieilleries? Votre place est sûrement entre 4 planches, non? Ah!Ah!Ah! Allez, adieu madame Sarfaty! Simone épouvantée leur criait : Messi-eurs, je vous en supplie, vous devez faire erreur sur la personne. Car je ne suis pas celle que vous avez vu à la télé, mais je suis la vraie madame Sarfaty, celle qui a fait les deux guerres et participé à la libération de la France. Et pour ne rien vous cacher, j'ai connu peronnellement le général de Gaule!

-Et mon cul, tu le connais? Ah!Ah!Ah! lui répondait-on brutalement. Non, madame Sarfaty, vous n'êtes qu'une menteuse. Car vous n'êtes qu'une imposture de l'Histoire, qu'un personnage audio-visuel. Vous ne méritez même pas qu'on vous répondent!

-Vieille croûte! expédièrent les enfants de madame Cornéra qui tout en lui courant après lui cra-chèrent au visage. Crève, vieux cadavre ambulant, Ah!Ah!Ah! continuèrent-ils en disparaissant par une ouverture dans le mur; Simone épouvantée s'essuyait alors le visage avec l'un des bords de son châle qu'elle gardait toujours sur ses épaules de peur d'attraper froid. Elle pleurait presq-ue, mais se retenait. Petits merdeux! lâcha-t-elle dans un dernier sursaut d'orgueil en continuant de tomber toujours plus bas vers où elle ne savait. Puis comme par magie, elle atterrissait sur les fesses sur le palier d'une demeure inconnue où étrangement, il n'y avait plus personne pour l'inj-urier, mais tout de même inquiète de ne voir autour d'elle plus aucun signe de vie. Madame Sar-faty sentit à ce moment là et au plus profond de son désespoir que seuls ses chats et sa tortue su-rnommée madame la générale pouvaient alors la sauver. Et dans un sursaut d'orgueil, elle se vit porter par ses animaux sur leurs dos jusqu'à chez elle en ne se plaignant aucunement de cette lo-urde tâche où elle pouvait enfin téléphoner au docteur Jivaqueur qui venait ensuite la secourir. Mais curieusement aucun miaulement ne vint déranger le silence de ces lieux sinistres où tout semblait mort où aucun bruit ne sortait des appartements : madame Sarfaty crut vivre alors un troisième génocide!

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Non pas celui de la deuxième guerre mondiale où ses parents avaient péri carbonisés dans les ca-mps de la mort! Ni celui de la guerre d'Algérie où elle fut violée puis torturée! Mais celui d'auj-ourd'hui où elle se sentait mourir dans la plus grande indiffénce : génocide quotidien où la barb-arie était dans les mots et dans les intentions méchantes de cette humanité chancelante et hysté-rique.

Elle voulait mourir, mais se demandait comment il fallait faire? Elle regarda alors au plafond pour voir s'il n'y avait pas une corde ou bien un fil électrique qui aurait pu? Mais elle ne vit que des ampoules électriques enfouies sous des hublots de verre translucides et des moulures en bois où semblablement les câbles couraient. Puis tout à coup, la lumière s'éteignit. Tiens, c'est sûrem-ent la minuterie qui a dû se déclencher! dit-elle du bout des lèvres comme pour se rassurer. Mais n'en fut pas plus malheureuse pour autant en ressemblant à une mort artificielle où elle retrouva même un peu de réconfort dans sa détresse. Reposant sa tête contre le mur du palier, mais ne po-uvant contenir ses larmes, elle se mit à pleurer longuement à visage découvert dans la pénombre où ses sanglots prirent une dimension insoupçonnée qui l'effraya horriblement en imitant le chan-ts des morts! Remarquant la peur qu'elle avait engendré sur elle-même, elle détacha instinctivem-ent sa tête du mur et s'arrêta aussitôt de pleurer. Une chose l'intriguait, c'étaient ces petits points lumineux qu'elle pouvait observer dans la pénombre de la cage d'escalier qui se trouvaient à l'int-érieur des boutons électriques et semblaient commander la minuterie. Plus elle les regardait, plus ces petites lucioles avaient l'impression de se détacher du mur et plus elles ressemblaient à de gros insectes lumineux qui se mirent à voler autour d'elle. En les regardant de plus en plus intens-ément leur effet hypnotique ne fit que grandir et madame Sarfaty, au lieu de voir en eux de char-mants petits insectes lumineux, aperçut l'enfer!

Le feu du diable où les flammes, issues des bombes incendiaires, ravageaient et faisaient s'écrou-ler, comme des châteaux de cartes, des bâtiments entiers dans un fracas abominable de balles cré-pitantes dans le ciel et sous le bruit assourdissant des sirènes de la D.C.A!

Ils avaient commencé à bombarder leur quartier vers les 11 heures du soir, alors que tout le mo-nde s'était endormi avec, disons-le, une bonne dose d'inconscience : car les accords de paix, qui auraient dû être signés la nuit dernière à Baden-Baden, ne l'avaient pas été pour des raisons me-rcantiles d'espaces aériens que chacun devait respecter afin de faire partie de la nouvelle Europe. Mais l'une des parties, qui s'était sentie grugée par ces fameux accords, avait ronchonné à devoir réduire sa flotte aérienne pour être soi-disant aux normes européennes. Celle-ci avait tout simp-lement quitté la table des négociations en claquant la porte en leur disant : Messieurs, vous pou-vez allez au diable avec vos frontières aériennes, car nous ne tolèront aucune ingérence dans les affaires de notre pays qui est une nation souveraine! Personne naturellement n'avait pris au série-ux les menaces proférées par le ministre Apoloznief et avait continué sa discution avec son voi-sin de table en parlant bizarrement de tout autre chose, bref, de l'écologie et de la culture des ar-tichauts dans les pays froids tout en continuant à se faire photographier par les journalistes de la presse écrite. Les journaux, le lendemain, avaient tourné en dérision les propos de monsieur Ap-oloznief en lui disant par journaux interposés : Mais si Monsieur Apoloznief n'aimait pas les fr-ontières, personne ne l'empêchait d'aller vivre sur la lune, Ah!Ah!Ah! L'affaire avait fait pas mal de bruit jusqu' à déranger la vie monacale au coeur même du ministère des affaires étrangères, qui avait aussitôt envoyé une note à tous les services de presse du pays pour leur dire qu' ils dev-aient s'arrêter de plaisanter sur ce sujet. Car c'était de la paix dont il s'agissait et non une histoire de gloriole, comme vous le supputiez, messieurs les journalistes! avait-il alors écrit. Les journa-listes avaient immédiatement répondu par la menace de porter plainte auprès des instances des droits de l'homme pour atteinte à la liberté de la presse. Et le ministère avait dû lâcher un peu de leste pour atténuer l'affaire et laissé les journalistes écrirent leurs articles plutôt dévastateurs auprès de la population, qui s'était donnée à coeur joie de voir en monsieur Apoloznief, un clo-wn et rien qu' un clown!

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La journée s'était donc passée dans cette ambiance plutôt bonne enfant pour les gens de la rue. Et le soir venu, la famille Mandel était partie se coucher après un dîner plutôt léger, afin que le so-mmeil de chacun en soit le moins dérangé par la digestion. Elle habitait un petit pavillon qui était situé dans le quartier Est de la ville : la nuit était tombée et tout le monde dormait.

Jean, qui avait cru entendre comme une explosion, ouvrit les yeux et regarda en direction de sa femme qui dormait paisiblement à ses côtés. Il est vrai qu'elle ronflait un peu, mais cela ne res-semblait en rien à une explosion! pensa-t-il surpris et envoûté en même temps par ce qu'il venait d'entendre. Il remit aussitôt son oreiller sous sa tête et essaya de retrouver le sommeil. Mais 2 minutes plus tard, une deuxième explosion! Mais c'est quoi ce délire? lança-t-il en sourdine en regardant vers la fenêtre où les carreaux s'étaient mis à vibrer mystèrieusement. Mais qu'est-ce qui se passe, non de Dieu? s'écria-t-il en sautant du lit pour voir à la fenêtre ce qui se passait de-hors. Son épouse, qui l'avait vu sortir du lit sans lui dire un seul mot, le regardait avec des yeux étonnés et encore lourds de fatigue. En soulevant le rideau, il aperçut le ciel rempli d'éclats lum-ineux se déplaçant sous le bruit sourd de moteurs d'avions et de sirènes plaintives. Non de dieu, mais c'est affreux! Mais c'est la guerre ou quoi? Ne sachant plus quoi répondre, il se frappa plusieurs fois la tête contre le mur comme pour s'en prendre à lui-même. Mais c'est pas possible! Mais comment ont-ils pu laisser le doute planer, alors qu'hier ils nous disaient que de nouveaux accords de paix allaient être signés? Et les journaux pourquoi ne nous ont-ils rien dit? Mais c'est criminel tout ça!

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-Mais qu'est-ce qui s' passe, chéri? Tu te sens pas bien, hein?

-Non, c'est pas ça, chérie. Mais viens vite, car je ne peux malheureusement pas te décrire ce qui se passe dehors tellement ça me glace..

-Comment ça te glace? J'arrive tout de suite..dit Christiane en se levant et en jetant presque la couverture hors du lit pour aller rejoindre son mari à la fenêtre. Alors qu'est-ce qu' il y a ? lui demanda t-elle un peu essoufflée.

-Regarde! lui dit-il en soulevant le rideau.

-AAAH! Mais? Mais?

-Je ne sais plus quoi te dire, chérie, mais je crois que c'est la fin pour nous! Christiane, qui n'av-ait pas quitté des yeux le spectacle horrible du ciel, se demandait si tout cela n'était pas un cauc-hemar et elle ferma les yeux pendant un instant pour ne pas le croire. Mais aussitôt qu'elle les rouvrit, elle vit la même vision d'horreur et son visage se crispa à nouveau où ses yeux s'enfla-mmèrent de révolte. Les mots terribles qu'avaient prononcé son mari : Chérie, je crois que c'est la fin pour nous! elle les entendait résonner dans son crâne comme un refrain macabre. Elle sem-blait complètement désemparée et ne comprenait pas la folie des hommes de vouloir tous les an-éantir sous le fracas des bombes, elle, son mari et ses enfants! Mais c'était un crime odieux, car tous désiraient vivre et jouir encore de la vie au milieu des siens. Revenant brutalement à la réal-ité, sa raison lui dictait maintenant un message de haute importance qui était celui de sauver sa famille coûte que coûte. Elle semblait avoir retrouvé un peu de calme et savait désormais ce qu' elle avait à faire. Elle se tourna aussitôt vers son mari et lui posa la main sur son épaule pour lui parler d'égal à égal qui, touché par le geste de sa femme, se mit à la regarder comme une idole, comme quelque chose de surnaturelle où leurs yeux se rencontrèrent et se disaient déjà tout.

-Jean, tu sais, tout n'est pas perdu! Et puis il y a les enfants et je ne voudrais en aucun cas qu'il leur arrive quelque chose. Battons-nous pour eux, le veux-tu?

-Mais chérie, tu as vu ce qui nous attend dehors?

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-Oui, je le sais bien. Mais notre mission n'est-elle pas de les sauver de la folie destructice des hommes, car qui d'autre que nous le fera?

-Mais c'est la guerre, mon amour, ne le vois-tu pas?

-Mais oui, je le vois bien. Mais sans nous, je pense qu'ils ne survivront jamais à cette horreur et ils nous faut les protéger en leur cachant la vérité. Tu sais, chéri, à ces âges on est souvent aveu-gle et leur dire seulement que nous allons faire nos valises pour un très long voyage, ça ne pou-rra que les aider à mieux supporter les choses, non?

-Mais n'es-tu pas devenue folle? Mais on nous bombarde et ça ils vont le voir, non? Et tous ces morts que nous risquons de voir sur notre route, mais comment vas-tu leur expliquer? Tu vas leur dire qu'ils sont tombés de leurs fenêtres, comme ça par hasard? Tu délires complètement, ma petite Christiane! Mais au fond, je crois que c'est toi qui a raison, car il faut nous battre jus-qu'au bout pour ne pas nous en vouloir plus tard.

-Ah, je savais bien que tu serais d'accord avec moi, mon chéri!

-Mais ai-je bien le choix? Allez, au lieu de nous apitoyer sur notre sort, dépêchons-nous! Et il faudrait que l'on soit parti avant qu'ils arrivent. Toi, va réveiller les enfants. Moi pendant ce te-mps là, je vais descendre les valises du grenier afin de préparer ce long voyage où la chance sera notre seule alliée.

D'accord chéri, j'y vais..

Ici commence pour moi l'oeuvre des ténèbres, l'oeuvre démoniaque qui a fait de moi un être inc-onsolable. Mon nom est Simone Mandel et je suis la fille de Christiane et de Jean Mandel. Voilà maintenant vous savez tout, du moins une partie. Aussi, je voudrais rassurez ceux qui me liront que je ne veux en aucune façon rentrer dans une énième polémique à propos de tous ces mass-acres que j'ai pu voir de mes propres yeux. Pour la simple raison qu'à mon âge avancé de 70 ans, on ne peut plus entreprendre un tel combat autour de ce passé désormais révolu puisque rempl-acé par ce présent qui me laisse un peu perplexe quant à son devenir. Mais bon, puissions-nous avoir assez de temps pour tout vous raconter dans les moindres détails, tel sera mon voeux. Je continue mon histoire.

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Allez, simone, réveille-toi! Fais vite, c'est maman qui te le demande!

-Mais maman, c'est quoi tout ce bruit qu'on vient d' entendre?

-C'est rien, ma petite, c'est tout simplement de l'orage. Allez, fais ce que je te demande. Nous allons partir tous ensemble pour un long voyage et ton père est en train de préparer nos valises.

-Ah oui, maman? Mais à cette heure-ci? Mais où au juste?

-Là où on ira, j'te dis. Allez, Simone, arrêtes de me poser toutes ces questions et habille-toi mai-ntenant.

-D'accord, maman."

Ma mère partit ensuite réveiller mon petit frère. Elle s'inquiétait vraiment pour lui, car il ne fai-sait que pleurer. Mais elle le rassurait en le prenant dans ses bras et en l'embrassant tendrement. Quant à moi, je m'habillais toute seule en prenant mes affaires sur le dossier d'une chaise qui était près de mon lit. Ma mère, que je voyais tourner dans la chambre, ressemblait étrangement à un fantôme tellement sa chemise de nuit était d'une blancheur éclatante en cherchant les affaires de Franck dans le placard où il régnait une totale obscurité. Papa, entre temps, était venu nous dire qu'il ne fallait surtout pas qu'on allume la lumière à cause de l'aviation qui pouvait alors repérer nos maisons. Ma mère aussitôt le gronda de nous avoir dit un peu la vérité. Mais moi, je savais déjà que la guerre était entrée dans notre petite vie d'enfant, puisque l'affolement général de mes parents ne pouvait en être que les prémices ravageurs. Et comme tout enfant de 13 ans que j'étais, j'avais déjà lu ce genre de catastrophe dans nos livres d'Histoires à l'école, bien évid-emment.

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Les tirs de la D.C.A commençaient à se faire entendre d'ici où l'on pouvait apercevoir à travers la fenêtre des lucioles lumineuses envahir le ciel. C'était beau et en même temps affreux, car je devinais inconsciemment que ces petits insectes devaient tuer les autres beaucoup plus gros et en acier qui lâchaient sur nos têtes des choses qui tuaient. Lorsque je fus prette, je partis dans le salon où j'aperçus avec surprise mon père qui essayait de rentrer un maximum d'affaires dans nos valises qu'on utilisait surtout pour aller en vacances. Mais comme il était très énervé, il n'y arrivait pas. Et moi, bizarrement, au lieu de l'aider, je le regardais faire et aperçus sur son visage une grande détresse l'envahir, puis tout son corps se mit à trembler frénétiquement de peur ou de froid. En fait, je n'en savais rien. Mon dieu, c'était la première fois que je voyais mon père trembler de cette façon si horrible devant sa famille au point de me faire ressentir de la pitié pour lui. Bref, il m'était impossible de lui venir en aide et je ne savais pas pourquoi, car j'étais comme paralysée par la situation, mais aussi par mon jeune âge, âge bête par excellence. Tout cela ne dura qu'un très court instant et heureusement pour moi. Car ma mère, voyant son désa-rroi, se précipita aussitôt à ses côtés pour l'aider à ranger au mieux nos affaires d'enfants dans les valises. Mon père avait alors baissé les yeux et moi je ne savais pas si c'était de la honte où tout simplement de la peur; ma mère n'avait laissé rien transparaître du moins en apparence.

Mais ce qui me fit un grand plaisir, ce fut de voir sur le beau visage de ma mère( tout de même creusé par la fatigue) tout son amour pour son mari qui de nouveau réapparaissait dans la tour-mente des jours. Où leurs bras vigoureux et leurs mains jeunes se frôlant mutuellement, comme dans un ballet à 4 mains, rangèrent soigneusement nos petites affaires d'enfants dans l'une des valises en gardant l'autre pour eux. L'intervention de ma mère auprès de mon père avait fait que nous nous sentions plus proches des uns et des autres. Et nous nous disions alors en silence que nous formions véritablement une famille soudée et ce serait ce lien quasi indestructible qui allait nous tenir ensemble malgré la fureur des hommes à vouloir le faire éclater. Je n'ai su qu'à l'âge de raison, ce que tout cela pouvait signifier en vérité pour moi et pour mon père, qui m'avait pa-ru à l'époque terriblement humilié en tant qu'homme. En tant qu'homme, parce qu'il savait que cette sale guerre n'était en vérité qu'une ignoble histoire entre les individus d'une même espèce qui se battaient pour une hypothétique prise de pouvoir qu'ils auraient un jour sur les autres. Mon père n'avait pas tremblé pour lui-même, mais pour les siens! et il avait eu honte d'être un homme parmi les hommes. De même qu'il avait eu peur de ne pas être à la hauteur des espéranc-es de sa famille afin de la protéger contre sa propre espèce. Les deux petites valises, au tissu da-massé que nous prenions à chaque fois pour allez en vacances dans le midi de la France, portai-ent maintenant quelque chose d'affreux . Car en les prenant d'une façon si précipitée, nous ne sa-vions plus exactement où elles allaient maintenant nous transporter, sachant qu'elles non plus ne connaissaient leur nouvelle destination!

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On mit un bon quart d'heure pour nous habiller et faire nos valises. Maman sortit la première et me tenait par la main. Papa portait mon petit frère et tenait l'autre valise. Dehors tous les habi-tants de notre quartier avait fait comme nous et portaient enfants et valises sur les bras. Ca criait et ça pleurait de partout tellement la situation était incompréhensible. Moi je ne pleurais pas, mais j'ai eu très peur quand les maisons ont commencé à s'écrouler sur nous! Maman, furieuse, nous criait dessus en nous sommant de rester au milieu de la rue pour éviter de recevoir sur la tête, les gros blocs de pierre et les énormes poutres qui se détachaient des bâtiments éventrés. L'air devint vite irrespirable à cause de toutes ces fumées toxiques qui se dégageaient des bâtim-ents en flamme où l'on pouvait apercevoir, comme suspendu au dessus du vide, un restant de cuisine et même la moitié d'un salon! La foule, paniquée par le déluge de feu qui se déversait sur elle, encombra très rapidement la rue et nous dûmes accepter de ne plus pouvoir progresser. Étr-angement, tout le monde se mit à observer le ciel, où l'on ne pouvait strictement rien voir, mais entendre uniquement le bruit des bombardiers ainsi que le sifflement des bombes qui en chutant déchiraient affreusement l'atmosphère. Affolés de ne pouvoir s'enfuir, des gens se battaient pour gagner seulement quelques mètres! On s'insultait à mort au milieu du désastre et c'était affligent.

En fait, tout le monde attendait de savoir où la prochaine bombe allait tomber. Quand soudain-ement, n'entendant plus son sifflement, nous l'entendîmes exploser à une dizaine de mètres de la foule où nous étions pour ainsi dire prisonniers! Ce fut horrible et jamais de toute ma vie, je n' avais entendu de tels cris d'horreurs si près de moi! Et je ne sus par quel miracle, mais nous eûmes la vie sauve grâce aux gens qui, placés devant nous, avaient formé une sorte de bouclier humain lors de l'explosion. Quand nous nous relevâmes, nous étions couvert de sang et un mê-me un bras lors de l'explosion avait été projeté sur moi. Ma mère, épouvantée, se précipita sur moi et se mit étrangement à regarder mes bras, mes jambes, puis ma tête comme pour s'assurer que le sang que j'avais sur moi ne provenait pas d'une blessure provoquée par la bombe. Mira-culeusement, je n'avais rien et rassura maman. Puis on s'inspecta mutuellement afin de savoir si personne n'était blessé. Après ces deux minutes d'horreurs, ce fut un grand soulagement de voir que toute notre famille était saine et sauve! Et les gens autour de nous faisaient de même pour eux et pour leurs proches. Ce rapprochement intime et cette préoccupation des êtres pour leurs proches voisins avaient crée, au milieu de cette foule écrasée par la terreur, un véritable courant d'amour qui se propageait telle une vague frémissante d'un bout à l'autre de cette marée hum-aine.

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Maintenant tout le monde savait que cela ne signifiait plus rien d'être devant ou derrière le conv-ois, car la bombe pouvait à tout moment tomber et frapper à n'importe quel endroit de la foule. Une nouvelle alerte replongea tout le monde dans le plus grand désarroi, mais la foule aussitôt reprit son mouvement inexorablement vers cette hypothètique sortie du tunnel : sortie du tunnel qui symbolisait pour elle, le bonheur de respirer à l'air libre et surtout ne plus entendre claquer au dessus d'elle, le bruit de la terreur. Personne ne pouvait réellement voir ce qui se passait dev-ant lui, parce qu'il marchait tête baissée et la peur au ventre. Parfois de grands éclairs de lumière déchiraient l'horizon, mais nous n'osions plus lever nos têtes de peur d'attirer le malheur. Malgré ces éclairages intermittents sur la ville, nous ne pouvions guère voir que sur une quinzaine de mètres et pas plus. En fait, nous marchions très lentement et les bâtiments en flamme n'éclairai-ent en vérité très peu la route où nous étions collès les uns aux autres. Ainsi tout au long de la route, nous passions sans cesse de la plus sombre obscurité, où règnait un froid glacial, à la lu-mière la plus intense où la chaleur incandescente brûlait nos visages. Tout près d'une de ces mai-sons, nous contournâmes les cadavres de ces hommes et de ces femmes que la bombe avait anéa-nti en quelques secondes! Ma mère, me voyant maladroite à me cacher les yeux derrière mes pet-ites mains, me tira soudainement vers elle dans un mouvement quasi animal. Blottie contre elle, contre son sein que je sentis bouillonnant à travers le tissu de son manteau de cachemire, je tra-versai ainsi l'horreur sans la voir. Mais ce qui m'horrifia le plus, ce fut de sentir cette odeur de la mort qui s'élevait des cadavres: une odeur poivrée et musquée qui allait me poursuivre jusqu' à la fin de mes jours.

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Mon père avait serré mon petit frère contre sa poitrine pour qu'il ne vit rien de toute cette horre-ur, ce que ma mère approuva aussitôt. Et nous traversâmes, blottis les uns contre les autres, ce champ de cadavres où un cratère s'était formé au milieu de la route. La foule avait enjambé un à un tous ces morceaux de chair humaine sans pour autant arrêter sa longue marche. Car il lui fall-ait absolument gagner la campagne afin de retrouver un peu de paix au milieu des bois où elle se sentait prête à construire des cabanes pour s'abriter où le bois ne manquerait pas pour se chauffer ainsi que le feuillage pour garnir les sols et couvrir les toits de leurs nouvelles habitations. Cha-cun y pensait, mais sans pouvoir mesurer ni soupçonner la distance qui les séparait de ce bonh-eur juste entraperçu, sachant qu'il leur fallait encore traverser une grande partie de la ville qui était toujours pilonnée par l'aviation en ne faisant qu'augmenter leur crainte qu'ils puissent sortir vivant de cet enfer.

Le long boulevard que nous prenions maintenant, et que je prenais souvent à bicyclette avant la guerre, je n'arrivais plus à le reconnaître tellement les bâtiments avaient subi de dommage. Étra-ngement, il ne subsistait au rez-de-chaussée que des trous béants où l'on pouvait apercevoir, so-us la poussière et les éclats de verres, les traces de l'ancien mobilier qui autrefois garnissait imp-érialement les commerces de luxes et, plus modestement, les petites boutiques en tout genres toutes aussi utiles et nécessaires à l'activité humaine. Malgré le bruit des bombes qui ponctuait et accentuait le silence, il régnait à l'intérieur de ces décombres, un silence beaucoup plus impre-ssionnant qu'à l'extérieur de la ville. Malgré la foule qui me poussait et m'empêchait de voir, je désirais ardemment retrouver, parmi tous ces débris de vitrines et de portes défoncées, la trace de l'ancienne pâtisserie "Olansky" où jadis, j'achetais non sans une certaine fébrilité, mon pain aux raisins tous les mercredi après-midi. Comme je ne le mangeais jamais tout de suite, j'avais fait installer par mon père, à l'avant de ma bicyclette, un petit panier en osier me permettant de trans-porter ma viennoiserie à travers la ville que je visitais alors avec un enthousiasme hors du com-mun. C'était fabuleux, car je découvrais à chaque fois de nouveaux lieux et de nouvelles façades qui m'avaient semble-t-il échappé lors de mes précédente promenades.

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J'étais vraiment intriguée par ce passé qui dormait au dessus des bruits de la circulation et de la pollution automobile. Bizarrement, les gens n'y prêtaient aucune attention ni même à la beauté médiévale d'une porte cochère qui s'ouvrait sur la rue et laissait échapper, parmi la circulation, une voiture à cheval richement harnachée où des princes et des princesses habillés de soie de Brocard partaient jouer dans les casinos et y dilapider leur fortune. Ces princes et ces princesses avaient semble-t-il choisi de vivre à une autre époque que la leur par la manière royale de narg-uer, non pas les petites gens qui se dépêchaient de gagner leurs vies parmi la cohue, mais l'épo-que burlesque où le hasard les avait propulsé, comme de jolies marionnettes habillées de soie d' or. C'était peine à voir, mais je n'enviais pas leur sort d'être toujours un ou deux siècles en reta-rd! Les automobilistes pour se moquer d'eux, les doublaient en klaxonnant très fort où des rires fusaient derrière les pare-brises. D'autres, qui étaient beaucoup plus méchants que les premiers, essayaient tout simplement de faire renverser la berline sur la route où seul l'intervention mag-istrale du cocher permettait d'éviter la catastrophe, mais aussitôt l'automobiliste partait en trom-be de peur d'être pris en flagrant délit par des policiers qui surveillaient tout de même la circula-tion. Moi même, je faisais très attention en roulant avec ma bicyclette sur le grand boulevard où selon moi les automobiles roulaient un peu trop vite. Mais j'aimais mieux, pour ne rien vous cacher, emprunter les petites ruelles que je connaissais presque par coeur où je pouvais sans ris-que approfondir mes recherches sur la ville et sur son architecture, qui semblait avoir été très florissante au milieu du second empire et appartenait maintenant au beau quartier de la trinitaine où la majeure partie des boutiques de luxe avait choisi de s'installer sous les arcades. C'était souvent sous ces arcades magnifiquement ornées que j'entamais avec gourmandise mon pain aux raisins.

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Un banc, qui était souvent libre à ces heures-ci, me permettait de me reposer après ma course frénétique à travers la ville. Je savourais le tout accompagné d'une petite bouteille de limonade que j'achetais à la boutique "chop" et j'étais heureuse. Et personne ne pouvait connaître à ce mo-ment là mon bonheur où jeunesse, culture et gourmandise, rimaient ensemble d'une manière fan-tastique!

Il arrivait certains mercredi que je ne me sente pas très en forme. Alors, je délaissais ma bicyclet-te au profit d'une petite marche jusqu'à l'église Sainte Catherine où sur le parvis, il y avait toujo-urs beaucoup de monde qui s'y donnait rendez-vous pour x et diverses raisons soit pour comm-enter ce qu'ils avaient lu dans les journaux soit pour se refiler de bons tuyaux pour leurs affaires. Il était aussi un lieu formidable pour les enfants grâce à sa surface très plane qui leur permettait d'experimenter les patins à roulettes que maman venait de leur acheter. Quant aux autres, ils ne faisaient qu'y passer et l'empruntaient uniquemement pour éviter la circulation qui était très imp-ortante autour de l'église. Après avoir observé tout ce beau monde, je partais à la recherche de monsieur Gruau, qui était un mendiant accompagné d'un drôle de singe habillé comme un prin-ce, alors que lui s'habillait avec des vêtements récupérés dans les poubelles! D'habitude, je le ret-rouvais assis au fond du tympan où des bancs avaient été creusés à même la pierre où son singe tendait la main pour lui et c'était assez émouvant pour moi. Quand une place se trouvait libérée par un mendiant, je m'asseyais aussitôt côté de lui et on partageait ensemble mon pain aux rai-sins. Chose marrante, son singe n'aimait que les petits raisins qui se trouvaient sur mon gâteau que je  lui lançais dans la bouche en essayant de les attaper comme il le pouvait. Les gens, souv-ent à la vue de ce spectacle improvisé, riaient et donnaient quelques pièces au singe.

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Monsieur Gruau, qui était impressionné par mon sens de l'improvisation, me parlait souvent de vouloir monter un spectacle avec lui. Mais moi, horrifiée par cette idée quelque peu extravagan-te, je préférais ne pas lui répondre en gardant toute ma stupeur. Car de me mettre à jongler avec lui devant toute cette faune où mon père et ma mère pouvaient à tout instant surgir, cela resse-mblait à de la pure folie! Mais il le comprit assez vite et n'osa plus jamais m'en reparler. Je savais bien que ce genre de spectacle aurait pu marcher et lui faire gagner beaucoup d'argent. Mais bien que l'idée fusse bonne, jamais je n'aurais pu expliquer la chose à mes parents qui m'auraient prise pour une folle.

Le temps passait vite et il me fallait à chaque fois rentrer à la maison avec une véritable peine sa-chant que le lendemain, c'était l'école qui recommençait. Parfois, il m'arrivait de rentrer à l'intér-ieur de l'église Sainte Catherine quand je ne trouvais pas monsieur Gruau et son singe. Bien que je sois de confession juive, mes parents m'auraient très certainement grondé de m'être permise cette chose. Mais si je me permettais d'entrer dans ces lieux austères, où l'air souvent manquait, ce n'était pas par jeu, mais par l'appel de la musique de Bach qui m'y forçait. A peine avais-je ou-vert la petite porte qui donnait sur la nef qu'un flot intense de musique sacrée me faisait tourner la tête et me faisait voir Dieu à travers les vitraux immensément colorés de rouge, de jaune et de bleu que la lumière du soleil traversait puissamment. Après ces instants miraculeux, je me ressa-isissais et visitais aux travers d'ouvertures grillagées, les petites chapelles qui étaient adossées le long de la nef. Et au rythme d'une cantate de Bach, je m'extasiais de savoir comment des homm-es, de simples mortels, avaient pu donner leur vie à Dieu sans l'avoir regretté? Et je devinais, à travers l'obscurité de ces petites chapelles fermées à double tour où brillait un crucifix, tous les sacrifices d'une vie désormais enfermés dans leur tombeau de marbre blanc où je pouvais y lire en inscription latine tous les exploits accomplis dans le silence d'une vie. De tous ces prêtres, il ne restait d'eux, de leur vie, qu'un petit crucifix de bois reposant sur le marbre d'un modeste prioret ainsi que de simples objets de cultes ne possédant par eux-mêmes aucune valeur march-ande. Tous leurs voeux de pénitences avait été exhaussés un jour et ils avaient d'une certaine façon rejoint Dieu parmi les cieux. Et je devinais leur bonheur d'être dans le ciel assis à côté d'un Dieu bon et miséricordieux.

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La musique de Bach avait fait, semble-t-il, son effet et elle m'avait d'une certaine façon propulsé dans un monde et dans une religion que je sentais très proche, mais qui au lieu de m'apporter de la joie m'apportait des inquiétudes et me torturait la chair et les os où il me semblait pleurer des larmes de sang au dessus des bénitiers d'eau fraîche qui auraient pu soulager ma douleur. Ainsi se terminaient souvent mes visites à l'église Sainte Catherine où, courant de panique à travers la nef, j'épargnais rarement la foule sur mon passage pour le pardon que je ne pouvais leur acc-order. Apparemment pour cette foule anonyme, j'étais une fille désespérée ou peut-être avais-je été bouleversée par les révélations du Christ? En fait, je n'en savais rien.

Malgré tous mes efforts à fouiller à l'intérieur des décombres, je ne trouvais aucune trace de la pâtisserie Olansky. Mes parents étaient toujours à mes côtés et je tenais fermement la main cha-ude de maman que je n'avais pas lâchée depuis notre départ précipité de la maison. Où les crispa-tions nerveuses m'avaient fait ressentir des peurs et des angoisses qui allaient me traumatiser jusqu'à la fin de mes jours. D'une certaine manière, j'avais ressenti la terrible impuissance des adultes qui devant des événements, qu'on ne pouvait que qualifier d'horribles, étaient obligés de fuir avec femmes et enfants sur les routes. En voyant la foule massacrée sous mes yeux, je savais que nous avions très peu de chance de nous en sortir vivant. Et de voir ma mère étouffer un san-glot devant les boutiques, où il ne restait plus que des ruines, je savais déjà tout! Et mon père mordre ses poings de colère, je comprenais que plus rien ne pourrait être comme avant et que les cafés littéraires, où il avait fréquenté les écrivains, tous lui avaient bien sûr menti sur la soi-dis-ant liberté et prospérité économique des nations entre elles. Avec le souvenir d'avoir hurlé un jour sa colère, quand ses amis au café l'avait traitè de réac! Avait-il eu tort de critiquer et de se moquer du Nobel, quand ce dernier reçut le prix de littérature pour un livre intitulé "La liberté pourquoi faire?" Avait-il senti la catastrophe avant les autres?

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Les comptoirs des cafés du boulevard étaient maintenant vides, vidés de toute substance humai-ne et réfléchissante. Les miroirs, qui autrefois renvoyaient la vie et les alcools multicolores sur les visages des jeunes hommes, étaient maintenant brisés par l'horreur. Le zinc avait noirci sous l'effet thermique des bombes et les bouts de comptoirs étaient brisés en plusieurs morceaux! Au fond de la salle, où tous les sièges étaient renversés, on pouvait apercevoir dans la semi-obscu-rité les portraits magnifiques de Marylin Monroe et d'Erroln Flynn encore suspendus au mur. Étrangement, ils souriaient tous les deux à je ne sais quoi d'extraordinaire et de tragique à la fois où Marylin faisait tourner une ombrelle sur son épaule nue et Erroln Flynn en faisant le pitre dans ses collants de robins des bois!

Au fond de moi, je me disais qu'il fallait arrêter de me faire souffrir inutilement. Car à vouloir absolument tout voir et tout retenir, au milieu de cette tragédie, cela ne pouvait en fin de compte que m'attirer le malheur. A aucun moment, je me suis sentie l'unique témoin de toutes ces horre-urs. Avec l'intime conviction que tous ces gens, qui fuyaient alors les bombardements, avaient essayé comme moi d'arracher aux débris et à la cendre des monuments, un dernier souvenir d'une vie qui avait été heureuse. Maintenant, il n'en restait plus rien.

Et nous marchions toujours têtes baissées comme un sombre troupeau d'animaux allant directe-ment aux abattoirs. Nous quittions la ville doucement par les rues se faisant toujours plus étroit-es et entrions dans des quartiers que nous ne connaissions pratiquement pas. Parfois des group-es d'hommes et de femmes sortaient de l'ombre et venaient grossir le flan de notre groupe qui formait en vérité une véritable marée humaine de plusieurs milliers d'individus! Mais un nombre que nous ne voulions surtout pas connaître de peur d'accentuer notre desarroi. En fait, ce que nous désirions tous, c'était de pouvoir continuer notre route vers notre future liberté, puisque de toute façon nous n'avions plus le choix. Le ciel était toujours illuminé de couleurs fluorescentes et les sirènes, sans s'être estompées, renvoyaient à l'horizon un son plaintif. Grâce au ciel, nous n'étions plus au centre des bombardement, mais sans pour autant compter sur les autorités pour nous défendre. Car il était évident pour nous tous qu'elles avaient dû partir bien avant les bom-bardements et se cacher dans des abris spécialement faits pour elle soit à l'étranger soit sur des îles lointaines et inaccessibles pour le commun des mortels. Bref, qu'elles nous avaient aban-donné à notre pauvre sort, n'est-ce pas? En devenant par l'évidence même, les otages de l'Hist-oire! Je devinais aussi qu'il devait se cacher parmi nous une population d'indésirables vu que les bombardements avaient dû briser les enceintes des prisons et libérer d'ignobles criminels. Et j'ét-ais horrifiée de penser que cette situation de guerre avait pu rendre la chose possible.

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Mais je savais aussi que dans la situation où nous étions, nous ne risquions pas grand chose. En m'interrogeant avec lucidité sur le devenir de ces personnes qui auraient dû finir leur vie en pri-son et qui du jour au lendemain se trouvaient en liberté en train de savourer leur plaisir même sous les bombes! Cette situation me parut surréaliste pour le voyou qui, même sous les bombes, avait encore une chance de s'en sortir et regagner sa liberté. En prévoyant un plan astucieux pour échapper au massacre où il était prêt à collaborer avec l'ennemi ou bien revêtir son uniforme. La vie semblait suivre son cours même dans l'horreur, était-ce juste? Comme si de rien n'était? Ap-rès tout, se disait-il, le malheur des uns ne faisait-il pas le bonheur des autres? Ah!Ah!Ah! Il y av-ait aussi parmi nous de simples soldats ou gradés qui avaient dû de toute évidence déserté le cha-mp de bataille. Cela se voyait tout simplement dans leurs yeux où l'on pouvait y lire comme une terrible honte de s'être faufilé parmi nous. Ils avaient dû faire l'irrémédiable chose pour un mi-litaire de jeter son uniforme dans les décombres et de revêtir ensuite celui d'un civil mort sur la route. C'était une évidence même en marchant désormais parmi nous. Mais pouvait-on leur repr-ocher d'avoir déserté le champ de bataille? Etions-nous vraiment dans un champ de bataille com-me au temps des chevaliers? Et l'horreur n'avait-elle pas changé de visage au cours des siècles derniers? Bref, ne devrait-on pas revoir les définitons? Mais qui en aurait le courage? Il y avait aussi parmi nous une masse assez importante de gens qui avait travaillé avant le bombardement pour les services administratifs de la ville. C'étaient de petits fonctionnaires accompagnés par leurs chefs de service qui n'avaient pas eu le temps ou la chance de s'enfuir, comme leurs supé-rieurs qui avaient réussi à quitter la ville avant le bombardement avec leurs famille et leurs amis. Mais on ne savait toujours pas par quel canal administratif?

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Je l'avais remarqué par la manière qu'ils avaient de parler entre eux avec leur propre jargon qui était bien sûr incompréhensible pour nous autres. Mais le plus surprenant pour moi fut de voir, au fur et à mesure que nous nous enfonçions dans l'inconnu et dans un ordre apparent, qu'il rég-nait derrière nous une agitation anormale. On parlait de scinder le groupe en deux partie afin d' éviter que les troupes ennemies nous capturent tous ensemble! Bizarrement ceux qui avaient lancé cette idée fort logique étaient les anciens employés de la ville et leurs petits chefs de servi-ce qui, par je ne sais quel miracle, avaient pu se rejoindre en remontant la foule et ainsi se regro-uper. Mon père, qui avait tendu l'oreille, poussa aussitôt une exclamation pour exprimer son opposition à cette idée de couper le convois en deux, alors que l'on se rapprochait doucement de notre future libérté. Bref, il était question de faire passer la moitié des gens par l'avenue de Jeru-salem. Mais vous êtes fous! leur lança-t-il à la figure Mais aussitôt les anciens employés de la poste ripostèrent en lui disant que tout n'était qu'une question d'organisation. Car en continuant dans cette direction, il était sûr et certain qu'ils allaient tous se faire prendre! Ce qui n'était pas totalement faux, puisqu'en scindant le convois en deux, chaque groupe avait une chance supplé-mentaire d'atteindre la campagne. Mais mon père n'en démorda pas et prit à partie leur supérieur qui se croyait tout permis en voulant, semble-t-il, prendre le pouvoir au milieu de l'horreur.

Écoute-moi, vieux coquin de fonctionnaire! lui dit-il en le regardant dans les yeux. Ici, on est pas dans tes bureaux et la loi elle n'existe plus à ce que je sâche, hein? Et si tu veux partir avec tes amis, fais-le! Mais n'essaye surtout pas de nous embarquer encore une fois dans tes saloperies. Oui, je dis bien, tes saloperies! Car si nous en sommes là, c'est aussi de votre faute! Hé, mon ga-rs, regarde autour de toi et qu'est-ce que tu vois au dessus de ta tête d'imbécile, hein? Et c'est quoi toutes ces bombes qui nous passent au coin de la figure? Mais où sont les autorités? Où est l'armée? Où est l'Etat qui soi-disant devait nous protéger? Hein, où est-il? Tous ces propos, lan-cés à la figure de tous ces anciens représentants de l'Etat, jetèrent comme un froid parmi la foule qui put aussi les entendre. Le petit groupe de fonctionnaires n'osa rien répondre contre ces argu-ments irréfutables de mon père sur leur soi-disant noble profession, sauf leur supérieur qui avait une haute estime de ses collègues. Monsieur, je ne vous connais pas. Mais il est de mon devoir de vous dire que vous avez tout simplement insulté notre noble profession qui est de servir le public! Je peux comprendre aussi, que dans la situation où nous sommes, nous ayons tous perdu un peu la boule. Mais moi, Monsieur, ce que je ne tolère pas, c'est que l'on nous manque de res-pect! Et si je me suis permis moi et mes collègues d'émettre cette idée, c'est uniquement pour apporter une solution à notre fuite collective. Car qui d'entre nous sait où nous allons exactem-ent? A part vous, peut-être ?

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-Mais? répondit Jean.

-Je ne sais pas si monsieur a étudié l'histoire?

-Euh?

-Moi, si monsieur, et je sais que l'armée ennemie doit nous attendre tranquillement à l'autre bout de la ville où il faut s'attendre au pire. A moins que vous ayez une autre solution à nous propo-ser, monsieur, qui semblez tout savoir?

-Euh? Jean, ne sachant plus quoi répondre, leur dit: Sâchez, messieurs, que jamais je ne vous su-ivrai moi et ma famille! Pour la simple raison que j'ai toujours été un ennemi fervent aux idées de masse que vous essayez encore aujourd'hui d'appliquer à notre situation désastreuse. Non, messieurs, les anciens fonctionnaires, vous êtes aussi nus que nous, les pauvres citoyens qui av-ons été de tout temps maltraités par nos États. Désolé, messieurs, mais je ne peux plus rien faire pour vous! Et surtout n'essayez pas de convaincre les autres, personne ne vous suivra. Le grand mensonge est enfin terminé pour nous tous, c'est cela que j'avais à vous dire, Adieu, messieurs! Aussitôt, Jean se retourna sur la foule et chercha du regard sa femme qui, émue par les propos de son mari, le prit par le bras et l'entraîna au loin. Jean semblait très ému par ce qu'il venait de dire et ne faisait que répéter à sa femme : Ah tu as vu? Tu as vu, comme je leur ai cloué le bec à ces fonctionnaires? Passer par l'avenue de Jerusalem, mais c'est de la pure folie! Large comme elle est, nous n'aurions aucune chance de nous en sortir vivant s'ils venaient à larguer des bom-bes. Mais ils sont fous, vraiment fous ces fonctionnaires! Après ces enguelades au milieu de l'at-rocité, nous reprîment notre marche, têtes baissées et droit devant nous. Tandis qu'à l'arrière, les gens qui avaient perdu leur prestige et leur statut de fonctionnaire essayaient de convaincre les gens de les suivre, mais semble-t-il sans aucun succès, puisque l'Etat n'existait plus. Des chiens, abandonnés par leurs propriétaires et qui n'avaient pas mangé depuis une dizaine d'heures, dévo-raient des cadavres dans les ruines en essayant d'extirper un morceau de chair à travers les vête-ments cintrant les corps en voie de décomposition. Etrangement, dès qu'ils nous vîmes, ils arrêt-èrent leur carnage, comme si nous représentions pour eux, pour ces animaux domestiques, un appel vers la civilisation, puis ils coururent dans notre direction afin de renouer avec nous.

Des enfants riaient et voulaient en avoir un de ce petits chiots qui étaient nés sous le bombarde-ment. Mais les parents, embarrassés par d'autres soucis, les firent détaler en leur donnant de gran-ds coups de pieds dans les flancs qui, toutes gémissantes, regagnèrent aussitôt les charniers où ils avaient commencé quelque chose à l'ombre de toute humanité.

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Un jeune garçon sortit de la poche de son veston, un petit transistor qu'il commença à manipuler fébrilement entre ses mains. Tout le monde semblait stupéfait qu'il ait pu emporter avec lui ce petit récepteur radio, alors que chacun avait estimé en faisant ses valises qu'un transistor était une chose de tout à fait superflu. Des curieux le regardaient faire et semblaient l'envier de pou-voir manipuler un objet qui avait appartenu à la vie quotidienne et à un monde qui avait disparu en quelques heures! Ce petit transistor leur rappelait beaucoup de souvenirs, comme le petit déj-euner pris en famille dans leur maison de campagne où l'air sentait bon la verdure et les fleurs du jardin; le café était servi dans les tasses et ils n'avaient plus qu'à s'asseoir pour le déguster tranq-uillement. La radio était allumée et leur parlait joyeusement du temps qu'il allait faire. Étrange-ment, la météo ne se trompait jamais à cette époque là! Après ils écoutaient les chansons d'Edit Piaf et de Charles Trenet innondées les ondes comme des messages chargès d'amour et d'espoir. Que le monde était beau à cette époque là! semblaient-ils regretter en ne quittant pas des yeux, le petit transistor du jeune garçon. Qui, étonné par la surprise qu'il avait créé autour de lui, le colla ensuite contre son oreille en faisant tourner la molette pour essayer de capter une station de ra-dio, mais où aucun crépitement ne sortit du petit récepteur. Il insista, mais cette fois-ci en faisant tourner la molette dans l'autre sens, mais là aussi rien du tout, même pas un petit crachotement ne sortit de ses entrailles électroniques où les ondes semblaient vides, vidées de toute substance humaine où les émetteurs avaient été réduits en miettes ou kidnappés par l'ennemi.

Le jeune garçon fit alors une grimace et d'un geste fou le jeta contre un pan de mur qu'il y avait sur le passage où l'appareil partit en miettes! La foule qui l'avait vu faire cela lui en voulait terriblement d'avoir jeté cet objet chargé de tendresses même s'il ne fonctionnait plus. Mais était-ce une bonne raison pour le jeter comme ça à la vue de tout le monde, alors que chacun était dans une situation désespérée? Ce n'était qu'un jeune con, voilà tout! pensait la foule vexée de n'avoir pu le toucher, le manipuler, le coller contre son oreille afin d'écouter même un petit cra-chotement qui aurait pu lui donner un petit plaisir au milieu du désastre. Tout le monde parmi la foule se maudissait désormais et semblait prêt à s'allier avec le diable!

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Il était vers les 1 heure du matin et cela faisait plus de 2 heures que nous marchions dans la nuit fluorescente où l'on n'apercevait toujours pas la sortie de la ville. Cela nous inquiétait d'autant plus que nous apercevions de temps en temps des soldats sortir des rues perpendiculaires à notre route. Mais étrangement, tout le monde faisait semblant de ne pas les voir et continuait sa route comme si de rien n'était en pensant que personne ne pourrait les arrêter comme ça d'un seul coup avec 2 mitraillettes et 3 couteaux! N'étaient-ils pas des milliers? pensaient-ils fièrement. Et qui pourrait nous arrêter? Quoi, quelques soldats? Non, ce n'était pas possible pour eux de l'envis-ager! De plus en plus de soldats remontaient vers le centre ville afin de s'emparer des lieux strat-ègiques d'où partirait ensuite leur plan d'extermination. On sentait comme un malaise s'amplifi-er parmi nous, puis soudainement, on entendit des bruits de moteurs qui, selon des gens avertis, n'étaient pas ceux d'automobiles ou de camions. Ce sont des chars! lança soudainement quelqu' un dans la foule. En disant cela tout fort, il ne fit qu'inquiéter encore plus la majorité des gens qui pensaient que leur calvaire allait se terminer. Oh mon dieu! dit une personne âgée qui faillit s' écrouler en entendant la terrible nouvelle. Oh mon dieu, sauvez-nous! répéta-t-elle au milieu de la foule transie par l'effroi où chacun se demandait maintenant s'il ne devait pas faire sa dern-ière prière? Nous étions pris par de terribles frissons et nos dents commencèrent à claquer au milieu du froid où des gens pris de panique sortirent du convois en se mettant à courir en arrière pour sauver leurs vies.

Les criminels se réveillaient de leur fausse béatitude et étaient prêts maintenant à tuer. Oui, se disaient-ils, c'était le moment de sortir de la foule et d'aller se cacher derrière un pan de mur pour assommer un soldat et lui piquer son uniforme et ses armes. Une grosse pierre sur la tête suffirait largement! pensaient-ils émus par le travail qu'ils avaient à accomplir en les voyant eux aussi s'échapper comme les rats d'un navire. Quant aux autres qui restaient, ils employaient sans le savoir, la méthode romaine pour éviter d'être pris individuellement en restant groupé et de to-ujours avancer malgré les chars et les mitrailleuses qui allaient sûrement leur barrer le passage. N'étaient-ils pas des milliers? Alors comment allaient-ils faire pour  arrêter une telle masse? se disaient-ils tous d'une manière inconsciente. Moi aussi, je le pensais, mais lorsque je vis le char se mettre en travers de la route et positionner sa tourelle face à la foule, je n'y croyais plus vrai-ment. Il semblait si furieux qu'il dégageait autour de lui une épaisse fumée noire qui avait com-me un avant goût de la mort. Quelques instants plus tard, la foule arriva sur lui et le contourna par les côtés! Ce qui fut pour moi, un spectacle totalement surréaliste où le char semblait com-me paralysé par cette foue terriblement inconsciente. Nous passâmes nous aussi à côté de ce terr-ible engin de mort qui je savais abritait à l'intérieur de simples mortels.

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En passant, je remarquai que ce char avait une couleur très laide d'un jaune pisseux où je pus voir l'emblème de leur armée qui était peint sur l'épaisse tôle. C'était un éléphant jaune qui biza-rrement portait sur sa tête une couronne de fleurs. Que cela pouvait-il signifier exactement? J'en savais rien en ne correspondant à rien à ce que nous connaissions auparavant. La foule que nous formions commença à se refermer sur le char qui, au bout de quelques minutes, se retrouva co-mplètement noyé au milieu de celle-ci (on pensait alors bien naïvement que notre  piège avait marché!). Mais à notre grande stupeur, celui-ci se mit à tirer avec ses mitrailleuses au milieu de la foule en ne voulant semble-t-il n'épargner personne! Tout le monde criait : Fuyez! Fuyez! et moi aussi je le criais. En faisant tourner sa tourelle au dessus de nos têtes, il nous aspergeait de balles réelles où malheureusement, prise dans la bousculade, je lâchai la main de maman en cria-nt comme une folle : Maman! Maman! Mais personne ne semblait entendre mes cris parmi les autres qui étaient en vérité beaucoup plus terribles que les miens. En une fraction de secondes, j'étais emportée par un groupe de gens que je ne connaissais pas. Mais où allions nous comme ça? me demandai-je pris par le vertige de cette fuite et par une mort qui me semblait prochaine. La séparation avec ma mère me hantait beaucoup plus que l'idée de mourir à vrai dire. Et plus, je courais comme une folle dans ces rues affreusement noires, plus je m'éloignais d'elle et plus je sentais le froid m'envahir, comme regrettant douloureusement sa main chaude et consolatrice.

Je pensais bien sûr à mon père et à mon petit frère qui avaient pu rester ensemble. Mais mon co-eur me faisait terriblement mal de le penser à chaque instant où, durant cette course effrénée, ma seule envie était de me laissez tomber par terre et d'attendre que tout ce cauchemar s'arrêtât de lui même. La gorge me brûlait terriblement de courir à travers les rues où l'air était pourri où je voy-ais bien que je n'étais plus habituée à courir en voyant les autres me distancer et s'en moquer co-mplètement. Je regrettais amèrement de n'avoir pas fait assez de sport avant la guerre, alors que j'en avais eu tout le loisir. Les gens autour de moi couraient si mal qu'ils m'envoyaient leurs coudes dans le ventre et dans les côtes en me faisant horriblement mal. De temps en temps, je regardais derière moi, mais personne ne semblait nous suivre. En fait, je ne voyais toujours pas où nous allions comme ça à travers les rues étroites où des militaires pouvaient se cacher et nous canarder comme de vulgaires canards. Je devais prendre immédiatement une décision, soit je rev-enais sur mes pas et retrouvais mes parents( mais avec le risque de me faire tuer) soit je continu-ais avec le groupe, mais en sachant bien qu'il nous faudra bien à un moment donné nous arrêter de courir, car on ne pourra pas tenir à cette allure. Et c'est en passant dans un virage que je vis soudainement une petite allée plongée dans l'obscurité où sans trop réfléchir, je m'y engouffrai. Avant de disparaître à l'intérieur, je remarquai sur la façade du bâtiment deux lettres de métal, un H et un O et j'ai tout de suite pensé à l'entrée d'un hôtel. De toute façon, cela n'avait aucune im-portance pour moi qui n'espérais qu'une seule chose de retrouver mes parents qui se trouvaient à 300 mètres de là où j'étais sûre et certaine qu'ils se cacheraient eux aussi à l'intérieur de décom-bres en attendant patiemment mon retour.

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Aussitôt, je grimpais aux étages supérieurs en escaladant les marches deux par deux en me serva-nt de la rampe comme d'un ressort qui, à chaque palier, relançait mon élan. Ainsi, je pus monter jusqu'au dernier étage où surprise par le vide, je dus redescendre en constatant que le toit avait été soufflé par une explosion où l'escalier avec sa rampe en fer forgé se jetait dans le vide. Un pas de plus et je me tuais! pensai-je avec terreur. Touchant presque des doigts le ciel rempli d' étoiles et de lucioles multicolores, j'aurais aimé que cet élan, employé par moi-même pour mo-nter tout en haut, me servit lui aussi à franchir l'espace et le temps. Malheureusement, le poids de la guerre était bien agrippé à mes épaules et ne voulait plus semble-t-il les lâcher. En quelques heures, j'avais vieilli de mille ans et pesais le poids de mille enclumes et que de prendre mon en-vol eut été une chose bien difficile à réaliser par moi-même. Désespérée, je m'abritais derrière un restant de mur où j'observais de ces hauteurs, prises de vues imprenables sur la ville, l'endroit possible où mes parents pouvaient bien se cacher. Je voyais d'ici que les chars n'avaient pratiqu-ement pas bougé de la grande avenue depuis que nous nous étions enfuies désormais éclairée par des torches ainsi que par d'énormes projecteurs à étincelles. J'étais bien sûr un peu loin pour voir réellement quelque chose de la taille d'un être humain, sinon des petits mouvements que j'arriv-ais à percevoir à travers la nuit et ne me rassurait en rien sur la situation de mes proches.

Quand le froid commença à se faire sentir, je redescendis à l'intérieur de l'hôtel pour y chercher une chambre qui aurait pu être épargnée par les bombardements. Mais sans trop de difficulté, j'en trouvais une au 4 ème étage qui ressemblait étrangement à un petit boudoir. Exténuée de fatigue, je me jetai sur le lit et m'endormis aussitôt.

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Le lendemain matin..

La lumière du jour avait percé le voile déchiré de la petite fenêtre où l'on pouvait apercevoir le corps de la petite Simone recroquevillé sur lui-même. Une pauvre couverture le recouvrait et l'on se demandait si elle vivait toujours? Car il régnait à l'intérieur de ce petit boudoir, tapissé de rose et de bleu, un froid glacial. Le vent du nord, qui avait soufflé toute la nuit à travers le rideau troué, avait envahi sournoisement ces lieux qui jadis avaient dû abriter des amours clan-destins. Seuls les rayons du soleil semblaient apporter un peu de réconfort et de chaleur à l'ense-mble de la pièce. Il n' y avait aucun bruit et seul on entendait par moment le souffle du vent faire vibrer des anneaux de cuivre qui retentissaient, comme de petits morceaux de cristal. Simone dormait toujours et un de ses petits pieds sortait de la couverture où l'on voyait au dessus de sa chaussette rouge, l'extrême blancheur de sa peau que le froid avait bleui par endroit. Le corps semblait pris dans les glaces et ne semblait pas s'en rendre compte et Simone rêvait bien évidem-ment à ce qui n'existait pas et certainement pas à cette sale guerre qui la meutrissait déjà si jeu-ne. Etrangement, elle se dorait au soleil sur une plage imaginaire entourée de ses parents et de son petit frère face à la mer bleutée qui s'étendait à perte de vue où des petits voiliers à l'horiz-on renvoyaient au promeneur, le long des côtes, la blancheur de leurs voiles triangulaires. Simo-ne semblait sourire sous sa couverture à la vue de tant de merveilles où la vie semblait l'atten-dre, lui tendre les bras, où elle n'avait qu'à dire oui pour être emportée par un flot de bonheur ju-sque là encore inconnu pour elle. L'important était de ne pas passer à côté des plaisirs! pensa-t-elle emportée par ces magnifiques visions. Et puis la terre n'avait-elle pas été créée pour rendre visible l'imagination des hommes et des femmes? Et l'amour, un îlot de bonheur que chacun de nous était prêt à défendre coûte que coûte et malgré nos impossibilités à gérer notre temps et nos humeurs?

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Le temps d'aimer un homme viendra pour moi aussi qui ne connaît encore rien de l'amour. Et bien que je sois toujours une petite fille, je sens au plus profond de mon être que mon bonheur sera d'être près de lui. Et sans honte, je pourrai m'épancher sur son épaule et y consoler tous mes chagrins." Par moment, le vent soulevait violemment le rideau où l'on pouvait apercevoir dans toute sa nudité, les restes d'une grande ville que les hommes avaient détruite par simple folie! Le soleil s'était levé comme d'habitude et le ciel était maintenant d'un bleu très pur. Le gel commen-çait à disparaître des campagnes environnantes et le givre, transformé en eau pure, coulait le long des vitres brisées. Les colonnes d'eau à l'intérieur des bâtiments calcinés se remettaient à gicler vers le ciel et répandaient autour d'elles, au milieu de ces gravats, une eau salvatrice qui déjà ne-ttoyait les cadavres enfouis sous les décombres. En emportant dans ses eaux courageuses, le sang de toute cette humanité déchue et brisée par la folie jusqu'aux entrailles de la terre pour dire à tous les hommes: Oh Pauvres mortels, votre sang n'est rien par rapport à la vie qu'il transporte en vous-même, ce n'est qu'un fluide et rien de plus! Le mystère de la vie est bien ailleurs et vous vous en rendez même pas compte, pauvres petites marionnettes! Mais il n'y a rien dans ce sang que vous avez fait couler pour votre propre plaisir et vous n'y verrez pas non plus votre avenir. Car vous êtes de simples mortels et votre avenir est bien sûr entre vos mains. Et surtout ne le co-nfiez jamais à personne, sinon l'on pensera pour vous de ce qui est bon ou mauvais où il sera désormais trop tard pour vous!

Vers les 3 heures de l'après-midi, Simone entendit de la musique venir du hall de l'hôtel et se de-mandait si elle ne rêvait pas? La couverture juste sous le menton et la tête au frais, elle écoutait cet air de musique ressemblant étrangement à une chanson d'origine Tchèque ou Russe : Mamo-uchkia, tu seras toujours mon amour! Sans en connaître véritablement l'air, celui-ci trottait déjà dans sa tête et semblait se mouvoir aux bords de ses lèvres, comme improvisant des paroles im-aginaires : elle semblait très intriguée et se leva du lit. Mais pour ne pas éveiller le moindre sou-pçon sur sa présence dans l'hôtel, elle marcha silencieusement sur la pointe des pieds jusqu'à la porte pour s'appuyer contre afin d'écouter le mieux possible l'air de musique. L'oreille collée contre la porte glacée, elle fut surprise de n'entendre pas seulement de la musique. Mais il y a aussi des voix! chuchota t-elle surprise par la chose. Elle n'en revenait pas qu'on entendit des voix chanter douloureusement une chanson accompagnée par le piano qui semblait gémir en égrenant chaque note comme un dernier testament. Emportée par l'émotion de toutes ces voix mâles implorant l'amour, elle ne put retenir ses larmes qui inondèrent aussitôt son beau visage d' enfant. Elle remarquait pour la première fois de sa vie qu'elle avait dormi loin de la maison fam-iliale et que la main chaude et consolatrice d'une mère avait disparu et n'en restait plus que le souvenir ainsi que les regards attentifs de son père la soutenant pendant ses devoirs éveillant en elle comme un vague et lointain souvenir. Les appels de son petit frère durant les nuits d'orages avaient eux aussi disparu et n'en restait plus que le souvenir. Aussitôt ses pleurs redoublèrent et elle ne se sentit jamais aussi seule que durant ces instants où des hommes avaient chanté la dou-leur et la séparation des êtres chers.

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Les larmes aux yeux, elle se sentit comme indignée d'appartenir maintenant à ce monde d'homm-es et d'adultes. Même s'il elle pensait être toujours une enfant, elle savait qu'elle avait écouté aux portes afin d'être moins seule et qu'elle avait cherché sans le savoir, la consolation. Mais qui sont ces hommes? se demanda-t-elle subitement. Et si c'étaient des soldats? Oh mon dieu! Soudaine-ment, elle fit un bond en arrière, quand elle entendit de grands éclats de rires surgir brutalement d'en bas et se propager comme des cris barbares dans la cage d'escalier! Elle se demandait si elle n'allait pas devenir folle? Tout à coup, son corps se mit à trembler de peur, comme si ces énorm-es éclats de rires avaient réveillé en elle quelque chose d'affreux. Elle était vraiment surprise que les choses puissent changer aussi vite et surtout que l'on puisse passer si brutalement des larmes aux plus ignobles ricanements dans le hall de l'hôtel. Puis sans raison ap-parente, on entendit le bruit des bouchons de champagne sauter en l'air ainsi que les bruits des verres s'entrechoquer dans une sorte d'euphorie collective. Aussitôt, le piano se mit à jouer un air gai et entraînant, co-mme une sorte de musique canaille sortant d'une boite malfamée. Prenant peur, elle s'interro-geait tout de même sur ce qu'il lui arrivait d'extravagant. Mais le hall d'entrée, quand j'y pense, il n'en restait pratiquement plus rien quand je suis entrée hier! Eh oui, puisqu'il m'a fallu passer par dessus un tas de pierres et de planches de bois pour aller jusqu'à l'escalier. Et le piano? C'est vrai qu'il y avait un piano au fond de la salle. Mais si mes souvenirs sont bons, il était plié en deux! Et en plus, il était rempli de gravats et de lambris de bois tombés du plafond. Mais c'est vraiment une histoire de fous! pensa-t-elle avec raison. Mais ces voix d' où venaient-elles alors? Etaient-elles réelles ou bien totalement issues de son imaginaire? se demandait-elle prise par un doute affreux.

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Pendant qu'elle s'interrogeait lucidement, les bruits de la fête en bas ne faisaient que gronder en-core plus et les gens chantaient maintenant à tue-têtes d'horribles chansons et les soldats prêts à se saouler jusqu'à la fin de la nuit et à tout briser ensuite. Simone pensa aussitôt au pire en cro-yant que ces soldats avaient gagné la guerre et qu'ils en fêtaient la victoire! Mais c'est ignoble d'être témoin d'une telle chose, alors que mes parents?? lança-t-elle d'une façon désespérée. Puis sans prévenir, une porte claqua et Simone sembla suffoquer. Ce n'est peut être que le vent? dit-elle comme pour se rassurer. Puis une deuxième porte claqua! Sans faire de bruit, elle partit au-ssitôt se cacher sous le lit où elle se fit muette en écoutant son corps comme une grosse boite de résonance où le moindre bruit semblait faire exploser les orifices où elle sembla défaillir une nouvelle fois. En bas du palier, les marches en bois craquèrent soudainement où des voix diffus-es montèrent vers sa chambre, comme s'arrêtant à chaque palier pour y reprendre leur souffle ou peut-être pour se séduire, comme craquant sous le même poids de leurs hésitations réciproques. Bien évidemment, elle avait très peur que ces deux personnes décident tout à coup d'entrer dans sa chambre. Car si elles étaient un homme et une femme, elle serait alors bien embarassée d'assi-ster à leur ébats amoureux en étant cachée sous le lit! pensa-t-elle comme térrifiée. Ce possible dénouement, de ces deux voix qui essayaient tout de même de se séduire mutuellement, la fit aussitôt rougir. Puis une nouvelle porte claqua et l'on entendit, quelques instants plus tard, des cris de femme surgir du néant! Ces cris étaient horribles et elle se demandait s'ils étaient véritabl-ement humains? La femme gémissait et on se savait pas de quoi exactement, si c'était de dou-leur ou de plaisir. Simone n'avait jamais rien entendu de si affreux auparavant.

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Même sous les bombardements, les cris de douleurs ne ressemblaient en rien à ceux là! remar-quait-elle. Aussitôt son coeur se mit à s'emballer à l'intérieur de sa poitrine qu'elle essaya en vain de freiner en pensant à autre chose. Mais rien a faire où les gémissements reprirent de plus belle au dessus de son plafond. On entendait en  même temps que ces gémissements de femmes des ricanements affreux qui voulaient, semble-t-il, tuer quelque chose ou s'en approcher. Puis la femme semblait prise d'un spasme horrible et son cri sauvage se transformer étrangement en un chant d'amour se rapprochant toujours un peu plus d'un chant qu'on aurait pu entendre discrète-ment à l'opéra! Simone soudainement éclata de rire sous le lit, Hi!Hi!Hi! Ah!Ah!Ah! Mais c'est une histoire à dormir debout! Hi!Hi!Hi! Ah!Ah!Ah! Si j'avais su, ch'rais restée à la maison! Oh! Oh! Oh! Mon dieu, mais qu'est-ce qu'il m'arrive? Hu!Hu!Hu! Turlututu! En continuant à rire de cette manière totalement incontrôlée se rendait-elle compte du bruit qu'elle faisait en réalité da-ns sa chambre? En était-elle consciente? Puis pour une raison inconnue, elle se mit à taper du poing sur son plancher, alors qu'on entendait toujours de la musique dans le hall d'entrèe de l'h-ôtel et en haut, le râle affreux de la femme qui cassait les oreilles. Essayait-elle d'arrêter tout simplement ses fous rires ou bien de cacher par son propre bruit, le bruit des autres, le bruit de l'enfer?

Heureusement cela ne dura qu'un court instant pour elle, bref, le temps de s'apercevoir qu'elle pleurait maintenant sous ce lit d'infortune où elle était passée elle aussi des rires aux larmes. Fortement ébranlée, elle laissa couler ses larmes sur ses joues, puis sur son cou, puis sur ses bras afin d'en ressentir toute la puissance sur son corps brisé. Ca coulait sur elle comme des lar-mes de sang sur sa peau et c'était transparent et beau comme de l'eau chaude, comme une eau de pluie en pleine été. En vérité, le corps ébranlé de Simone ne demandait qu'à être réconforté et pris sous les torrents inoffensifs de l'amour. Mais comment est-ce possible, mon dieu? se dem-anda-t-elle cruellement. Etrangement, son coeur d'enfant ne savait pas quoi répondre à toutes ces questions venant d'un autre âge dont les raisons étaient totalement justifièes pour oublier ce mo-nde dans toute sa noirceur et dans toutes ses ambitions. Car ce coeur gorgé de sang n'attendait en vérité que le bonheur et rien de plus et elle le ressentit intensément quand ses torrents de larmes s'arrêtèrent d'eux-mêmes. Au bord de la crise de nerfs, elle se sentit désormais prête à sortir de cet hôtel de malheur. Et si je traversais le hall d'entrée en éclatant de rire et en leur faisant un pied de nez? J'en suis sûre qu'ils le prendraient à la rigolade tellement ils sont "ronds". Et puis après, je n'aurais plus qu'à retourner sur la grande avenue auprès de mes parents et mon petit frè-re, non? En fait, Simone délirait complètement et ne voyait plus la réalité en face des yeux en pensant que cette sale guerre n'existait pas. Comme elle essayait de se relever, afin de pouvoir sortir de sa cachette, elle se cogna malencontreusement la tête contre l'une des barres du sommi-er, poussa un cri et s' évanouit.

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L'hôtel, malgré ces tapages, avait retrouvé un semblant de paix où Simone dormait à poings fer-més et semblait heureuse d'être sortie de cette réalité qui la faisait tant souffrir depuis le début des bombardements. Cela faisait plus de 24 heures qu'elle et sa famille s'étaient enfuies par les rues de la ville et elle même n'avait pas eu beaucoup de chance, puisque desormais séparée des siens suite à cette panique générale survenue lors du mitraillage de la foule par les chars ennemis où chacun avait pu s'enfuir comme il avait pu : elle emportée par un groupe et sa petite famille par un autre. Personne ne savait en fin de compte où l'autre se trouvait. Et Simone avait pu, en entrant dans cet hôtel abandonné, éviter le pire en ne se s'éloignant pas trop de leur point de sé-paration. Avec le bon réflexe de monter sur le toit de l'hôtel (ou du moins ce qu'il en restait) afin de le localiser avec plus ou moins de précision. Pour elle, ce n'était bien sûr qu'une question d' heures en n'ayant aucun doute quant à leurs futures retrouvailles.

La nuit était tombée sur la ville déserte où le vent s'était mis à souffler à travers les ruines et les grands trous laissés par les immeubles fracturés. La poussière, issue des effrondrements succe-ssifs des murs et des constructions en brique, avait fait que la ville était entièrement recouverte de poussière blanche où l'on se serait cru en hiver alors que nous étions seulement au début de l'automne. Le vent qui soufflait semblait regretter le bruit de ces feuilles qui jadis couraient le long des trottoirs et amusaient les enfants au rythme des saisons, quand la pluie tombait ou que la neige s'éffilochait dans le ciel. Le froid réclamait les doigts gelés d'un enfant courant sur le chemin de l'école. Le vent réclamait ses bourrasques sous le préau d'un mois pluvieux de septe-mbre. Fausse neige ou vraie pluie de cendres? Éternel regret du vent à souffler au milieu de la désolation? Éternel regret d'un empire d'avoir touché son sommet? L'ivresse du vent, c'est aussi de parfumer l'horizon! La base avait touché le sommet de l'édifice et celui-ci se brisa en mille morceaux! Il faisait nuit maintenant sur la ville..

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Simone, comme un automate, se leva et prit le grand escalier de l'hôtel afin d'aller chercher un peu de nourriture dans le hall où les soldats avaient fait la fête jusqu'au bout de la nuit. Étrange-ment, il n'y avait plus aucun bruit dans l'hôtel et seul on entendait le bruit de ses pas résonner dans le grand escalier. Elle se disait que les soldats avaient dû quitter l'hôtel à l'aurore et qu'ils avaient dû laisser forcément sur les tables quelques restes de pain et de poulet. Mais elle n'était pas très rassurée, car certains d'entre eux pouvaient être encore là en train de dormir; mais elle avait tellement faim qu'elle se dépêcha d' ouvrir cette porte de malheur.

-AAAAH! cria-t-elle soudainement en ouvrant celle-ci où tous les murs de l'hôtel réperccutènt son cri de terreur tel un écho : AAAAH! AAAAH! AAAAH! Oh non, c'est pas possible! Comm-ent est-ce possible, seigneur? Mais? Elle se laissa tomber à genoux et se mit à prier Dieu, quand elle vit au milieu du hall, non point les restes d'une festivité où les bouteilles de vin et de cha-mpagne auraient dû traîner sur les tables où les carcasses de poulets auraient dû attirer les chats et les souris affamés de l'hôtel où l'orgie gastronomique aurait dû sentir le vomi, mais les restes du bombardement d'avant hier soir où il régnait l'odeur de la désolation, des briques et des plan-ches de bois tombées du plafond! Le piano dans son coin, brisé en deux, vomissait ses cordes d'acier où le vent parfois caressait les brins enchevêtrés d'une façon diabolique. La musique qu' elle avait entendu venait sûrement de là! pensa-t-elle écoeurée maintenant par cette macabre déc-ouverte. Et les voix d'où venaient-elles alors? se demanda-t- elle. Quelques instants plus tard, quand le vent se remit à souffler, elle comprit que les voix naissaient du frottement des cordes entre elles où l'on entendait à ce moment là comme un mystérieux dialogue. En se rapprochant du piano, elle vit au milieu du cadre, non point un tas de pierres, mais les restes du lustre en cri-stal qui était tombé du plafond où des centaines de petits morceaux de cristal vibraient sur le cadre en fonte quand le vent se mettait à souffler. Un nouvelle fois, elle se laissa tomber à geno-ux devant cette tragédie musicale où le piano, malgré ses entrailles ouvertes, voulait vivre et jo-uer avec le vent et les éléments du jour et de la nuit.

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La musique se souvenait du bonheur qu'elle avait à accueillir au bar de l'hôtel, la nouvelle clien-tèle fortunée venant des pays lointains. Ainsi que de ses morceaux favoris qui, jouant sur la sens-ualité des notes, apportaient aux voyageurs le sentiment d'être ailleurs et en même temps chez lui. La magie de la musique, c'était de faire croire aux gens ce qui n'existait pas, bref, de faire apparaître, puis de faire disparaître les sentiments les plus beaux que l'on puisse ressentir. C'est dire que la magicienne en savait beaucoup sur son art que nous même, nous ne pouvons que glo-rifier l'effet sur notre propre imaginaire. Et si tout était imaginaire? Et si nos existences n'étaient que fortuites et hasardeuses? L'Histoire qu'une conception de notre esprit? L'histoire de la mu-sique : la fabuleuse aventure de quelques notes? Musique servant de prétexte ou bien musique servant à remplir un coeur qui ne peut aimer autrement que par le chant? L'amour avait créé l' harmonie, puis la musique. La haine avait crée la dissonance, puis le bruit de la guerre! Mais où commençait exactement la musique? Mais où commençait le bruit dans une oeuvre qu'elle soit musicale ou non? Et pourquoi ne l'appliquerions nous pas à notre propre société? Et si nous nous mettions tout simplement à l'écouter comme une partition, mais qu'entendrions nous exac-tement, du bruit ou de la musique? Mais pourquoi entendons-nous aujourd'hui autant de bruits environnants au milieu de tant de musique? La question est celle-ci : mais qui l'emportera?

Quand madame Sarfaty rouvrit les yeux chez elle, elle poussa comme un cri de soulagement de constater qu'elle n'avait fait que rêver! Ses trois chats, qui l'avaient vu se réveiller, se précipitè-rent aussitôt sur son fauteuil où elle était confortablement installée et lui léchaient le visage, les mains et son genoux qui était gros comme une citrouille. Malgré cette apparence de joie et d'amour prodigué de part et d'autre, elle ne pouvait oublier à travers toutes les images affreuses de son enfance, le destin tragique de sa famille sachant desormais qu'ils avaient tous été exterm-inés dans les camps de la mort! Mais était-ce bien utile pour elle de se rappeler une chose que tout le monde savait? Elle savait ce qui s'était passé réellement pour eux, mais aussi pour tous les autres qui faisaient partie du convois." Le soir même, j'étais remontée sur le toit de l'hôtel où j'avais pu voir la marée humaine se reformer sur la grande avenue et se remettre en marche, com-me un grand cordon ombilical à travers la ville où des soldats et des blindés encadraient le con-vois en n'hésitant pas à tirer sur des hommes qui essayaient de s'enfuir! Tout le monde semblait effrayé parce que personne ne savait où l'emmenait exactement. J'avais suivi des yeux et d'une manière très très inquiétante le parcours du convois en espérant revoir leurs visages à tous les trois, lorsque la foule se déroulerait devant moi, devant les vitres brisées de l'hôtel où je me ten-ais cachée. En prévoyant, un peu naïvement, leur faire un signe afin qu'ils me rejoignent à l'inté-rieur de l'hôtel et s'y cacher en attendant le départ ultérieur des troupes.

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Mais lorsque, je les aperçus au milieu de la foule encadrés par des soldats, je ne pus malheureus-ement rien faire en sachant qu'un seul de mes cris aurait pu me perdre moi aussi! Bizarrement, je me demandais pourquoi je n'avais pas couru à travers la foule pour allez les rejoindre? Et pour-quoi, j'étais restée comme paralysée derrière la fenêtre? Simone, tout en caressant le pelage soy-eux et chaud de son chat mistigris, se demandait si elle pourra un jour se libérer de ce mal qui faisait d'elle encore aujourd'hui un être inconsolable? Aurait-elle pu imaginer un seul instant que toute sa famille allait être exterminée dans les camps de la mort et qu'elle serait la seule sur-vivante de ce génocide? Mais pourquoi tant de souffrances à supporter dans un coeur d'enfant? Etait-ce juste? Les mots pour elle ne voulaient plus rien dire/ Les mots avaient trahi les valeurs universelles des droits de l'homme/ Les mots étaient tombés eux aussi de très haut...de cette cu-lture que les poètes avaient érigé comme le seul rempart contre l'atrocité!

Simone, qui jouait avec mistigris, le reposa par terre parce que celui-ci commençait à lui faire mal avec ses griffes qui parfois s'enfonçaient sous sa peau. Elle le gronda, puis se rendormit en attendant le retour du petit Mouloud. Derrière le rideau à fleur de la fenêtre, on pouvait aperc-evoir les lumières de la ville de Marseille faire " feu d'artifice" avec les derniers rayons du soleil qui se jetaient sur un petit bout de mer à l'horizon. Moi je savais au plus profond de mon coeur que tout n'était pas perdu pour autant et qu'en chacun de nous, quand la nuit survient, un bout de rêve nous dit : Mais aurais-tu oublié l'Algérie? Mais que dire aussi de Simone qui avait fui Varsovie? J'étais comme paralysé par le sentiment de ne pouvoir mettre une fin à cette histoire qui, malgré les apparences, se poursuivait dans le silence de nos actualités. La seule chose qu' elle voulut bien me confier à propos de sa fuite de Varsovie, ce fut sa rencontre avec le soldat déserteur Ulrich, dit le causaque, qui l'aidera à sortir du Ghetto et l'aimera d'un amour passion-né : Simone n'avait alors que 13 ans! Mais elle n'en dira pas plus pour l'instant. Allez au revoir..

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LIVRE DEUXIÈME

 

Mouloud, une fois de plus, s'était attardé a faire tous les bistrots du vieux port pour des raisons qui n'étaient pas uniquement alcooliques, mais aussi sentimentales pour ne rien vous cacher. Et poussant la porte de chaque établissement, son cœur se mettait soudainement à battre plus fort, comme s'il espérait y voir apparaître un visage connu ou bien reconnaître une voix parmi toutes celles qui tempêtaient autour du comptoir. Mais étrangement, ce jour là, rien de tout cela ne se montra à lui, ni amis d'enfance ni copains du quartier avec qui il avait fait les quatre cents coups, mais seulement des visages et des voix qui lui étaient totalement inconnus, comme si un tsunami était passé par là et avait embarqué au passage leur passé commun et leurs merveilleux souven-irs pourtant pas si vieux que cela! s'indignait-il en sachant que son adolescence ne datait que d' une dizaine d'années et pas plus. Mon dieu quel désastre le temps qui passe! Comme si tout cela n'avait jamais existé? Comme si nous étions des fetus de paille ou des coquilles de noix sur un océan démonté? se demandait-il tragiquement devant le grand naufrage de sa vie. Pourtant en so-rtant de sa boutique, il avait espéré faire une de ces rencontres qu'il aurait volontier concédé au hasard. Car Mouloud, sans fausse démagogie, savait très bien qu'ils s'étaient tous quittés de vue pour des raisons inavouables où l'oubli ne serait pas trop douloureux à supporter par chacun d' entre eux. Bref, un oubli progressif jusqu'a creuser sa propre tombe autour de ses amis! const-atait-il amèrement.Le problème chez nous, chez les sudistes, c'est que l'amitié éternelle c'est pas notre truc. Car on change souvent d'idée comme de chemises ou bien on laisse pourrir une situa-tion pendant des années, à cause d'un mot de travers qu'on a entendu prononcer sur sa personne et qu'on a toujours pas digéré dont le résultat devenait monstrueux, comme une terre brûlée.

Pourtant comme j'aurais aimé, autour d'un pastis, échanger avec eux quelques brides de souven-nirs, ce qui m'aurait fait moins boire, Ah!Ah!Ah! s'avoua-t-il en titubant sur le vieux port. Mais malheureusement, ce jour là, le hasard n'avait pas voulu opérer et lui avait laissé dans le coeur une impression d'immense vide. C'est vrai qu'on était des sales gosses. Mais alors, c'est fou co-mme on était heureux! semblait-il crier au fond de lui-même. Et puis de toute façon, aujourd' hui, ils devaient être tous mariés avec des gosses et des responsabilités sur le dos comme tout à chacun. Leur vie devait être triste à mourir, bref, comme la mienne! reconnaissait-il tout en évi-tant un trou dans une dalle. Ah cette fois-ci, j'ai failli me faire avoir! dit-il en reprenant son équ-ilibre. Bon dieu, de bon dieu, donnez-moi du courage pour pouvoir continuer cette route que je ne connais pas moi-même! Et toi, prophète de mon coeur, sauvez-mon âme de cet occident ma-lade afin que je puisse retrouver ma dignité d'homme. Et vous, famille algérienne, sachez que je ne vous ai point quitté par lâcheté, mais parce que mon oncle Nadir m'avait attiré en France pour des raisons obscures de projets fabuleux!

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Moi, un peu naïf, je l'avais suivi sans trop me poser de questions sur le but réel de ce voyage. Car l'idée de voyager pour des raisons que je ne connaissais pas m'excitait beaucoup à vrai dire, comme tout jeune garçon désirant découvrir le monde à moindre frais après avoir lu "deux ans de vacances" un livre de Jules Verne ou bien "le clochard céleste" de Jack Kerouac. Notre voy-age vers la France se déroula à merveille en remarquant sur le visage de mon oncle( quand nous nous approchâmes de Marseille où il faisait un temps magnifique), la joie d'avoir entrepris ce voyage uniquement pour son plaisir. Ce qui ne pouvait que me ravir quand on sait que partir pour aller travailler est une totale aberration voir un sacrifice inutile sachant que la vie est si co-urte, n'est-ce pas? Par contre partir pour jouir de la vie et s'amuser, voilà une noble occupation que mon oncle Nadir avait saisi à bras le corps en me faisant l'aimer encore plus. A propos de cette idée de jouir de la vie, celle-ci n'est pas considérée en France comme une mauvaise chose, comme en Algérie où la tradition musulmane interdit le plaisir pour le plaisir à moins de servir à la reproduction. Contrairement en France, où elle est une idée pouvant se décliner sous toutes ses formes grâce au jeu intellectuel auquel s'adonne une grande partie des Français par tradition. Jeu, il est vrai dangereux pour celui qui ne possédrait pas cette culture de l'esprit. Mais à ce propos, je m'inquiétais guère pour mon oncle qui, je vous avouerai, était un homme à femmes donc un homme d'esprit pour la plupart des Français, Ah!Ah!Ah! Et il serait juste d'ajouter afin de completer ce tableau que son imagination ne le privât jamais de trouver une nouvelle jouiss-ance pour tromper son ennui. Bref, tout ça pour dire qu'il se sentait totalement Français par ses moeurs.

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Ainsi se passaient mes premières années auprès de lui et dans cette ambiance si particulière com-me vous l'auriez compris : où habitant chez lui, il me considérait comme son propre fils alors qu'il n'était que mon oncle. Mais je me sentais bien avec lui malgré cette vie peu commune qu'il menait avec toutes ses femmes qui, en vérité, lui menaient la vie dure. Mais mon oncle très adr-oitement avait pesé le pour et le contre en sachant parfaitement où se trouvait ses intérêts et n' aurait jamais changé sa situation contre celle d'un bédouin attaché à sa terre et à son troupeau de chèvres, Ah!Ah!Ah!. Après qu'il ait goûté à cette liberté dont il ne pouvait plus se passer et conf-orter son nouvel état psychiatrique si on pouvait l'appeler ainsi. Et en restant à ses côtés, j'étais pour lui ce petit coin d'Algérie qu'il gardait au fond de son coeur, comme sa petite poésie qu'il pouvait retrouver chaque soir en rentrant chez lui. Alors qu'avec les femmes rien de tout cela, mais uniquement des rapports physiques ou de forces. Pour parler concrètement, il en avait mis-es plusieurs sur le trottoir, cinq exactement. Et avec le tact qu'il avait, il leur avait donné à chac-une un nom de pute, comme Natacha, Grisella, Héroïca ou bien La Goulue etc. Bref, cétait ses choses à lui, ses objets, ce que bizarrement les femmes ne rejetaient pas tellement elles étaient bêtes. Mais bon, c'est la nature qui fait les êtres comme bon lui semble, n'est-ce pas? C'est vrai que durant cette époque, j'ai ap-pris beaucoup de chose sur la vie et sur les femmes qui à la vé-rité sont pires que nous, mais que ceci reste entre nous, Ah!Ah!Ah! Notre appartement, situé rue de la poudrette, en plein coeur de Marseille, ressemblait plus à une maison close qu'à un apparte-ment abritant soi-disant un vénérable père et son fils. Mais bon, je m'adaptais assez rapidement et pris en quelques mois les défauts de mon oncle qui était obsédé par les femmes, l'argent et l'alc-ool. Chose étrange à signaler, lorsque mon oncle me présenta à toutes ses femmes, celles-ci au-ssitôt me vouèrent une sorte d'adoration. Car il leur avait raconté avec le talent qu'il avait d'in-venter des histoires que j'étais le fruit d'une liaison avec une princesse égyptienne appelée la grande Kaltoun, fille du grand Moktard ben kalif, descendant direct, parait-il, de Mahomet! Moi, je savais bien que tout cela était faux, mais je me laissais prendre au jeu et y voyais toutes sortes d'avantages à en tirer. Bref, pleines de vénération pour moi, elles respectaient mon jeune âge en n'osant jamais me bru-squer quand il s'agissait de faite l'amour avec elles. Avec les années, mon goût pour les femmes s'affermissant, je devins vite un expert dans les choses du sexe. Et il ne serait pas inutile de dire que la plupart des choses que je connaisse en amour, ce sont elles qui me l'ont apprises et ça tout le monde ne peut pas s'en vanter, n'est-ce pas?

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J'avais seulement 13 ans et mon oncle 30, ce qui le rendait plus expérimenté que moi dans la vie et ça personne ne pouvait le démentir, n'est-ce pas? L'avantage que j'avais d'habiter chez lui, c'est qu'il m'en coûtait rien et me facilitait énormément la vie que je passais la plupart du temps sur la canebière où j'avais commencé à me constituer une bande de copains qui venait pour la plupart du quartier le mistral. Il y avait Nasser, dit la fouine, qui en matière de vol par ruse on ne trou-vait pas mieux dans le coin. Il y avait aussi Momo, qui battit comme un colosse, pouvait vous casser un mur avec son poing et surtout faire peur à vos assaillants s'ils vous surprenaient en fla-grant délit, ce qui n'était pas négligeable en cette situation, n'est-ce pas? Et puis Nordine, Faro-uck qui avaient des qualités d'observations dont on ne pouvaient se passer, bien évidemment. Int-elligence, ruse, agilité, yeux de lynx, tels étaient alors nos grandes qualités pour faire notre trou ici à Marseille. La plupart de mes copains connaissaient ma situation et la réputation de mon on-cle Nadir en tant qu'homme à femmes, ce qui du côté de la Méditerranée avait très bonne réput-ation tellement on était macho, Ah!Ah!Ah! Moi, je jouais bien évidemment le jeu en me donnant le beau rôle d'être comme sur ses pas. C'est Nasser, dit la fouine, qui le premier engagea avec moi une conversation d'ordre professionnel, si l'on peut dire. Par là, je sentais déjà ses ambitions enfler sa tête..

-Mouloud, tu sais, hier soir, j'ai vu ton oncle relever les compteurs sur le vieux port!

-Ah oui?

-Oui et il faisait même très noir. Mais il ne m'a pas vu en étant caché derrière une montagne de filets. Mais c'est fou comme il en jette avec son borsalino sur la tête, ton oncle! Et si tu entendais sa voix dans cette situation, mon gars! Alors bébé, combien t'as fait aujourd'hui? Et la petite bé-queuse répondait avec son accent de pute, 1500 balles, mon amour. C'est bien, c'est bien, donne-moi la moitié et garde l'autre pour toi, car je veux que tu sois heureuse toi aussi, ma petite po-ule. Oh Nadir, au moins toi tu sais parler aux femmes! Youhais, c'est ce qu'on m'a toujours dit. Mac, c'est ma vocation et je n'y peux rien, Ah!Ah!Ah! Allez embrasse-moi, ma petite chatte! Et la petite chatte, séduite, embrassait son matou sur la joue comme en signe de soumission.

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-Ah! Ah! Ah! Ton oncle, ça c'est un mec!

En écoutant Nasser parler de la sorte, je compris aussitôt qu'il avait une idée derrière la tête; non pas de concurrencer mon oncle Nadir(car il n'en avait pas la carrure), mais plutôt de quelqu'un qui essayait de faire son trou dans le monde de la prostitution.

-Heu..sans vouloir être indiscret avec toi, mais que faisais-tu à cette heure-ci sur le vieux port?

-Moi?

-Oui, toi.

-En fait, si j'ai suivi ton oncle dans sa tournée, c'est parce que j'avais une idée à lui proposer.

-Ah oui?

Oui, car j'ai remarqué que la plupart des filles lui mentaient quant aux sommes qu'elles avaient soi-disant gagnées dans la journée.

-Ah oui et comment tu sais ça?

-C'est simple. Toute la journée, je guette les clients qui montent et devine au temps qu'il passe avec elles, la somme qu'ils y laissent. J'ai calculé que pour une passe, c'était environ 100 francs le quart d'heure et pour l'amour 300 frs la demi-heure. Voilà, c'est simple. Et dis aussi à ton on-cle que les filles cachent leur argent dans l'allée Marcel Pagnol où elles ont des caches dans les murs. Malheureusement, je n' ai jamais pu leur piquer, car ces putes ont des yeux partout!

-Oh, fais gaffe, mon gars! N'essaies pas de piquer l'argent à mon oncle, car s'il le savait tu pour-rais passer un mauvais quart d'heure!

-Oh t'inquiète pas, mon ami! Dit-lui seulement que mes services lui coûteront 100 balles par jour; ce qui n'est rien par rapport à ce que les filles lui volent.

-Ok, je lui en parlerai.

Le soir, de retour à la maison, je lui racontais tout ce que Nass m'avait dit, ce qui le mit aussitôt en fureur. Mais comme il connaissait parfaitement la ruse de certains sur le vieux port pour pre-ndre les filles des autres, il reprit son calme et me demanda si ce Nasser était un garçon auquel on pouvait faire confiance. Moi je lui dis que non, mais qu'il fallait voir sur place si tout cela était vrai ou bien manigancé par la concurrence.

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-Ok, Mouloud, voilà ce qu'on va faire demain. Va avec Nasser et surveille les filles sans vous faire remarquer et faites le compte exact des clients. Comme ça, le soir, je verrais si elles me mentent ou bien me disent la vérité.

-D'accord, mon oncle, je ferai ce que tu me demandes et ne t'inquiètes pas, on sera discret com-me des poissons de roche.

-Tu voulais parler de la rascasse?

-Oui, forcément, pas de la racaille!

-Oh! Oh! Oh! Mouloud, je ne te connaissais pas autant d'humour, Oh! Oh! Oh!

-Mais mon oncle, c'est depuis que je suis en France!

-Oh, ça ne fait plus aucun doute pour moi maintenant, petit frère.

Le lendemain matin vers les 11 heures, j'allais sur le vieux port en espérant y trouver Nasser pour lui expliquer notre plan, mais sans pour autant aller au mistral et lui faire croire que j'avais besoin absolument de lui. Car c'est triste à dire, mais dans le sud l'on donne souvent l'impression de mépriser les gens, alors que c'est faux. On veut seulement éviter que leur tête enfle comme un ballon, quand on se montre un peu trop généreux avec eux, Ah!Ah!Ah!. Ce qui est le moindre mal quand on sait qu'en chaque méditerranéen se cache un Napoleon voir un tyran. Bref, je train-aillais sur le vieux port avec cette idée bizarre d'ignorer sa recherche, mais seulement pour pren-dre un peu le soleil. Belle hypocrisie sudiste, oui, je sais! Mais bon, c'est comme ça chez nous. Et bizarrement, mon attitude sembla payante. Car dix minutes plus tard, je remarquai que quelq- u'un me suivait, mais tout en évitant de me retourner pour jouer le rôle du candide ou de l'inno-cent, bien évidemment. Bref, continuant ainsi ma route, comme si de rien n'était, par jeu je m'ar-rêtai devant une veille barque retournée sur le quai où je jetai mon admiration comme un tour-iste idiot qui n'avait jamais vu de bateau de sa vie. Au bout d'une minute, las de voir ce spect-acle, je m'assis sur un tas de filet et regardai la mer où un tas de petits voiliers dansaient au ry-thme du vent et des flots en jetant parfois quelques coups d'oeil dérrière moi pour savoir si la personne n'avait pas disparu. Puis sans prévenir, je vis tout a coup Nasser surgir et s'exclamer d' un air qui sentait l'hypocrisie : Oh, toi ici, mais quelle surprise! Et moi lui répondant : Oh toi aussi, mais c'est fou comme le hasard peut bien faire les choses! C'est vrai ce que tu dis là, Mou-loud. Puis reprenant un air sérieux, il me dit : Alors ton oncle qu'est ce qu'il a dit pour notre affaire, hum?

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-Il n'est pas contre, mais il veut être sûr que tu ne lui racontes pas de conneries.

-Mais je te jure sur la tête de ma mère que tout ce que je t'ai raconté, c'est vrai!

-Nass, s'il te plait, ne jure comme ça sur la tête de ta mère, car tu sais bien que ça ne prouve pas ce que tu me dis!

-C'est vrai, mais alors comment veux-tu que je te parle?

-Ne dis rien et écoute-moi plutôt.

-Sans problème, mon pote.

Voilà, mon oncle nous donne carte blanche pour surveiller les filles.

-Ouhais!

-Mais attends un peu, car je ne pense pas qu'a nous deux on aura des yeux assez grands pour les surveiller toutes. J'ai donc décidé à titre personnel qu'on surveillerait en premier la belle Hero-ïca.

-Quoi, celle qui plait tant aux dockers parce qu'elle ressemble à un paquebot de luxe!

-A un paquebot de luxe? Alors là, tu exagères un peu, disons plutôt, à une vedette de haute sta-nding serait plus juste.

-Mais bon, elle est rudement bien cuirassée cette fille-là. Regarde comme elle est habillée et tu verras qu'elle connait bien son affaire, la salope!

-Quoi, tu voulais parler de ses vêtements en cuir où les boutons dorés ressemblent à des rivets?

-Pas seulement. Mais regarde comment elle fume devant tous ces hommes en rût, on dirait une cheminée de navire. Et ses yeux couleur bleu marine, crois-moi, ils font chavirer tous les mar-ins!

-Tu exagères Nasser, ce n'est qu'une pute et rien de plus et chacune à sont truc pour attirer le cli-ent, bref, leur spécialité. Et je pense que pour pouvoir supporter les coups de butoirs des docke-rs, il faut être tallé dans l'acier. Alors que pour les employés de banque, taillé dans de la gélatine suffit amplement.

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-Ah! Ah! Ah! comme t'es cynique Mouloud! Tu passes vraiment du coq à l'âne..

-Non, je t'assure, je passe pas du coq à l'âne. Je te dis seulement la triste vérité. Regarde comm-ent la grosse Rosa s'habille et tu verras qu'elle aussi connaît bien son affaire.

-Quoi, tu voulais parler de celle qui s'habille en petite fille, alors qu'elle a au moins 50 ans!

-Oui, celle qui porte des jupes à dentelles et des petites lunettes de salope. Crois-moi, mais c'est fou comme elle a du succès auprès des employés de banque et de bureau. Sa spécialité, m'a dit mon oncle, c'était de proposer au client de faire l'amour sur une table de bureau et c'est fou co-mme ça les excite, ces détraqués du stylo.

-Ah!Ah! Ah! alors là, Mouloud, tu inventes!

-Mais non, je t'assure, j'invente rien. Et la grande goulue qui se prend pour la fille du boulanger avec ses miches à l'air. C'est fou, comme elle a du succès auprès des marseillais de souche, et tout particulièrement, auprès des vieux qui on connu Raimu, le comique troupier.

-Mais ils bandent plus, ces vieux calamars!

-Detrompes-toi, car la seule idée de tromper leur femme avec la très célèbre femme du boulan-ger leur fait dresser la baguette, comme au temps de leur jeunesse.

-Mais ça, c'est un mythe.

-Oui, c'est un mythe, mais qui marche parfaitement. Et mon oncle Nadir, qui connaît parfaitem-ent son affaire, a même demandé à ses filles de faire quelques efforts dans ce sens. 

-C'est à dire?

-Hé ben..de meubler l'appartement en fonction du goût du client.

-Comprends pas!

-En fait, mon oncle, qui ne manque jamais d'imagination pour gagner de l'argent, à proposer à la belle Héroïca de changer son lit contre un autre qui aurait la forme d'un bateau qui, bien évide-mment, serait équipé d'un gouvernail à l'avant.

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-C'est vrai que pour faire craquer les marins, y' a pas mieux!

-Et les commandants de bord, je te dis pas comment ça doit les exciter!

-C'est vrai que ton oncle est un génie à sa façon.

-Oui, sans aucun doute. Mais n'oublie pas qu'il aime beaucoup s'amuser avec les autres qu'il considère souvent comme plus bête que lui, Ah!Ah!Ah!

-Et je parie donc pour la grande goulue, qu'il a fait installer chez elle, un four pour que le client puisse enfourner sa baguette?

-Alors, Nass, tu exagères. Un four, c'est bien trop lourd à monter par les escaliers et puis mon oncle ne veut pas que ça déclenche des incendies dans ses appartements.

-Ok, ok, mouloud, j'ai bien compris la mentalité de ton oncle qui, il faut le dire, est un avant gardiste dans le domaine de la prostitution.

-Oh oui, je dirais même que c'est un visionnaire!

-Bon, ok, Mouloud, finissons-en en éloge sur ton oncle et revenons à notre affaire. Alors quand est-ce qu'on commence?

-Demain vers les 10 heures, car je ne pense pas qu'elle tapine avant.

On se positionnera en face de l'allée où elle vend ses charmes. Avant de venir ici, j'ai remarqué qu'il avait un bateau retourné sur le quai non loin de l'allée et je pense qu'on s'en servira comme cache.

-Et comment il s'appelle ce bateau?

-Je crois que cest le petit cascailloux. Mais ne t'inquiètes pas, on se verra avant et on ira ensem-ble sous le bateau où un espace nous permettra de surveiller la belle Héroïca.

-Ok tope là et à demain!

-A demain sans faute, hum?

-Ok, sans faute.

Et Nasser repartit l'air tout guilleret en sautant en l'air, comme s'il essayait d'attraper des mou-ches invisibles.

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Moi, pendant ce temps là, je restais assis sur mon tas de filet à rêvasser à je ne sais quoi, comme si le réalisme de cette situation commençait à m'ennuyer un peu. Et le simple fait de regarder la mer, où des petits bateaux gigotaient comme des petits bouchons de canne à pêche, cela me rem-plissait de bonheur. Je ne savais pas trop bien pourquoi, mais j'avais l'intuition que la beauté des choses residait dans l'instant qu'on voulut bien lui accorder et non par le spectacle qui à la long-ue devenait ennuyeux. Bref, des bateaux, de la flotte, des voiles, des mouettes, des bruits de mo-teur qui faisaient le charme d'un port de pêche, on finissait par plus le voir et l'entendre, comme si nos sens s'émoussaient ou se fermaient à la beauté du monde. En s'habituant à ne plus rêver et à s'enliser dans les sables de l'indifference. Moi qui avait la chance d'être très jeune, cela m'inter-disait d'avoir ce défaut des adultes en sentant toujours mon coeur prêt à s'émouvoir pour quel-que chose en attendant je ne sais quel miracle ou bien une émotion qui le ferait succomber dans l'instant. Mourir ainsi me semblait une belle mort, alors que mourir dans l'indifference des jours comme un vrai cauchemar. Pour dire tout simplement les choses, je trouvais ridicule de m'opp-oser à toutes mes sensations et à cette jeunesse qui réclamait son elixir de jouvence que je dev-ais boire à grande gorgée pour ne pas sombrer dans la mélancolie avec le risque de me noyer de vin frais. Dans ces moments de grande intensité, je comprenais parfaitement les passions de mon coeur qui voulait battre toujours plus vite, plus fort pour jouir de la vie. Et ce coeur gorgé de sang avait toutes les raisons du monde pour réclamer son butin, tel un pirate qui avait choisi l'aventure comme style de vie et non le confort du petit bourgeois.

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Je sentais par là que nos petites affaires d'argents et de pouvoirs étaient bien insignifiantes deva-nt l'immensité de la mer qui semblait nous dire : Regarde comme je t'en impose et comment je fais briller les yeux des hommes, quand ils entendent mon nom prononcer sur les rivages ingrats de leur vie. Sans moi, ils seraient bien pauvre en imagiination, mais aussi en produit de la mer. Vois avec quelle facilité, je porte leurs embarcations sur mon dos ainsi que leurs rêves en pass-ant. Ma seule vue leur fait tout à coup imaginer des voyages extraordinaires de gloire ou de fort-une ou bien fait pleurer celui qui a quitté son pays pour des raisons sommes toutes ridicules. Et toi, petit garçon, assis sur tes filets, sais-tu pourquoi tu regardes la mer?

Surpris d'entendre cette question venir de nulle part, je me retournai afin de voir si quelqu'un n' était pas derrière moi. Pendant un instant, je crus voir un vieux marin, genre compagnon d'Ulys-se me poser cette question. Mais étonnamment, je ne vis personne, sinon une mouette qui me regardait avec insistance. Pouvait-elle me parler celle-là, je me demandais curieusement ou bien n'était-ce que la brise du vent qui m'avait soufflé cette phrase à mes oreilles? Bizarrement, j'éta-is prêt à lui dire, mais ne t-ais-je pas déjà répondu, mon doux séphir? Mais la mouette, sans pré-venir, fit un mouvement de tête qui sembla me signifier plutôt le contraire. Quelque peu agacé par sa réaction, je cherchais au fond de moi une réponse qui pourrait lui faire plaisir. Et sans plus attendre, je lui dis : Vois-tu, mon bel oiseau, si je regarde la mer avec insistance, c'est parce que de l'autre côté se trouve mon pays, l'Algérie. La mouette tout à coup lâcha un cri de joie et vint se poser près de moi sur le tas de filet. En se rapprochant de moi, elle m'imprégna de son odeur qui sentait le parfum des côtes peut-être algériennes? pensai-je.

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En scrutant ses yeux, je vis soudainement apparaître des arbres plantés au dessus de noirs roche-rs où la mer en contre bas brisait ses vagues d'écumes. Etrangement, ces arbres étaient habités par des singes magots qui se balançaient de branches en branches au péril de leur vie! Mon dieu, mais comment as-tu fait, mon bel oiseau pour me montrer un si beau paysage? A peine avais-je fini de prononcer ces mots qu'elle prit aussitôt son envol et s'eloigna de la côté pour la haute mer. Puis reprenant peu à peu mes esprits, je compris tout à coup que la poésie existait bien sur cette Terre, mais qu'elle exigeait de nous une seule chose, la sincérité. Bref, une chose qui sem-blait aujourd'hui complètement démodée où le trompe l'oeil et le faux semblant avaient envahi tous nos espaces de libertés en remplacant la scène de la  vie par une décor artificiel!

Le soir, je parlais à mon oncle de l'entretien que j'avais eu avec Nasser et de cette particularité de vouloir surveiller tout d'abord la belle Heroïca pour me donner une idée de l'affaire. Car si esc-roquerie, il y eut, les autres filles devaient être forcement de mèche telles sont les filles. Mon on-cle, curieux de tout ce que je lui disais, approuva mon idée et surtout ma prudence dans ce genre d'affaire où les autres macs du quartier pourraient profiter de l'occasion pour jouer les beaux rôles. Ensuite, nous ragardâmes un film de gangsters à la télé où Lino Ventura se montra une nouvelle fois excellent.

Le lendemain matin, en ouvrant mes volets, je vis un soleil magnifique pénétrer ma chambre et l'inonder d'une clarté qu'on ne peut voir qu'ici dans ces pays du sud : où l'humeur des gens dépe-nd plus de la couleur du ciel que de l'état de leurs finances, souvent catastrophique, à part les bandits, les gens de la mafia et les élus politiques, Ah!Ah!Ah! Ainsi est le sud, superficiel, voir oublieux de la réalité au point qu'aucun grand penseur, dit matérialiste, n'avait pu voir le jour où la farniente était l'activité principale, mais seulement de grands philosophes du temps qui passe, bref, tout le drame pour ces régions, Ah!Ah!Ah! Il était vers les dix heures et me sentant un flem-me pas possible, je me traînais jusqu'à la cuisine pour me préparer mon petit déjeuner où pass-ant devant la chambre de mon oncle qui était entrouverte, je remarquai qu'il dormait à poings fermés. Avec son petit ronflement régulier qui semblait me dire: mon petit frère surtout ne me dérange pas et laisse-moi dormir jusqu'a midi ou plus. Car ce soir, je veux être en pleine forme pour régler mes affaires avec mes petites femmes! Sans bruit, j'entrai dans la cuisine et re-fermai la porte derrière moi pour me préparer mon chocolat que je bus dans un grand silence qui, à vrai dire, ne me déplaisait pas du tout vu l'activité que j'allais devoir fournir avec Nasser jusqu'au soir pour surveiller la belle Héroïca. Bref, du calme avant l'action me sembla tout à fait indiqué pour prendre ses marques et surtout pour que cette journée se passe sans fausses notes.

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Et vu la chaleur qu'il allait faire cet après-midi, je pensais qu'il valait mieux apporter de quoi se désaltérer et pris dans le frigo une bouteille d'orangeade bien fraîche que je mis ensuite dans un sac, genre monoprix, sans oublier un bloc note et un stylo qui trainait sur le buffet afin de pou-voir noter les comptes sur la belle Heroïca. Après, je repartis dans ma chambre pour me changer et faire un brin de toilette seulement au lavabo. En un rien de temps, après que j'avais refermé la porte de l'appartement, je me retrouvais dehors au milieu des gens en direction du vieux port en espérant y trouver Nasser près du petit cascailloux, comme je lui avais indiqué.

Quand j'arrivai près de la barque retournée, j'entendis une voix m'appeler d'en dessous et com-pris aussitôt que Nasser avait déjà pris place à l'intérieur. En toute discretion, je m'y faufilai en me plaçant derrière lui pour ne pas le gêner. A l'intérieur, il faisait assez sombre. Mais au bout de quelques minutes, nos yeux s'habituants, on y voyait très correctement.

-Alors, elle a commencé? je lui demandai.

-Oui, ça fait à peine dix minutes et pour l'instant aucun client.

Sous la coque du petit Casacailloux, Nasser était en position de chasseur et tenait entre ses mai-ns, une paire de jumelles. Etrangement, ses jumelles ressemblaient a des jumelles d'enfants, com-me celles que l'on trouve dans les paquets de bonux et je faillis bien éclater de rire.

-Oh Nass, mais c'est quoi ces jumelles?

-Heu..je les ai prises à mon petit frère.

-Eh ben, ça se voit, Ah!Ah!Ah!

-Comment ça se voit?

-Oui, ça se voit. Je ne sais pas pourquoi, mais ça se voit..

-Oh Mouloud, ne te moques pas de moi. Tu sais, ces jumelles marchent très bien.

-Fais voir!

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En me les passant, je vis qu'elles étaient en matière plastique et pliantes afin de les mettre facile-ment dans ses poches.

-Tiens, regarde de ce côté là où la belle Héroïca fait tout un cinéma pour vendre ses charmes.

En positionnant les jumelles sur la belle Héroïca, je vis bien effectivement qu'il avait entièreme-nt raison pour voir sur une quinzaine de mètres où celles-ci étaient largement suffisantes. En vo-yant presque en détail l'accoutrement ridicule de la belle Héroïca, avec son petit blouson en cuir riveté de boutons dorés oppressant sa grosse poitrine pour allumer tous les matelots du port. Ce matin, pour se protéger du soleil, elle avait mise une casquette de capitaine de couleur rose, bref, tout pour aiguiser l'appétit des gens qui avaient plus ou moins un pied dans la marine, Ah!Ah!Ah!

-Oh Nass, excuses-moi, mais je ne pensais pas la chose possible..

-Mais si, mon vieux, ça marche pour ces distances.

Une petite molette au dessus permettait de faire plus ou moins le point et je la réglais pour voir d'un peu plus près les mimiques de la belle Héroïca où il y avait quoi de rire. Quand un client s' approchait d'elle et lui demandait ses tarifs, elle entrouvait la bouche avec sensualité et lui anno-ncait le prix qui pour certains semblait correct alors que pour d'autres les faisait fuir! La belle Héroïca semblait alors furieuse et faisait une grimace que je regardais comme faisant partie d'un spectacle que seule la nature avait le secret. C'était comme regarder d'une manière indiscrète le vice des hommes en action, et plus particulièrement, le pouvoir de l'argent d'acheter le corps et l' esprit des gens. Car même si les prostituées se refusaient d'embrasser leur client sur la bouche, se laisser pénétrer par un homme me sembla comme un aveux de se faire posséder entièrement, n'est-ce pas? Bref, cela ressemblait ni plus ni moins à l'hypocrisie féminine qui voulait faire cro-ire aux hommes qu'elle avait aussi un coeur qui ne se monnayait pas contre de l'argent, mais seu-lement contre le soi-disant vrai amour. Tout cela me faisait bien évidemment rire, quand je voy-ais la belle Heroïca prête à vendre son âme pour un paquet de billets, Ah!Ah!Ah! Un jour, mon oncle m'a dit : Ne dit jamais la vérité aux femmes, mais plutôt des mensonges. Car notre travail à nous les hommes, c'est de leur faire croire quelles sont toutes des saintes, Ah!Ah!Ah! Ce qui pour elles est le suprême compliment. Après qu'il ait dit cela, mon oncle et moi éclatâmes de ri-re. Bref, plus cynique que nous l'étions à ce moment là, on ne pouvait pas trouver mieux.

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-Tiens, reprends tes jumelles, Nasser, j'ai vu un client monter!

-Passe-les-moi.

-Moi, pendant ce temps là, je vais le marquer sur mon carnet. Et toi verifie bien le temps qu'il passe avec elle.

-T'inquiète pas, j'ai ma montre. Au fait, comment il était le mec?

-C'était un petit gros au crâne dégarni.

-Hé ben, je plains beaucoup la pauvre  Heroïca! Et moi qui pensais qu'elle se tapait que le haut du pavé avec ses capitaines de corvette ou commandant de porte-avions. Là voila maintenant à taper dans le bas de gamme, Ah!Ah!Ah!

-Oh t'inquiète pas pour elle, c'est une pute qui connaît bien son affaire et qui sait s'adapter qua-nd les marins sont en mission pour plusieurs mois en haute mer. Tu vois, le café à côté, chez l'amiral. Hé ben, c'est là qu'elle se renseigne afin de savoir quand les marins rentrent au port ou bien quand les dockers ont du travail. La patronne, c'est son amie et elle lui donne tous ces rens-eignements.

-Putain, elles sont vachement organisées, les salopes!

-Oui, mais c'est mon oncle qui leur a passé ce tuyau pour qu'elles tapinent intelligemment et non comme certaines qui tapinent au petit bonheur la chance.

-Ton oncle, c'est un génie.

-Oui, je sais. Mais bon..

Au bout d'un quart d'heure, le petit gros au crâne dégarni ressortit et Nasser dit a Mouloud : celui-ci compte le pour 100 frs, c'est le prix d'une passe.

-Ok, je le marque.

Après 3 heures cachés sous le petit Cascailloux, ils partirent manger au restaurant. Ils avaient pratiquement bu toute la bouteille d'orangeade et le carnet de Mouloud était noirci de grillbou-llis de chiffres. En trois heures, la belle Heroïca avait fait monter chez elle, une dizaine de clie-nts plus ou moins louches, mais aucun capitaine au costume prestigieux!

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Ils décidèrent d'aller manger à la Gariguette, non loin d'ici, où de bonnes odeurs de poulets frites leur donnèrent l'eau à la bouche.

-Je pense que vais prendre un poulet frites! lança Mouloud enthousiasmé.

-Pour moi, ce sera plutôt des côtes d'agneaux avec des frites, dit Nasser en retour.

-Heu..évite les côtes d'agneaux là bas. Car ils les font tellement cuire et recuire qu'elles devien-nent des vraies semelles de godasse et c'est alors immangeable.

-Heu..comment tu sais ça, toi?

-Crois-moi, j'en ai fait l'expérience. A la Gariguette, vaut mieux manger du poulet ou bonne omelette, car le reste c'est tout surgelé et ça vaut pas un clou.

-Même les pizzas? demanda curieusement Nasser.

-Oui, même les pizzas..

-Oui, je sais que c'est triste à dire. Mais n'oublie pas, mon vieux, qu'on est sur le vieux port où la plupart des restaurants sont des pièges à touristes. Le temps de la bonne bouillabaisse, c'est une vieille histoire, Ah!Ah!Ah! J'ai même vu un jour dans un émission à la télé que c'était en Al-sace qu'on faisait la meilleure bouillabaisse!

-Oh, tu plaisantes, Mouloud?

-Non, je t'assure, j'ai bien entendu cela.

-Je pense que ça devait être plutôt une émission satirique qu'une émission gatronomique, hum?

-Peut-être, mais bon, ça m'a quant même bien fait rire,  Ah!Ah!Ah!

-Allez, arrêtes de te plaisanter avec moi, car je ne sais jamais quand t'es sérieux ou pas.

-Ok, tiens, il y a une place là bas! dit Mouloud en voyant une table libre face à la mer où nos deux acolytes s'y dirigèrent et s'y posèrent comme s'ils étaient des habitués des lieux. Un parasol au dessus de leurs têtes, où une publicité orangina était imprimée, leur sembla tout à fait justif-ié à cette heure de la journée où le soleil tapait dure. Autour d'eux, des clients en tenues d'été qui pour certains avaient fini leur repas, alors que d'autres le commençaient par un aperitif en disc-utant sur le temps qu'il faisait. Bref, on était bien dans le sud et dans ce pays où tout était plus lent, plus long à réaliser, non par manque d'intelligence, mais par un manque de volonté de lever le petit doigt pour se battre contre ce soleil, qui vous imposait sa loi tyrannique en voulant vous anéantir à chaque fois que vous essayiez de faire le moindre effort. Ce soir, quand tu seras parti, je me vengerai de toi, satané soleil! semblait se dire chaque marseillais au fond de lui même.

Quelques minutes plus tard, un serveur vint prendre leur commande où Mouloud prit un poulet frites et Nasser insista pour prendre ses côtes d'agneaux avec des frites. En boisson, le premier prit un couché de soleil et le second un bébé rose bien frais.

101

Assis l'un en face de l'autre, ils regardaient tous les deux la mer où des petites bateaux rentraient et sortaient du port. Leurs yeux étaient comme éblouis par ce spectacle où le bruit des petits caboteurs semblait venir d'une autre époque, comme au temps d'Arsène Lupin ou des brigades du tigres où les hommes portaient des moustaches à la diable et des collants de filles pour les matchs de boxe française. Les vieux matelots, qui se tenaient debout dans leurs petites embarca-tions, portaient sur la tête leur éternelle casquette en gros coton et fumaient pour la plupart de mauvaise cigarettes, genre gitâne maïs. On remarquait sur leurs visages, une étrange grimace qui avait été semble-t-il sculptée par les éléments de la mer, mais aussi par une activité de pêche qui semblait décliner de jour en jour. Bref, part un profond desespoir qui malgré tout restait beau à voir à travers l'éclat de leurs yeux où l'on pouvait ressentir tout leur amour pour la liberté de partir en mer très tôt le matin en espérant rentrer le soir les cales pleines de poissons. C'était le rêve de tous ces pêcheurs qui pendant la nuit les faisait miroiter des fortunes de mer où l'écaille des poissons ressemblait à de l'or, à de l'argent et à des pierres précieuses. Leur trésor se trouvait ici en rêve au milieu de la mer bleuté où, ramenant leur cargaison au port, ils seraient salués comme des héros!

-Tu as vu comme ils sont habillés ces pêcheurs avec leurs pulls troués? Crois-tu qu'ils gagnent suffisamment bien leur vie avec leur bateau? demanda subitement Nasser.

-Non, je ne le crois pas. Mais en vérité, ils s'en foutent. Car je pense que le plus important pour eux, ce n'est pas l'argent, mais plutôt le genre de vie qu'ils mènent.

-C'est à dire?

-Leurs traditions ou coutumes, je pense. Et un pêcheur de père en fils n'acceptera jamais d'aller travailler dans une usine ou un truc comme ça. La liberté, c'est leur grande passion à ces gens, vois-tu.

-Et je pense qu'ils ont entièrement raison, car vaut mieux être pauvre et libre que pauvre et pri-sonnier comme la plupart des ouvriers d'aujourd'hui. Tout en concevant que d'être riche et libre, c'est encore mieux, Ah!Ah!Ah!

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-Oh, Oh, Oh, comme tu est cynique! Mais n'empêche que ce que tu viens de dire est très vrai. Allez buvons un coup! Heu..à la belle Héroïca! lança sans prévenir Nasser qui somme toute av-ait des intérêts dans cette affaire. A la belle Héroïca! trinqua aussi Mouloud en cognant son verre contre celui de son ami où un peu de bébé rose se répandit sur la table.

Exceptionnellement, le service fut rapide ce jour là et le serveur leur apporta leur plat à chacun en le déposant délicatement devant eux.

-Hum, comme ça sent bon! dit Mouloud en voyant dans son assiette, une grosse cuisse de poulet cuite comme il faut avec son filet de jus baignant ses frites.

Nasser, quant à lui, semblait un peu déçu de voir ses côtelettes d'agneaux ressemblant à deux cornes calcinées qu'il regardait avec des yeux horrifiés. Son copain, voyant cela, faillit bien éclat-er de rire et ne se pria pas de lui dire qu'il l'avait prévenu. Mais l'autre ne dit rien et resta paralysé par le spectacle qu'il avait dans son assiette où même ses frites étaient grillées excessivement. Il se disait dans son for intérieur qu'il avait hérité de la plus mauvaise assiette du chef, alors que celle de Mouloud semblait alléchante avec ses belles frites d'un jaune d'or et sa cuisse de poulet rebondie comme celle d'une autruche.

-Nass, je t'avais prévenu de ne pas prendre des côtes d'agneaux!

-N'en rajoutes pas. Tu ne vois pas que tout ça me fout les boules?

-Ok, mon vieux, j'en rajoute pas. Alors, bon appétit!

-Oh, Mouloud, cesse un peu tes réflexions et puis j'ai plus faim, merde!

Ce dernier, ne voulant plus ennuyer son copain, se jeta aussitôt sur son assiette et dichéqueta avec ses doigts la cuisse de poulet en petits morceaux afin de les faire baigner dans la sauce au milieu de ses frites huileuses.

-Hum, Nass, je pense que tu aurais dû prendre pareil que moi. Ce poulet est délicieux, lança-t-il en se léchant les doigts.

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Nass n'avait rien touché dans à son assiette sauf quand il esssaya de mordre dans une de ses côt-elettes sans pouvoir en arracher un seul petit morceau. Aussitôt, il la recracha en la mettant au bord de son assiette. Fait chier, c'est immangeable, ce truc!

-Mange plutôt tes frites, ça te remplira toujours le ventre.

Nass ne dit rien, mais but une gorgé de son bébé rose qui somme toute était assez nourrissant pour combler ce repas de singe.

-Mais tu as vu comme elles sont mes frites par rapport aux tiennes? Le cuisinier t'a vraiment gâ-té, alors que moi il m'a tout simplement pris pour un con!

-Ne dit pas ça, le cuisinier n'y est pour rien. C'est peut-être son aide cuistot qui a tout fait grill-er.

-Mouloud, voyant son ami commencer à demoraliser, lui tendit une poignée de frites.

-Tiens, tu peux aussi te servir dans mon assiette. Tu sais, je ne veux pas manger en égoïste.

-Merci, mon pote, dit-il en s'empressant de remplir sa bouche de frites délicieuses imbibées de sauce au poulet.

-Prends un dessert après, je te l'offre, lui dit-il comme mué comme par un élan de générosité.

-Merci, mon pote, je te le redevrai.

-Casse-toi pas la tête, laisse-moi seulement choisir ton dessert, car je me trompe rarement sur le choix des plats.

-Oui, c'est vrai. Mais comment tu fais?

-Oh c'est simple, j'évite toujours les plats trop compliqués qui sont souvent à la carte, comme les côtes d'agneaux ou le pavé de rumsteck. Bref, je prends toujours le plat du jour qui je sais est toujours frais à la dégustation. Alors que le reste, préparé trois jours à l'avance, t'assure une bon-ne diarée en perspective.

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-C'est fou, comme tu connais de choses sur la bouffe, Mouloud!

-Oui, mais c'est normal, j'ai un estomac très sensible et un palais digne d'un grand cuisinier. Et tout ce qui est fait à partir d'ingredients surgelés, je les vomis aussitôt comme si ma langue refu-sait de goûter à ces truc là sans goûts et souvent remplis d'eau. Tes côtelettes d'agneaux, j'en suis sûr qu'ils les avaient décongelé au micro-onde juste avant de te servir.

-Oh arrête de me parler de mes côtelettes d'agneaux, s'il te plait! Je ne peux plus les voir.

-T'as qu'a les donner au chien!

-Mais de quel chien, tu veux parler? Moi, je n'en vois aucun.

-Mais si, là bas! dit Mouloud en montrant du doigt un gros pitbull qui jouait avec une petite balle en contre bas de la terrasse.

-Lui, j'en suis sûr qu'il les aimera, Ah!Ah!Ah!

-Allez, balance-lui! Mais fais gaffe à ce que le patron du restaurant te voit pas.

Nasser, qui jeta un coup d'oeil derrière lui et n'apercevant aucun serveur dans les parages, prit ses deux côtelettes d'agneaux et les jeta en contre bas. Une de ses côtes par hasard atterrit sur la tête du chien qui un moment fut étourdit. Puis celui-ci reprenant peu à peu ses esprits n'y cro-yait pas ses yeux et se jeta tel un tigre sur ce morceau de viande carbonisée.

-Oh, Oh, Oh, tu as vu comme j'ai bien visé? Juste sur la tête!

-Je ne sais pas où l'autre est partie, mais je crois qu'elle ne doit pas être très loin.

Mouloud se leva et vit qu'elle avait atterrit au milieu d'une bande de touristes où un de ces étra-nges personnages du dimanche avait glissé dessus et s'était étalé par terre comme une grande as-perge. Autour de lui, tous ses amis éclataient de rire et le photographiaient dans tous les angles afin d'immortaliser l'événement, ce que ne semblait pas beaucoup apprécier la pauvre victime.

-Ooh, Nass, regarde de ce côté là, il en a un qui a glissé dessus, Ah! Ah! Ah!

En se levant, il vit aussitôt un attroupement autour d'un homme étalé par terre qu'on photogra-phiait tel un animal de foire. L'homme voulait semble t-il se relever, mais ses amis l'en empêch-aient afin de prendre plus de photos.

-Comme c'est con, ces touristes!

-Ah oui, c'est vraiment con! dit Mouloud en observant la scène comme quelque chose de tout nouveau dans la région. Où le problème de ces gens se trouvait dans leur appareil photo qu'ils considèraient comme un membre de leur famille et qu'ils dorlotaient comme un enfant plein de promesses en termes de souvenirs. Car avec la vie qu'ils mènaient à l'usine ou au bureau, ils n' avaient véritablement pas le temps de vivre. Alors en vacances, c'était la grosse orgie et on se vengeait d'avoir été un mort-vivant pendant toute l'année et tanpis si les collègues en prenaient plein la gueule!

-C'est triste tout ça, non?

-Oh oui et je dirais même que c'est affligeant, dit-il en comprenant que le touriste d'antan n'avait plus grand rapport avec celui d'aujourd'hui qui, desormais armés d'appareils photos de plus en plus perfectionnés et de nouvelles mœurs, frisait l'hystérie collective en temps estival. Ce touri-ste nouveau, comme le beaujolais nouveau, ressemblait de plus en plus à un journaliste en mal d'émotions en recherchant le scoop à tout prix. "Et si je faisais une bonne photo, j'en suis sûr que je pourrais la vendre aux magazines peoples et ainsi rembourser mes vacances!" pensait-il étran-gement, non plus comme un vacancier, mais comme un travailleur en vacances.

-Puis tout à coup surgis des aboiements! 

Sur la gauche, l'attroupement des chiens se battait pour la deuxième côte d'agneau que Nasser avait envoyée tout à l'heure.

-Ah!Ah!Ah! regarde comme ils se battent, on dirait des tigres!

Avec la fureur qu'ils employaient pour s'emparer du pauvre morceau de viande, où il y avait tout de même un os à ronger, les clients du restaurant s'étaient levés afin de voir ce spectacle digne des jeux du cirque. Un peu plus, ils se seraient cru dans une arène romaine où certains commen-çèrent à parier sur le noir et d'autres sur le marron tâcheté etc. Le groupe de chiens, qui bougeait en fonction du morceau de viande, tout à coup se trouva mélé aux touristes de tout à l'heure qui, éffrayés, prirent aussitôt la fuite ainsi que le pauvre touriste qui profita de l'occasion pour pre-ndre la poudre s'escampette. L'un des chien, ayant apperçu la deuxième côte d'agneau, s'en emp-ara et partit à l'écart pour la ronger, ce qui attira la convoitise des autres chiens. En un rien de te-mps, le groupe de chiens se trouva divisé en deux, ce qui rassura les touristes, mais pas le patron du restaurant qui rouge de colère était prêt à descendre avec son nerf de boeuf. En quelques mi-nutes, les deux côtelettes( os compris) furent englouties dans leurs estomacs sans qu'on sût com(ment et le silence regagna aussitôt les lieux du restaurant où les clients heureux par cet interm-ède engloutirent leurs repas avec une sorte de voracité.

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-Ouf, ça commençait à être long! soupira Nasser en se tenant le ventre.

Mouloud ne dit rien en constatant avec bonheur que le spectacle, qu'il avait provoqué avec son copain, avait amusé beaucoup de monde, pensa-t-il en regardant son pote faire une horrible gri-mace dûe à la faim.

-Nass, tu t'en rends compte, sans nous ce spectacle n'aurait jamais eu lieu!

-Oui, je sais. Mais c'est grâce à mes côtes d'agneaux qui étaient infectes, dit-il en grimaçant.

-C'est vrai.

Mouloud se rendait compte ici que pour faire un spectacle pouvant plaire au public, il suffisait d'avoir seulement quelques ingredients, comme des côtelettes d'agneaux avec des chiens ou bien une bande de touristes idiots qui photographiai n'importe quoi ou bien une émission à la télé qui parlerait de sexe ou bien des comiques qui débiteraient une connerie toutes les trois secondes, Ah!Ah!Ah! Bref, des choses à la portée de n'importe quel imbécile, n'est-ce pas? Mais c'est fou, comme à la télé on nous prenait pour des imbéciles en voulant nous faire croire que leurs vede-ttes avaient réllement du talent, alors qu'elles ne flattaient que le mauvais goût du public, bref, une chose très facile à faire pour le comun des mortels, n'est-ce pas? En comprenant par l'expéri-ence qu'il venait de faire que l'intelligence n'était pas vendeuse, mais seulement la connerie et de masse si possible..

Nasser avait de plus en plus mal au ventre et son copain le voyait bien.

-Oh Nass, assieds-toi, je vais commander ton dessert.

-Pssi..dit Mouloud en voyant un serveur aller dans sa direction.

-Oui, monsieur, c'est pourquoi?

-Voilà, on va prendre un dessert.

-Bien, que désirez vous?

-On va prendre deux pêches melba.

-Vous prendrez deux cafés après? demanda-t-il comme par habitude.

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-Mouloud regarda alors son pote d'un air interrogatif.

-Non, pas pour moi, lâcha-t-il au bord de l'évanouissement.

-Moi, non plus, dit-il d'une manière expéditive.

Le serveur, à moitié satisfait, repartit aussitôt avec sa commande.

Quelques minutes plus tard, il leur apporta leurs deux pêches melba où une montagne de chanti-lly couronnait les coupes, comme si le chef cuisinier avait gagné le marathon de New York ou un truc comme ça! s'imaginait Mouloud en y voyant un excessif ou un euphorique qui ignorait sa double ou peut-être triple personnalité?

Nasser, quant à lui, plongea immédiatement sa cuillère dans cette montagne de neige sucrée en y détachant une colline qu'il engloutit dans sa bouche tel un géant.

-Hum..ça au moins, c'est bon!

-Là, tu peux, il y a aucun risque, dit Mouloud en ne sachant pas comment attaquer les flancs de cette montagne de crème fraîche.

Avec tout ce qu'il avait mangé, il préférait plutôt s'attaquer aux fruits qu'à cette Himalaya con-fectionnée à Marseille.

Fourrant sa petite cuillère à l'intérieur, il cherchait ce fameux morceau de pèche que sa bouche désirait tant croquer. Quand tout à coup, sous sa petite cuillère, il sentit quelque chose de mi-dur qu'il coupa d'un geste rapide en l'extirpant de cette gangue, souvent un cache misère pour toutes ces glaces en coupe où les boules à l'intérieur faisaient souvent mauvaises mines et attri-staient aussi bien le touriste que le restaurateur. Alors qu'avec cette chantilly, genre Louis le 14 ème, les apparences étaient sauves.

Aussitôt extirpée de cette montagne de chantilly, il vit apparaître dans sa petite cuillère, une ch-ose orangée bien glacée qu'il mit dans sa bouche gourmande.

-Hum..je te l'avais dit, Nass, je me trompe rarement.

L'autre ne l'écoutait pas et était occupé à s'en mettre plein les papilles où une sorte de couronne blanche entourait maintenant sa bouche.

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-Oh, Nass, mais prends ton temps, on est pas à l'usine!

-Hum, hum, hum, merde que c'est bon!

Plongeant une nouvelle fois sa petite cuillère dans sa coupe, il sortit un petit morceau de glace à la vanille qu'il déposa délicatement sur sa langue, comme pour en analyser la composition chim-ique où une odeur de vanille naturelle le submergea ainsi qu'un contentement visible sur son vi-sage qui l'encouragea à l'avaler. On peut! dit-il à voix haute en attaquant carrement la coupe à larges cuillerées.

Son copain, entre temps, avait déjà fini la sienne et semblait au bord de l'indigestion. Avec la tête penchée en arrière et les mains, posées sur son ventre, comme pour en mesurer le gonflement.

-T'as mangé trop vite! lui expédia-t-il en le voyant commencer à s'endormir.

-Pouff, Pouff, Pouff..souffla-t-il avachi sur sa chaise.

-N'oublie pas que cet après-midi on a du travail!

-Oh merde, c'est vrai! dit-il en relevant la tête.

-Et elle recommence à quelle heure, la belle Héroïca?

-A 16 heures 30! dit-il en connaissant parfaitement les horaires des filles.

-Eh ben alors, on a tout le temps! lança Nasser en reprenant sa position de vacancier sur sa chai-se.

-On a tout le temps, c'est toi qui le dit! Et puis n'oublie pas qu'on doit passer aussi à l'épicerie prendre une bouteille d'orangeade.

-Mais la canebière, c'est tout à côté et en dix minutes on y est déjà. Allez, ne t'inquiète pas, on y sera avant pour espionner la belle Heroïca.

-Heu..t'as quelle heure à ta montre?

-Deux heures piles, répondit Nasser qui voulait reprendre son somme.

-Deux heures, c'est vrai qu'il est pas tard, dit Mouloud en sortant de sa poche le carnet de com-ptes sur la belle Heroïca qu'il posa sur la table.

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-Nasser, en le voyant, lui demanda combien elle avait fait pour l'instant.

-12 clients à 100 frs, ça fait exactement 1200 balles, ce qui n'était pas mal pour la demi-journ-ée, n'est-ce pas?

-Oui, c'était pas mal du tout, quand je pense qu'elle déclare seulement 1500 balles par jour à ton oncle, la salope!

-Oh Nass, respecte-là, un peu! Tu sais, c'est elle qui nous fait vivre moi et mon oncle, ne l'oubl-ie pas!

-Oui, mais n'empêche que c'est toujours une salope!

-Salope, salope, c'est toi qui le dit! Mais elle travaille beaucoup comme tous ces ouvriers dans les usines, tu sais..

-Quel cynisme, tu montres ici pour une salope qui donne son cul contre un salaire, Ah!Ah!Ah! Alors que les ouvriers, c'est totalement different, ils donnent leurs bras contre un salaire, bref, contre un travail honorable.

-Peut-être pour toi, mais moi je pense que tous ces ouvriers sont aussi des prostituées à leur fa-çon.

-Ah oui et pourquoi?

-Parce qu'ils vendent leur force de travail donc leurs corps à un patron qui devient automatique-ment leur proxénète.

-Ah!Ah!Ah, Jamais entendu ça de ma vie! Mais il se peut qu'il y ait des similitudes entre les deux professions. Mais de là à penser que les ouvriers donnent leur cul à leur patron contre un salaire, tu y vas un peu fort!

-Oh, ça c'est toi qui le dit! Car j'en ai vu certains qui faisaient des heures supplémentaires sans être payés. Et si tu n'appelles pas ça donner son cul, alors c'est quoi exactement ?

-Ca s'appelle aimer tout simplement son travail, mon cher Mouloud!

-Ah! Ah! Ah! alors là, c'est toi qui est cynique en ce moment!

-Alors là, pas du tout, je ne fais que dire les choses d'une manière sensée et tout à fait raisonna-ble, voilà tout.

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-Eh oui et c'est bien là le problème, Nass.

-Comment, c'est là le problème?

Mouloud, en écoutant parler son pote de la sorte, comprenait maintenant que celui-ci après s'êt-re rempli le ventre de bonnes choses, voulait redevenir gentil avec tous ces gens normaux qu'on appelait ouvriers ou employés en commençant à haïr tous ces marginaux, comme la belle Heroï-ca. Peut-être en était-il jaloux parce qu'elle gagnait bien sa vie ainsi que son oncle qui semblait accumuler tous les succès? se demandait-il curieusement. Mouloud, pour cacher son embarras, prit son petit carnet et le feuilleta comme un aveugle.

-Messieurs, nous allons fermer! annonça soudainement le serveur qui s'était approché de leur ta-ble. Le service est terminé! répeta-t-il afin que tout le monde l'ait bien entendu.

Ouf! lâcha Mouloud quelque peu ébranlé par les doutes sur la personnalité de son copain.

-Attends-moi, je vais payer! lui dit-il en se levant pour se diriger vers la salle du restaurant. Aus-sitôt Nasser se leva et s'éloigna de la table, comme pour mieux voir la mer qui s'étalait devant lui.

Quelques minutes plus tard, il revint et lui dit : Allez, remontons sur la canebière.

-Ok, on y va! expédia Nasser en posant sa main sur l'épaule de son pote.

En sentant cette main fraiche posée sur son épaule, Mouloud semblait heureux d'avoir un pote comme Nasser et malgré leur divergence d'idée. Mais bon après tout, qu'est-ce que cela pouvait bien faire? pensa-t-il en remontant le vieux port où le soleil et la mer semblaient s'être à nouve-au reconcilés. La mer à l'horizon semblait leur sourire par ses vagues d'écumes où le soleil, écl-atant sur les dalles du port, voulait absolument rotir un de ces touristes idiots qui s'était assis au bord du quai sans sa casquette.

Ainsi, ils remontèrent le vieux port jusqu'à la canebière, puis s'arrêtèrent chez un épicier arabe pour prendre une bouteille d'orangeade bien fraîche. Nasser, qui avait encore un peu faim, prit un paquet de gâteau que Mouloud lui fit payer, car il exagérait un peu trop, lui avait-il dit au moment de passer à la caisse.

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-T'as quelle heure?

-Deux heures et quart, dit-il d'une façon un peu agitée. Heu..tu crois qu'on pourait se baquer av-ant, hum?

-Quoi, allez se baigner?

-Oui..de faire quelques brasses avant de retourner au boulot, Ah! Ah! Ah!

-Ah sacré Nasser, tu changera jamais. Mais où veux-tu aller te baigner?

-Et si on allait à la plage du Prado?

-Alors là, non, il y a trop de monde à cette heure-ci, dit-il un peu énervé par cette proposition qui ne lui plaisait pas.

-Mais alors tu veux aller où, car c'est la plus proche d'ici.

-Allons plutôt aux calanques, lui envoya-t-il avec un sourire sur le bouche qui voulait tout dire.

-Aux calanques? Mais c'est pas tout près d'ici.

-Oh arrête de faire le difficile, Nass, en vingt minutes on y est.

-Heu..mais avant d'y aller, t'as ton maillot?

-Mais bougre d'imbecile, bien sûr que je l'ai.

-Aussitôt Nasser baissa un peu son pantalon pour le lui montrer en étant de couleur bleue foncé.

-Et ça c'est quoi, vieux bourrin?

-Ah, Ah, Ah, sacré Nasser!

-Et toi, j'espère que tu ne l'as pas oublié?

-Moi oublier mon maillot, mais tu me prends pour un parisien ou quoi?

Mouloud baissa lui aussi un peu son pantalon pour le lui montrer en étant de couleur rouge.

-Et ça c'est quoi, vieille sardine?

-Bon, d'accord, dit Nasser qui comprit que Mouloud était lui aussi un enfant du pays, bref, un enfant de Marseille qui n'oubliait jamais de sortir sans mettre son mailllot, sachant qu'en balade il y avait toujours un des leurs qui leur proposait une baignade ou des sauts dans la mer à partir d'une petite falaise située près d'une route. Et oublier son maillot fut considéré pour le groupe comme une insulte, comme une envie de s'isoler des autres pour s'la jouer en solitaire, ce que les garçons haïssaient plus que tout. Car personne ne devait cacher ses projets aux autres qu'ils soient malhonnêtes ou pas. L'aventure était de leur âge, alors pourquoi s'en cacher? pensaient-ils tous avec un petit air diabolique.

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-Mais par où tu veux passer, hum?

-On va prendre par le chemin des tortues, tu connais?

-Oui, mais à pieds, c'est pas tout près, dit nasser qui semblait fatigué d'avance de faire cette lon-gue marche.

-Si tu veux, on peut prendre la ligne 26 qui va aux calanques, je crois.

-Par la route? Laisse tomber, c'est trop long. Et puis il y a trop de circulation à cette heure-ci.

-Alors comment tu veux y aller? lui demanda Mouloud qui sentait les nerfs monter en lui.

-Et si on prenait le train tout bêtement?

-Par le train?

-Oui, on est juste à cinq minutes de la gare Saint-Charles et je sais qu'il y a une navette toutes les dix minutes qui va, je crois, jusqu'a la Siotat.

-Non, non, elle s'arrête avant, car pour aller à la Siotat, il faut prendre un bus. J'ai déjà fait le trajet avec mon oncle pour aller manger à la petite californie. Tu connais, la petite californie? lui demanda-t-il en voulant s'la jouer.

-Bien sûr que oui, mon vieux! Mais qui à Marseille ne connaît pas la petite californie avec ses pontons en bois qui recouvrent la promenade ainsi que tous ses restaurants qui abusent de la grande baie vitrée pour nous faire croire qu'on est Los Angeles de même que ses vagues qu'on dit aussi grosses qu'à l'ocean et attirent, bien évidemment, tous les surfeurs du coin. Mais tout le monde la connaît! lui expédia-t-il d'un air triomphant. Mouloud, un peu gêné et voulant revenir au sujet qui le préoccupait, lui dit : D'accord, on y va par le train. Mais je te jure que je n'irai pas jusqu'a la Siotat, je te préviens.

-Mais ne t'inquiète pas, on ira seulement jusqu'à Aubagne qui est juste avant Cassis. Comme ça, on descendra dans les calanques et avec un peu de chance, on trouvera un petit endroit tranqui-lle pour se baigner avant de retourner au boulot, Ah! Ah! Ah!

-Au bagne? Mais tu en a de drôle d'idées, Nass! Et pourquoi pas aux Baumettes pendant que tu y es? lui dit-il en voulant faire de l'humour.

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-Oh, Oh, Oh, celle là, je ne l'aurais jamais trouvé tellement elle est fine et surtout quand je pen-se que la prison des Baumettes est juste à côté. Oh, Oh, Oh, là, tu en tiens une bien bonne! lâcha Nasser en riant d'une façon incontrôlée.

-Je sais, je sais, mais ça m'arrive uniquement quand je me trouve dans une situation ridicule, vois-tu, où mon cerveau se met à délirer tout seul en inventant des jeux de mots à partir d'ex-pressions banales ou de panneaux publicitaires qui se trouvent sur mon chemin. C'est bizarre à dire, mais ça marche comme ça chez moi, dit Mouloud d'un air un peu abattu par cette étrange faculté.

-Et bien sûr, tu trouves notre situation ridicule à ce que je vois? lui demanda brutalement Na-sser qui ne comprenait pas bien pourquoi.

-Oui, bien sûr. Mais rassure-toi, celle-ci ne me gène aucunement, car elle m'amuse énormém-ent. Pas toi?

-Oh! Oh! Oh! Mouloud, je crois que tu ne changeras jamais et c'est pour cela que je t'aime bien, lui dit son pote qui commençait à avoir des fourmis dans les jambes. Allez on y va.

-Allez assez bavarder!

Et nos deux acolytes, ne voulant plus perdre de temps maintenant, accélèrent le pas en direction de la gare Saint-Charles.

Étrangement, l'entrée de la gare ne se trouvait pas en pleine rue, comme pour la majorité des ga-res en France, où leurs facades majestueuses embellissaient le centre ville par ses ornements sculptés ainsi que par sa grosse horloge sertie dans la pierre tel un gros bijou où grouillait de-vant une population plus ou moins louche. Là rien de tout cela, mais seulement une facade sans éclats abandonnée aux pigeons et à la pollution de la ville, comme si les architectes et les auto-rités de la ville s'étaient concertés pour faire de la gare uniquement un endroit pour prendre le train et non comme un lieu de vie où une vague population se serait bien rassemblée pour occu-per leur journée. Comme ici à Marseille où ne rien faire de la journée était une activité prise très au sérieux contrairement aux apparences et génèrait une réelle activité, certes illégale, mais non moins une réelle activité économique. Ce qui était un vrai paradoxe qui n'appartenait qu'aux villes du sud où les chiffres sur l'économie étaient souvent cachés par pudeur, bien évidemment.

Quand Mouloud et Nasser entrèrent par derrière, il furent étonnés par la laideur des lieux où une sorte de tunnel très haut et très sombre allait jusqu'au hall de la gare. Les yeux fixés devant eux, ils étaient impatients de sortir de ce lugubre endroit où aucun vagabond n'aurait eu l'idée de poser son sac de couchage en travers du passage des voyageurs. Bref, c'était bien pensé, mais n'empêche que c'était horriblement laid! jugèrent-ils en attendant de sortir de ce corridor de la mort. Les gens autour d'eux semblaient faire le même constat et accéléraient le pas pour en sor-tir au plus vite. Quand ils débouchèrent enfin dans le hall de la gare, immensément haut, ils poussèrent comme un ouf de soulagement, mais n'en furent pas pour le moins écoeurés par les odeurs d'égouts et de gazoil qui y régnaient. Ajouter à cela, le bruit des trains qui serraient les freins pour s'arrêter en fin de quai et le bruit de la foule se répercuter et s'amplifier au contact de cette immense verrière qui couvrait la gare. Bref, on se serait cru dans l'antre de l'enfer pour vous dire toute la vérité!

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-Aubagne, Aubagne, départ dans trois minutes! hurla soudainement un haut parleur sur le quai.

-Vite, Mouloud, dépêchons-nous!

-Et les billets? Merde, on a pas pris les billets! hurla Mouloud.

-Aubagne, Aubagne, départ dans trois minutes! Quai numéro un, hurla une seconde fois le haut- parleur.

-Mais on a pas le temps! jeta Nasser qui en se retournant vit une queue impressionnante au gui-chet. T'inquiète pas, on prendra les billet a l'intérieur du train.

-Tu crois?

-Oui, sans problème, je te l'assure. Le quai numéro un, c'est au fond à droite.

Aussitôt, ils coururent jusqu'au quai numéro un où un vieux train du type reclassé les attendait, y entrèrent et s'installèrent dans un des compartiments en poussant la porte coulissante.

-C'est classe, non? Tu as vu, on a un compartiment pour nous tous seuls.

-Disons pour l'instant, dit Mouloud qui craignait que cela ne dure bien longtemps vu la foule qu'il l'avait aperçue tout à l'heure au guichet. Attendons que le train parte et après on pourra dire ouf.

-Quelques secondes plus tard, le train s'ébranla et Nasser cria sa joie en sautant sur sa banquette.

-Youhais! Youhais! Youpi! Youpi!

-Oh, tu as vu comme on les a bien eu?

-Tu voulais dire des gens qui attendaient au guichet?

-Mais oui, ma vieille fouine! lâcha Mouloud en ouvrant la fenêtre pour voir dehors les gens déf-iler sur le quai. Où certains, croyant vous reconnaître, vous fasaient un signe de la main comme pour vous souhaiter un bon voyage et d'autres, les yeux loinains, vous dire adieu pour toujours. Au fur et à mesure que le train prenait de la vitesse et effaçait en même temps les visages, étran-gement, nous nous sentions de plus en plus léger comme si nous laisions derrière nous tout ce tas de sentiments humains et ce trop plein d'humanité qui souvent alourdissait nos vies. Ce tra-in, qui roulait à grande vitesse, n'était ni plus ni moins le temps qui défilait devant nous et qu' on essayait en vain de rattraper en laissant malheureusement sur le quai les gens que nous aimi-ons. Apparemment, le progrés technique était notre lâcheté à tous de ne pouvoir supporter notre vie présente, bref, par cette incapacité à aimer notre propre famille et le reste du monde.

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-Mouloud, tu peux fermer la fenêtre? Ca commence à sentir le gazoil dans le compartiment! dit Nasser en se pincant le nez.

Ce dernier ne lui répondit pas, mais remonta la vitre, puis s'affala sur sa banquette.

Nasser, se sentant un peu barbouillé, s'allongea, puis regarda un peu bizarrement le plafond où le filet du porte-bagage pendouillait, comme si l'avait porté trop de bagages au cours de sa vie. Les mailles en nylon étaient si desserrées et si larges pour un filet que les poissons pourraient bien passer à travers! commença-t-il à délirer. Puis laissant tomber ce rêve étrange, il ferma les yeux comme pour mieux ressentir les vibrations du train. Au dessus de sa tête, sur le plaquage en formica du compartiment, était accroché un cadre où se trouvait à l'intérieur la photo du mont Saint-Michel qui, d'une hauteur impressionante, semblait planté au milieu des sables tel un vaisseau de pierre prêt à prendre son envol pour l'espace. En contre bas, afin de se donner une idée de l'échelle de l'édifice, le photographe avait fait poser un pêcheur à marée basse qui avec son épuisette sur l'épaule chassait le crabe ou ramassait des coquillages. Bref, on en savait rien. Apparemment, tous ces beaux paysages de la France profonde, qui nous accompagnaient sagem-ent au dessus de nos tête pendant notre voyage, était la grande idée de la société nationale des chemins de fer (la SNCF). Dans le but de nous mettre l'eau à la bouche et nous faire découvrir par le train le vrai Mont Saint-Michel et non plus celui qui était en photo ou bien la basilique de notre Dame de la Garde à Marseille qui, au dessus de la tête de Mouloud, semblait impatiente qu'on la visite. Seul Nasser pouvait la voir, en étant assis de l'autre côté de la banquette, mais à laquelle il n'avait fait attention quand il était entré dans le compartiment. Il est vrai que ce mom-unent, dédié à Marie et aux marins perdus en mer, n'était pas très beau à voir de près, avec son style inclassable romano-byzanin en pierres de différentes couleurs et ses statues à l'entrée qui nous effrayaient par leurs dimensions exagérées, bref, on était à Marseille!

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En bas du vieux port, ça pouvait passer, mais dès qu'on s'en approchait ça devenait pénible avec toutes ces côtes et ces escaliers raides à gravir et seulement pour apporter une offrande à Marie, notre bonne mère. C'est dire la bêtise des constructeurs qui n'avaient pas pensé aux vieilles dam-es des marins disparus qui étaient obligées de rester chez elles pour pleurer leurs défunts maris ou fils. Mais il ne serait pas inutile de dire à notre cher lecteur que ces derniers avaient fait con-struire des ascenseurs pour palier à tout cela. Mais du fait de leur mauvaise conception (système hydraulique à eau aux dimensions exagérées pour transporter quelques dizaine de pèlerins 100 mètres plus haut), ils avaient dû les démolir et faire en même temps le désespoir de ces veuves qui avaient perdu leurs maris en mer. Tout ça pour dire qu'ici à Marseille aucun grand architecte n'avait vu le jour ni aucun grand philosophe dit matérialiste, comme je vous l'avais dit précéde-ment, car aucun pragmatisme chez ces gens, n'est-ce pas? La raison est toute simple, c'est qu'ici tout est superficiel et la moindre pensée profonde ou sérieuse fait aussitôt mal à la tête à la plupart des marseillais, Ah!Ah!Ah! Bref, laissons les farnienter en rêvant à des fortunes de mer acquisent sur le pouce ou bien assis aux terrasses des cafés en buvant leur pastis bien frais, si possible.

Sous la photo, encadrée de notre Dame de la Garde, Mouloud s'était endormi et rêvait de piquer une tête dans la mer pour oublier le bruit mécanique du train et retrouver les éléments de la na-ture : le vent, les vagues, le sel et le soleil qui allaient tout à l'heure lui brûler la peau. Nasser, quant à lui, semblait somnoler et rêver à l'argent que la belle Heroïca allait lui rapporter, quand les preuves seront apportées à l'oncle de Mouloud et un petit sourire se dessinait sur ses lèvres.

Puis sans prévenir, le train freina plusieurs fois, ce qui fit valdinguer Mouloud dans les bras de Nasser qui ne put s'empêcher de rire de la situation. Quelques instants plus tard, le train s'imm-obilisa sur la voie.

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-Aubagne! Aubagne! Trois minutes d'arrêt!

-Aubagne! Aubagne! Trois minutes d'arrêt! hurla de nouveau le haut parleur.

En descendant du train, ils furent surpris de voir personne descendre avec eux, comme s'ils étai-ent descendus dans une ville fantôme, pensaient-ils en se regardant d'une manière étonnée.

-Tu crois pas qu'on s'est trompé? demanda Mouloud.

-Mais non, j'ai bien entendu Aubagne, trois minutes d'arrêt, non?

-Ouhais, c'est ce que j'ai cru entendre moi aussi.

-Cassis! Cassis! Quai numéro un. Départ immédiat! hurla soudainement le haut-parleur, puis ils entendirent un coup de sifflet et le train repartit aussitôt.

Quelque peu demoralisés, il se dirigèrent ensuite vers le passage souterrain pour sortir des voi-es. Ils auraient pu, il est vrai, couper directement les voies pour aller plus vite. Mais comme ils avaient un peu le temps, se disaient-ils, pourquoi ne pas en profiter pour visiter les lieux au fo-nd?

Quand ils entrèrent dans le souterrain, une odeur d'urine et de matière fécale faillit les faire to-mber à la renverse! Puis se pinçant le nez en faisant attention à ne pas marcher sur ces coulées de bronze, appelées immondices, ils regardèrent les tags et les dessins peints à la bombe plus ou moins réussis sur les murs. Quelqu'un à l'entrée du souterrain avait écrit : Mort aux Arabes! ce qui rendit furieux Mouloud et Nasser sur le moment. Mais juste en dessous quelqu'un d'autre avait écrit, comme pour se venger, celui qui a écrit ça : Si je l'attrape, je lui coupe les couilles! Nasser, en lisant ceci, amorça un sourire et sortit le crayon de sa poche pour écrire à côté : Je su-is d'accord avec toi, mon pote : A mort les fromages! Gaston deferre tai qu'un enculé! était écrit sous un tube d'éclairage pour qu'il soit vue de tout le monde. Ici très certainement un déçu de la politique locale, pensait Mouloud en continuant sa visite et toujours en se pinçant le nez pour ne pas mourir asphyxié. Puis tous les deux s'arrêtèrent au milieu du souterrain où un grand dessin à la bombe représentait le président de la république française, Valérie Giscard d'Estain en train de se faire enculer par un âne (excusez-moi de l'expression, mais c'était dessiné ainsi). L'auteur du dessin avait appelé son âne mi-mi, sûrement une allusion à François Mitterand qui était alors son opposant politique. Tous les deux éclatèrent de rire devant ce dessin très réussi où l'âne du Poitou avait de grandes oreilles, mais aussi quelque chose de grand entre les pattes de même que la tête de VGE très bien réussie avec son crâne dégarni et sa bouche qui criait : Au secours, la république! Tous les deux restèrent pendant quelques minutes devant ce dessin qui les avait bien amusé. Enfin, ils sortirent du tunnel, heureux de respirer à nouveau de l'air frais.

118

En sortant de la gare, ils demandèrent à un passant où se trouvait les calanques.

-Messieur, s'il vous plait, pour aller aux calanques? demanda Mouloud qui était pressé de pi-quer une tête dans la mer.

-Les calanques, c'est par là tout droit. En voiture, vous en aurez pour 15 minutes au maximum, dit-il en leur montrant la direction avec le bras.

-15 minutes en voiture! s'exclama-t-il en regardant Nasser d'une manière étonnée. Mais à pieds en combien de temps, on pourrait y être? lui demanda-t-il inquièt

-1 heure au moins. Mais moi, je vous le déconseille vu que la nuit ici tombe très vite et qu'il est très dangereux de rester dans les calanques où des maraudeurs traînent pour vous voler ou peut-être vous assassiner. Mais bon, après tout, vous faites comme vous voulez, mes garçons, vous êtes assez grands! leur lança l'homme qui était agé d'une cinquantaine d'années et semblait con-naître la vie.

-Merci pour le conseil, monsieur, répondit Mouloud en lui serrant la main.

En se saisissant de cette déconvenue, il semblait furieux contre lui-même, mais surtout contre Nasser qui lui avait dit des bêtises sur Aubagne où soi-disant en sortant du train on pouvait plo-nger directement dans la mer. Pendant toute la discution, il s'était éloigné imperspectivement de lui comme par instinct. Mouloud le regardait maintenant avec des yeux furieux en lui deman-dant comme des explications, mais aussitôt Nasser se rapprocha et lui dit :

-Mouloud, je te jure que n'y suis pour rien...et c'est Farouk qui m'a dit qu'on pouvait se baquer tout près d'Aubagne!

-Et bien sûr, tu l'as cru?

-Oui, bien sûr, car Farouk c'est un bon pote à nous, non?

-Farouk, mais tu ne le connais pas, il aime bien foutre les autres dans la merde. Et s'il t'as dit ça, c'est pour ensuite se marrer avec les autres potes du quartier. Surtout ne lui raconte pas ce qui vient de nous arriver, car il pourrait bien avoir la grosse tête.

119

-La grosse tête?

-Oui, de nous avoir berné, purée!

-D'accord, je dirais rien, lâcha Nasser comme pris en faute. Alors qu'est-ce qu'on fait mainenant?

-Heu..t'as quelle heure?

-3 heures moins quart, répondit-il en regardant sa montre.

-Ok, il est pas trop tard. Heu..voilà ce qu'on va faire maintenant, on va reprendre le train pour Cassis où là bas au moins on sera sûr de ne pas faire des kilomètres pour aller se baigner.

-Ok, on fait comme tu dis, approuva Nasser qui semblait soulagé par la bonne réaction de son copain.

Aussitôt, ils reprirent la direction de la gare. Au guichet, ils prirent deux billets pour Cassis avec aller-retour pour Saint-Charles. Après qu'ils aient composté leurs deux billets, ils allèrent s'ass-eoir à l'ombre sur un banc protégé du soleil par la facade de la gare. Dix minutes plus tard, leur train arriva et ils y montèrent avec le sentiment de n'avoir pas perdu autant de temps qu'ils le croyaient, ce qui les mit aussitôt de bonne humeur quand le train repartit.

Ce trajet Aubagne-Cassis fut si rapide qu'ils n'eurent pas le temps de se parler et se trouvèrent comme par magie sur les crêtes des calanques où ils cherchaient un endroit tranquille pour se baigner. Ils avaient tous les deux enlevé leurs tee-shorts, puis roulé dans un sac en plastique.

-Mouloud, t'as pas soif? demanda soudainement Nasser.

-Si, dit-il, en s'essuyant le front.Tiens, asseyons-nous là, ça à l'air plus ou moins plat. Face à la mer, Mouloud déboucha la bouteille d'orangeade de marque malba où une sorte de pchiiit..s' échappa comme pour leur mettre l'eau à la bouche et redoubler leur soif.

-Tiens, bois le premier! dit-il en lui tendant la bouteille. Heu..pas au goulot, tu sais?

-Pas au goulot? Comment pas au goulot?

-Oui, juste au dessus de ta bouche, car je ne veux pas avaler ta salive, Ah!Ah!Ah! lui expédia-t-il en riant.

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-Alors là, t'es vraiment con! Je te croyais pas comme ça, dit Nasser d'un air désabusé.

-Tiens, passe là moi, je vais te montrer. Aussitôt, il positionna le goulot de la bouteille juste au dessus de sa bouche où un liquide orangé s'engoufra comme un petit ruisseau. Nasser, voyant l' exploit de son copain, pensait ne pas y arriver sachant qu'il ne l'avait jamais fait auparavant. Heu..bois carrément la moitié de la bouteille, moi je boirai l'autre moitié, lança-t-il afin de sim-plifier les choses. Mais Mouloud, entendant cela, faillit bien s'étouffer et redressa aussitôt la bouteille pour ne pas en verser une goutte parterre.

-Alors là, non, Nass, je veux que tu apprennes! Tiens, prends-là et fais comme je viens de faire. Et puis je ne peux pas boire la moitié de la bouteille pendant que toi tu meurs de soif. Boire de cette façon, entre potes, ça ne se fait pas, dit-il l'air fâché.

-Ok je vais essayer. Et Nasser, positionnant le goulot de la bouteille juste au dessus de sa bou-che, déversa dans ses entrailles un liquide orangé et sucré que ses yeux ne purent cacher l'extase.

-Eh bien alors, tu vois que tu y arrives, ma vieille sardine! dit-il heureux d'avoir appris quelque chose à son pote.

-Tiens, c'est a ton tour maintenant, dit-il en lui tendant la bouteille.

-Encore un dernier coup, pensa-t-il en sachant qu'il fallait en garder pour tout à l'heure.

Après qu'ils aient bu la moitié de la bouteille, ils la rebouchèrent et la remirent dans le sac. En-tre temps, Mouloud avait aperçu une petite crypte en contre bas qui semblait déserte.

-Oh, Nasser, tu vois ce que je vois?

-Oh oui, un endroit parfait pour notre baignade, dit-il en le dépassant et en se mettant a courir pour y arriver le premier.

-Oh le salaud! lança Mouloud qui partit aussitôt à sa poursuite.

La descente fut tellement raide que son pote faillit s'écraser plusieurs fois contre les rochers heureusement en calcaire. Mais avec la souplesse qu'il avait, il retombait à chaque fois sur ses pieds comme un singe. Son copain, voyant cela d'en haut, se disait : mais il est fou, il va se tuer et uniquement pour arriver le premier! Et il en profite parce que c'est moi qui porte le sac, le gredin!

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Quand il arriva dans la petite crypte, Nasser était déjà dans l'eau et savourait sa victoire en fai-sant beaucoup de bruit avec l'eau qu'il moulinait comme un bateau à aube.

-Oh, attends que je t'attrape, ma vieille sardine! dit-il en se jetant à l'eau.

Aussitôt, son pote prit peur et partit vers le large, mais Mouloud qui était un bon nageur le ratt-rapa en un rien de temps, puis l'agrippa par les épaules en essayant de le couler. Fripouille! cria aussitôt Nasser en sortant la tête hors de l'eau pour reprendre sa respiration.

-Et toi, vieille sardine! lança Mouloud en éclatant de rire, Ah!Ah!Ah! Puis arrêtant ce petit jeu, ils firent ensemble quelques brasses. Nageant côte à côte, ils ressentaient l'un pour l'autre une véritable amitié et malgré que l'un était une fouine et l'autre le fils adoptif d'un maquereau. Fouine ou maquereau, mais qu'est-que cela pouvait bien leur faire? pensaient-ils en se laissant porter par la mer où les vagues, comme des baisers de sels, voulaient embrasser leurs jeunes cor-ps d'adolescents.

Nageant sur le dos et regardant le ciel, qui était d'un bleu intense, il avaient l'impression de fl-otter au milieu de nulle part où tout se confondait. Seul le bruit du ressac sur le rivage leur rappelait que la terre n'était pas loin. Seul le bruit d'un avion dans l'azur immaculé leur rappelait qu'ils vivaient toujours parmi les hommes. Seul le cri d'une mouette dans le ciel leur rappelait que sur cette terre y vivaient des animaux en totale liberté, comme eux en ce moment. Mais pour combien de temps? s'interrogeaient-ils en ressentant quelques frissons d'angoisses.

Après qu'il s'étaient baignés suffisamment, ils retournèrent sur la plage qui n'était pas très gran-de, mais encaissée entre des rochers où tout une faune de mousses et de coquillages avait élu domicile et en faisait le charme. La brise du vent iodée et le ressac sur le rivage avaient pour eux comme le goût du paradis.

-C'est dommage qu'on ait pas pris nos serviettes avec nous, hum? demanda soudainement Nas-ser.

Mais bizarrement, son pote ne lui répondit pas, comme s'il était perdu au paradis.

-Oh, tu m'écoutes ou quoi?

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-Heu..youhais, qu'est-ce que tu disais? demanda-t-il en reprenant ses esprits.

-Oui, je te disais, c'est dommage qu'on ait pas pris nos serviettes avec nous!

-Oh, tu fais chier avec ça! expédia Mouloud qui était un peu énervé que son pote l'ait fait sortir du paradis si brutalement. Et la bouteille, tu l'as mise au frais?

-Non, elle est toujours dans le sac. Puis le voyant se lever, il lui dit d'un air amical : non, ne bou-ge pas, je vais le faire à ta place.

Aussitôt, il partit vers les rochers pour trouver une cavité où mettre la bouteille pour que la mer ne l'entraîne pas au large, mais l'asperge d'eau bien fraîche..

Nasser était mat de peau, c'est ce que remarquait Mouloud en le voyant revenir vers lui en resse-mblant à un apollon sous le soleil. Ses parents étaient nés à Oran, lui avait-il dit un jour au café, ce qui lui valait cette couleur de peau caractèristique de cette règion de l'Algèrie où la popula-tion s'était fortement mélangée à cette population noire africaine. En même pas une demi-heure, il avait déjà bruni et ressemblait presque à un noir, remarquait-il surpris. Lui était plutôt clair de peau, car ses parents étaient nés à Setif où la population s'était très peu mélangée à celle de l'Af-rique noire. Chez lui, on sentait une origine pure Arabe qui s'était mélangée au cours de son hi-stoire avec celle des grecs et des phénicens qui, au temps de l'antiquité, avaient colonisé cette terre d'Algérie. Quant à lui, son bronzage mettait du temps à venir; mais quand il le voyait appar-aître sur sa peau, celle-ci devenait alors couleur caramel, ce qui faisait sa fierté quand il croisait des filles à la plage du Prado ou à la corniche.

-Ca y'est! dit Nasser en se rasseyant à côté de son pote, je pense que dans dix minutes elle sera fraîche.

Etarngement, Mouloud ne dit rien et regardait tout simplement la mer, comme hypnotisé par tant de beauté à ses pieds où il suffisait tout bonnement d'être assis au bon endroit et se laissez enva-hir par cette ivresse qui allait submerger votre cœur et le faire chavirer sous vos yeux médusés. A cet instant si particulier, c'était leur corps qui leur parlait et non leur intellect où la différence était énorme. Car l'un ne leur mentait jamais au niveau de ses sensations, alors que l'autre était prêt à inventer toutes sortes d'artifices et de mensonges pour combler ce manque d'émotions et de sensations que votre corps vous réclamait. Où l'un puisait sa source dans les origines de la vie et l'autre dans ses défauts et très probablement dans une éducation trop rigide ou peut-être trop parfaite en faisant de vous, non plus un homme véritable, mais un homme civilisé, donc malhe-ureux.

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Tous les deux regardaient maintenant dans la même direction et semblaient penser la même chose.

-Je commence à avoir soif, tu penses que ça doit être frais?

-Attends, je vais aller voir..

Nasser partit aussitôt vers les rochers consulter l'état de la bouteille. Arrivé à l'endroit où il l' avait mise, il la sortit puis la posa contre sa joue pour savoir si elle était bien fraîche en illumin-ant aussitôt son visage d'un large sourire.

-Mouloud, Mouloud, je crois que c'est frais!

-He ben, apporte-là vite, car dans une minute je vais mourir de soif! dit-til en exagerant comme toujours.

-Ah! Ah! Ah! tu changeras jamais, vieux calamar, lança-t-il tout en faisant attention à ne pas cas-ser la bouteille sur les rochers.

Assis de nouveau l'un à côte de l'autre, ils répétèrent la séance du "comment boire sans mettre de salive dans la boisson". Puis Nasser sortit le paquet de gâteau du sac, l'ouvrit et offrit à son pote une petite galette du mont Saint-Michel pur beurre.

-Pur beurre, je vous prie, monsieur!

-Pur beurre, monsieur l'inspecteur?

-Bien évidemment, tête d'enfoiré!

-Ah!Ah!Ah!

-Oh!Oh!Oh!

Explosèrent-ils de rire en se tenant les côtes tellement ils étaient pliés en deux par cette petite comédie jouée involontairement, mais uniquement inspirée par le bonheur d'être libre.

En un rien de temps tout fut engloutit, la boisson aidant à faire passer les galettes.

Repus et rôtant de temps en temps, ils reprirent leur discution.

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-Heu..Mouloud, ça fait combien de temps que tu es en France? demanda subitement Nasser.

-Ca fait quatre ans exactement que je suis à Marseille donc quatre ans que je suis en France, lui dit-il d'un ton direct. Et pour ne rien te cacher, ma vieille sardine, j'avais treize ans quand mon oncle Nadir m'a enlevé à mes parents.

-Tu veux dire quoi par enlevé? demanda Nasser qui semblait inquiet.

-Mais kidnappé, ma vieille sardine!

-Comment kidnappé? Mais tu avais raconté à tout le monde que tu étais parti avec l'accord de tes parents et surtout du tien, non?

-Mais non, ça c'est la version officielle que j'ai donné aux copains de l'école pour leur faire cro-ire que j'étais une sorte de héros romantique qui à l'âge de treize ans avait décidé de parcourir le monde avec son oncle soi-disant richissime. Ce genre d'histoire plait beaucoup en France et su-rtout aux écoliers qui sont pour la plupart prisonniers de cette institution qu'on appelle l'Educa-tion Nationale, bref, dix ans de prison pour un crime qu'ils n'ont point commis, Ah!Ah!Ah!. Moi personnellement, je trouve cela très injuste pour eux, n'est ce pas?

-Alors là, tu exagères. Et je pense que s'ils acceptent toutes ces années de prison sans se révolter, c'est pour leur bien, non?

-Quoi, tu voulais parler de leur avenir à ces gamins?

-Oui, et je pense que c'est pour ça qu'ils endurent l'enfermement en salle de cours et le gavage in-stitutionnel.

-Mais penses-tu un peu à tous ces adultes qui plus tard seront au chômage avec le cerveau farci comme une dinde de noel! Hein, tu y penses?

-Oui, bien sur que j'y pense. Mais ça, c'est le problème de la société française et non des gens comme nous qui à la première occasion sauterons le mur de l'école.

-Oui, c'est vrai. Et que ce n'est pas notre problème à nous qui aimons trop la liberté qui malh-eureusement ne s'enseigne pas à l'école ni le talent non plus qui n'est pas sanctionnable par un diplôme.

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En fait, leurs diplômes sanctionnent uniquement la docilité aux institutions et aux futurs travaux des fonctionnaires. Bref, une domesticité apprise dès le plus jeune âge afin de créer une véritable élite politique.

-Elite politique, tu parles! Regarde comme ils se battent pour une place de ministre ou de dép-uté! Faire autant d'années d'études pour les voir se disputer comme des gamins à l'assemblée nat-ionale, je pense que sortir de sixième suffit largement, Ah!Ah!Ah! Une fois, dans une émission à la télé, j'ai appris que les tous hommes politiques allaient à L'ENA uniquement pour apprendre à mentir aux gens, tu t'en rends compte!

-Moi personnellement, je ne crois pas qu'ils le font délibérément de mentir. Mais je pense que pour justifier leur salaire, il faut bien dire quelque chose aux gens qui les rassurent, bref, leur faire des promesses, mon cher Mouloud!

-Eh bien moi aussi, je vais t'en faire des promesses et tu verras si tu vas me les payer!

-Moi? Alors ça jamais de la vie! Car je connais trop bien le vice de ces gens qui profitent des institutions pour s'en mettre plein les fouilles, Ah!Ah!Ah! ria Nasser, dit la fouine qui sûrement à ses dix huit ans n'irait pas voter. Heu..Mouloud, on parle et on parle, mais tu m'a pas dit com-ment ton oncle t'avait kidnappé.

-C'était pendant la fête de l'Aïd, la fête du sacrifice, où ma mère m'avait envoyé chez son frère (mon oncle Nadir) pendant ces trois jours, parce que soi-disant j'en faisais qu'à ma tête à la mai-son. Mon oncle, qui était célibataire et ayant un peu d'argent, fut alors très heureux d'apprendre cette nouvelle et vint me chercher avec sa voiture. Sa maison se trouvait à Boujie à une soixante de kilomètres de Setif. Et pendant tout le voyage, il ne faisait que me dire qu'il tenait beaucoup à moi en me racontant une histoire fabuleuse de trésors qui l'attendait en France, mais hésitait en-core à y aller de peur de mourir de solitude loin de son pays et de sa famille. Alors qu'avec moi, ce serait comme à la maison, me répéta-t-il plusieurs fois dans la voiture. Moi personnellement, je n'étais pas très chaud de partir comme ça en laissant derrière moi ma famille et tous mes co-pains. Je te laisse réfléchir, mon cher neveu, me dit-il avec une voix très douce. Bref, à l'écouter parler ainsi (moi qui n'avait jamais été gâté par mes parents), j'avais l'impression qu'il voulait me séduire comme le serpent avait essayé avec Moogli dans le livre de la jungle. Et pour ne rien te cacher, pour la première fois de ma vie, j'avais le sentiment d'être enfin considéré comme une grande personne digne d'avoir son chauffeur personnel! Envahi par cette jouissance toute nouv-elle pour moi, je faillis bien m'évanouir sur mon siège, mais heureusement qu'un trou dans la chaussée me fit sursauter et me remit la tête sur les épaules, si l'on peut dire. Tu verras, Mou-loud, tout ce que je t'ai préparé à la maison. Un vrai festin! me lança-t-il tout en m'embrassant sur la joue un peu trop violemment, selon moi. Mais comme il était le frère de ma mère, je me disais que je ne risquais rien. Bref, quand nous arrivâmes à Boujie et, après s'être garé devant chez lui, je m'attendais à y voir beaucoup de monde pour la fête de l'Aïd. Mais il n'y a que nous deux! lui fis-je remarquer.

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Mais il me dit qu'ils allaient arriver dans la soirée. Mais ne t'inquiètes pas comme ça, mon cher neveu, je vais pas te manger! Tu es le fils de ma soeur et je t'aime comme mon fils, me dit-il en me faisant asseoir dans son salon devant la télévision  qu'il alluma : télévision qu'on avait même pas chez nous. Je pensais alors que mon oncle devait être bien riche pour pouvoir se payer un appareil comme celui-là, qui valait au moins quatre milles dinars. En appuyant sur la télécomm-ande, il me faisait voir des images de l'occident où tout le monde semblait riche et heureux. Et à chaque fois qu'il zappait, il sursautait en me disant : Oh regarde comme c'est beau là bas! Il sont tous riches! Ils ont tous une voiture, une maison. Alors que chez nous, c'est la misère, pas de sécurité sociale, pas de pension retraite pour nos vieux. Mouloud, me criait-il alors dans les or-eilles, notre avenir est en France, je te l'assure! Et moi, bien sûr qui était très influençable par les images, je ne pouvais que le croire et lui demandais le programme de ce soir aussi bien dans nos assiettes qu'à la télévision, ce qui le mit aussitôt de très bonne humeur. Le soir venu, nous man-geâmes très copieusement en regardant un film de gangster où Jean Gabin (l'inspecteur de poli-ce) pourchassait Alain Delon (le voyou) à travers une grande ville moderne. Avant d'aller me coucher, il m'apporta un verre de thé à la menthe, pour la digestion, me dit-il d'un ton paternel.

Quelle drôle d'histoire! pensait Nasser qui à ses côtés l'écoutait avec grand intérêt.

Le lendemain, tu ne me croiras pas, mais je me suis réveillé dans sa voiture à bord du ferry Alger-Marseille!

-Quoi, sur un bateau, alors que la veille tu étais à Boujie? Mais comment est-ce possible?

-J'en sais rien. Mais la seule explication que j'ai pu me donner, c'est que mon oncle m'avait dro-gué la veille avec son thé à la menthe et pendant la nuit m'avait transporté dans sa voiture jus-qu'a Alger pour prendre ensuite le ferry. Pour te dire la vérité, il m'avait ni plus ni moins kidna-ppé pour aller avec lui en France!

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-Eh ben, Mouloud, je ne croyais pas que cela puisse exister. Mais avec ce que tu me racontes, la réalité dépasse vraiment la fiction.

-Eh oui. Et malheureusement pour moi, il était trop tard quand je me suis retrouvé à l'arrière de sa voiture à bord du ferry. Au debut, je croyais vivre un vrai cauchemar, car mon oncle avait disparu et que toutes les portes étaient fermées. La seule chose qu'il avait laissé, c'était un petit espace au dessus de la vitre pour que je puisse respirer.

-Mais au juste, comment as-tu deviné que tu étais à bord d'un ferry sachant que n'importe quel parking ressemble à n'importe quel autre parking, non?

-Oui, mais il y avait un haut-parleur qui donnait toutes les dix minutes des informations conce-rnant la météo et la navigation, où un certain capitaine Mektoub souhaitait un bon voyage à tous les passagers du ferry.

-Au bout d'une heure, je vis quelqu'un s'approcher de la voiture, c'était mon oncle Nadir! Et pour ne rien te cacher, j'étais quant même très heureux de le revoir et malgré tout ce qu'il m'ava-it fait...tu peux le comprendre facilement..

-Bien sûr, approuva Nasser qui ne le lâchait pas des yeux.

-Bizarrement, il m'ouvrit la porte avec un grand sourire en me disant : Viens, maintenant nous allons manger! et m'aida même à sortir de la voiture comme s'il était mon portier. Je n'y croyais pas mes yeux tellement la situation me semblait rocambolesque. Nous sommes invités à la table du capitaine! me dit-il suprenamment. Ah oui? lui répondis-je tout étonné. Oui, mon cher nev-eu, et à ton âge c'était mon rêve de diner un jour avec le capitaine d'un paquebot comme dans la croisière s'amuse, Ah!Ah!Ah! Ce rêve, ce soir se réalise pour toi et tu en as bien de la chance, mon cher neveu. Mais je m'y opposais pas tellement j'étais surpris par la tournure des événem-ents.

-Alors, ce soir là, tu as vraiment diner avec le capitaine Mektoub et tous ses seconds? demanda Nasser fasciné par son histoire.

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-Oui, bien effectivement, dit-il avec fierté en faisant un peu envier Nasser. Le hic de l'histoire, c'est qu'il me présenta à tous comme son fils, alors que je savais que c'était faux. Mais bon, co-mme je ne voulais pas gâcher la soirée, je me laissais prendre au jeu. C'est vrai que les lango-ustes et les homards étaient excellents et les jus de fruits exotiques, une pure merveille. Tout ça pour te dire que la soirée fut excellente et le reste du voyage comme dans un rêve. La suite, tu la connais, puisque j'arrivais à Marseille le lendemain avec des rêves plein la tête.

-Bien, bien, dit Nasser qui semblait tracassé par quelque chose. Mais ta mère qu'est-ce qu'elle a dit quand tu as disparu? 

-Oh elle a su tout de suite que c'était un coup de son frère qui a trente ans était toujours céliba-taire et traînait encore à son âge avec les gamins de la casba, ce qui montrait qu'il était immature et pas constitué comme les autres. C'est ce qu'elle a dit à la police quand ils sont venus la ques-tionner. Des temoins avaient même dit à la police qu'ils l' avaient vu fermer tous les volets de sa maison la nuit de mon enlèvement, puis déposé une sorte de gros colis à l'arrière de sa voiture pour prendre ensuite la route pour Alger. Ma mère priait alors le prophète qu'il ne m'ait point en-core fait de mal ou autres saloperies vu ses problèmes psychologiques.

-Ton oncle, si ce n'est pas indiscret de ma part, mais t'a-t-il violenté ou fait quelque chose com-me ça? lui demanda Nasser en faisant une drôle de figure.

-Alors là, pas du tout! expédia Mououd surpris par cette question brutale. Je te dirais, sans men-tir, qu'il a eu une conduite exemplaire avec moi pendant le reste du voyage. Et que ceux qui croi-ent que mon oncle est un fou( ma mère, mon père et tous mes cousins), c'est qu'ils se trompent complètement. Mon oncle est tout simplement un original qui ne manque pas de coeur et malgré qu'il soit très dure en affaire, comme tu le sais.

-Ah ça, je l'avais deviné! lâcha Nasser en roulant des yeux. Moi personnellement, je pense que s'il t'a kidnappé, c'est parce qu'il t'aimait beaucoup.

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-Oui, je le crois moi aussi, consentit Mouloud en baissant les yeux. Mais je t'avouerais que je ne sais pas trop bien pourquoi.

-Oh tu sais, l'amour, ça ne s'explique pas. Va demander à ta mère pourquoi elle t'aime. Elle mê-me ne pourra pas te donner d'explications satisfaisantes et bredouillera sûrement quelque chose que tu ne comprendras même pas, je te l'assure. Car on aime souvent quelqu'un pour un détail qui nous a séduit, comme son regard, la forme de son nez, de sa bouche ou bien de ses poignets qui sont mignons a croquer. Je sais bien que ce sont des choses très futiles, mais n'empêche esse-ntielles quand on veut vivre sa vie entière avec son semblable.

-Oui, c'est très vrai ce que tu dis là. Mais moi, je veux pas chercher d'explications, car je suis heureux de vivre avec mon oncle.

-Eh bien, j'en suis heureux pour toi! s'exclama Nasser en lui adressant un large sourire et en lui donant une petite tape sur l'épaule. Heu..pour parler d'autre chose et l'école comment ça marche?

-Oh ne m'en parle pas, c'est un vrai calvaire pour moi!

-Ah oui? lui demanda-t-il un peu surpris.

-Oh oui, parce que j'ai dû réintégrer l'école en France à cause de ma mère.

-Mais tu m'avais dit que ta mère ne savait pas où tu crèchais, non?

-Oui, mais mon oncle, quelques mois plus tard lui envoya un mandat pour la dedommager de mon enlèvement. Et bien qu'elle fut furieuse d'apprendre qu'il me détenait sans son accord; mais voyant tout cet argent arrivé comme tombé du ciel, elle comprit que ma situation n'était pas si mauvaise qu'elle le crût et négocia un marché avec lui. "Mon cher et très méchant frère, lui avait-elle écrit, si tu crois pouvoir m'acheter mon fils Mouloud comme une paire de sandales, tu peux bien te mettre le doigt dans l'oeil! Et si pour l'instant, je ne t'ai pas envoyé la police aux fes-ses, c'est parce que j'ai toujours pensé que on avenir en France sera meilleur qu'en Algérie où nous galèrons tous les jours pour acheter une tranche de pain. Voilà l'explication et ne crois pas que j'ai abandonné tout espoir de le ramener en Algérie sain et sauf, car une mère n'abandonne jamais son petit, jamais! Je sais que toutes ces sensibleries doivent te faire rire en ce moment, mon très dure et calculateur de frère. Mais venons en maintenant aux chiffres puisque ton coeur ne semble sensible qu'à l'argent. Ok, ça te coûteras trois cents dinars par mois pour que tu puiss-es le garder avec toi jusqu'a sa majorité et à la seule condition que tu t'occupes de son éducati-on. Bref, envoye-le à l'école au plus vite, car je ne veux pas qu'il finisse dans la mafia Marseill-aise! " 

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-Et qu'est-ce qu'il a répondu ton oncle à cette lettre? demanda Nasser avec une grande curiosité .

-Hé ben qu'il était d'accord, lâcha Mouloud comme désabusé.

-J'ai l'impression que tu n'es pas entièrement satisfait par les exigences de ta mère, hein?

-Non, car j'aurais bien aimé ne pas aller à l'école du tout!

-Oui, bien sûr, comme tous les enfants, n'est-ce pas? Mais c'est irréalisable, mon vieux. Regarde un peu comment a fini Pinocchio qui ne voulait pas y aller.

-Quoi, tu voulais parler de la marionnette que Jepetto avait construite pour combler sa solitu-de? 

-Oui et que la bonne fée changea en petit garçon pour qu'il ait un fils digne de lui. Mais les cho-ses ne se passèrent pas comme elle l'avait prévu, car le garnement de Pinocchio, au lieu d'écouter son père Jepetto, n'en faisait qu'à sa tête.

-Oui, oui, je m'en rappelle maintenant et qu'après, il se faisait engager dans un cirque comme marionnette savante.

-Engagé, mais t'as pas bien suivi l'histoire, mon gars! Pinocchio se faisait carrement enlever par le méchant type du cirque, lança-t-il comme pour lui faire saisir une similitude entre sa vie et celle de Pinocchio. Mais Mouloud ne voulait semble-t-il rien entendre et campait toujours sur ses positions d'enfant incompris.

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-Et alors qu'est-ce qui lui est arrivé après à ce Pinocchio? lui demanda-t-il d'une façon fort na-ïve.

-Hé ben, il a fini dans le ventre d'une baleine.

-Quoi, dans le ventre d'une baleine?

-Oui, c'est à dire très mal. La suite est du même style et à chaque fois que la fée le sauvait, celui-ci jurait de ne plus faire de bêtises, mais bizarrement en faisait de plus belles pour se retrouver embarquer dans des catastrophes sans fins.

-C'est triste tout ça, non?

-Ah oui, c'est vraiment triste, surtout pour Jepetto!

-Pourquoi pour Jepetto? demanda Mouloud intrigué.

-Mais parce que Jepetto croyait que ce cadeau tombé du ciel allait faire son bonheur, alors qu'il n'aura fait que son malheur, voilà tout.

-C'est la morale de l'histoire?

-Oui, en gros, répondit Nasser qui ne savait plus quoi dire.

-Pour mon cas, enchaîna Mouloud, moi j'ai toujours détesté l'école.

-Ah ça, je l'avais compris par la facon dont tu en parlais...une prison, je crois, hum?

-Oui exactement et si je te racontais comment s'est passée ma première rentrée, tu tomberais à la renverse.

-Ah oui et pourquoi?

-Parce que lorsque mon oncle m'a inscrit à lécole, la directrice de l'école m'a aussitôt demandé mon niveau d'etude. Mais quand elle a vu et surtout entendu que je savais à peine parler le fran-çais, elle a decidé de me mettre en classe de CE2 pour que je puisse rattraper le niveau des au-tres élèves.

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-Quoi, au CE2 à l'âge de 13 ans, mais ils sont fous à l'éducation nationale! Mais c'était une faç-on de te condamner à perpette! s'exclama Nasser en apprenant l'humliation que Mouloud avait subie en entrant en France.

-Oh oui, perpette, tu l'dis bien. Bien évidemment, mon oncle n'avait rien dit contre la décision de la directrice, car ailleurs ce serait pareil, m'avait-il chuchoté à l'oreille.

Le jour de la rentrée, madame Nadeau, l'institutrice me présenta à tous les élèves de la classe. Nous étions alors tous les deux sur l'estrade quand elle commença à dire: Voilà, je vous présente un nouvel élève. Il s'appelle Mouloud et il va suivre avec nous le nouveau programme de la cla-sse de CE2. Soyez gentil avec lui, car il vient tout juste d'arriver en France et sait à peine parler le français. Je compte sur vous, sur votre compréhension afin que l'année pour lui se deroule de la meilleur façon. Je vous remercie beaucoup. Allez Mouloud, va prendre ta place au deuxième rang à côté de Jean-Daniel!

-Oulala, Mouloud, pour ne rien au monde, j'aurais voulu être â ta place! jura Nasser qui compre-nait maintenant pourquoi Mouloud detestait l'école.

-Et puis je t'avouerais que l'odeur des pieds des élèves, de l'alcool des photocopieuses, de l'encre et du vernis m'a toujours écoeuré. Ajoute à cela, le regard méfiant et calculateur de tous ces ga-rnements qui vous sondent pour connaître vos points faibles afin d'être le premier de la classe, tout cela m'a toujours donné des boutons.

-Et je peux le comprendre entièrement! dit Nasser qui se sentait solidaire de son pote.

-Le pire arriva pour moi quelques mois plus tard, quand l'institutrice, ne me voyant pas progre-sser, convoqua l'équipe psychologique de l'école afin de me faire tout un tas des tests.

-Des tests? Mais pourquoi faire?

-He ben, pour savoir si je n'étais pas un demeuré!

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-Ah!Ah!Ah! Mouloud, mais ça n'arrive qu'a toi ce genre de truc! lâcha Nasser en éclatant de rire. Et seulement quelques mois après ton arrivé en France? Franchement, je les trouve très dure à ton encontre.

-Oui, très dure, c'est ce que j'ai alors ressenti. Car les tests que j'avais fait furent analysés et ju-gés comme catastrophiques pour l'âge que j'avais et on se demandait même si on allait pas me faire passer dans une classe inférieure!

-Quoi, dans une classe en dessous? Mais ils sont timbrés à l'Education Nationale!

-Oui, mais comprends un peu; ils m'avaient trouvé un QI très en dessous de la moyenne, envi-ron 60 et donc pour eux, il était tout naturel que je passe une classe en dessous où les élèves avaient le même QI que le mien, non? 

-Non, je ne trouve pas ça normal, dit Nasser révolté contre ces méthodes dont le seul but était de sélectionner, dès le plus jeune âge, l'élite de la nation français dont le résultat serait prévisible-ment catastrophique aussi bien au niveau politique qu'économique. En France, bizarrement, on se moquait du communisme, alors que dans nos écoles on fabriquait de la police politique pour défendre l'Etat roi ou l'Etat souverain caché sous l'emblème de l'Etat républicain. C'était l'hôp-ital qui se moquait de la charité ou de futurs hauts fonctionnaires allaient défendre, comme les agents du KGB, nos institutions jusqu'à la mort! C'était notre liberté d'expression qui allait être surveillée et contrôlée de près afin que nous ne dévions pas de nos chères idées démocratiques. Mais une dictature pour la bonne cause comme diraient nos dirigeants et à laquelle on ne pourr-ait rien dire, bien évidemment. Mais une dictature tout de même. Car lorsque le monde change, nos institutions ne devraient-elle pas aussi changées?Alors pourquoi celles-ci restent figées co-mme dans un grand tombeau? Serait-ce la faute à nos élites politiques qui, comme des gardiens postés pour l'éternité, se refusaient d'ouvrir la porte et de jeter le vieux cadavre de la France au dehors? Oui, il semblerait bien que le problème de la France se situerait à ce niveau où celle-ci, devenant de jour en jour un musée, finirait par tomber en poussière.

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Quand on me convoqua dans le bureau de la directrice, pour mes résultats catastrophiques, je faillis bien m'évanouir, mais j'encaissai le coup sans rien dire. Par la suite, je me renfermais de plus en plus sur moi-même et évitais de jouer avec mes camarades. Pour eux, j'étais devenu un fantôme qui décharnais les feuilles des arbres jusqu'à la fin de la récréation.

-Mouloud, c'est bizarre que tu me dises ça, car moi je te trouve extrêmement ouvert et plaisant. Alors pourquoi ce comportement étrange?

-Parce que tout simplement, je n'étais pas dans mon élément! s'emporta-t-il

-Tu veux dire quoi pas là?

-Je voulais dire que l'école est un milieu artificiel où les comportements des enfants sont orien-tés ou dirigés pour que ces derniers puissent se supporter en classe, puis plus tard en société.

-Moi personnellement, je trouve que c'est une bonne chose, non?

-Oui, en théorie. Mais quand on vous dénature complètement au point de vous faire perdre votre personnalité et votre joie de vivre, moi je trouve cela criminel.

-Oui, dans ce sens, c'est vrai, approuva Nasser qui ne faisait que regarder sa montre.

-Oh merde, il est déjà 16 heures! On parle et on parle et on oublie l'heure.

-Oui et c'est souvent le cas quand on dit des choses intéressantes où l'on est sur une autre planète et qu'on oublie l'heure, confessa Mouloud qui n'avait pas l'air d'être pressé. Après tout, se disait-il, la belle Heroïca pouvait bien attendre. Il se leva, puis tira du sac son tee-shirt et dit à Nasser : Allez, retournes-toi, je vais t'enlever le sable! Aussitôt, Nasser lui exposa son dos que  Mouloud nettoya avec son tee-shirt qu'il tenait tel un fouet. Ensuite Nasser fit de même pour son pote..

-Allez, retour au bercail! dit-il en se levant et en prenant son sac.

Assommés par le soleil et par ces moments intenses de bonheur, ils ne virent pas passer le voya-ge retour pour Saint-Charles et se retrouvèrent un peu surpris de marcher au milieu des gens sur cette canebière si populeuse et si bruyante. Sur le chemin, ils s'arrêtèrent à la même épicerie que tout à l'heure pour prendre une bouteille d'orangeade de marque "malba". Puis ils poursuivirent jusqu'au vieux port pour retrouver leur cachette sous le petit cascailloux et espionner la belle Heroïca. Chacun avait reprit sa place à l'intérieur; Mouloud à l'arrière avec son carnet de note et Nasser aux avant-postes avec ses jumelles en plastique.

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-Et à quelle heure elle termine? demanda subitement Nasser.

-A huit heures normalement et va après manger au troquet d'à côté, précisa Mouloud qui com-mençait à en voir un peu marre. Encore quatre heures embusquées comme des taupes, mon dieu quel calvaire! pensa-t-il en essayant de trouver la meilleur position.

Quand les huit heures sonnèrent, ils comptabilisèrent pour la belle Heroïca, une dizaine de clie-nts en plus et cette fois-ci de la plus belle volée, avec des commandants de bords et des officiers de marine qui s'étaient presentés à elle dans leur plus bel uniforme, ce qui avait fait étinceler les yeux de la belle Heroïca pour des raisons qu'elle seule connaissait, bien évidemment. Mais bon à chacun ses fantasmes, n'est-ce pas? Ensuite, ils rentrèrent tous les deux chez eux, Nasser dans son quartier au mistral et Mouloud chez son oncle, rue de la poudrette. En entrant dans l'appar-tement, n'aperçevant pas son oncle, il se dirigea directement vers sa chambre où il s'éffondra sur son lit. Quand son oncle rentra vers les quatres heures du matin, il l'aperçut dans son lit tout ha-billé, ce qui le fit aussitôt penser qu'il avait dû avoir une rude journée.

Il n'avait pas eu la force d'enlever ses sandalettes tellement il devait être fatigué, le petit! se di-sait-il ému de le voir dormir comme un petit enfant. Les sandalettes en plastique bleu qu'ils por-taient aux pieds lui rappelaient des souvenirs d'enfances en Algérie où avec ses frères et soeurs, ils se baignaient dans la mer avec cette assurance de ne pas attraper d'épines d'oursins aux pieds. C'était leur fierté à tous face à ces colons qui se prenaient pour des êtres supérieurs! se souve-nait-il en ayant rien oublié. Les yeux pleins de larmes et craignant que son petit Mouloud prit froid, il remonta la couverture sur lui. Sur la table de nuit, il aperçut le carnet de note que Mou-loud avait posé avant de s'éffondrer dans son lit qui, rempli de gribouillis de chiffres, devaient indiquer les sommes gagnées aujourd'hui par la belle Heroïca. Bref, des gribouillis sûrement à déchffrer, pensa-t-il en le feuilletant rapidement et en l'emportant avec lui dans sa chambre. Po-ur l'instant, laissons le dormir. Et demain, on fera les comptes, dit-il du bout des lèvres.

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Le lendemain matin, Mouloud se leva vers les onze heures et partit directement dans la cuisine se préparer son petit déjeuner. A côté son oncle dormait et comme à son habitude étendrait son somme jusqu'à quatre heures de l'après-midi. Laissons-le dormir, murmura-t-il en passant devant sa chambre. Quant aux comptes sur la belle Hérïca, on s'en occupera quand il me le demandera. Mais pour l'instant allons déjeuner tranquillement, pensa-t-il en regardant vers la fenêtre où un soleil magnifique perçait à travers la vitre, ce qui le mit aussitôt de bonne humeur. S'approchant de celle-ci, il l'ouvrit en grand, puis sortit sa tête à l'extérieur, comme un gamin qui voulait voir le monde d'en haut sans être vu afin de surprendre la vie des hommes et des femmes dans leurs occupations quotidiennes : où acheter un kilo de sardines chez le poissonnier ou une baguette de pain chez le boulanger avait quelque chose de beau et de simple, comme cette vie qu'on voulait donner à la rue en faisant beaucoup de bruit aux terrasses des cafés ou bien en monopolisant la parole auprès d'un commerçant, ce qui faisait bien évidemment râler les autres clients qui atten-daient leur tour. Mais tout le monde savait en vérité que tout cela n'était qu'un jeu, qu' une vaste comédie jouée par chacun d'entre nous pour faire croire aux autres qu'on était bien vivant et non mort-vivant. Bref, c'était la vie qui vous obligeait à vivre, à parler avec les parleurs, à danser av-ec les danseurs, à parier avec les parieurs, à voler avec les voleurs et enfin à mourir comme tout le monde avec dignité, monsieur! La vie semblait se reproduire par simple mimétisme ou copi-age, comme dirait les Japonais et non par une véritable création originelle ou extravagance. La vie avait, semble-t-il, compris depuis fort longtemps qu'on finirait tous un jour par se ressembl-er, ce qui en faisant le drame pour nos sociétés futures.

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Mouloud au bord de la fenêtre avait ressenti tout cela et semblait épuisé par ce trop plein de vie qui l'avait comme drogué et referma celle-ci afin de retrouver un peu de calme à l'intérieur. En-suite, il se prépara un grand bol de chocolat avec des tartines beurrées pour reprendre des forces. Après mon petit déjeuner, j'irai sur le port pour me balader, pensa-t-il entre deux gorgées de cho-colat bien chaud. Il esperait ne pas y rencontrer Nasser pour ne pas devoir lui parler encore de l'affaire, mais plutôt pour y chercher de la tranquillité. Car il aimait beaucoup la solitude, ce qui dans le sud de la France était une chose pratiquement impossible à trouver vu que tout le monde parlait fort, exagérait exagèrement, faisait de grands gestes pour raconter une histoire de souris, bref, une solitude qu'il fallait chercher au prix d'un constant effort. Alors Mouloud partait souv-ent à sa recherche comme à la recherche d'un trésor perdu en essayant de dénicher des coins iso-lés où il pourrait se retrouver seul avec lui-même. Les potes, c'était bien, mais à force c'était assommant, comme Nasser qui l'avait entraîné dans cette affaire où la belle Heroïca volait son oncle. Moi sincèrement, je m'en serais bien passé, pensa-t-il en prenant ses affaires et en referm-ant la porte de l'appartement. J'espère que je ne vais pas rencontrer Nass et les autres, marmonna-t-il du bout des lèvres en accélérant le pas pour se diriger vers la pointe du port où il espérait trouver un coin de quai bien a l'ombre pour ne penser plus à rien, tel un animal inexorablement libre. Après quelques recherches, il trouva un coin derrière un stock de bidons qui sentait un peu le gazoil. Mais bon, là au moins, on ne sera pas dérangé, pensa-t-il en s'asseyant, puis en étendant ses jambes là où il y avait le plus d'ombre. Aujourd'hui, il avait mis un short et un polo léger et, à la place de ses sandalettes bleues, une paire de basket blanche de marque Stan Smith.

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Bizarrement, il n'arrivait pas à vider son cerveau de toutes ces pensées qui souvent vous empê-chaient de goûter à la béatitude des jours en pensant à son oncle qui ce soir allait lui poser toutes sortes de questions sur les comptes concernant la belle Heroïca. Ca ne va pas être évident pour lui de déchiffrer tellement c'était mal écrit, pensa-t-il un peu inquièt. Mais bon, il n'y a que moi qui sera le faire, alors il m'attendra forcément. En fait, ce qui le gènait le plus dans cette affaire, c'était la suite où il avait encore à espionner La Goulue, Natacha, La Grosse Rosa, Grisella et il ne s'en sentait pas le courage. Oh merde, encore à trouver des coins pour se cacher et pour espio-nner les filles. En fait, moi, j'aime pas trop ce boulot. Lui, Nasser il s'en fou, car c'est une fouine et en tant que fouine, fouiner dans la vie des autres c'est son suprême plaisir. Alors que moi, j' aime bien rêvasser en regardant la mer où en tant que poéte, je lui aurais bien écrit quelque chose d'immense, comme une sorte de poème fleuve où marins et pirates défieraient les èléments et surtout les navires de sa royale majesté, le Roi. Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai le sentiment dans les mythes grecs que Posseidon et le Cyclope (qui voulaient se debarrasser d'Ulysse) étaient en réalité l'incarnation du mal bien avant l'invention du diable par les chrétiens. En fait, à cette époque personne ne savait d'où le mal venait, alors on s'inventait des histoires ou des mythes afin de le matérialiser. Et tous étaient d'accord pour dire qu'il venait d'en haut où les dieux rég-issaient la vie des Hommes et non d'en bas où le pouvoir des rois s'engageait dans des guerres interminables. En fait, l'homme se sentait innocent, bon et méchant à la fois et s'il tuait un hom-me par mégarde, c'était à cause des dieux qui l'avaient égaré!

Mon dieu, quelle admirable philosophie que ces hommes pratiquaient pour se debarrasser de to-ute culpabilité qui, il est vrai, n'existait pas à cette époque. Il parait même que pour compenser la mort d'un fils ou d'un père de famille, le coupable engrossait la veuve afin de lui donner un fils ou une fille en dédommagement. Youhaa, quelles étranges moeurs! Mais aussi quelle invention merveilleuse pour réparer le moindre dégât occasionné par sa propre folie! N'oublions pas aussi de dire que les gens mourraient assez jeune à ces époques de maladies, d'accidents du travail, de blessures de guerres où se culpabiliser pour le restant de ses jours leur paraissait comme un non sens, ce qu'on pouvait parfaitement comprendre. Mais plus tard, quand les conditions de vie s' amélioreront pour tous les hommes, le temps de la culpabilité viendra et régnera alors tel un des-pote sur les âmes. Le mal s'étant déplacé du haut vers le bas, l'homme moderne naîtra avec ses souffrances interieures qu'il essayera de soigner par toutes sortes d'artifices ou de stupéfiant tels que la drogue, le travail, le crime d'Etat où la guerre consentie par tous, mais inavouée ind-ividuellement, bref, la grosse hypocrisie des temps modernes.

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Mouloud, qui n'arrivait pas à se débarrasser de toutes ces pensées, se sentait un peu culpabilisé de n'avoir pas encore une copine à lui. Car même s'il avait accès en toute gratuité à toutes les filles de son oncle, bref, à leurs caresses et à leurs corps, il sentait qu'avec une fille normale ça devait être fort different. Et que de faire l'amour avec elles ressemblait plutôt à un jeu pour moi et pour elles, je suppose. Mais où était donc l'amour dans ces rapports même si elles étaient canons? Bref, on pénétrait et embrassait des jolis corps pour ce qu'ils représentaient en tant que matière, mais la fusion des âmes où se touvait-elle pendant l'acte?se demandait-il curieusement du haut de ses dix sept ans en se posant ce genre de question de moralité. L'amour était-il un acte moral ou bien immoral ou tout bêtement ni l'un ni l'autre? se surprit-il à se demander. Baiser pour baiser était-il plus immoral que baiser sa femme pour lui faire un enfant? Mais où se trou-vait la différence? Apparemment, il en avait aucune dans les faits, en conclua-t-il, car la femme qui fait l'amour n'est qu'un corps qui s'abandonne à l'homme où tout peut arriver, une grossesse ou rien. En fait, le problème, c'est qu'on avait trop moralisé notre société où le moindre de nos actes, comme de marcher dans la rue, devenait alors un exercice citoyen où il fallait s'excuser à chaque fois qu'on bousculait quelqu'un sans le faire exprès ou bien manger au restaurant deve-nait aussitôt une torture pour celui qui aimait manger avec les doigts et rire comme un hippop-otame, Ah!Ah!Ah! Bref, notre monde était devenu trop parfait et c'est ce qui le rendait terrifiant, pensa-t-il en se remémorant cette devise : Chassez le naturel et celui-ci revient aussitôt au galop!

Épuisé de penser, il s'endormit à l'ombre des bidons et au bruit des mouettes.

Quand il se réveilla, vers les seize heures, il fut surpris d'avoir dormi autant de temps. Mon dieu, s'écria-t-il, en ouvrant les yeux devant la mer qui commençait à s'agiter, j'ai dormi comme une langouste et me porte maintenant à merveille! Je pense que mon oncle doit être debout à cette heure-ci, pensa-t-il en se relevant avec une agilité impressionnante et en repartant d'un pas rapi-de.

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Quand il entra dans l'appartement, il entendit du bruit dans la cuisine et s'y dirigea pour retrouver son oncle qui était en train de se préparer à manger. Bonjour, mon oncle, dit-il en s'approchant de lui et en l'embrassant. Bonjour, Mouloud! dit Nadir qui avait sur le visage la joie de le revoir. Tu veux manger quelque chose? J'ai des langoustines sur le feu. Si tu veux, je peux en rajouter. C'est rapide à faire et en plus elles sont excellentes. Des langoustines? Alors là, mon oncle, tu me prends par le coeur. Tu sais bien que je les adore! Eh ben tant mieux, dit-il en balançant le reste du paquet dans la poêle. Quelle sauce, tu veux? Sauce américaine, mayonnaise ou sauce fé-louchia? Sauce Félouchia, connais  pas! lança Mouloud intrigué. Oh cette sauce vient d'Italie et c'est une merveille que je ramène moi-même quand je vais à Milan. Ici, personne ne la connaît pour ces raions, pourtant elle le mériterait bien. Car pour les langoustines ou autres crustacés, c'est une merveille. Elle est composée à partir de tomates cerises, d'ail, de basilic, d'huile d'olive et de crème fraîche tirée du lait de buffle et puis d'une touche de kirsch. Oh oui, avec tous ces in-gredients, ça doit être forcément bon, dit Mouloud en le regardant avec des grands yeux comm-ençer à faire flamber les langoustines avec du whiski. Heu, pas trop, mon oncle, tu sais bien que! Mais t'inquiète pas fiston, l'alcool est brûlé pendant la cuisson et il ne reste alors que le goût pour relever celui des langoustines. Allez, prends une assiette dans le placard et viens t'asseoir. D'accord, mon oncle, lui dit Mouloud en se précipitant vers le placard où il sortit une assiette décorée de motifs très naïfs.

En la posant sur la table, il aperçut son petit carnet près de celle de son oncle. A vrai dire, cela ne l'inquiétait pas vraiment, car il attendrait qu'il lui en parle le premier. Ca y' est, elles sont cuites! lança Nadir en jetant les langoustines dans un grand plat en porcelaine blanche. Vas-y fiston, pio-che dedant! Tu vas te ré-ga-ler, dit-il en séparant bien les syllables. Oh oui, sûrement, mon oncle, approuva Mouloud en commençant à avoir une faim de baleine. Heu..ta sauce felouchia, je pe-ux? Nadir lui passa le pot qui avait étrangement la forme d'un poisson qu'on ne peut que trouver qu'en Italie, bien évidemment. Ce dernier s'en servit allègrement et essaya avec une langoustine et trouva l'ensemble excellent. Oh, mais c'est une merveille! Mais je te l'avais dit en Italie on est doué pour ce genre de choses, comme les sauces, les sapes, la joie de vivre, les jolies filles et to-ut le reste qu'on ne trouve pas en France. Car en France, malheureusement, tout est rigidifié par l'administration et par la loi sur l'égalité : où tout le monde ne doit pas être plus intelligent ou plus riche que son voisin de palier, sinon des troubles d'ordres politiques pourraient provoquer une révolution! Ah!Ah!Ah! mon oncle, c'est trop drôle ce que tu racontes là! Quoi, tu trouves ça drôle, toi qui va à l'école républicaine? Mouloud, un peu vexé, se tût aussitôt. Moi franchement, je trouve ça triste que la France se tourne vers la morosité, bref, vers la décadence. En écoutant parler son oncle de cette façon si sérieuse, il plongea aussitôt la tête dans son assiette en décorti-quant tant bien que mal ses langoustines dont les débris formaient un monticule de têtes décap-itées où les antennes semblaient désormais déconnectées de la vie.

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Mais la faim et la fameuse sauce felouchia de son oncle reprit le dessus et augmentant le ryth-me, il les avalaient à une vitesse vertigineuse. Quant à son oncle, il en décortiquait une bonne dizaine avant de les manger en les entassant au milieu de son assiette, comme un petit trésor de guerre. C'était bien évidemment deux méthodes très différentes pour déguster un plat de lango-ustines, n'est-ce pas? Mais il apprendra, pensait Nadir en le regardant manger d'une façon si dés-organisée. Etrangement, Mouloud ne faisait que penser à son petit carnet qui était posé près de l'assiette de son oncle où des gribouillis de chiffres ressemblaient à des combinaisons magiques que lui seul savait déchiffrer. Nadir le savait et lui demanderait forcément ce service. Heu, Mo-uloud, lui dit-il en finissant d'arracher une tête de langoustine, j'ai jeté un coup d'oeil au carnet et je n'y comprends rien. Tu pourrais m'éclairer un peu? Mais sans problème, mon oncle, dit-il en se levant pour aller s'asseoir près de lui. Ce dernier l'ouvrit et lui dit : Laisse-moi faire, je vais faire les comptes pour toi. C'est bien fiston, apprends tout d'abord à bien compter et après tu pourras commencer à faire des affaires. C'est le b-a-ba, je te l'assure. Mais mon oncle, je ve-ux apprendre, car je voudrais ouvrir plus tard un magasin. Mais un magasin de quoi? lui dema-nda-t-il avec curiosité. Heu..soit un magasin de pêche soit une boucherie. Heu..évite un magasin d'articles de pêche, car je ne pense pas que tu deviendras riche en vendant des bouchons de canne à pêche et des asticots, Ah!AhAh! Mais en ce qui concerne une boucherie sur le vieux port de Marseille, l'idée n'est pas mauvaise. Car lorsqu'il n'y aura plus de poissons à pêcher dans la mer, les gens forcément se rabattront sur la viande. Oh oui, mon fils, cette idée j'y crois et quand tu seras majeur, je t'aiderai financièrement à la réaliser.

Oh merci, mon oncle, lâcha Mouloud en l'embrassant sur la joue. Mais c'est rien, fils, c'est tout naturel pour moi, répondit Nadir qui semblait emu par ce témoignage d'amour imprévu. Puis reprenant un air serieux, il se mit aussitôt à compter à voix basse : 100 + 100+200+ puis au bout d'une minute, il dit à voix haute : Hier, elle à gagné trois cents milles balles! Quoi, trois cents milles balles? Mais en est tu sûr? Mais oui, mon oncle, je te l'assure, je reconnais bien mon écriture! Oh la salope, ce soir elle va voir de quel bois je me chauffe! Oh la voleuse, je vais lui régler son compte si elle me rembourse pas l'argent qu'elle m'a volé! jura-t-il violemment en tapant du poing sur la table où les têtes décapitées des langoustine dégringolèrent et se mirent à rouler comùme de petits cadavres.

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Nadir était si furieux que je n'aimais pas le voir dans cet état et j'essayais de le calmer comme je pouvais. Mais mon oncle, attendons un peu, car je ne pense pas que se soit le bon moment de régler ses comptes avec les filles. Mais aurais-tu oublié les autres filles qu'on a pas encore espi-onné? Hé oui, c'est vrai! dit Nadir qui retrouvait un peu son calme. Finissons le travail avant tout, car la belle Heroïca pourrait bien alerter les autres filles et taillo pour ton argent. D'accord, Mouloud, en fin de semaine, je réglerai toute cette affaire en ayant en main tous les comptes sur les filles, comme ça elles sauront à quoi s'en tenir. Tiens, tu donneras ça à Nasser pour le service qu'il m'a rendu, dit-il en sortant un billet de cent balles de ses poches. D'accord, je lui donnerai quand je le verrai, dit-il en se saisissant du billet. Son oncle semblait ronger son frein et il aurait voulu régler cette affaire sur le champ tellement il était impatient et colérique et semblait cher-cher au fond de lui une occupation pour ce soir, mais surtout jusqu' à la fin de la semaine.

Peut-être irait-il ce soir au casino de Monte-Carle pour oublier ce qu'il venait d'apprendre et dans les prochains jours un petit tour en Italie voir Rome ou acheter des fringues à Milan? se de-mandait-il avec quelque chose qui brillait dans les yeux. Ce soir, ce sera casino, pensa-t-il en re-gardant sa montre qui marquait déjà dix sept heures. En un instant, Nadir se retourna et prit ses clefs de voiture qui étaient posées sur le buffet et dit à Mouloud : Tu m'excuseras, mais je dois y aller maintenant. Je te laisse nettoyer la table et j'aimerais bien qu'elle soit nickel en revenant. Mais sans problème, mon oncle, dit-il en ne voyant pas cela comme une corvée. Je ne compte pas rentrer ce soir. Alors si tu veux, tu peux inviter un de tes potes a venir manger ici à la maison. Mais surtout ne le laisse pas entrer dans ma chambre, car j'ai des choses de grande valeur. Hum, je peux te faire confiance? Mais mon oncle, personne ne te volera quelque chose dans ta cham-bre, car je ne compte inviter personne ce soir. Alors, c'est parfait,  dit Nadir en l'embrassant sur la joue et en sortant d'un pas pressé.

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Après qu'il ait entendu son oncle claquer la porte de l'appartement, il se laissa tomber sur une chaise en posant ses coudes sur la table, comme s'il était libéré d'un grand poids. Il semblait mediter sur ce qui l'avait dit à son oncle à propos des filles qu'ils avaient encore à espionner. Il en restait quatre et ne s'en sentait pas le courage, ruminait-t-il en posant sa tête sur la table. Et si je déléguais le travail? dit-il soudainement en se redressant. Mais oui, c'est la solution! lança-t-il. Je vais proposer ce boulot à Farouk qui ne sera certainement pas malheureux de gagner un peu d'argent. Je n'ai même pas besoin de le dire à mon oncle, car tant que le travail est fait, il se-ra content. Mouloud, heureux d'avoir trouvé cette solution, prit alors une éponge dans l'évier et commença à faire le menage dans la cuisine.

Le lendemain, il retrouva Nasser sur le vieux port et lui donna les cents balles qu'il avait gagné, puis lui parlait de l'affaire où Farouk serait son nouvel acolyte. Ce dernier n'y voyait aucun in-convénients vu qu'ils habitaient dans le même quartier, ce qui facilitait beaucoup les choses, lui avait-il dit. Mouloud y voyait aussi beaucoup d'avantages comme celui de n'être pas reconnu par les filles qui le connaissaient tandis qu'avec Farouk, elles ne se douteraient pas qu'on les espion-ne. Avant de se quitter, il lui donna les adresses exactes où elles tapinaient ainsi que leurs horair-es de travail, ce qui fut considéré par Nasser comme une marque de grand professionnalisme! Mais bon à chacun ses valeurs, n'est ce pas?

Quand la fin de semaine arriva, Nasser et Farouck donnèrent à Nadir les comptes qu'il attendait avec impatience. Et après qu'il les avait épluché très scrupuleusement, puis constaté qu'elles au-ssi le volaient, il partit aussitôt leur régler leur compte. Pendant ce temps là, Mouloud était resté à la maison en pensant au pire et s'était mis devant la télé pour se changer les idées. Ce soir, il avait regardé un documentaire animalier et s'en souvenait très bien, car son oncle était rentré plus tôt que d'habitude et était parti directement dans sa chambre sans même lui souhaiter une bonne nuit! Mouloud avait fait alors semblant de ne pas l'avoir vu rentrer dans cet état et était resté jusqu'à minuit devant le poste de télévison à regarder une émission littéraire très intéress-ante : où les auteurs parlaient si bien de leurs livres qu'on aurait pu croire que ce qu'ils avaient écrit était vrai, Ah!Ah!Ah! Ces hommes et ces femmes étaient à l'évidence tous des fabulateurs, bref, des marseillais en puissance, mais avec du talent en plus, avait-il alors pensé.

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Et tout particulièrement apprécié, leur grand talent de mettre au jour des histoires que le temps avait complètement englouti sous des tonnes de jours et d'évènements politiques plus ou moins importants. En comprenant qu'une histoire inventée de toutes pièces par un écrivain pouvait être aussi vraie que n'importe laquelle qui se passait aujourd'hui sous nos yeux. Bref, qu'ils étaient des sortes d'archéologues de la vie des hommes où les petites histoires côtoyaient les grandes et que le tout finirait dans les oubliettes de l'histoire, comme si la vie accordait autant de valeur à la vie d'une mouche qu'à un aigle royal. Et que la fonction de l'écrivain ou du poète équivalait à celle d'un grand magicien qui, doté du troisième oeil, allait faire redécouvrir aux hommes des histoires que le temps avait effacé de leur mémoire. C'est dire un rôle des plus important pour l'évolution de notre société où la nouveauté aura l'air du déjà vu et l'ancien l'aspect du neuf. Bref, une vraie mine d'or pour les hommes politiques en manque d'inspiration ainsi qu'un mer-veilleux passe-temps pour les chercheurs en tous genre ou pour tout simplement tuer son éternel ennui. La littérature était donc liée directement à la politique et non à l'art, comme on aurait pu le croire. Et que la fonction de l'éditeur, à laquelle elle était subordonnée, était des plus impo-rtantes pour véhiculer les idées nouvelles devant faire évoluer le monde dans le bon sens. Moul-oud comprit ce jour là, grâce à une emission littéraire tout a fait banale et souvent programmée à des heures impossibles( la raison serait-elle aussi politique?) que les mots et les idées gouver-naient bien le monde, mais étrangement ignoré par celui-ci en lui disant : Bon, voyons, mess-ieurs, reprenons notre sérieux, ceci n'est que de la littérature! Bref, que chaque époque méritait sa littérature, puisque celle-ci était liée directement à sa situation politique et économique et qu' elle serait plus ou moins bonne pour le lecteur en termes de culture de la vérité. Et la grande question était de savoir si nos grands prêtre-sociologues d'aujourd'hui( chouchous des médias qui ne faisaient que décrire nos façons d'agir et de penser dans la socièté) finiraient par l'em-porter sur les vrais philosophes s'occupant de la vérité des Hommes et non de leurs apparences en milieu économique? Que dire d'autre, sinon que ce monde, décrit par ces spécialistes de la statistique, deviendrait un monde factice où les Hommes se seront éloignés de la réalité et plus gravement de la vérité? Ainsi finira-t-on par inventer des histoires rocambolesques ou extrava-gantes où l'on apprendra un jour qu'un singe avait réussi à se faire passer pour un lion en se faisant elire président de la république par les Hommes! Soyez sûr, mon cher lecteur, que je n' inventais rien, mais décrivais en tout objectivité notre société occidentale qui marchait sur la tête! Quant aux génies, ces derniers seront relégués hors de la planète des singes, car considérés comme trop dangereux par les imposteurs. En sortant de ce monde inventé par ces pseudo-écri-vains ou nouveaux philosophes, on saisissait que la vraie littérature existera toujours, mais en marge de la société et que ceux qui la pratiqueront seront alors les nouveaux prophètes et non les chouchous des médias. Ainsi nous cohabiterons avec de la fausse littérature, du faux cinéma, de la fausse musique, de faux génies qui auront su exploiter les nouvelles technologies de l'inf-ormation. Ce monde sera sans aucun doute celui des imposteurs, mais qui ne fera pas disparaître pour autant la vraie littérature, mais seulement notre goût pour la vérité. Bref, des goûts artifi-ciels naîtrons alors pour nous tous et notre langage devenant plastique et sophistiqué deviendra superficiel, comme une belle image des Caraïbes.

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Trois jours plus tard, en allant faire un tour sur le port, je croisais Nasser qui aussitôt me prit par le bras pour me montrer une chose insolite. Moi, intrigué, je me laissais faire et vis à ma grande stupeur, un peu plus loin, les cinq filles de mon oncle qui avaient toutes du même côté un œil au beurre noir, Ah!Ah!Ah! Nasser et moi, ne pouvant plus alors nous retenir, nous éclatâmes de rire comme des fous, ce qui nous mis d'excellente humeur pour le reste de la journée.

Mouloud, qui revenait doucement à la réalité, esquissa un sourire en pensant à tous ses souveni-rs d'adolescence. C'ést vieux tout ça! murmura-t-il du bout des lèvres tout en exprimant un regr-et pour son fabuleux passé. Au dessus de lui et dans un ciel qui commençait à s'assombrir se dressait toute illuminée de lumière notre dame de la garde où la vierge marie semblait descendre du ciel et tendre ses bras sur la ville de Marseille et sur tous ces malheureux qui attendaient un miracle dans leur vie peut-être de richesse ou de bonheur? Mouloud un instant se sentit touché par cet espoir et par cette vision toute chrétienne de la vie bien qu'il fut attiré, comme tout Ara-be, par les religions de l'orient et de l'Asie. Malgré cela, je resterais toujours un enfant de Mar-seille où la vierge marie aura toujours une petite place près de mon coeur! pensa-t-il avec sincé-rité comme mué par un désir d'aimer cette sainte qui fit un jour l'amour avec dieu. Après ces ins-tants de grande pureté, il redescendit sur terre et se mit à observer, non sans une certaine curio-sité, un petit train de touristes qui attendait ses derniers voyageurs pour monter jusqu'a notre da- me de la garde. Le guide et le chauffeur étaient descendus et discutaient ensemble à voix basse de choses qu'on ne pouvait entendre d'ici.

De temps en temps, le guide reprenait son micro et lançait aux touristes, qui s'étaient attardés sur le port, l'offre promotionnelle en fin de journée : Messieurs, Mesdames, dernier voyage pour no-tre dame de la garde! 20 pour cent de reduction pour découvrir les splendeurs de la ville de Ma-rseille par son plus haut point culminant. Dernier voyage pour notre dame de la garde! Dernier voyage de la journée, Messieurs, Mesdames. Profitez-en. Vingt pour cent de reduction! répéta-t-il en hurlant dans son micro. Des touristes, qui avaient entendu l'offre, se précipitèrent vers le petit train et prirent leurs billets au grand contentement du guide. Vas-y René, tu peux démarrer! dit-il au chauffeur. Aussitôt les clefs tournées que le petit train démarra et illumina en même temps de jolies guirlandes électriques qui décoraient les wagons en le transformant en vaisseau fantastique. Mouloud, séduit par ce spectacle, ne le lâcha plus alors des yeux et le suivit même jusqu'en haut de la colline : où une guirlande de lumière illumina pendant un bon moment le parcours chaotique du petit train.

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LIVRE TROISIEME

 

Après qu'elle ait constaté le désastre dans le hall de l'hôtel (où son imagination avait rêvé d'un festin fabuleux), Simone, meurtrie dans sa chair et dans son esprit, repartit vers les escaliers et s' asseya sur les marches. Recroquevillée sur elle-même et se tenant le ventre contre les affres de la faim et de la soif, elle se disait qu'elle allait mourir si elle ne trouvait pas dans les prochaines heures de quoi manger. Il faut que je trouve la cuisine de l'hôtel, c'est ma seule chance de survie! dit-elle en se levant péniblement et en se cramponnant aux murs. Animée d'un nouvel élan, elle retraversa le hall et s'enfonça dans un petit couloir où une porte à deux battants était obstruée par des planches et des briques. Après un effort surhumain, elle réussit à se glisser à travers et se trouva dans une pièce qui semblait ressembler à une cuisine où des casseroles, des poêles, des chaudrons et des assiettes brisées jonchaient sur le sol d'une manière anarchique où seules les grosses cuisinières en fonte étaient restées debout. Comme si leur fierté, datant du siècle dernier, avait voulu narguer la guerre d'aujourd'hui qui aurait souhaité les anéantir ou les renverser au sol. Cette vision insolite donna un peu de courage à Simone qui put constater qu'elle était tou-jours debout et qu'elle marchait maintenant au milieu de ces décombres où la guerre avait essayé de tout anéantir, mais sans y parvenir complètement. C'est peut-être, ça l'espoir? se demanda-t-elle d'une manière poignate en sachant qu'il y aurait toujours des survivants même sous les bom-bardements. Et c'est de cet espoir dont j'ai besoin en ce moment pour mettre un pas devant l'au-tre, reconnaissait-elle en reprenant son courage à deux mains.

Et l'avenir n'en parlons pas, car pour l'instant ce n'est qu'un rêve pour moi, finit-elle par s'avo-uer. Simone, instinctivement, ouvrit les portes des cuisinières pour voir s'il n'y avait pas à l'in-térieur de quoi manger ou si un plat au moment du bombardement n'avait pas été mis pour le repas du soir. En ouvrant l'une d'elle, elle découvrit au fond d'un plat, un canard complètement calciné! Dépitée, elle en ouvrit une autre et découvrit un reste de gratin de légumes ressemblant étrangement à un petit champ volcanique. Le personnel avait, semble-t-il, tout abandonné sur le feu au moment du bombardement et avait emporté avec lui tout ce qui était comestible et de fa-cilement transportable vu que les buffets renversés au sol étaient étrangement vide, constata-t-elle amèrement. La seule chose qu'elle trouva fut une cruche d'eau au fond d'un four, sûrement un four à pain, pensa-t-elle en sachant que les boulangers laissaient toujours un reservoir d'eau pour que le pain ne sèche pas trop vite pendant la cuisson. Grâce à cette heureuse découverte, elle put ainsi assouvir sa soif d'enfer. Assise contre une cuisinière et buvant tranquillement, elle entendit subitement du bruit venir de l'autre coté de la cuisine où un ensemble de meubles en-combrait le sol. Surprise, mais pas pour le moins éffrayée, elle partit se cacher derrière un plac-ard métallique pour observer l'endroit d'où le bruit était parti. A son grand étonnement, elle vit une trappe s'ouvrit au sol par laquelle sortit un jeune homme blond habillé d'un trellis militaire qu'essayait de camoufler très maladroitement une veste de civil. Quel étrange accoutrement! pensa-t-elle en le voyant sortir de cette trappe avec des yeux presque apeurés. Elle comprit auss-itôt que celui-ci n'était pas un soldat, mais plutôt un fuyard ou un déserteur, mais n'en était pas pour le moins rassurée.

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En l'observant marcher dans les décombres, elle remarquait que ses yeux étaient d'un bleu très clair et que ses cheveux ressemblaient à ceux d'une jeune fille. C'est dire qu'elle le trouvait très beau, mais sans connaître véritablement ses intentions ou sa dangerosité. Simone, qui semblait envoûtée par sa beauté, perdit malencontreusement l'équilibre et tomba sur le passage où l'étr-anger pouvait la voir. Oh zut alors! Mon dieu, mais quelle maladroite, je suis! lança-t-elle en s' écrasant sur le sol. Pendant un court instant, tous les deux se regardèrent sans bouger, comme surprit par l'existence de l'autre. Mais Simone, prise par la peur, se releva et partit en courant vers la sortie pour s'enfuir. Mais non, ma petite, ne t'enfuie pas! Je ne te ferais pas de mal! cria l' homme qui partit aussitôt à sa poursuite. Haletante et voulant se glisser à nouveau par la porte de la cuisine, elle sentit tout à coup quelqu'un s'abattre sur elle, comme une masse. C'est la fin! pensa-t-elle en sentant ce corps d'homme sur elle, l'écrasant de tout son poids et de toutes ses odeurs mâles de sueur et de tabac. Puis sentit tout à coup son visage rugueux raper le sien, comme s'il voulait l'embrasser, mais l'en détourna aussitôt, puis sentit de grosses mains la pelo-ter et la malaxer vulgairement. Alors qu'elle s'apprêtait à crier, elle fut au même instant arrêtée par l'homme qui lui dit d'un ton compatissant : Mais ma petite, tu n'as que les os sur la peau! Simone, les larmes aux yeux, lui dit : Mais oui, monsieur, ça fait deux jours que je n'ai pas ma-ngé! S'il vous plait, aidez-moi! L'homme prit de pitié se releva et l'aida à se remettre debout.

Viens, ma petite, je vais te montrer ma caverne d'Ali Baba. Ta caverne d'Ali Baba? lui demanda-t-elle curieuse. Oui, ma caverne d'Ali Baba, dit-il en lui prenant la main et en l'entrainant vers la cuisine où ils descendirent tous les deux par la trappe.

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Après qu'ils aient descendu le très raide escalier en bois, ils se trouvèrent dans une petite salle où l'on y voyait pratiquement rien. L'homme, qui connaissait l'emplacement d'une petite lampe à pétrole, l'alluma avec une allumette qu'il sortit d'une boite se trouvant à proximité. Aussitôt, une clarté illumina la pièce qui ressemblait étrangement à un cellier où Simone fut émerveillée de constater que celui-ci avait été miraculeusement épargné par les bombardements. L'homme, qu-ant à lui, semblait plutôt fasciné par la quantité impressionnante de bouteilles de vin qui s'y trou-vait et rangée très soigneusement dans des compartiments creusés dans le mur. Cette prudence du propriétaire de l'hôtel avait fait qu'elles avaient été épargnées de la casse lors du bombardem-ent, consentait-il, comme fasciné par ce miracle. Simone, déroutée par tout cet alcool, cherchait avant tout de quoi manger et ses yeux se tournèrent aussitôt vers une étagère où elle y aperçut quelques boites de conserves. Mais se précipitant vers celles-ci, l'homme l'arrêta nette en lui di-sant : Non, attends petite, j'ai quelque chose de mieux pour toi. L'entraînant ensuite vers un bu-ffet, où il ouvrit les deux battants, une bonne odeur de jambon et de saucisson sauta au nez de Simone qui, il est vrai, une semaine plutôt l'aurait écoeuré ou fait vomir. Mais la faim au ventre, elle trouva cela plutôt agréable et plein de promesses pour ses papilles. Puis sans raison apparen-te, elle fit une grimace et s'en alla dans un coin se recroqueviller. L'homme, inquet, partit auss-itôt lui demander quelques explications. Mais qu'as-tu petite? Je ne comprends pas. Maintenant que tu peux manger, tu refuses d'y toucher. Mais ne serais-tu pas devenue folle? Les larmes aux yeux et tournant son visage vers l'homme, elle lui dit avec un accent poignant : Monsieur, malh-eureusement, je ne peux pas y toucher, car ma religion me l'interdit!

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Comment elle te l'interdit? Oui, parce que je suis juive et que je ne peux pas manger de porc! lui répondit-elle comme à regret. Ah!Ah!Ah! ria l'homme et seulement pour cette raison? Oui, dit-elle sèchement. Mais si ta religion te laisse mourir de faim dans cette situation, je ne pense pas qu'elle soit une bonne religion. Car aurais-tu oublié que nous sommes en guerre, ma petite? Mais bien sûr que je le sais! lança-t-elle en le regardant dans les yeux. Mais le cas de force maj-eur ne ferait-il pas exception dans ta religion, hum? En fait, je n'en sais trop rien, répondit-elle avec une sorte de lueur d'espoir. Peut-être bien que oui si mes souvenirs sons bons. Car un jour, à la synagogue, le rabin nous a dit concernant le manger que dieu pardonnerait à celui qui pour se maintenir en vie serait obligé de violer une de ses lois. Eh ben, tu vois qu'on y arrive, ma pet-ite, Ah!Ah!Ah! Allez, viens t' asseoir, on va passer à table. D'accord, dit Simone, soulagée que la guerre fut considérée par dieu comme un cas de force majeur. L'homme, qui avait déjà eménagé les lieux, poussa une nouvelle chaise vers la table. Allez, assieds-toi, ma petite et goûtes-moi ce jambon d'Italie que le propriétaire à bien voulu nous laisser. Point de doute qu'il devait s'agir ici de son garde manger et qu'il se gardait pour lui tout seul en cas de famine ou de guerre, mais dont le départ précipité avait laissé le butin aux survivants et aux voleurs, savouraient-ils en ava-lant à deux presque la moitié d'un jambon. Simone, que son dieu permettait maintenant de man-ger du cochon, trouvait cela excellent de même que l'alcool que celui-ci n'était pas contre, com-me lui avait enseigné la Thora. Tiens, bois! dit l'homme en lui tendant une bouteille. Mais ne trouvant point de verre sur la table, elle prit la bouteille et but directement au goulot comme le font fort souvent les hommes.

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Ce dernier, qui la regardait boire, semblait heureux d'avoir maintenant un compagnon qui étran-gement n'avait qu'une dizaine d'années et de surcroît était une fille. Après ce passage initiatique à la vie d'adulte, que l'homme lui avait fait subir, Smone, enivrée par l' alcool, se sentit propice à la confidence afin de connaître un peu mieux cet homme que le destin avait mis sur son che-min( avec le sentiment que cette aventure ne faisait que commencer avec lui). Et tu t'appelles comm-ent? lui demanda-t-elle subitement. L'homme surprit par cette question, reposa sa bouteille sur la table et lui dit d'un air franc et direct : Je m'appelle Ulrich dit le causaque et c'est comme ça qu'on m'appelait au régiment, car je viens d'une province Russe. Mais maintenant que je suis un déserteur, tu peux m'appeler Ulrich le déserteur! Bref, sentant la gène de son confident, elle lui dit : Mais non, moi je t'appellerais tout simplement Ulrich, si ça te conviens. Ca me conviens parfaitement, dit-il en posant ses coudes sur la table. Mais comment t'es tu retrouvé à combattre avec ces criminels? lui lança-telle brutalement à la figure. Parce qu'ils m'ont enrôlé de force, ma petite, et si je ne leur obéissais pas, ils tuaient toute ma famille. Alors mon frère, Vinius et moi, nous acceptâmes de porter leur uniforme, mais sans réelle conviction. Mais cet éléphant jaune portant une couronne de fleurs sur la tête que signifie-t-il exactement? lui demanda-t-elle, car j'ai vu un de ces symboles sur un de leur char. Oh c'est simple, l'éléphant jaune signifie la force de l'asie et la couronne de fleurs la récompense qu'auront les peuples après l'écrasement des ra-ces impures. Les races impures désignent aussi bien les races de sang inférieures que les races religieuses. Les races religieuses? demanda curieusement Simone.

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Oui, c'est à dire tout ceux qui avaient adopté des idées contre-natures où l'intellectualisme avait fait des dégâts irrémédiables. Les juifs, je suis désolé de te le dire, mais en font partie! lui dit-il brutalement. Ah maintenant, je comprends tout! dit-elle avec dans la voix une sorte de dégoût. Et que toute cette comédie jouée pendant les accords de Baden-Baden n'avait été en fin de compte qu'une tromperie pour nous faire croire que le problème se trouvait soi-disant dans notre espace aérien européen et non entre les peuples dont l'existence culturelle était remise en question par les nouveaux conquérants. En gros, c'est un peu ça, dit Ulrich qui avait vu la guerre de près, ma-is sans vouloir y prendre part entièrement. La guerre, c'est uniquement la bataille des cultures et non la guerre économique comme beaucoup de gens voudraient le croire où celle qui est dom-inante veut bien évidemment la remporter. J'ai bien dit bataille, car dans l'affaire personne ne gagnera la guerre, puisque la guerre n'a pas de fin! Et la seule façon pour les peuples de se sau-ver et de se protéger est soit de faire la guerre soit de vivre isolé sur une île imaginaire. Mais ô combien de peuples ont disparu de cette façon où, malheureusement, ils n'ont pu voir que seule la creation d'une nouvelle culture où la fonte dans une autre pouvait les sauver. Et s'ils pers-istent à entretenir une tradition de pensée qui au bout du compte ne privilégiera que les anciens donc les riches et non les nouvelles générations, c'est qu'ils n'ont rien compris à l'évolution des sociètés. Bref, ils périront tous par un apauvrissement généralisé de leur culture qui se terminera forcément par une guerre plus ou moins souhaitée par tous. L'un est la conséquence de l'autre pour te dire la vérité.

En l'écoutant ainsi parler, elle se sentit aussi perdu que lui dans tout ce fatras d'idées que les no-uveaux conquérants voulaient imposer à tous les hommes de la terre. Et dans cette grande affai-re, ils comprirent soudainement qu'ils n'étaient que de la chair à canon, rien que de la chair à can-on!

Et toi comment tu t'appelles? lui demanda Ulrich d'un air grave.

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Je m'appelle Simone et j'ai fui les bombardements avec ma famille. Toute ma famille a été capt-urée, sauf moi qui a pu me cacher dans cet hôtel.

Tu as eu beaucoup de chance, ma petite, lui dit-il, car cet hôtel a été fouillé hier après-midi par mon régiment et on a trouvé personne. Simone, épouvantée, le regardait avec des yeux horrifiés. Et c'est durant l'absence de mes camarades, qui fouillaient alors les étages, que j'ai décidé de me planquer ici. J'ai trouvé cette planque tout à fait par hasard, alors que je pourchassais un rat pour m'en faire un ami. Un ami? lui demanda-t-elle quelque peu surprise. Oui, un ami, car au regi-ment tout le monde me détestait et puis mon père m'avait dit un jour qu'il fallait toujours suivre les bêtes pour trouver de l'eau ou de la nourriture lors d'une catastrophe, car eux seuls savaient trouver ce genre d'endoit. J'ai vu alors mon rat se faufiller à l'interieur d'un buffet renversé sur le sol où en dessous se cachait une trappe. Bref, content de cette heureux découverte, je m'y suis faufillé en découvrant cette caverne d'Ali Baba ou, si tu veux, le garde manger de l'ancien pro-priètaire de l'hôtel. Que le dieu Rat en soit remercié ainsi que nos amis les bêtes qu'on désigne malheureusement de la sorte! On les appelle ainsi, mais elles ne sont pas si bêtes que ça quant il s'agit de trouver l'essentiel, dit Simone en reconnaissant l'intelligence des bêtes à propos de leur propre survie. Oui, tu as parfaitement raison, ma petite.

Et puis il ne faut jamais oublié que nous sommes nous-mêmes des animaux et que notre lien av-ec eux ne doit jamais être rompu, sinon les dieux pourraient bien se mettre en colère! En l' éco-utant parler de la sorte, elle sentit ses cheveux se dresser sur la tête. Car sa religion lui interdis-sait toute idolâtrie aussi bien envers les hommes que les animaux. Pour elle, il était un idolâtre qui s'ignorait, bref, un incroyant que sa religion aurait bien jeté au feu au temps de Moïse. Mais sauvée de la faim par celui-ci, elle ne pouvait plus desormais lui en vouloir. Et malgré que leur association fut très mal assortie et liée uniquement au hasard de la guerre, elle se disait en le regardant que Dieu serait clément et misericordieux à son égard.

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Après ce repas, où Ulrich avait englouti deux bouteilles de Château Margot et Smone qu'un qu-art, il se leva et partit au fond du cellier déplaçer un magnum de champagne pour déclencher l' ouverture d'un passage secret dans le mur. Simone, voyant cela, crut assister à un miracle, non pas de la foi, mais de la magie où Ulrich était un magicien qui était venu la sauver! s'émeveillait-elle comme emportée par un élan de superstition. Pendant un court instant, elle se crut redevenir idolâtre quand celui-ci ouvrit ce passage menant peut-être vers la liberté? Dieu offrait aussi la liberté, mais dans combien de temps et sous quels cieux? Personne ne le savait exactement, pen-sa-t-elle en le regardant les yeux brillants comme ceux d'un demon. Sa veste de civil par dessus son trellis militaire lui donnait l'aspect d'un prêtre où un instant, elle crut voir dépasser d'une de ses poches, une petite croix en or! Mon dieu, quel cauchemar! lâcha-t-elle en se retournant sur sa chaise pour ne pas le voir.

Elle avait le sentiment que les nouveaux conquérants avaient une fois de plus gagné sur ce terr-ain où le désespoir nous faisait croire à n'importe quel miracle pourvu qu'il soit terrestre, bref, materiel, pensa-t-elle en le regardant fasciné par sa découverte. Puis soudainement, elle entendit un bouchon de champagne sauter en l'air et Ulrich lancer : Allez Simone, amène-toi, on va boire en l'honneur du dieu Rat et à la liberté! Pour la liberté, d'accord. Mais pour le dieu Rat, alors ça, non! dit-elle entre ses dents et en sautant de sa chaise. Il lui semblait que sa religion était mise à rude épreuve aussi bien par cette guerre que par Ulrich qui lui demandait maintenant de croire à de nouveaux dieux qu'il avait inventé lui-même pour pouvoir survivre à cet enfer. Et pourquoi pas au dieu schnapps pendant tu y es, mon pauvre Ulrich? murmura-t-elle du bout des lèvres. Eprouvée déjà par tant de tortures, elle prit alors la bouteille et but comme un soldat, c'est à dire d'une façon exagérée. Hé, laisse-moi s'en! lui dit-il en lui arrachant des mains. Mais celle-ci, eni-vrée par l'alcool, se laissa tomber par terre et s'évanouit. Hé mais qu'est ce qui t'arrives, ma peti-te? Hé?Hé? Ah!Ah!Ah! ria-t-il soudainement. Merde, je crois qu'elle est saoule! Ah non d' une pipe, elle ne supporte pas l'alcool! Ulrich la souleva et la transporta jusqu'à sa paillasse qui était posée sur le sol vers les meilleurs crus du cellier, puis voyant sa petite culotte rose sous sa robe soulevée, une envie de lui faire l'amour lui prit soudainement. Mais le remords de faire du corps de Simone un second champ de bataille lui ôta aussitôt l'envier. La petite était déjà si meurtrie par la guerre que je n'avais pas le droit de lui faire ça, pensa-t-il rempli de désir et de sentiments contradictoires. Mais ne pouvant dominer entièrement tous ses désirs, il ne put s'empêcher de l'e-mbrasser sur la joue, comme pour reprendre contact avec l'amour que la guerre lui avait fait ou-blier. Le contact de ses lèvres sur la joue de l'enfant lui semblait comme une promesse d' amour. Demain, quand elle sera réveillée, on partira d'ici, dit-il en allant se coucher dans un coin.

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Le lendemain matin

Quand Simone se réveilla, une bonne odeur de café la surprit agréablement et se crut un instant retournée chez elle comme par magie. Mais la voix soudaine et très enrouée d'Ulrich la précipita à nouveau dans l'enfer de la guerre. Merde alors! s'écria-t-elle en se levant et en se dirigeant vers la table où son sauveur avait préparé du café. Le regardant avec étonnement, elle lui demanda : Mais où as tu trouvé du café? Là dans un coin, il y avait une boite métallique laissée par le pro-priétaire. Et l'eau? Dans un réservoir au fond du tunnel. Mais c'est miraculeux! dit-elle envoûtée par les dons de magicien d'Ulrich. Et le feu? insista-t-elle d'une façon enragée. Mais là en bas du buffet, il y avait un réchaud à gaz, dit-il d'une manière très naturelle. Simone avait alors l'impre-ssion d'être en présence du diable avec Ulrich qui lui donnait tout ce qu'elle désirait : un passage secret pour retrouver la liberté, du café pour le petit déjeuner et pourquoi pas des tartines beur-rées pendant qu'il y était? se demandait-elle ironiquement, non sans frayeur. En examinant la tab-le, elle vit aussi des morceaux de sucre et une petite cruche de lait. C'en était trop pour elle! s' insurgeait-elle en se demandant si elle ne vivait pas un cauchemar. Peut-être avait-elle eu un acc-ident de vélo et se trouvait en ce moment dans le coma et que cette guerre en vérité n'était que le fruit de son imagination? spécula-t- elle. Mais quand elle entendit Ulrich lui dire : Simone, si tu trouves ton café trop fort, tu peux toujours mettre un peu de lait dedans! son rêve aussitôt s'eff-ondra. D'accord pour moi, ce sera un café au lait, lança-t-elle en s'effondrant sur sa chaise com-me épuisée par toutes ces pensées. Ce café lui fit énormément de bien pour dire la vérité, car il lui semblait renouer avec son enfance et sa vie de famille malgré qu'elle soit absente pour un temps indéterminé.

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La seule personne à laquelle elle pouvait faire un sourire de bon matin était assise en face d'elle et elle s'appelait Ulrich, mais un total un inconnu pour elle. Bon, tanpis, c'est toujours mieux que rien! Au moins, c'est un être vivant, pensa-t-elle en buvant son café. Quand tu auras fini ton café et mangé suffisamment Simone, je te montrerai le tunnel que j'ai découvert, non pas hier comme tu pourrais le croire, mais avant-hier. Un tunnel? lui demanda-t-elle avec des yeux écarq-uillés. Oui, ou si tu veux, un passage souterrain qui débouche en dehors de la ville. Maintenant, elle ne rêvait plus et le regardait comme une idole, comme son sauveur qui de plus était beau comme un ange, voyait-elle, envoûtée par tous les dons que la nature lui avait donné. La nature et la religion semblaient se battre à l'intérieur de son corps et de son esprit. Mais son âme amou-reuse de petite fille prit aussitôt le dessus en souhaitant idolâtrer ce jeune homme que le destin avait mis sur son chemin. Elle n'avait pas l'impression de renier sa religion, car quand on a treize ans que signifie croire véritablement? Et puis ses parents n'étaient plus là à ses cotés pour lui transmettre les traditions juives. Alors pourquoi ne pas croire en Ulrich, à cet homme qui croyait au dieu rat en s'inventant des dieux farfelues pour se sortir de toutes les situations? Elle avait le sentiment, lorsque tout se cassait la figure dans la société, que l'homme était prêt a s'inventer de nouveaux dieux pour pouvoir survivre à l'enfer. Et quand la paix revenait, tous voulaient reno-uer avec des dieux bienveillants où l'unique dieu était bien évidemment la quintessence de la religion. Ulysse et Ulrich avaient-ils comme unique point commun de commencer par la même lettre ou bien plus que ça? se demandait-elle en ayant plus que des yeux pour lui

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En déplaçant à nouveau le magnum de champagne, il ouvrit le passage secret et appela Simone : Vite, viens voir! Oui, j'arrive! dit-elle en se précipitant pour voir le miracle du dieu rat. Regarde, lui-dit-il en lui montrant une carte gravée sur le mur intérieur. Mais c'est un plan! dit-elle surpr-ise. Oui, c'est le plan du tunnel qui mène au dehors de la ville comme tu le vois à cet endroit où il est marqué campanus en latin. Mais il date de quand ce tunnel? A mon avis, il est très ancien et existait avant la construction de l'hôtel. Peut-être de l'époque romaine vu les inscriptions en latin sur la carte. Et je pense que le propriétaire avait fait installer cette porte secrète pour le protéger. Car en temps de paix, elle ne pouvait lui servir strictement a rien, sinon à faire des soirées privé-es ou très spéciales pour des clients aux moeurs étranges. Que veux-tu dire par moeurs étranges? lui demanda-t-elle avec curiosité. J'sais pas, peut-être un peu folles, Ah!Ah!Ah! ria Ulrich en s' enfonçant dans l'obscurité du passage où il disparut. Simone, impressionnée, le pria de revenir : Ulrich reviens, je t'en prie! Mais attends un peu que j'allume, lui dit-il. Quelques instants plus tard, la petite pièce s'illumina et elle crut voir un miracle en découvrant le sol recouvert d'une très belle mozaïque et les murs décorés de petits tableaux peints à la main. La mozaïque représe-ntait les quatre saisons de l'année avec ses personnages hauts en couleurs où en son centre se trouvait une venus admirable de beauté d'où s'écoulait par le sexe, une rivière se jetant dans une mer d'émeraude. Au milieu de celle-ci était représenté un volcan qui projetait en l'air, non pas de la lave en fusion, mais des bébés qui atterissaient tendrement dans les bras de jeunes filles en fleurs!

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En voyant cela, elle se disait: Voilà comment les anciens voyaient la vie! Bref, comme un mirac-le ou la science n'avait rien encore expliqué. L'ignorance avait semble-t-il des pouvoirs surnatur-els grâce à l'imagination nous permettant de fabriquer son propre bonheur, bref, son paradis sur terre! semblait-elle stupéfaite. Puis tournant ses yeux vers les petits tableaux peints sur les murs, elle se mit subitement a rougir en remarquant que ces derniers représentaient des scènes lubri-ques où l'on voyait une femme traire un homme, comme il était indiqué en bas du tableau( tra-yus-femina) où il sortait du sexe de l'homme du lait que la femme s'empressait de boire comme un elixir de jouvence. Sur un autre, on y voyait une femme s'accoupler avec un taureau et un peu plus loin, la naissance du minotaure, ce monstre mi-homme mi-animal que les anciens avaient élevé au rang de dieu pour protéger leurs trésors enfouis dans des souterrains. Sur un autre, un homme avait un sexe d'une extrême longueur dont le bout était décoré d'une couronné de fleurs. Ton bonheur t'attend ici! était écrit en dessous. Simone, à la vue de tous ces tableaux, sentit mo-nter en elle le désir et son corps comme prendre feu. Tout autour de la pièce, qui semblait être en tout point de vue un ancien lupanar, il y avait des canapés où sur l'un d'eux Ulrich était assis avec le sexe en érection. Simone, effrayée et fascinée en même temps, entendit Ulrich lui dire : Simone, tu veux me traire? Aussitôt, elle se précipita entre ses cuisses pour introduire son sexe dans sa bouche qui était dure et doux la fois comme une promesse de bonheur. Puis d'un féroce appétit sexuel, il lui souleva sa jupe et aperçut sa petite culotte rose qui cachait un joli petit cul tel qui les aimait. Attends un peu, ma petite garce, je vais te régler ton affaire! dit-il en se plaçant derrière elle pour l'introduire animalement.

Effrayée, elle sentit tout à coup quelque chose de gros et de long la transpercer et un long cri so-rtit de sa bouche en se transformant à son grand étonnement en un grand cri d'amour! Étrangem-ent au même instant, tous les tableaux sur les murs se mirent à trembler et les yeux de tous les personnages, comme briller aux temps de leurs amours passés. Mais Ulrich, occupé à son seul plaisir, continuait à lui donner de grands coups de butoirs que celle-ci accompagnait par des cris de douleurs et de plaisirs en même temps, puis il éjacula en elle en poussant un cri de bête qui ressemblait étrangement à celui d'un minautor! Effrayée une nouvelle fois par tant de mystères, elle s'évanouit au bord du canapé. Oh là! lança Ulrich, mais tu ne vas pas me faire le même coup que tout à l'heure, petite? Mais celle-ci resta muette et se laissa soulever par ce dernier qui la dé-posa au fond du canapé tel un corps mortifié, puis il se rhabilla et partit à l'intérieur du tunnel.

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Une heure plus tard, quand elle se réveilla, elle fut surprise de voir Ulrich debout dans l'ombre, bras croisés sur le torse et en train de l'observer. Étrangement, elle crut voir sur sa tête une paire de cornes et un nez en forme de mufle! Prenant peur, elle s'enfonça aussitôt au fond du canapé. Mais dés qu'elle le vit sortir de son coin, coiffé d'un étrange chapeau à l'aspect démodé et son visage noirci par quelques traces de saleté, elle poussa comme un ouf de soulagement. Oh tu ne peux pas savoir comme tu m'as fait peur! lança-t-elle en s'avançant au bord du canapé. Ah!Ah!Ah! ria-t-il. Mais n'aie pas peur, ma petite, je voulais seulement te faire une petite surprise avec ce chapeau que j'ai trouvé au fond du tunnel. Et comment le trouves-tu? Pour moi, il est sacré-ment démodé! lui expédia-t-elle en faisant une petite grimace.

Démodé, peut-être, mais moi il me plait bien, dit-il en tapotant dessus avec ses doigts. Ulrich, avec son chapeau haute forme sur la tête, ressemblait à s'y méprendre à un magicien auquel il ne manquait plus que la canne pour avoir la panoplie complète, pensa-t-elle en le voyant s'approch-er tel un danseur de claquettes. Mais ces chaussures vertes et rouges que tu portes où les as tu trouvé? lui demanda-t-elle en les voyant flambant neuves à ses pieds. Ca? lui dit-il un peu sur-pris. Oui, bien sûr, pas ton vieux veston! lui expédia-t-elle ironiquement. Je les ai trouvé aussi à l'intérieur du tunnel où il y a une loge remplie de costumes. Je crois bien qu'il y' a un théâtre, mais j'ai pas tout visité. Quoi, un théâtre? s'écria-t-elle avec surprise. Oui, un théâtre comme on en voyait avant la guerre avec une scène en bois, un immense rideau rouge et une salle pleine de fauteuils et des balcons décorées à l'or fin pour les plus fortunés ou, si tu veux, pour les person-nalités de l'époque. Youhais! s'écria Simone, vite, fais-le moi visiter, j'ai une envie folle de cha-nger d'accoutrement. Ah!Ah!Ah! ria Ulrich, tu es bien une bonne femme pour avoir ce genre de lubie. Monsieur, je vous prie de surveiller votre langage. car vous parlez en ce moment à la ma-rquise de la bourse plate! lui expédia-t-elle d'un ton pédant, puis éclata de rire, Ah!Ah!Ah! Ul-rich, comprenant la comédie qu'elle était en train de jouer, lui prit la main et lui dit: Si Madame veut bien me suivre! Mon très cher, mais je vous suivrais jusqu'au bout du monde. Jusqu'au bo-ut? lui demanda-t-il ironiquement. Oui, mon très cher, jusqu'au bout, mais pas à ce vous croyez, mon vieux cochon! rectifia-t-elle en éclatant de rire à nouveau. Vous n'êtes qu'une petite salope, Madame la marquise et tout à l'heure, je vous présenterai au marquis de Sade qui vous introdui-ra sur la scène.

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Mais qui est ce marquis de Sade? Un homme bien, répondit-il en faisant un pas de danse en l' en-traînant vers ce théâtre qui semblait logé dans les entrailles de la terre.

En entrant dans le tunnel, elle remarquait qu'il était éclairé par des torches disposées à interval régulier. A ses côtés, Ulrich semblait trouver cela tout à fait normal et avançait d'un pas étran-gement sûr comme s'il était un habitué des lieux. Mais ne voulant pas se faire peur à nouveau, elle lui serra fortement la main comme pour lui dire : Je te fais confiance, mon ami! Mais celui-ci semblait ailleurs et regardait le bout du tunnel avec un regard glacé où elle avait l'impression d'être guidé par un automate vers les profondeurs de la terre où Ulrich était cet automate recou-vert de chair humaine. Elle aurait bien voulu repartir vers l'hôtel, mais sentit tout à coup qu'il était trop tard en s'apercevant qu'elle ne pouvait plus retirer sa main de celle d'Ulrich, qui ne voulait plus semble-t-il la lâcher! Un froid soudain lui glaça le sang. Lâche-moi, veux-tu? lui cria-t-elle violemment en se laissant tomber au sol, mais qu'étrangement son compagnon ne se-mblait pas entendre en continuant à la trainer par terre comme une marionnette de chiffon. Sim-one, criant et pleurant de toute son âme, l'insultait d'obsédé sexuel et de monstre! Mais ce dern-ier semblait insensible à ses plaintes et à ses insultes. Comprenant alors sa situation, elle se remit aussitôt debout en suivant le pas cadencé de cet automate de la mort. Au bout du tunnel, ils em-pruntèrent un escalier en fer forgé en forme de colimaçon qui descendait vers une grande salle recouverte de marbre blanc et d'une multitude de bouquets de fleurs disposés dans de grands vases de Chine. En posant le pied sur le marbre blanc, Ulrich lâcha soudainement la main de Si-mone! Eh ben, c'est pas trop tôt, monstre! lui lança-t-elle à la figure. Moi, un monstre?

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Mais pourquoi donc? lui demanda-t-il surpris qu'elle le nomme ainsi. Mais tu le fais exprès ou quoi? Mais non, je t'assure, je ne vois pas de quoi tu veux parler! lui dit-il d'un air qui semblait sincère. Mais tout à l'heure dans le tunnel, tu m'as traîné par terre comme un vieux sac à patates et ça je t'en voudrais toute ma vie! lança-t-elle furieusement. Mais ce dernier, étrangement, ne semblait pas comprendre ce qu'on lui reprochait et la regardait avec des yeux étonnés. Mais je t' assure, Smone, jamais je ne me serais permis de te faire une telle chose! dit-il avec un accent poignant. Et ces blessures sur mes genoux, mais d'où viennent-elles alors? lui demanda-t-elle en soulevant un peu sa jupe. Mais Ulrich, en baissant ses yeux sur les genoux de Simone, ne vit au-cune blessure et lui dit en la regardant dans les yeux : Je suis désolé, mais moi je n'en vois au-cune. Croyant à une nouvelle blague de son compagnon, elle regarda par elle-même et vit bel et bien que ses genoux étaient intacts sans aucune éraflures du moins récentes. Je crois que tu te fais beaucoup de cinema, ma petite! lui expédia-t-il d'un ton sévère. Mais? s'écria-t-elle en ne sachant plus quoi répondre à ce nouveau tour de magie d'Ulrich. Allez, prends cette rose! dit-il subitement en lui tendant. Mais hésita un instant en trouvant les vases un peu trop loin pour qu'il ait pu en saisir une, pensa-t-elle comme impressionnée par ses dons. C'est pour me faire pardon-ner, lâcha-t-il enfin en lui envoyant un grand sourire. Ne pouvant resister à son charme, elle la saisit et la respira profondément. Aussitôt, un parfum de rose démodée la pénétra et l'entraîna dans un autre monde rempli de gloire et de beauté que le temps avait lui-même clos et condamné au silence.

Pourtant combien de hourras et de cris de victoires, ce monde disparu avait-il poussé au plus haut de son apothéose? Personne ne le savait vraiment, sinon Simone et Ulrich qui en ce mome-nt se tenaient la main devant l'entrée d'un théâtre dont une simple porte en donnait l'accés. Quand elle reprit conscience, elle s'aperçut qu'elle portait sur elle, une très belle robe en soie rouge sur-montée d'un chapeau fleuri et Ulrich à ses côtés, vêtu d'un bel uniforme de général avec un nom-bre impressionnant de distinctions sur la poitrine. Si Madame la marquise veut bien me suivre! dit-il d'un air impérial. Mon général, je n'attendais que vos ordres pour m'executer, dit-elle d'un air soumise. Bien, ma très chère, allons maintenant au théâtre! Bien, je vous suis, finit-elle par dire en lui lançant un regard de chatte.

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En ouvrant la porte, ils furent aussitôt transportés de ravissements en apercevant à leurs pieds, un immense théâtre ressemblant étrangement à de grandes orgues. Au plafond étaient suspendus, comme de gros bijoux, d'énormes lustres taillés dans le cristal qui jetaient dans la salle une lum-ière douce et éclatante. Les balcons étaient décorés par des ornements dorés à l'or fin et les ban-quettes recouvertes d'un beau velour couleur vert émeraude. Mon dieu que c'est beau! s'écria-t-elle en voyant ce beau décors de théâtre enterré dans les catacombes. Le problème, mon ami, c' est qu'il n'y a personne! dit-elle comme à regret. Mais ça, c'est toi qui le dit! lui expédia-t-il d'un air diabolique en réajustant ses décorations sur sa poitrine. Comment, mon ami, que voulez-vous dire par là? lui demanda-t-elle non sans être effrayée. Eh bien, tu le verras..

A peine avaient-ils posé le pied à l'intérieur du théâtre que de grands applaudissements retentir- ent en les enveloppant d'une sorte d'aura que Simone avait dû mal à comprendre, mais qu' Ulrich semblait assumer en affichant sur son visage un air triomphal. Mais d'où viennent-ils tous ces applaudissements, mon ami? lui demanda-t-elle d'un air halluciné. Mais il n'y a personne dans la salle! insista-t-elle en le regardant avec éffroi. Mais ma chère amie, ils viennent de la salle, ne les voyez-vous pas? Mais non, moi j'vois rien! répondit-elle d'un air désabusé. Alors cligne des yeux et tu verras que tous nos amis sont dans la salle. Tiens, je vois l'archiduc et sa femme l'archiduc-hesse au premier balcon! dit Ulrich en les saluant par une révérence appuiée. Le couple princier fit alors un signe de la tête en guise de politesse. Cligne des yeux, mais qu'est-ce que tu veux dire par là? lui demanda-t-elle l'air embarrassé. Mais cligne des yeux, c'est simple, non? Allons main-tenant sur la scène afin de nous présenter à tous nos amis. En descendant vers la scène, elle cli-gna une fois, puis deux fois les yeux et aperçut à son grand étonnemment des gens assis sur les fauteuils qui avaient tous des têtes de rats, mais habillés très élégamment. En passant devant le balcon du couple princier, elle s'aperçut qu'eux aussi avaient des têtes de rat surmontées d'une petite paire de jumelle pour l'archiduchesse et d'un pince nez pour l'archiduc. Elle faillit pouffer de rire, mais se retint et suivit Ulrich jusqu'à la scène où les applaudissements furent remplacés par une sorte de brouhhaa inextricable. Sur la scène, le decors se composait d'un canapé qui étra-ngement avait été taillé dans un gros bloc de gruyère où reposaient deux coussins en pain d'épi-ces et au devant de la scène, un pupitre fait en biscuit et chocolat muni d'un micro qui apparem-ment était une glace aux deux parfums!

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Vas t'assoir sur le canapé! lui dit-il en partant vers le pupitre. Dans la salle, il y avait un silence impressionnant. Et quand il essaya le micro pour voir s'il fonctionnait, étrangement, en le lécha-nt, un énorme bruit de langue amplifié par les haut-parleurs retentit dans la salle où les specta-teurs se mirent à applaudir frénétiquement pour exprimer leur contentement. Simone, une fois de plus, faillit éclater de rire, mais se retint en occupant son temps à grignoter un peu le pain d'épic-es des coussins. Alors qu'Ulrich commençait à faire son discours, elle s'arrêta de cligner des ye-ux et vit apparaître devant elle, une salle entièrement vide à laquelle son compagnon s'adressait dans une langue qui lui semblait totalement incompréhensible. Car composée de petits cris, de bruits de moustaches et de coups de langues bien dosès. Curieuse, elle cligna à nouveau des yeux et entendit Ulrich dire à la salle conquise que le temps était venu pour eux de remonter à la sur-ace et de prendre le pouvoir! L'archiduc, sur son balcon, aussitôt se leva et applaudit avec frén-ésie l'audace de son général. Toute la salle était en délire et se tournant vers son prince accompa-gna ses applaudissement, comme dans une immense apothéose.

Après qu'il ait fini de parler, Ulrich dévora la feuille de son discours qui était semble-t-il en pa-pier de riz, ce qui déclencha aussitôt dans la salle une cascade de rires. Mais quel humour, ce général! lancèrent les plus fanatiques. Quant à l'archiduc, ce dernier ne sembla pas trop apprécier son geste, car ce discours avait été apparemment écrit par lui-même et lissait ses moustaches comme pour se contrôler. Simone, toujours assise sur son canapé en gruyère, ne savait pas à qu-elle sauce elle allait être mangée et grignotait les coussins en attendant. Puis Ulrich prit le micro et demanda que l'on fit venir le marquis de Sade, comme il avait promis à Simone. Mais une vo-ix nasillarde surgit soudainement des haut-parleurs : Chers spectateurs et chères téléspectatrices, nous sommes désolés. Mais le marquis de Sade ne pourra pas être des nôtres ce soir, car il a été arrêté dernièrement et jeté sauvagement en prison! Des bruits de mécontentements surgirent aus-sitôt de la salle. Bon, ben, dit-il, si le marquis de Sade ne peut pas venir, nous appellerons donc monsieur Casanova pour le remplacer. On demande monsieur Casanova sur la scène! On dema-nde monsieur Casanova sur la scène! hurla avec insistance les haut-parleurs. Si monsieur veut bien se présenter sur la scène, son public est là, il l'attend. Mais étrangement personne ne se prés-enta et le haut-parleur crépita à nouveau : Chers amis, veuillez nous excuser une nouvelle fois pour ce contre temps. Mais monsieur Casanova n'a semble-t-il pas beaucoup aprécié qu'on le compare au marquis de Sade qui d'après lui est un sale pervers qui inonde ses livres d'obscénités et de vulgarités. Alors que lui, il est un grand artiste et un immense écrivain. Son honneur ayant été piétiné, il ne se présentera sur la scène seulement si le général lui présente ses excuses en pu-blic. Attends-moi, Simone, je vais aller le chercher dans sa loge! dit Ulrich en disparaissant dans les coulisses.

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Le public, pendant ce temps là, semblait consterné par l'orgueil mal placé de monsieur Casano-va. Mais pour qui se prend-il cet arrogant? lança soudainement l'archiduc du haut de son balcon où le public, l'ayant entendu, répétait en sourdine : Mais pour qui se prend-il ce dépravé? Pour un honnête homme?Ah!Ah!Ah! riait-on caché au fond de son fauteuil. Simone, quant à elle, occupait son temps à regarder la salle vide où elle aurait rêvé qu'elle soit pleine de vrais gens et non de fantômes du passé. Elle, jouant la marquise de Parme ou la folle de chaillot, mais pour-quoi pas? pensa-t-elle en réajustant son chapeau et en déplissant sa robe. J'ai toujours aimé jou-er la comédie et ce soir, j'en ai l'occasion! dit elle en observant les coulisses où elle attendait monsieur Casanova, qu'elle ne connaissait pas, mais qu'elle croyait un homme bien, en se désoli-darisant des agissements du marquis de Sade. Espérons qu'il soit à la hauteur du rôle! dit-elle en apercevant soudainement entrer sur la scène, un homme grand, vêtu de noir et portant sur son vi-sage un masque de carnaval. Aussitôt, une petite musique vénitienne retentit et monsieur Casan-ova fit quelques pas de danse que le public applaudit avec fougue. Quel artiste! lança quelqu'un au premier rang. Vous avez vu comme il s'élance en l'air et qu'il retombe sur ses pieds, on dirait un ange! Oui, ma chère, cet homme est un vrai acrobate dont toute la vie a consisté à faire des pirouettes devant les grands de ce monde pour les voler au passage, Ah!Ah!Ah! Mais que dites vous là, cher comte? Oui, j'ai bien dit en les volant de la manière la plus intelligente du monde. C'est à dire? Eh ben, en se faisant passer pour un magicien avec sa cabale où, additionnant chif-fres et symboles, il pouvait prévoir des événements futurs pour ses amis princes et princesses.

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L'archiduc lui a demandé personnellement d'en faire une pour son grand projet de reprendre le pouvoir sur la terre. Et lui a prédit un franc succès vu qu'à la surface les hommes s'entretuaient en se faisant la guerre. Quel escroc, cet homme! Oui, escroc, mais qui a toujours assuré le spe-ctacle, disait-on dans le milieu. Espérons que ce soir, il fasse des merveilles, espérait le public. Simone, séduite par le pas de danse de monsieur Casanova ne faisait que cligner des yeux pour lui. Alors que celui-ci saluait le public, elle remarquait que derrière son pantalon sortait une queue de rat longue et grise qui s'étalait sur la scène. En se tournant vers elle, elle vit dépasser de son masque de carnaval de longues moustaches de rat et un petit museau reniflant sans cesse. Horrifiée et voulant s'enfuir, elle fut malheureusement retenue par le canapé où le gruyère s'était collé a sa robe. Criant et levant les bras pour qu'Ulrich vienne la sauver, toute la salle transportée par l'émotion applaudit alors à grands fracas le spectacle qui, il est vrai, ne manquait pas de pi-quant où comédie et tragédie étaient étrangement mêlées. Puis monsieur casanova s'asseya à côté d'elle et commença à la renifler des pieds à la tête comme s'il comptait la manger; mais Simone pour se défendre interposa entre elle et lui un coussin en pain d'épices. Un hors d'oeuvre, mon-sieur Casanova? lui demanda-t-elle en lançant un regard ironique au public. Aussitôt des rires s'élevèrent de la salle. Mais quel humour, cette fille! Mais quel humour! J'espère que Casanova les mangera tous les deux! dit un gros rat obèse au deuxième rang. Avec l'appetit qu'on lui conn-ait, je crains qu'il mange aussi le canapé, Ah!Ah!Ah! Vous êtes ignoble, monsieur le baron! Vous savez bien que le canapé est pour la fin du spectacle où nous sommes tous conviés. Voyons, Madame la baronne, veuillez m'excusez, mais j'avais complètement oublié le programme de ce soir.

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Comment vous appelez-vous, ma chère madame? lui demanda-t-il en grignotant un peu de pain d'épices sur son corsage. Je suis la marquise des anges et mon mari est le général des troupes. Des troupes? Oui, des troupes en action, dit-elle en ne sachant pas quoi lui répondre. Et où est-il votre mari en ce moment? Mon mari est parti tout à l'heure dans la coulisse et il va revenir dans un instant a l'autre. Je suis désolé de vous le dire, ma chère madame, mais on m'a prévenu qu'il était parti rejoindre son bataillon dans les Flandres et qu'il ne reviendra pas d'ici tôt. Quoi, mon mari est parti faire la guerre sans me prévenir! Mais comment est-ce possible, mon dieu? lança-t-elle comme un cri de désespoir qui mit aussitôt tout la salle en émoi, désormais suspen-due aux lèvres de Casanova. Mais madame, je suis là et je vous protégerai jusqu'a son retour! Croyez-moi très sincèrement, je veux votre bonheur et rien que votre bonheur! dit Casanova les larmes aux yeux. Mais si mon mari meurt à la guerre, mais que vais-je devenir? Oh non, mada-me, ne dites pas cela. Car si le destin en décidait, je vous jure sur l'honneur de le remplacer dans votre coeur, lui dit-il en lui prenant la main. Oh mon ami, comme vous êtes bon! Venez que je vous embrasse! dit-elle en avançant sa bouche sur le visage masqué de Casanova. Mais bizarre-ment, au même instant, elle sentit de grosses moustaches lui piquer le visage ainsi que de petites dents lui grignoter les lèvres. Mais qu'est-ce cela, mon ami? En clignant des yeux, elle s'aperçut qu'un énorme rat était sur elle et essayait de la culbuter! Aussitôt toute la salle éclata de rires, alors que Simone jetait des cris d'épouvantes en appelant à l'aide : Au secours! Au secours! Puis la salle, ne pouvant plus retenir son émotion, applaudit à nouveau à grands fracas la scène que venait de leur jouer Casanova et Simone, qui criant d'épouvante, essayait de s'extirper de ses pattes velues.

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Mon dieu quel jeu d'acteurs fabuleux! lancèrent les plus fanatiques d'entre eux. Puis d'un geste fou, elle réussit à s'arracher du canapé, mais en y laissant une partie de sa robe. En s'enfuyant dans les coulisses, le public put voir une partie de ses fesses là où la robe s'était déchirée! Des cascades de rires aussitôt s'élevèrent de la salle où monsieur Casanova, à moitié déçu, fit une nouvelle pirouette afin que le spectacle continue. Je vous l'avais dit, ma bonne dame, ce Casano-va a toujours assuré le spectacle. Ca ne fait aucun doute! expédia un vieux rat déguisé en mar-quis.

Quand elle passa derrière le rideau de la scène, elle aperçut Ulrich qui parlait à un porte-man-teau. Mais qu'est-ce tu faisais pendant tout ce temps? lui lança-t-elle d'un air furieux. Moi? répliqua-t-il en faisant mine de rien comprendre. Bizarrement, au même instant, on entendit un énorme bruit retentir dans la salle où des claquements de fauteuils furent aussitôt suivis par une course infernale vers la scène. En entrouvrant le rideau, ils apeçurent des centaines de rats en train de dévorer le décors où le canapé en gruyère fut englouti en un rien de temps! Le pupitre et le micro furent dévorés par l'archiduc et son épouse l'archiduchesse. Mais le comble du spectacle fut atteint quand la scène s'écroula sur elle-même, comme rongée de l'intérieur par une armée de bestioles affamées! Avec une mentalité comme ça, ils n'arriveront jamais à rien! lâcha avec dépit Ulrich en prenant la main de Simone et en l'entraînant de l'autre côté.

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En courant à travers le tunnel, ils aperçurent une immense porte leur barrant le passage. Mais Ulrich bizarrement toucha une de ses decorations et la porte aussitôt s'ouvrit pour les laisser passer. A ses côtés, Simone semblait en admiration devant tous ses dons de magicien qu'elle lui enviait beaucoup, il faut le dire. Puis dépassant enfin la porte, tous les deux furent étonnés d'y découvrir une immense bibliothèque, quasiment abandonnée, où des milliers de livres étaient soigneusement rangés sur des étagères s'élevant jusqu'aux plafond. Ulrich, qui avait toujours aimé les livres, s'arrêta pour y jeter un coup d'oeil. Mais en lisant les titres et les noms des aut-eurs sur les tranches, il s'aperçut qu'il n'en connaissait aucun! Certes, sa culture livresque avait des lacunes, mais pas à ce point là! s'étonna-t-il. Bref, comme si sous terre la littérature avait d'autres références, d'autres talents ou peut-être d'autres prix Nobel? se demandait-il étrangem-ent. Tous avaient des noms farfelus, comme Sake le Pire, auteur d'un ouvrage intitulé Omelette où sur la première page était représentée un rat tenant entre ses pattes une tête décapitée d'hom-me à laquelle il faisait la morale! Puis sur un autre ouvrage du même auteur, il fut prit d'un fou rire, quand il lut la très célèbre tirade de son personnage principal : Mon royaume pour trois kilos de patates! au lieu de mon royaume pour un cheval, la très célèbre tirade de Richard 3 con-nue de tout le monde, je crois. En continuant la lecture d'Hamlet, to be or not to be, that's the question était devenue étrangement du beurre, oui du beurre pourvu qu'on en ait toujours! Bref, on avait le sentiment qu'ici les auteurs avaient une obsession pour la bouffe et qu'ils avaient dû adapter les ouvrages de la surface afin qu'ils soient lisibles ou du moins digestes. Pour dire crû-ment les choses, les prix Nobel de littérature étaient jugés ici comme des auteurs de très mau-vais goût. Car leurs livres, débordant d'une humanité dégoulinante, faisaient souvent vomir les lecteurs dits sensibles. Et le CRC( le conseil des rats censeurs) les avaient tout simplement inte-rdit pour cause d'immoralité.

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Car personne ici n'avait oublié la grande dératisation de 1572 où le roi Charly 9, avec les au-torités sanitaires de l'Etat, avaient empoisonné plus d'un million de rats au cours de la Saint-Rathélymi! Et des gravures sur les murs de la bibliothèque montraient ces scènes atroces où les rats mourraient sous l'oeil indifférent des Hommes. Bref, si l'humanité, c'était cela, les grands auteurs qui les représentaient devaient être eux aussi de grands criminels! Telle était la pensée chez les rats évolués. Ici, dans ce monde souterrain, seuls les auteurs censurés par l'humanité ét-aient considérés, comme de grands génies, comme un certain Patrick Maaded dont le chef-d' oeuvre, le virus de la fièvre bleue, avait reçu le prix Courbouillon : un prix situé juste entre le prix Babibel et le Goncourt. Ce livre racontait l'histoire d'une grande épidémie de fièvre bleue qu'un savant un peu fou, appelé le professeur Banbilock, prévoyait de lancer sur Paris avant de l'étendre au reste du monde. Cet ouvrage avait été censuré pour ses critiques sévères à l'égard des hommes politiques qui, au lieu de servir leur pays, le dépouillait sans aucun scrupule. Ce grand livre avait fait rêver la plupart des rats avides de pouvoirs et de libertés, au point que Rata-vor, le représentant des rats, avait conclu un marché avec le professeur Banbilock pour qu'il eût un territoire après l'épidémie où son peuple pourrait vivre enfin à la lumière du jour. La ville de Neuilly-sur-Seine lui avait été proposée, ce que fut considéré par Ratavor comme une marque de grande d'estime vu le côté huppé de l'endroit et de plus à côté de la Seine, bref, un endroit rêvé pour les rats. Ulrich, en continuant à visiter la bibliothèque toujours avec grand intérêt, tomba par hasard sur un livre dont les pages avaient été à moitié arrachées( très certainement par la cen-sure) en gardant seulement de l'auteur, un certain Michel Troulebec, des pages admirables sur ses orgies en Thailand avec de jeunes enfants. 

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Le reste du livre, qui concernait ses magouilles avec le monde littéraire parisien, n'intéressait ici vraiment personne, mais vraiment personne. Un autre livre, intitulé "le rable mystérieux" d'un certain Hugo le Vic se passait sous la révolution française. Rataflor, le successeur de Ratavor, un homme déchu par l'humanité, bref, un raté, d'ou l'origine du mot rat, avait réussi à réunir une armée de rats dans les égouts de Paris afin de prendre le pouvoir sur la capitale. On prévoyait de s'attaquer en premier lieu aux abattoirs de Paris avant de se jeter sur la population pour la dév-orer. Ce beau livre, recouvert d'une peau humaine, avait reçu le prix Babibel, l'équivalent du prix Nobel de littérature, c'est dire un livre qui comptait beaucoup dans la culture Ratavor. Au rayon des grands voyageurs, il tomba sur le récit d'un certain Vasco de Gamelle, un marin qui avait réussi à faire le tour du monde au fond d'une marmite, bref, un rêve pour les rats de faire un tel voyage! Jules la veine était aussi un auteur très estimé pour ses livres d'aventures dont les vingts milles escalopes sous les mers connurent ici un franc succès. Pendant tout ce temps, où Ulrich avait dévoré des yeux les ouvrages de cette bibliothèque, Simone avait commencé à prendre goût aux livres et avait fait elle-même ses recherches en dénichant une thorat version originale telle qui l'était mentionnée sur la couverture. En ouvrant la première page du livre, elle découvrit une gravure représentant le dieu unique pour les rats symbolisé par un rat à trois têtes et à trois que-ues. La tête de gauche représentait le respect pour les valeurs sociales et s'appelait Ramapubli-ca. La tête centrale concernait les sens et la nourriture et s'appelait Ramanouri. La tête de droite représentait le génie chez les rats et s'appelait Ramafou. Simone, en lisant tout cela, fut émerve-illée de constater que les rats n'étaient pas si éloignés des hommes en tant qu'espèce, mais qu'ils les talonnaient juste derrière.

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Néammoins sans le génie humain en tant que créateurs, mais s'en inspiraient largement afin de pouvoir créer une nouvelle civilisation quand tous les hommes se seront entretués. La relève, c'ést nous! affirmaient les plus hauts réprésentants de l'Etat Ratavor. Mon dieu, comme c'est intéressant d'apprendre tout cela! s'écria-t-elle en se saisissant d'un autre grand livre à côté qui ressemblait étrangement à une bible. La petite difference était le titre, car celui-ci s'appelait le bulbe. En l'ouvrant, elle découvrit une gravure représentant le fils du dieu Rat, appelé Ratus Christofleur, crucifié, non pas sur une croix, mais sur une vulgaire tapette appelée piège à rat. La barre meurtrière, munie de son puissant ressort, lui avait écrasé le cou et les moustaches en pas-sant. Pour les rats, ce fut le pire des crimes qu'on puisse commettre sur un des leurs. En contre bas de l'image étaient représentés des moines rats qui priaient pour le salut de son âme. Mon dieu, comme toutes ces représentations ressemblaient aux nôtres! pensa-t-elle en refermant le livre et en cherchant du regard Ulrich. Qui était assis sur un petit tabouret et semblait méditer sur toutes ces choses extravagantes qu'il venait d'apprendre sur les rats. Et comprit qu'être rat ne signifiait pas ce que les hommes croyaient bêtement depuis des lustres. C'est à dire des bestioles qui ne pensaient qu'à manger, qu'à se reproduire et qu'à transporter des maladies, non. Mais bien une civilisation en attente de remplacer l'humanité quand celle-ci aura disparu. Les Ratavors avaient pensé à tout en copiant le génie humain pour créer un nouvel ordre sur la terre. Et être rat ne signifiait plus ronger les fondations des maisons ou bien des édifices cultuels des hommes pour que ces derniers s'écroulent. Mais bien s'y introduire afin de survivre jusqu'à la prochaine hécatombe humaine. En resumé, être rat signifiait rester positif et malgré que l'on soit pour l' instant toujours dépendant des hommes.

Patience, endurance et adaptibilité semblaient être les grandes qualités chez les rats et étonnam-ment les mêmes que chez les hommes! pensait Ulrich d'un air étonné. De là à penser que les ho-mmes étaient des rats et vis-versa, il n' y avait qu'un pas! Peut-être que les rats sauveront un jour notre culture? se demandait-il étrangement en se levant de son tabouret et en observant tous ces volumes au dessus de sa tête, comme les derniers testaments de l'humanité. Il est vrai, modifiés, mais non moins inspirés en grande partie par le génie humain. Et quand tous les hommes auront disparu, les futures générations de rats sauront, grâce aux livres à leur disposition, que les hom-mes étaient passés sur la terre en leurs laissant de biens beaux monuments. Cette vision toute nouvelle de voir le monde, non moins apocalyptique pour les hommes, avait toutes les raisons d'exister un jour! pensa-t-il en regardant cette guerre en surface où les hommes s'entretuaient pour des raisons futiles de gloire et de pouvoir. Un jour, ce sera pour de bon et l'humanité perdra cette guerre contre elle-même et l'homme disparaîtra pour toujours. C'est ainsi que les civilisat-ions disparaissent! pensa-t-il en se laissant tomber sur son tabouret, comme épuisé par tous ces questionnements philosophiques.

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-Alors qu'est ce qu'on fait maintenant? lui demanda-telle en se tournant vers lui.

On va partir, dit-il avec le désir de remonter à la surface pour revoir la lumière du jour et malgré que les hommes soient toujours en guerre avec eux-même.

Ouf, il était temps, je commençais vraiment à me ronger les ongles! dit-elle épuisée de penser comme un rat où l'enfermement lui était devenu insupportable. Et compris subitement que pour être rat, il fallait supporter tout cela pendant des générations entières d'hommes et de femmes. Bref, un supplice qu'elle ne pouvait plus supporter une minute de plus! pensa-t-elle en prenant la main d'Ulrich et en l'entraînant vers la sortie du tunnel. Quelque peu surpris, il se laissa entraîner par cette dernière qui semblait connaitre le chemin du retour. En passant une seconde et dernière porte, où il était marqué sortie de secours, ils furent étonnés de voir disparaître comme par ma-gie leur déguisement d'opéra où Ulrich retrouva son vieux veston et son treillis militaire et Sim-one sa robe de jeune fille, il est vrai, un peu sale. Déçus l'un comme l'autre d'avoir retrouvé leu-rs vieux vêtements, ils comprirent soudainement qu'ils étaient revenus à la réalité et firent la tête en pénétrant dans un vieil hangar où des pneus et des carcasses de voitures encombraient les lieux. En montant sur le toit d'une des voitures, Ulrich aperçut un trou de lumière dans un mur. Ca y'est, Simone, on y est! Hourra! Hourra! lança-t-il en levant les bras. Entendant les cris de joie de son compagnon, elle lui tendit les bras afin qu'il l'aide à monter sur le toit de la voiture. Debout sur le toit et se cramponnant à l'un à l'autre pour ne pas tomber, ils furent émus de revoir la lumière du jour qui pendant un instant leur fit mal aux yeux. Mais ne pouvant plus retenir son émotion, elle embrassa Ulrich sur la bouche qui prit d'un désir fou, mais ne trouvant pas l'end-roit très approprié pour lui faire l'amour, l'aida à redescendre du toit pour lui demander de se coucher sur le capot de la voiture. Simone, le corps rempli de désirs et ne pouvant refuser cela à son jeune amant, se coucha sur le capot et retroussa sa robe.

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Ulrich, les yeux brillant de désirs, fut un peu déçu de ne pas voir la petite culotte rose qui l'avait tant excité la dernière fois et pensait qu'elle avait dû s'en débarrasser pour se sentir plus libre, plus disponible pour l'amour. Sentant son désir monter derrière sa braguette, il laissa tomber son pantalon sur ses rangers et sentit son membre s'allonger, puis se durcir telle une trique à la vue des cuisses écartées de Simone où celle-ci, les yeux mis clos, crut assister à un miracle de la na-ture. Car le membre d' Ulrich devint si énorme qu'elle se demandait comment il l'allait faire pour entrer en elle qui n'était qu'une petite fille de 13 ans et pas encore une femme? Mais celui-ci, fougueux comme un jeune taureau, pensait tout d'abord à son propre plaisir et d'un coup de butoir réussit à introduire son membre énorme dans son petit orifice qui, souple comme un voile de flanelle, sembla se déchirer. Prise par la douleur, elle lâcha un cri qui mit aussitôt Ulrich dans un état second, proche de la frénésie sexuelle, accentuant même le rythme de ses coups de butoir, comme pour s'assurer de la victoire finale. Simone, assommée par le plaisir et n'ayant plus la fo-rce de se cramponner au capot glissant de la voiture, s'abandonna entièrement à lui en la prenant par tous les cotés telle une petite marionnette désarticulée. Puis sentant sa semence brûlante tra-verser sa verge et inonder le sexe de Simone, il poussa un cri qui ressemblait étrangement à un cri de victoire où plaisir et récompense étaient intimement liés depuis la création du monde. Le front baigné de sueur et d'une fierté mâle, il avait alors le sentiment d'avoir accompli sa mission sur la terre qui était d'ensemencer les fleurs des champs sous l'oeil complice du grand maitre de la création, Dieu. Quant à Simone, elle avait le sentiment d'avoir été labourée par le soc puissant de la vie et qu'elle avait reçu entre les cuisses, la semence de l'humanité, bref, le destin du mo-nde, ce qui l'a mise aussitôt dans un état de bonheur quasiment inexprimable par les mots.

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Tout ceci était au dessus d'elle et l'acceptait tel quel. Ulrich, épuisé, par la bataille qu'il venait de livrer avec lui-même et son orgueil, se rhabilla quelque peu sonné, voir un peu saoulé par ce qu'il venait de réaliser. Celle-ci le regardait alors comme un dieu et Ulrich comme une déesse comblée. Tout ceci s'exprimait sans aucun mots seulement par l'intensité de leurs regards et de leurs gestes qui un peu maladroit essayaient de remettre leurs affaires en ordre. Où Smone, après avoir sauté du capot et posé les pieds sur le sol, réajusta sa robe suivi d'Ulrich qui remon-ta son pantalon et referma la boucle de son ceinturon avec le sentiment du devoir accompli.

-Je suis fatigué, je vais aller me reposer! dit-il en ouvrant la portière arrière de la voiture et en se jetant sur la banquette.

-Moi aussi, dit Simone, en ouvrant celle de devant et en se jetant sur les sièges dont le cuir était encore en bon état. Quelques heure plus tard, tout le hangar se trouva plongé dans l'obscurité où tous les deux semblaient rêver à des choses bien differentes. Ulrich pensait mécanique et rêvait de remettre en état l'auto : Demain, il faudra que je jette un coup d'oeil au moteur pour voir si je peux le faire repartir! pensa-t-il. Simone, quant à elle, rêvait de dénicher dans un coin du hangar une bicyclette bleue comme celle que son père lui avait offert pour son 11ème anniversaire. Et un sourire semblait se dessiner sur sa bouche. Mais ne rêvons pas trop, demain on verra! murm-ura-t-elle du bout des lèvres avant de  s'endormir profondément.

Le lendemain matin, alors qu'elle dormait paisiblement, elle fut réveillée brutalement par un bruit assourdissant de ferraille. Mon dieu, mais c'est quoi tout ce boucan? lança-t-elle énervée en se redressant sur son siège. A travers le parebrise, elle aperçut que le capot avant de la voi-ture était relevé et que quelqu'un était en train de bricoler en dessous. Alors qu'elle s'apprettait à sortir pour aller voir, elle vit soudainement la tête d' Ulrich apparaître et lui dire : Oh excuse-moi, Simone, de t'avoir réveillé! Mais il me faut absolument remettre en état cette auto si l'on veut partir d'ici!

-Mouhais..lâcha-t-elle en faisant la moue. Non qu'elle ne le croyait pas capable de le faire, mais bien pour l'impolitesse qu'il lui avait montré si tôt le matin. En sortant du véhicule, elle se dem-andait cureusement s'il avait encore ses dons de magiciens, comme ceux qui lui avait montré à l'intérieur du tunnel. Car à le voir tempêter contre lui-même et contre ce moteur qui ne voulait pas redémarrer, tout pensait à croire que tous ses dons s'étaient volatilisés en passant à nouveau dans la réalité, bref, dans ce hangar qui sentait désormais l'essence, le caoutchouc et la ferraille rouillée. Bref, ne voyant plus d'intérêts à le regarder travailler, elle partit vers le trou de lumière qui semblait l'attirer comme un papillon. En passant de l'autre côté, elle fut agréablement surpr-ise de se retrouver au miilieu d'une forêt où les bruits de la nature la submergèrent d'un bonheur presque irréel. Devant elle, un petit chemin parfumé, légèrement dessiné entre les fougères, sem-blait vouloir l'inviter à la promenade ainsi que de grands arbres surplombants prêts à la saluer sur son passage. Le chant des oiseaux, haut perché sur la cimes des arbres et le cri des bêtes réso-nnant au milieu de cette forêt, avaient comme le goût d'un paradis perdu. En contre-bas, une petite rivière coulait paisiblement en suivant les ondulations de ses rives chargées de cailloux et de terre fécondée. Simone, pénétrée par tout cet environnement merveilleux, se sentit à nouveau faire partie de la nature et non plus à celui des hommes qui, selon elle, l'avait trahi par cette gu-erre en la séparant de sa famille. La nature sans les hommes serait à mon avis une excellente ch-ose pour l'avenir du monde! pensa-t-elle en scrutant la cime des arbres d'où s'échappaient des ra-yons célestes. Quand tout à coup un de ces rayons tomba sur sa joue comme pour lui confirmer sa pensée et lui dire : Oui, Simone, tu as parfaitement raison de penser que les hommes sont une calamité pour la nature!

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Car Dieu en leur donnant du génie avait créé sans le savoir des monstres qui un jour lui volera-ient son pouvoir de créateur. Alors Dieu-tout-puissant, entendant ces paroles blasphématoires, les maudit sur le champ, non en agissant, mais en les laissant agir selon leurs vues. Et comme il l'avait prédit, les hécatombes humaines se succédèrent les unes après les autres, mais sans que l' humanité soit réduit au néant. Car sa grande idée ne fut jamais de cette extrémité là, mais plutôt de lui donner un nouveau départ afin qu'elle puisse retrouver les vraies valeurs du coeur qui sont celles du respect de la vie des autres et de la nature. Pour cela, IL ne se trompa jamais et l' humanité se ressaissit à chaque fois afin d'éviter sa destruction totale! C'est ni plus ni moins ce que disait Socrate à ses contemporains pour calmer leur soif de sang : Au bout du compte, c'est toujours le bien qui gagne, car on ne peut pas être méchant tout le temps, n'est-ce pas? Décidém-ent, Dieu avait pensé à tout même aux cas extrêmes. Mais ce qui le démangeait toujours, c'était d'avoir donné à l'homme trop de genie et surtout cet amour immodéré pour la gloire qui le ren-dait très dangereux pour ses semblables. La prochaine fois que je le recréerai, je lui mettrai un cerveau plus petit. Sûrement celui d'une brebis afin qu'il me suive comme un berger! pensait Di-eu, le front plein de sages résolutions.

Simone, après avoir écouté Dieu à travers la nature, se coucha dans l'herbe et sentit tout à coup les forces telluriques de la terre la traverser des pieds à la tête : où un sentiment de bien être l' envahi comme raffermissant son corps et ses pensées. Ici, aucun bruit de la guerre ne lui parv-enait, seuls les bruits harmonieux de la nature envahissaient son esprit et la consolaient de tou-tes ses souffrances passées ou sa mémoire sembla se vider tel un ballon de baudruche et se rem-plir d'un air parfumé de fleurs. Soudainement, une brise lègère se leva et lui caressa le visage telle une main de fée. Agréablement surprise, elle ouvrit les yeux et vit apparaitre sous la cîme d'un arbre, un spectre recouvert d'un voile d'une éclatante blancheur ressemblant étrangement aux traits de sa mère! Oh maman! cria-t-elle en se levant et en se precipitant vers celui-ci où, arrivant en dessous, elle s'aperçut que le spectre avait malheureusement disparu! Les larmes aux yeux, elle ne put s'empêcher alors de serrer fortement le tronc d'arbre entre ses bras, comme pour essayer de retenir l'esprit d'une mère qui lui était apparu incidemment. Mais qu'a-t-elle voulu me dire exactement? se demanda-t-elle prise d'un doute affreux. Est-ce la mort qui était venue me voir ou bien tout au contraire la vie qui se poursuivait ailleurs? Où peut- être avait-elle été tout simplement libérée avec le reste de ma famille et que tous attendaient mon retour? insista-t-elle d'une manière poignante, le coeur plein d'espoir. Emue par cette pensée, elle sécha ses larmes et remonta vers le hangar. Alors qu'elle s'en approchait, elle entendit soudainement un vrombissement de moteur, ce qui ne la rassura aucunement craignant qu'ils soient toujours enfermés dans leur rêve où Ulrich avait apparemment retrouvé ses dons de magicien et elle- même entendu Dieu lui parler de ses ambitions secrètes!  

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Et ma mère en spectre, quelle horreur! lança-t-elle en levant les yeux vers le ciel. En pénétrant dans le hangar, elle cria à Ulrich : Arrêtes, arrêtes, ça ne sert a rien, car on ne pourra pas s'en ser-vir! Comment? lui répliqua-t-il surpris par ce ton de commandeur. Mais qu' est-ce tu racontes là, ma petite? lui dit-il d'un ton presque méprisant. Mais on est en pleine forêt et un véhicule ne pourra jamais passer à travers. Comment en pleine foret? Oui, en pleine forêt, je te dis. Ca me parait étrange que tu me dises ceci. Car hier soir, quand je suis sorti, j'ai vu une route goudro-nnée juste en face. Peut-être, mais aujourd'hui il en ait autrement. Oh merde alors! lâcha-t-il en se précipitant vers l'extérieur. Simone, qui le regardait fulminer de colère, ne le suivit point, mais attendit son retour afin de clarifier la situation avec lui. Mais ne le voyant pas revenir, elle décida de faire un tour au fond du hangar où tout un bric à brac d'objets semblait comme l'in-terpeller. Dans un coin, derrière un tas de bidons d'huile, elle aperçut un vélo, puis un deuxième! Mon dieu, ce à quoi j'avais rêvé la nuit dernière! lança-telle surprise par cette heureuse décou-verte. En jetant un coup d'oeil rapide dessus, elle constata qu'ils étaient tous les deux en exce-llent état, mais méritaient un bon coup de toilette tellement la poussière s'était déposée dessus. En entendant Ulrich rentrer dans le hangar, elle lui cria : Ulrich, viens par ici, j'ai découvert un trésor! Un trésor, mais qu'est-ce quelle raconte encore là, cette gamine? grogna-t-il en se precipi-tant vers elle. Arrivé devant les deux vélos crass- eux, il éclata soudainement de rires, Ah!AhAh! et lui dit : Si c'est ça ton trésor, tu peux le garder! Moi je partirai d'ici avec mon auto, sinon rien! Mais qu'est-ce tu racontes là, ma vieille chouette? lui lança-t-elle à la figure tellement elle se sentit humiliée par son attitude.

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Ok, dit-elle, si tu veux prendre ton auto, je ne t'en empêcherais pas. Mais on verra bien qui aura raison! Je fais le pari! dit Ulrich, Ok, top là! jura-t-elle en lui tapant dans la main. Puis elle prit un des vélos et l'entraîna dehors près de la rivière. En jetant un peu d'eau sur le cadre, elle s'ape-rçut qu'il ressemblait étrangement à celui que son père lui avait offert pour son 11 ème anniv-ersaire en étant de couleur bleue, mais comportait deux sacoches que le sien n'avait pas. Alors qu'elle était en train de l'astiquer avec un grand soin, elle entendit soudainement un bruit assou-rdissant de coups d'accélérateurs et de boites de vitesse lui parvenir d'en haut et comprit qu' Ulrich avait réussi à réparer l'auto et essayait maintenant de se frayer un chemin à travers la for-êt. Assommée par ce bruit mécanque, elle comprit iimmédiatement que celui-ci représentait l'ho-rrible combat entre la machine et la nature où Ulrich était la machine et les arbres de la forêt les défenseurs de cette nature secrète, création de Dieu. Et avec l'acharnement qu'il semblait déplo-yer pour essayer de se frayer un passage à travers celle-ci, elle le trouvait complètement ridicule. Pas Don Quichottesque( comme notre celèbre héros espagnol qui essayait en vain de se battre contre les moulins, ceux des hommes), mais de ridiculement honteux pour l'homme en voulant s'emparer de la nature en vue de la modeler à sa façon. Où ne croyant plus aux esprits de la forêt, il voulait abs-olument la transformer en réserve de bois ou en terrain de chasse pour la battue des sangliers et des cerfs. Et en la désacralisant, il s'en faisait ni plus ni moins le maitre! Dieu eut alors le sentiment d'être dépossédé de ses pouvoirs divins, ceux de la creation. Et l'idée d'une solution finale pour les hommes lui frôla un jour l'esprit, quand il constata que l'homme était décidément irrécupérable. Car même racheté, il continuait dans son erreur à vouloir tout détruire sur la terre, qui pourtant était un paradis!

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Mais étrangement, il rejeta cette idée parce que les animaux qu'il avait créé avant les hommes ne le satisfaisaient pas entièrement. Car ces derniers, bien que parfaits pour vivre en harmonie avec la nature, avaient le gros défaut de ne pas glorifier sa puissance, mais seulement idolâtrer ce sol-eil qui lui prodiguait de la chaleur et de la lumière pour son bien-être. Bref, déçu d'être considéré comme un simple lampe à bronzer et à éclairer, Dieu eut alors l'idée de créer l'homme afin que celui-ci puisse le glorifier et l'honorer par des prières visibles du ciel. Et pour cela, il lui donna le verbe et l'imagination. Mais étrangement l'homme en usa autrement en fabriquant des légendes et des mythes qu'il peupla aussitôt de dieux et de demi-dieux représentés par des idoles afin de pouvoir les manipuler à son grés. Dieu remarquait ici, pour la première fois, la perversion des hommes à vouloir s'accaparer de son pouvoir, bref, de ne pas reconnaître en lui le maitre de la création, mais uniquement une nébuleuse sans grand rapport avec la réalité. Dieu, désabusé, les laissa donc s'entretuer, puisque ces derniers le voulurent bien. Ceci dura plusieurs millénaires, quand arriva sans prévenir un personnage que Dieu lui-même n'avait pas prévu, puisque Dieu n'était pas un homme ni une femme, mais une entité supérieure spirituelle qui dominait la mati-ère au point de pouvoir la créer par simple volonté. Cet homme s'appelait Jesus-Christ et étrang-ement ne déplut point à Dieu. Car celui-ci rentrait parfaitement dans ses plans de restaurer ses pou-voirs sur la Terre. C'est à dire de faire comprendre aux hommes qu'ils devaient le craindre pour ne pas tomber à nouveau dans le piège du feu et du sang!

Mais Jésus-Chris fit l'erreur de ne parler aux hommes que de paradis et de miracles en se faisant passer pour le fils de Dieu! Ce que Dieu prit comme un sacrilège, car il n'était point un homme, mais une entité supérieure spirituelle qui n'avait jamais promis de miracles aux hommes, comme de redonner la vue à un aveugle ou bien refaire marcher un paralytique! Mais seulement de leur faire comprendre que le miracle se trouvait là sous leurs yeux dans ces mers remplies de poiss-ons et dans ces forêts peuplées d'animaux qu'il avait créés afin qu'ils puissent se nourrir jusqu'à la fin des temps. Et pour compléter ce paradis, il avait dressé au dessus de leurs têtes, un ciel d' une immense beauté afin qu'ils puissent chasser de leurs esprits toutes les idées noires. Bref, Dieu, un peu naïvement, avait pensé que l'homme fut assez intelligent pour le voir. Mais ce der-nier avait, semble-t-il, jeté son dévolu ailleurs sur de vils intérêts comme sur l'argent et le pou-voir. Pourtant Jésus-Chris l'avait bien dénoncé, mais s'y était pris très mal en se faisant passer pour le fils de Dieu en rabaissant Dieu au niveau des hommes, ce qu'il prit comme un blasphè-me envers sa puissance en étant point homme, mais maitre de l'univers. Dieu scella donc son sort en l'abandonnant aux mains des hommes qui le crucifièrent. Quant à sa résurrection à laquelle les chrétiens crurent pendant longtemps (afin de prouver au monde entier qu'il était le fils de Di-eu), malheureusement, Dieu ne la réalisa point. Non par punition, mais seulement parce qu'il n' en avait pas le pouvoir. Parce que ressusciter un mort n'avait pour lui aucun sens, alors que sauver son âme pour en faire quelque chose de supérieure, voilà où se trouvait ses nobles ambi-tions! Et comme disait si bien Socrate, rien ne se perd, mais tout se transforme! Bref, où ressu-sciter un mort ressemblait étrangement à de la publicité mensongère pour vendre du bon dieu à l' étalage ou bien comme le mythe de Frankenstein, Ah!Ah!Ah!

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Bon dieu, expression faussement employée pour parler de lui, car il est ni bon ni méchant, mais généreux dans tous ses principes aussi bien à créer la vie qu'à la détruire afin de parfaire sa créa-tion. Jésus-Christ avait senti sans nul doute le dessein de Dieu (comme beaucoup d'autres illum-inés), mais il avait commis trop d'erreurs pour que l'on puisse considérer sa religion, comme la vraie religion de Dieu. Car né juif, il avait le défaut de sa communauté d'inventer un commerce( pas forcément d'argent) à partir d'une idée( pour notre cas, celui des âmes). Et c'est ce défaut qu' on percevait très bien en lisant la bible où les images voulaient nous séduire afin de nous pro-poser du bon dieu comme du bon pain enfin accessible par nous tous. Miracles, paradis, le bon dieu miséricordieux, voilà le film en cinémascope que Jésus-Christ avait souhaité nous montrer où lui-même aurait eu le premier rôle et Dieu le second. Malheureusement, son film se termina pour lui en film d'horreur où il se vit crucifier sur grand écran en couleur. Le monde entier assi-sta bien évidemment à cette dernière séance et fut convaincu qu'il méritait l'oscar du meilleur acteur. On le lui donna et ainsi naquit la légende de Jesus-Christ ou de l'homme qui se prit pour le fils Dieu. Sa légende existe toujours aujourd'hui et elle est entretenue par des hommes qui habitent le Vatican et en font un véritable commerce. Il parait que cela leur rapporte des millia-rds d'euros grâce aux dons des gens qui veulent absolument aller au paradis après leur mort. Il parait même que le Vatican leur procure un certificat d'accession directe au paradis quand ils auront éffectué le virement bancaire! Si ce n'est pas un miracle, alors dites-moi ce que c'est exa-ctement? Ah!Ah!Ah! Personnellement, je ne pense pas que Dieu loge au Vatican, tel est le senti-ment que j'éprouve au fond de moi sur l'existence de Dieu! Ainsi va la vie et moi qui sens aux fond de mes entrailles tous mes organes s'agiter pour ne pas mourir, seul mon coeur aspire à la vie éternelle et à cette vie dont parle les légendes. Mais ces légendes sont-elles vraies ou fauss-es? En fait, je n'en sais rien. Et pour vous dire toute la vérité, je me sens comme un petit insecte qui avant la nuit tombée cherche à s'abriter. Cela veut-il dire pour autant que l'obscurité me fait peur ou bien que mon instinct me guide au bon endroit pour y chercher ma couche? A ma mort, un chemin se dressera devant moi et je l'emprunterai sans me poser de questions. Voilà ma vi-sion de Dieu où nul besoin du certificat de bonne conduite des Hommes pour aller au paradis!

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Après l'échec de Jésus-Christ, un homme intègre arriva : il s'appelait Mahomet et ne se prenait pas pour le fils de Dieu, mais seulement pour son prophète, ce que Dieu considéra comme une marque de grande honnêteté. Mais ce que Dieu apprécia tout particulièrèment chez Mahomet, ce fut sa combativité par rapport à Jésus-Christ qu'il considérait comme quelqu'un d'un peu trop intellectuel, voir un peu mou pour rétablir ses pouvoirs sur la terre. Alors qu'avec Mahomet, il emploierait la force pour dompter les infidèles et les idolâtres. Dieu avait enfin trouvé son hom-me providentiel pour rétablir son royaume sur la Terre et l'aiderait en première tache à recon-quérir l'Arabie heureuse, tel était le premier voeux de Mahomet, puis de conquérir d'autres regi-ons et de nouveaux continents où les idoles païennes seraient renversées. Et pour effectuer cette mission d'ordre divin, Dieu le protégera à maintes reprises aussi bien contre ses assaillants lors des combats que contre ces vaines tentatives d'assassinats qu'il sut déjouer afin qu'il puisse assi-ster de son vivant au triomphe de l'unique et vraie religion de Dieu : l'Islam. Dieu réalisa ce rêve et fit de Mahomet le plus grand prophète de tous les temps. Et si dieu put réaliser tout cela grâ-ce à lui, ce fut dans le seul but de faire comprendre aux hommes que l'Islam, étant la dernière religion révélée, était aussi la plus proche de l'esprit de Dieu à laquelle ils pouvaient faire une entière confiance pour y établir le paradis sur Terre. Car contrairement à ce que les chrétiens cro-yaient, que le paradis fut au ciel, Mahomet pensait plutôt que le paradis était réalisable ici bas. Parce que Dieu avait mis entre les mains des hommes tous les matériaux nécessaires à sa réalisa-tion en leur donnant une religion, l'Islam. C'est à dire une maison où désormais les lois du Coran organiseraient la vie des hommes aussi bien en matière de justice que d'économie où des sent-ences seraient appropriées à la hauteur des crimes commis ainsi que des prêts sans intérêts, etc, c'est à dire une société se voulant juste, mais implacable comme la justice de Dieu.

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Et qu'une personne naisse riche ou le devienne, on ne devait pas convoiter sa richesse ni la su-specter de vol, mais que celle-ci devait pratiquer l'aumône envers les plus pauvres, ce qui mon-trait bien que Mahomet ne destinait pas seulement le paradis aux pauvres, mais aussi aux riches. Comme Luther qui, plusieurs siècles plus tard, l'exigera auprès du pape Leon 10, mais que ce dernier excommuniera pour hérésie. Tout ceci nous montrait bien que Mahomet fut en avance sur son temps et surtout sur le christianisme qui était encore une religion pleines d'archaïsmes et d'idolâtries, non avouées. Mahomet, on peut le dire, était un moderne en matière de religion et de spiritualité. Car il se refusait de donner une représentation de Dieu par une image( à l'enc-ontre des chrétiens) pour en faire une religion universelle et beaucoup plus puissance que la ch-rétienne : où Dieu n'était pas un homme blanc occidental, mais une entité hautement spirituelle qui n'était point accessible par l'imagination, mais uniquement par le sentiment profond qu'on éprouvait pour lui en chassant de notre coeur toute crainte de mourir. Celle-ci s'appelait la foi et qu'on employait pour toutes le religions du globe, n'est-ce pas? C'est comme si Mahomet avait voulu virtualiser l'esprit de Dieu, afin que l'Islam devienne une religion intemporelle qui puisse séduire les sociètés les plus matérialistes qui soient, comme l'occidentale qui s'était jetée sur le corps du Christ comme sur une idole. Mahomet ne se moqua jamais de son prédecesseur, Jésus-Christ qui avait échoué dans sa mission de rétablir les lois de Dieu sur la Terre. Car il savait que l'Islam était le parachèvement final de la religion juive et chrétienne, tel que Dieu l' avait souhaité. Grâce à lui et à ses victoires sur les infidèles, l'Islam se répandit à une vitesse grand V sur ces régions peuplées en grande partie par des orientaux, mais aussi par des occide-ntaux (en faible nombre) comme en Espagne, en France, des pyrénées jusqu'a Poitiers.

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L'Islam qui était alors à son apogée eut bizarrement peu de sucées auprès des européens qui adoptérènt plutôt la religion chrétienne pour des raisons esthétiques et culturelles. Car l'Europe en ces temps là, au moyen-âge, avait des mœurs très grossières qui lui empêchait de saisir et de sentir tout le raffinement que l'Islam pouvait lui apporter en matière de mœurs et de spiritua-lité. Bref, l'esprit occidental, froid et matérialiste, avait besoin pour croire en Dieu d'une image forte et symbolique pouvant frapper son imgination à l'encontre des musulmans qui avait exclu toute image pouvant représenter Dieu. Les occidentaux, dépourvus de sens pour saisir Dieu, choisirent alors l'image du Christ crucifié sur sa croix pour se rapprocher de lui, mais sans s'ap-ercevoir qu'ils allaient en faire une idole, c'est à dire une idole que Mahomet combattait lui- même! Les chrétiens étaient donc pour lui dans l'erreur et continuaient à semer la désolation sur la Terre, puisque les idoles étaient des objets auxquels on pouvait faire dire tout ce qu'on voul-ait! Ainsi naquit la guerre entre l'Orient et l'Occident entre les chrétiens et les musulmans qui dure encore de nos jours. Les juifs, que Mahomet nommaient de perfides, se rangèrent aussitôt du côté des matérialistes qu'on appelle les occidentaux pour protéger leurs intérêts. Et pour co-mpléter ce tableau bien sombre, Mahomet finit par mourir empoisonné suite à un repas pris après sa victoire sur Kaïbar : une place forte tenue par les juifs où Zainab, dont le frère Mahrab avait été tué par Ali, dit le lion, se vengea en empoisonnant le mouton grillé qu'elle lui servit. Mahomet, qui en avait mis un morceau dans sa bouche et sentant comme un goût étrange, s' écria : Mon dieu, mes amis, recrachez tout ce vous avez dans la bouche, ce mouton est empois-onné! Malheureusement ceux qui en avaient avalé moururent. Ainsi commença cette longue histoire de haine entre les musulmans et les juifs qui, alliés des occidentaux, feront tout pour créer au milieu des nations Arabes leur terre promise : Israel, bref, une pure folie!

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Simone, surprise de n'entendre plus aucun bruit, commençait vraiment à s'inquiéter et se deman-dait si Ulrich avait eu un accident ou bien réussi à se frayer un chemin à travers la forêt et donc gagner son pari? Mais lui connaissant plus d'un tour dans son sac, elle préféra attendre couchée dans l'herbe près de son vélo qui finissait de sécher au soleil. Et puis orgueilleux comme il est, il va tout faire pour retarder la connaissance de sa défaite, Ah!Ah!Ah! ria-t-elle sûre de sa vic-toire. De toute façon traverser cette forêt relève de l'exploit où les arbres sont gros comme des baobabs ainsi que la flore épaisse comme une jungle équatoriale en sachant mon pari gagné d' avance. Alors qu'elle savourait sa victoire, elle entendit un bruit de chaîne de vélo se rappro-cher d'elle, puis ouvrant soudainement les yeux, elle vit Ulrich la mine déconfite et les vêtem-ents tachés de sang comme par un accident! Simone, je m'avoue vaincu, tu as gagné ton pari! lui dit-il le souffle coupé en se jetant dans l'herbe. Celle-ci ne lui dit rien, mais le regardait comme une bête curieuse qui s'était prise à son propre jeu, à celui du libre arbitre, mais qui avait été vaincu par des forces qui le dépassaient de très loin, c'est à dire aux forces de la nature. Lave- ton vélo! lui dit-elle d'un ton autoritaire, car on a encore beaucoup de chemin à faire. Ulrich, sans broncher, se leva et porta son vélo jusqu'aux eaux de la rivière où il découvrit qu'il était de couleur jaune et équipé de deux sacoches à l'arrière, comme celui de Simone. Après qu'il ait fini de le nettoyer avec soin, il le posa sur la berge et partit s'allonger à côté de son mentor. Quel-ques instant plus tard, la nuit tomba sur eux et ils s'endomirent comme deux enfants, la tête plei-ne de rêves.

Le lendemain matin

Simone, en se levant, remarqua que son vélo ainsi que celui d'Ulrich avaient été déplacés durant la nuit et se trouvaient maintenant appuyés contre un arbre près de la rivière.

-Oh, Ulrich, réveille-toi!

-Euh, euh, mais qu'est-ce qu'il y a ? lui demanda-t-il à moitié dans les vaps.

-Les velos! Les vélos!

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-Mais quoi, qu'est qu'ils ont les vélos?

-Mais ils ont bougé de place durant la nuit!

-Mais qu'est ce qu tu racontes là, ma petite?

-Mais regarde toi-même! lui dit-elle en lui donnant une petite tape.

Ulrich, en se retournant, vit bel et bien que leurs deux vélos étaient appuyés contre l'arbre près de la rivière.

-Oh mon dieu, c'est pas vrai! dit-il d'un air ahuri.

-Allons voir de plus près, dit-elle avec l'impression de rêver ou du moins de ne pas être sortit du rêve où son compagnon semblait en être l'énigme

En s'approchant des vélos, elle s'aperçut que leurs sacoches étaient gonflées anormalement. Avec toute la prudence du monde qu'on lui connaissait, elle ouvrit l'une d'elles appartenant à son vélo et vit apparaître à sa grande surprise des victailles en quantité impressionnante! Puis plongeant sa main a l'intérieur, elle sortit un poulet rôti qui était encore dans son papier d'emballage, puis un gigot d'agneau, puis une énorme cuisse de dinde, puis des fruits composés de pommes, de pêches et de raisins et enfin tout au fond de la sacoche, une couronne de pain!

-Chouette, lança Ulrich d'un air jubilatoire, on va pouvoir déjeuner ce matin.

Simone, qui n'en croyait pas ses yeux, le regardait alors avec plein suspicion.

-Euh, Ulrich, c'est pas toi qui?

-Qui quoi? lui répliqua-t-il d'un air un peu agaçé.

-Eh ben qui les aurais mises durant la nuit?

-Ah!Ah!Ah! ria-t-il, mais Simone c'est impossible, j'ai dormi toute la nuit. Et puis où aurais-je pu trouver toutes ces choses délicieuses, dans ma poche peut-être? lui dit-il d'un air qui sem-blait sincère.

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-D'accord, cette fois je veux bien te croire..

-Mais avant cela, j'aimerais savoir ce que la tienne contient.

-Pas de problème! lui dit-il en se dépêchant de l'ouvrir.

Plongeant sa main à l'intérieur, il sortit une énorme cuisse de jambon, puis tout un chapelet de saucisses fumées accompagné de pommes de terres, puis des fruits secs, deux bouteilles de Bou-rgogne et une bouteille de whisky écossais et enfin un gros pain de campagne.

-Oh mon dieu, mais c'est un vrai miracle! s'exclama-t-il en mordant dans l'une des saucisses.

-Oui, c'est ce que je pensais, c'est un vrai miracle! dit-elle en le dévisageant.

-Allez Simone, ne pinaillons pas comme ça et déjeunons, dit-il en posant une nappe sur l'herbe sur laquelle ils déposèrent les mets que chacun avaient choisis. Simone avait choisi un morceau de poulet rôti accompagné de pommes de terre et Ulrich des saucisses fumées arrosées avec du Bourgogne( mais sans rien lui dire sur la nappe fleurie qu'il avait sortie comme de sa poche!). Et en le regardant engloutir une bouteille de Bourgogne à lui tout seul, elle pensait véritablement qu'elle n'était pas encore sortie de son rêve. Mais quand va-t-on bien pouvoir sortir de ce cauch-emar? semblait-t-elle supplier.

-Et tu comptes aller où après? lui demanda subitement Ulrich.

-Après avoir franchi la forêt? 

-Oui, bien sûr, lança-t-il avec aplomb.

-Eh ben, je compte aller à Paris pour rencontrer les écrivains.

-Oh en voila un beau projet! dit-il en la regardant avec une sorte de curiosité et d'admiration non dissimulée.

-Et pour te dire la vérité, c'est la grande bibliothèque qui m'en a donné l'envie.

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-Mais dans quel but exactement? insista-t-il en fronçant les sourcils.

-Afin de pouvoir sortir de mon cauchemar! lui expédia-t-elle sans la moindre hesitation.

-Mais de quel cauchemar veux-tu parler, Simone? Franchement, je ne te comprends pas. Tu ma-nges à ta faim et tu m'as comme compagnon, mais que désires-tu de plus?

-Je ne parlais pas de ça! Mais j'ai l'impression de ne pas vivre en ce moment dans le réel et que tout cela ressemble à un rêve.

-A un rêve et tu t'en plains? Alors là, ma pauvre Simone, tu perds complètement les pédales! lan-ça-t-il brutalement en se prenant la tête entre les mains.

-Oui, mais comprends bien que mes parents ne sont pas là pour partager mon bonheur, le compr-ends-tu?

-Mais oui, je peux bien le comprendre. Mais pensons tout d'abord à nous, car qu'en savons-nous où ils se trouvent en ce moment? Peut-être sont-ils déjà morts ou disparus? Mais pourquoi vivre dans le passé, alors que l'avenir nous tend ses bras vigoureux?

-Oh non, Ulrich ne dit pas ça, car je ne veux pas y croire! lança-t-elle d'une façon désespérée

-Et je suppose que c'est pour cette raison que tu veux rencontrer les écrivains pour qu'ils écri-vent la suite de ton cauchemar où tu pourras retrouver tes parents sains et saufs?

-Oui, je te l'avoue, dit-elle les yeux troublés par ses larmes.

-Noble projet, mais c'est impossible à réaliser! lança-t-il brutalement.

-Comment? lui répliqua-t-elle d'un air furieux.

-Parce que le réel est compris dans le rêve, ma petite Simone.

-Comment le réel est compris dans le rêve? lui demanda-t-elle rageusement.

-Je voulais te dire que la réalité dans laquelle nous vivons actuellement a été un jour rêvé par des hommes, mais que celle-ci sera un jour detruite par d'autres qui auront rêvé d'une autre réalité plus en adéquation avec leurs idées et leurs folies. Et si tu as rêvé de me rencontrer en rêve, Si-mone, cela veut dire que je suis bien réel pour toi. Je suis désolé de te le dire, mais tu es main-tenant prisonnière de ton propre rêve! lui dit Ulrich d'un façon expéditive. L'amour en rêve est une chose possible, mais quand à ressusciter ses parents, cette chose me parait impossible!

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-Oh le salaud! lui lança-t-elle à la figure. Tu n'est qu'un salaud qui ne pense qu'à son petit plaisir égoïste! Tu es bien un homme, un goujat de première espèce!

-Ah!Ah!Ah! ria Ulrich, mais ne t'énerves pas comme ça, Simone. Mais c'est toi qui m'a rêvé ain-si, beau, viril et un caractère de cochon.

-Pour un caractère de cochon, alors ça non. Je t'avais rêvé plutôt doux et compréhensif.

-Alors là, tu prenais tes désirs pour des réalités, car l'homme est mauvais par nature, l'aurais-tu oublié?

-Bien sûr que non, puisque tu m'en fais la preuve en ce moment, vieux bouc!

Mais comprends bien que ça ne m'empêchera pas de rencontrer mes écrivains. Car je suis convai-ncu, bien au contraire, qu'en étant les maitres de l'imaginaire, ils pourront me sortir de ce cauch-emar et toi avec qui commence vraiment à me casser les pieds!

-A te casser les pieds? Mais c'est toi qui l'a voulu!

-Comment je l'ai voulu?

-Oui, parce que si j'avais été parfait, tu m'aurais jeté comme une vieille chaussette.

-Mais pourquoi donc?

-Parce que l'homme parfait n'a plus de désirs charnels, mais uniquement spirituels au point de nier sa propre existence afin de devenir un pur esprit donc insensible à la souffrance de la chair.

-Mais c'est fou, ce truc! dit-elle en n'arrivant pas à comprendre pourquoi des hommes avaient souhaitè fuir la vie pour vivre en apesanteur. Oui, j'arrive un peu à le comprendre, mais n'em-pêche que tu aurais pu faire un effort pour m'être plus agréable, lança-t-elle comme une pique.

-C'est bon, c'est bon, dit-il en voulant finir avec ce sujet. Une dernière chose, Simone, mais a tu pensé aux mauvais écrivains que tu pourrais rencontrer à Paris? Car ils sont en si grand nombre  qu'ils pourraient bien faire de ton rêve un nouveau cauchemar et uniquement pour des ambitio-ns littéraires? 

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-Oui, bien sûr que j'y ai pensé. Et je les choisirais, non en fonction de leur succès en librairie, mais uniquement en fonction de leur honnêteté intellectuelle.

-C'est bien, mais sois conscient qu'ils sont en très faible nombre ces écrivains, dit-il pour la me-ttre en garde.

-Oui, je le sais bien. Mais il doit en exister tout de même! lança-t-elle en croyant a sa bonne éto-ile.

Et si Uulrich l'avait mise en garde contre ces mauvais écrivains, c'est parce qu'il croyait à la vraie littérature, non commerciale, mais à celle qui recherchait la vérité. Car la plupart des écrivains avaient commencé à écrire, non pour cette sacro-sainte recherche de la vérité, mais uniquement pour pouvoir se payer leur premier appartement, Ah!Ah!Ah! Bref, pour des raisons qu'on pourr-ait designer de tout à fait réalistes et respectables, mais qui manquaient un peu d'envolées, voires d'ambitions intellectuelles et littéraires, n'est-ce pas? Mais ce qu'ils ne savaient pas, ces écrivains très pragmatiques, c'est que leurs motivations cachées se verraient un jour dans leurs oeuvres, comme le nez sur la figure en étant soumise à ce démon invisible qu'on appelle le temps. Une oeuvre dure si elle est de qualité, sinon elle meurt. Désolé de le dire, mais un bestseller n' est pas un chef d'oeuvre, mais un empilement de situations stéréotypées, dialogues compris afin que le lecteur puisse y retrouver ses petits : le bien d'un côté, le mal de l'autre, le heros toujours gagn-ant et le méchant mis en prison ou abattu à la fin de l'histoire, bref, où la morale sera une nou-velle fois sauvée! Ulrich n'a jamais été contre cela, bien au contraire, mais il leur reprochait d'en faire un vrai fond de commerce au point d'oublier de se demander où se trouvait réellement la vérité : les méchants étaient-ils vraiment les méchants dans l'histoire et les bons ceux qu'on dev-ait absolument défendre pour sauver l'humanité? Malheureusement, ils ne s'aventuraient jamais sur ces pentes glissantes afin de ne pas se mettre à dos le public qui le sanctionnnerait aussitôt en achetant pas leurs livres. Pourtant, il aimait beaucoup les écrivains et les critiquer lui faisait réellement mal au coeur. Mais il y était obligé, car il souhaitait que Simone trouve le bon afin qu'il puisse la sortir de son cauchemar.

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Il lui fallait donc un grand écrivain qui ne soit pas omnubilé par sa réussite personnelle et par l' argent, mais motivé seulement par la vérité, ce qui ne sera pas une chose facile à trouver à Paris, pensa-t-il, vu la mégalomanie de la ville et de ses habitants.

-Mais pourquoi n'irais-tu pas le chercher en province ton grand écrivain? lui demanda-t- il subitement.

-En province, mais pourquoi donc?

-Parce là bas, je pense, qu'ils sont plus honnêtes que dans la capitale, non?

-Oh oui, c'est certain, vu la vie simple qu'ils mènent là bas au milieu des champs et des troupea-ux de bovins. Mais à vrai dire, les provinciaux ne m'intéressent pas trop, parce qu'il leur manque cette envergure qu'on les grands écrivains vivant à Paris qui semblent regarder l'Histoire par le haut et non en province où on la regarde par le bas.

-Que veux-tu dire par la?

-Je veux dire que le grand écrivain fait le choix délibéré de vivre au milieu de la canaille littér-aire, politique, journalistique (car la voyoucratie exite dans tous les milieux) afin de savoir où se cache la vérité. Alors que l'écrivain provincial, qui vit protégé dans sa campagne, mais que peut-il nous apprendre de nouveau?

-Rien! répondit séchement Ulrich qui semblait un peu désabusé par les conclusions de Simone. Mais ne s'avouant pas vaincu, il lui répliqua : Oui, mais n'empêche que la fraîcheur de leurs sen-timents, parait-il, met beaucoup du baume au cœur auprès des citadins et surtout auprès des gra-tte-papier professionnels, non?

-Oh oui, c'est sûr. Mais moi, ce n'est pas de la fraîcheur dont j'ai besoin pour sortir de mon cauc-hemar, mais d'un véritable bouleversement littéraire.

-Que veux-tu dire par la?

-Je veux dire que seul le grand écrivain est capable de changer l'Histoire et de l'incliner dans un sens ou dans un autre.

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-Et bien sûr ton histoire personnelle avec?

-Oui, forcement.

-Et pourquoi ne tenterais-tu pas plutôt du côté des essayistes qui ont pas mal d'idées dans ce domaine, non?

-Non, Ulrich, car je ne veux pas que ma vie devienne un terrain d'experimentations ideologiques pour ces gens là. Moi, je veux du sûr..

-Donc, à ce que j'ai compris, tu voudrais trouver un grand écrivain pouvant aussi bien manipuler l'Histoire que les événement actuels, hum?

-Oui, tu m'as très bien compris.

-En fait, c'est un génie que tu cherches!

-Oui, car lui seul peut arrêter la guerre, libérer les prisonniers des camps de la mort et me faire retrouver mes parents sains et saufs!

-Eh ben, je te souhaite bonne chance! lui-dit-il pour l'encourager.

-Je te remercie Ulrich, car je suis convaincu que la vérité de demain se decide aujourd'hui et qu'elle n'est aucunement la suite hasardeuse de l'Histoire.

Ulrich, ébranlé par cette phrase dite de la plus simple façon du monde, comprit soudainement que Simone avait entièrement raison et malgré les treize années qu'elle affichait sur son visage. La profondeur des sentiments n'était aucunement une question d'âge, mais une question d'intelli-gence. Avec le sentiment d'être son double masculin incarné par la partie virile de son esprit qu' elle avait créée afin de survivre à l'horreur. Apparemment, elle lui avait donné des dons de magi-cien et surtout cette faculté de s'entretenir avec elle durant ses longues heures de solitude. C'ést elle, le génie, pensa-il en la fixant du regard. Et le dieu Rat pouvait bien disparaître maintenant que j'avais trouvé ma déesse, la maîtresse de mes jours, reconnaissait-il en retenant ses larmes.

-Et toi qu'est-ce que comptes tu faire après? lui demanda-t-elle subitement.

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-Moi? dit-il en faisant l'étonné, comme pour éluder la question.

-Oui, toi.

Soudainement, il comprit que Simone voulait l'abandonner pour des raisons tout à fait légitim-es. Car lorsqu'ils sortiraient de la forêt, ce serait la fin du rêve pour lui et la fin du cauchemar pour elle. Et il ne pouvait pas être contre cela, pensa-t-il dépité. Mais ne voulant pas lui montrer sa deception, il lui dit : Je compte retourner chez mes parents et reprendre la suite de la ferme. Et comme ils se font vieux maintenant, je pense que des bras supplémentaires seront toujours les bienvenus, n'est-ce pas? Elle ne lui répondit pas, mais lui sourit, comme si elle avait attendu cet-te réponse si pleine de bon sens venant de sa part. J'espère que tu réussiras! lui dit-elle en se sai-sissant de sa main. Mais Ulrich, décontenancé, resta muet et regardait au loin comme on regarde la fin du voyage arriver.

-Et si on y allait maintenant? dit-elle en se levant pour aller prendre son vélo.

Ulrich ne broncha pas et la suivit comme un pauvre mouton. Sur le chemin, il aperçut son auto pliée contre un arbre, ce qui le mit en rage de n'avoir pas pu franchir la forêt par des moyens modernes, mais desormais en vélo qu'ils essayaient de faire rouler à grande peine à travers la végétation. Au bout de quelques kilomètres, ils aperçurent une route dégagée où deux panneaux indiquaient deux directions opposées : Paris, 95 millions de kilomètres et Kiev, 96 millions de kilomètres. Simone, furieuse, lâcha son vélo et Ulrich ne pouvant contenir son contentement, lui dit : Simone, je suis désolé, mais je crois que ton cauchemar est loin d'être terminé, Ah!Ah!Ah!

 

LIVRE TROISIEME

 

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Simone, après qu'elle ait entendu les remarques désopilantes d'Ulrich, ne put contenir sa colère et lui cria dessus : Oooh, tu vas me lâcher un peu les basques, vieux porc-épic? Mais ne t'ais-je pas dit que notre route devait se séparer ici? lui envoya-t-elle sans aucun ménagement. Mais étrangement, Ulrich n'arrivait pas à comprendre la dureté de sa compagne de vouloir l'aband-onner en rase campagne et la regardait avec des yeux pleins de pitié. Mon ami, lui dit-elle, en lui prenant la main, je sais que c'est dure pour chacun d'entre nous de partir vers son destin. Mais je crois qu'il est important pour toi que tu retournes à Kiev pour aider tes parents qui se font vieux. Et moi, je dois absolument aller à Paris pour rencontrer les écrivains afin qu'ils m'aident à sortir de mon cauchemar ainsi que tous les prisonniers des camps de la mort. Mais de quel cauchemar veux-tu parler? lui expédia-t-il furieusement. Mais ne sommes-nous pas heureux ainsi tous les deux hors du monde à nous entretenir pour notre seul et unique bonheur? Mais pourquoi cher-cher ailleurs le bonheur, alors que nous l'avons en ce moment? lança-t-il en fondant soudainem-ent en larmes. Mais que cherches tu exactement, Simone? finit-il par lui demander en ne la com-prenant plus désormais. Touchée par la très grande sincèrité de son ami, mais ne voulant pas en vérité le contre-dire, elle ne put s'empêcher de lui répliquer : Oui, Ulrich, je peux bien compre-ndre ton amour pour la liberté totale. Mais ne penses-tu pas que ton égoïsme, dont tu témoignes toute la légitimité, ne soit pas devenu une chose immorale devant cette guerre affreuse qui nous a déjà tant meurtri l'esprit et le corps? Et penses-tu vraiment qu'on pourra être heureux sur notre île déserte en faisant abstraction de tout, même de la souffrance du monde ?

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Ulrich, assommé une nouvelle fois par des propos si humanistes, mais ne voulant pas la perdre, lui proposa un étrange marché. Et si je partais avec toi à Paris, accepterais-tu ma présence à tes côtés? lui demanda-t-il brutalement. Simone, secouée par cette proposition si mal venue, resta stupéfaite pendant un instant, le temps de réfléchir au risque qu'elle allait devoir prendre en l'em-menant avec elle, sachant qu'il était un déserteur qui pouvait à tout moment ruiner ses plans lon-guement médités. Suspendue à la folle proposition de son ami, elle lui dit brutalement : Désolé, Ulrich, mais je ne peux pas prendre un tel risque! puis enfourcha son vélo pour s'éloigner de lui pour toujours. Dépité par la dureté de ses propos et devant son panneau indicateur où il était ma-rqué Kiev, 96 millions de kilomètres, il enfourcha lui aussi son vélo et se mit à siffler comme pour se donner du courage.

En pédalant courageusement vers l'ouest, elle n'avait pas le sentiment de l'abandonner à son pau-vre sort, mais avait la certitude qu'il avait bel et bien terminé sa mission auprès d'elle de la sortir du ghetto en passant étrangement par les catacombes ou sous-sols de la ville de Varsovie. Et da-ns ces catacombes très obscures, remplies de fantômes, elle avait pu comme revivre tout le passé effroyable et inavouable de cette Pologne si calamiteuse dont elle se souviendra jusqu'à la fin de ses jours ainsi que sa communauté. Par l'horrible impression que ses bourreaux avaient spéciale-ment choisi cette terre de damnés pour commettre leurs crimes infâmes au nez de l'Europe toote entière, qui s'était perdue dans le tourbillon du nationalisme et du populisme. Et un sentiment d'écoeurement l'a saisie aussitôt au guidon de son vélo et malgré un temps merveilleux autour d'elle. Mais pourquoi donc le paysage semblait-il trahir ses pensées, bref, la vérité? se demanda-t-elle d'une manière effroyable.

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Étions-nous seulement sur cette Terre de petites fourmis que les géants pouvaient écraser avec leurs bottes immenses pour leur seul plaisir? semblait lui demander la faune sur son passage ta-pie sous cette flore épaisse et si rassurante. Chopin fut-il le dernier rayon de soleil qui illumina ce pays de si belles nostalgies désormais maudit à tout jamais au fond de nos coeurs? La mélo-die du bonheur, telle qu'il nous l'avait murmuré, reviendra-t-elle un jour aux bords de nos lèvr-es? Et pourra-t-elle à nouveau chanter parmi ce peuple qui fut dévasté par son Histoire? Lui fau-dra-t-il des siècles pour réparer ses fautes ou seulement l'oubli nécessaire et si simple à mettre en oeuvre par nous tous? entendait-elle comme un refrain rythmé par la cadence régulière de son vélo. Soudainemment, pour une raison inconnue, le paysage se mit à défiler devant elle à une vit-esse vertigineuse. Et pointant son regard sur la colline en face, en quelques coups de pédales, elle s'y porta comme par magie! Mon dieu, mais qu'est ce qu'il m'arrive? se demanda-t-elle en se trouvant soudainement devant un panneau où il était marqué Paris 5 millions de kilomètres! En quelques secondes, elle avait apparemment parcouru 90 millions de kilomètres et se demandait si ce n'était pas encore un coup d'Ulrich qui exerçait sur elle ses dons de magicien? Mais en se retournant sur la route, elle n'aperçut personne, sinon les sacoches de son vélo gonflées de bonn-es nourritures qui allaient lui permettre de tenir jusqu'à Paris, pensa-t-elle confiante pour la suite de son voyage. Enfourchant à nouveau son vélo et pointant la colline en face, quelques coups de pédales plus tard, elle s'y porta comme par magie et se trouva un peu bête devant un panneau indiquant Paris 1600 kilomètres. Chouette! s'écria-t-elle avec le sentiment que son rêve ou cau-chemar( grand sujet de discorde avec Ulrich) allait prendre fin en s'approchant à grandes enjam-bées de la réalité. En contre bas, elle vit ses premières maisons les unes collées aux autres, com-me pour se tenir bien au chaud, ce qui lui fit beaucoup de bien.

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Trouvant la vue charmante, elle décida de s'y arrêter pour se restaurer en se sentant une faim de loup. Malgré la nuit qui commençait à tomber autour d'elle, elle y voyait encore assez clair grâce à la clarté de la lune qui jetait sur la campagne comme des étincelles d'argent. En ouvrant la sa-coche de son vélo, la première chose qui lui sauta aux yeux fut la nappe fleurie qu'Ulrich avait sortie la dernière fois comme de sa poche. C'était lui tout craché, pensa-t-elle en se remémorant tous ses dons de magicien qui souvent l'avait fait rager. Bref, il était si doué qu'il aurait eu au-cune difficulté à rejoindre Kiev en trois coups de pédales! ironisait-elle en étalant la nappe sur l' herbe. Pour ce diner au clair de lune, elle décida de manger du gigot d'agneau accompagné par des pommes de terre. Et après avoir étalé tout cela avec gourmandise sur la nappe, elle partit ch-ercher la couronne de pain au fond de la sacoche..et c'est en la dégageant qu'elle vit tomber à ses pieds un petit morceau de papier apparemment banal. Surprise, elle le ramassa, puis l'ouvrant comme un dépliant, elle s'aperçut qu'il s'agissait d'un billet de train. Oh mon dieu! s'écria-t-elle en voyant imprimé dessus : Billet première classe, Varsovie-Paris via Berlin. Le voici..

Croyant à un miracle tombé du ciel, elle le regarda fixement pendant une bonne minute, puis par-tit rejoindre son diner en songeant à un coup d'Ulrich où la signature était toute crachée. Mais craignant qu'elle se trouvait toujours enfermée dans son rêve ou dans son cauchemar, elle le posa devant elle sur la nappe et y jetait de temps en temps des coups d'oeils de peur qu'il disparût à l'instant. Autour d'elle, le décors lui paraissait féerique avec son clair de lune et bien qu'elle souhaitât de tout son coeur retrouver la réalité. Située entre le rêve et la réalité, elle avait le sentiment de flotter dans le vide tel un astre hésitant entre sa course et la contemplation du mo-nde. Mais souhaitant faire durer ce plaisir le plus longtemps possible, elle se servit deux fois du gigot piqué à l'ail. Hum, c'est rudement bon! lâcha-t-elle en regardant son billet du coin de l'oeil. Varsovie-Paris, via Berlin pour aller à la rencontre des écrivains! s'émerveillait-elle en s'essuyant la bouche avec gourmandise. Enfin, mon rêve semble se réaliser! pensa-t-elle en se levant pour se diriger vers son vélo où quelque chose semblait l'attirer comme un papillon de nuit. Il est vrai, se disait-elle, qu'elle n'avait jamais osé regarder dans l'autre sacoche qui était aussi gonflée que sa consoeur. L'ouvrant avec impatience, puis fourrant sa main à l'in-térieur, elle eut l'heureuse surprise de sentir comme une étoffe délicate sous ses doigts. Entousiasmée par sa découverte, d' un mouvement vif, elle la sortie et s'aperçut que c'était une jolie petite robe en velour rouge bordeaux.Youhaa! s'écria-t-elle en la faisant tourner devant ses yeux émerveillés. Encore un co-up d'Ulrich! pensa-t-elle en la posant sur le cadre du vélo. Puis fourrant à nouveau ses mains avides de surprises, elle sortit à son grand étonnement une petite culotte rose! Oh le vilain petit cochon! lâcha-t-elle en ne pouvant plus arrêter ses fous rires devant cette petite attention que lui seul était capable.

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La suite fut comme du bonheur pour elle où, fouillant au fond de la sacoche, elle trouva de quoi s'habiller entièrement des pieds à la tête grâce à une paire de ballerines et un chapeau broché d' une petite tête d'éléphant dorée. Apparemment, Ulrich avait pensé à tout, se disait-elle en regard-ant devant elle ce trésor que toute petite fille aurait souhaité porter pour un long voyage. Mais c'est bien dommage qu'il n'ait pas mis une montre, ce qui m'aurait bien servi! rouspéta-t-elle contre son idole qui avait si peu de sens pratique, selon elle. Mais au juste que représentait-il ex-actement pour elle, ce jeune homme au nom à la consonance germanique? se surprit-elle à se de-mander comme si elle fut prise d'un doute le concernant. Mais pourquoi lui montrait-il autant de bienveillance? Ulrich était-il la bonne conscience d'un peuple que le bruit de la guerre et du nati-onalisme avait essayé de réduire au néant, mais sans y parvenir entièrement? Était-il le dernier rempart contre l'atrocité? se demanda-t-elle en pleurant soudainement à chaudes larmes contre le tissu soyeux de sa robe. Mais pourquoi voulait-il absolument la sauver, elle, la petite juive qui désirait seulement retrouver ses parents? Avait-il comme seule et unique mission de sauver tous les enfants juifs, parce leurs parents avaient tous été exterminés? Connaissait-il déjà le terrible holocaust? Simone, désespérée par toutes ces effroyables pensées, redoubla ses pleurs qu'elle ne put s'empêcher de répandre sur sa petite robe d'enfant. Tout en séchant ses larmes, voyant le ciel s'assombrir brutalement au dessus de sa tête, elle s'empressa de tout ranger, puis se changea pour ressembler désormais à une jeune fille sûre d'elle. Ses vieux vêtements, elle les cacha au fond d' un buisson pour qu'ils ne puissent jamais être découverts en s'imaginant des êtres machiavéli-ques la poursuivant pour l'anéantir, l'exterminer. En sortant la tête du buisson, qui était plongé dans une totale obscurité, elle entendit soudainement surgir dans la nuit le long sifflement d'un train! Mon dieu, Ulrich! s'écria-t-elle en pensant à lui et à sa prophétie. Mais comment est-ce possible? Mais comment as-tu fait pour qu'il en soit ainsi? l'interrogeait-elle par la pensée com-me si elle s'adressait à Dieu ou à Moïse.

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Pendant ces instants de haute spiritualité, elle resta comme en prière sous ce ciel d'une profonde obscurité où brillait en contre bas de la colline, le lampadaire d'une petite gare! Pour elle, cette petite étoile étincelante de lumière à l'horizon brillait dans son coeur comme l'étoile de David, telle que sa religion lui avait enseigné pour ne jamais désespérer de cette humanité si chaotique qui par le passé fut des plus cruelles envers les siens. Comme si Dieu eut parfois souhaité l'anéa-ntissement du peuple élu de son coeur, mais sans lui donner la moindre explication ou justifica-tion? L'amour, la haine, la vénération, l'adoration fussent-ils si proches de Dieu qu'on ne pouvait se l'imaginer? Et nous reprochait-il notre entêtement à vouloir être différent des autres en leur disant ouvertement : Désolé, nous ne sommes pas comme vous, nous sommes différents! Nous reprochait-il de même, le manque d'universalisme de notre religion à l'encontre des chrétiens et des musulmans? Fut-ce là notre grande erreur? se demandait tragiquement Smone prise d'une soudaine culpabilité ou peut-être étions-nous par commodité pour les nationalistes, le peuple martyr qui devait payer les pots cassés quand tout se cassait la gueule dans la société? Bref, le bouc émissaire idéal pour ériger de nouveaux bûcher ou holocaust afin d'assouvir la soif de sang de ce peuple devenu hystérique? Voyant le temps s'écouler à une vitesse affolante et bien inop-portun pour se culpabiliser, elle enfourcha son vélo pour se précipiter dans la descente et rejoi-ndre la gare. Éclairée seulement par le feu avant de sa bicyclette, la descente fut pour elle vérita-blement périlleuse au point qu'elle faillit plusieurs fois verser dans le fossé. Mais apparemment, celle-ci avait encore de bons freins malgré qu'elle avait séjourné pendant longtemps dans un veil hangar, constatait-elle en ne lâchant pas un instant des yeux la petite lumière en contre bas, qui semblait l'hypnotiser, la fasciner comme son dernier espoir de sortir vivant de ce cauchemar!

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En dépassant les premières maisons, elle vit qu'elles étaient en grande partie détruites par un réc-ent bombardement vu les fumerolles qui s'élevaient encore des maisons carbonisées. Puis s'enfo-nçant toujours plus profondément à bicyclette à l'intérieur de la ville, elle ne put que constater la destruction totale de la ville où les seules maisons qui tenaient encore debout avaient tout simp-lement été abandonnées par leurs occupants. Autour d'elle, tout n'était que ruines fumantes, fra-ctures, gouffres et abîmes plongées dans les plus profondes ténèbres. Seule la petite route qui défilait devant elle, éclairée par sa lampe à vélo, lui paraissait comme épargnée par la folie des hommes. Et en filant tout droit vers la gare, elle avait le sentiment de traverser une ville fantôme où tous les habitants avaient été très sévèrement chatiés pour leurs crimes passés, comme celui du collaborationnisme ou bien par leur coupable indifférence devant la souffrance des autres.

Quand elle arriva devant la gare détruite, elle s'aperçut que la facade de l'édifice avait apparem-ment tenu le choc face aux terribles bombardements ainsi que sa grosse horloge sertie dans la pi-erre qui marquait minuit moins cinq ou peut-être midi moins cinq quand celle-ci s'était arrêtée de fonctionner? s'interrogeait-elle en ne lâchant pas des yeux l'ancienne facade où l'on ressentait toute la grandeur passée par son style ornemental fait de colonnades sculptées à la rococo et de l'utilisation de marbre rose dans ses décors intérieurs. Au dessus de la grosse horloge, dont la fa-ience était lézardée par une large fissure, il restait du prestigieux édifice seulement quelques le-ttres de métal accrochées sur le fronton où il était marqué d'une façon totalement incompréhen-sible : G--E -- VA---VIE ou anciennement : GARE de VARSOVIE. Simone, en recomposant le nom dans sa tête, fut heureuse et en même temps atterrée qu'Ulrich l'avait menée à cet endroit si chargé d'Histoire pour elle et pour les siens ainsi que pour cette vieille Pologne impériale qui avait su garder sa dignité.

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Apparemment, il avait gagné son pari de la sortir vivante du ghetto, pensa-t-elle, mais sans pour autant être sortie d'affaire ou de son cauchemar en ne connaîsssant pas l'état des voies qui devai-ent la mener vers la liberté. Regardant fixement la facade et ses dernières lettres de métal suspen-dues dans le vide, elle crut entendre celles-ci lui parler et lui dire : Va vers la vie, Simone! Va vers la vie, petite fille! Au même instant, la grosse horloge bourdonna et positionna ses aiguilles sur minuit moins quatre! comme pour lui faire sentir l'extrême urgence de sa situation où elle ne devait en aucune façon rater le dernier train de nuit. Le dernier train de l'espoir! semblait lui sou-ffler aux oreilles le long sifflement du train surgissant dans la nuit. Emue et touchée en même temps qu'on lui portât une si grande attention et par des moyens si étranges et fantastiques, elle fut interdite pendant un instant assise sur sa bicyclette, le coeur rêveur. Et si tout le monde pen-sait que les murs avaient des oreilles s'imaginer qu'ils puissent avoir aussi une bouche pour nous parler, cela défiait tout entendement humain! pensa-t-elle en se saisissant soudainement des lieux communs qu'Ulrich avait apparemment utilisé pour faire passer son message. Vite, Simone, tout le monde t'attend sur le quai d'embarquement! Vite ne perds pas ton temps! Le train va partir! entendait-elle lui parvenir de la gare détruite où un monstre bouillonnant de bonnes intentions semblait l'attendre pour la mener vers la liberté. Prenant conscience de l'urgence de la situation( mais ne voulant pas entrer à l'intérieur de la gare qui menaçait à tout moment de s'éffondrer), elle aperçut sur le côté gauche du bâtiment une petite barrière qui semblait déboucher sur les qu-ais. Sans se poser de questions, elle s'y dirigea le coeur battant au guidon de sa bicyclette.

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Arrivée devant, elle descendit pour l'ouvrir, puis se glissa à l'intérieur pour découvrir un quai immensément long, interminable, éclairé puissamment par des lampadaires datant du siècle dern-ier où sur les voies se trouvait une énorme locomotive crachant ses jets de vapeur tel un monst-re vivant! Mon dieu, comme c'est beau! s'écria-t-elle en s'avançant prudemment avec sa bicyclet-te sur les quais. Mais c'est dommage que ce soit terriblement désert! se désolait-elle en observant la locomotive qui semblait se cacher derrière un épais brouillard de fumée blanche et immacu-lée. Quant elle s'enfonça à l'intérieur de cette vapeur chaude et humide, elle se crut un instant au milieu du ciel au guidon de sa bicyclette! et parut heureuse de voir disparaître autour d'elle tous les repères de la terre qui jusque là l'avaient fait terriblement souffrir. Puis sortant comme la tête des nuages, elle vit soudainement apparaître sur les voies l'énorme locomotive peinte aux cou-leurs de l'arc en ciel tel un vaisseau fantastique. Youhaa! lâcha-t-elle en ne pouvant pas étouffer sa joie devant ce monstre apparemment animé de bonnes intentions vu ses humeurs blanches et immaculées, mais sans y apercevoir personne à l'intérieur. La locomotive semblait déserte et inh-abitée, mais sentit qu'elle avait une âme bien vivante dont les bontés se voyaient à travers son fo-yer ardent mystérrieusement entretenu comme par des anges. Derrière la motrice étaient accro-chés des milliers de wagon-voyageurs peints d'une blancheur éclatante dont l'intérieur était conf-ortablement équipé de larges banquettes ainsi qu'un éclairage tamisé. Pour elle, ce train ressemb-lait étrangement à celui de l'Orient Express, mais dont la destination lui sembla fort différente et un instant crut que ce dernier avait comme destination finale, le ciel! Mon dieu, s'écria-t-elle avec stupeur, mais suis je donc morte pour voir un si beau spectacle? La vie, la mort, le rêve et la réalité semblaient se toucher si étroitement dans son âme de petite fille qu'elle faillit bien s'év-anouir sur les quais, comme emportée par le doute concernant sa propre existence.

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Ce fut si facile pour elle de mourir à cet instant! pensa-t-elle en voulant fermer les yeux pour toujours et ne plus jamais vouloir les rouvrir. Mon dieu, ce fut si simple qu'il nous suffîsait de nous endormir pour de bon et ne plus jamais nous réveiller! Que fut la mort en ces instants ma-giques, sinon qu'un profond sommeil ou toutes nous souffrances disparaissaient? Bref, une dou-ce mort dont rêvait chacun d'entre nous, quand il souffrait atrocement des maux provoqués par son propre corps ou par ses semblables. Simone, désespérée par toutes ces pensées, pour ne pas se laisser tomber au sol, se cramponna aussitôt à sa bicyclette bleue comme à un beau souvenir appatenant à son enfance heureuse. Roulant à ses cotés, celle-ci ressemblait étrangement à un membre de sa famille où son père en était le digne descendant et protecteur. Et à chaque fois qu' elle l'enfourchait, elle avait l'impression de retourner chez ses parents et de s'asseoir à la table familiale. En dépassant la motrice, elle remarqua que le premier wagon était ouvert et qu'il ress-emblait étrangement à un wagon de marchandises où était entreposé des machines agricoles ai-nsi que des sacs de blé, comme pour une future récolte pour la nation d'Israël? se demandait-elle comme submergée par l'émotion et par le voyage si plein d'espérance pour elle et pour les siens. Sans plus attendre, elle y monta pour y suspendre sa bicyclette à un des crochets qui était fixé au plafond. Mais avant cela, elle décrocha la sacoche de sa bicyclette, remplie de victuailles, pour l'emmener avec elle dans un des compartiments du train. En sautant du wagon, elle remarquait l' interminable quai dont la facade arrière était faiencée de beaux carrelages sur lesquels étaient inscrits des noms qui lui semblaient étranges et démoniaques. S'avançant avec toute la prudence du monde vers ses inscriptions faites en lettres gothiques, elle vit ceci d'écrit : Auschwitz-Birke-nau, Tréblinka, Lubli-Majdanek, Sobibor, Belsek. Mais qu'est-ce donc, se demanda-t-elle en pas-sant soudainement ses doigts tremblants sur le nom d'Auchwitz?

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Mais étrangement, les murs restèrent muets à toutes ses interrogations ou incantations digitales ainsi que la pensée d'Ulrich dont le silence lui parut effrayant. Un instant, elle crut que c'était le nom des destinations de la gare ou peut-être de simples décorations? pensa- t-elle en longeant le mur où les inscriptions n'en finissaient pas de s'étendre jusqu'à l'horizon. Après avoir parcouru une distance, qui lui parut infernale( où les noms avaient désormais une résonance germanique), elle se laissa tomber de tout son poids sur un banc, comme épuisée de ne rien comprendre à tous ces noms qui lui paraissaient chargés de ténèbres et de mystères. Soudainement, l'horloge de la gare bourdonna d'une façon funèbre et le train siffla une nouvelle fois tel un échos vivant. Sub-mergée par toutes ces choses bien mystérieuses, elle leva la tête et vit sur les quais, une petite horloge indiquer minuit moins trois et la locomotive montrer son impatience à repartir. Puis plongeant ses yeux sous les lampadaires (qui éclairaient funestement ces noms diaboliques), elle vit soudainement sortir des murs des ombres vivantes se précipiter sur les quais avec la ferme intention de prendre le train! Mon dieu! s'écria-t-elle en voyant cette marée d'ombres humaines envahir les quais dans un silence quasi-religieux. Ici, point de bousculade, mais des ombres en enfilade portant bagages sous les bras qui entraient dans les compartiments prendre leurs places hautement méritées. C'est ce qu'elle ressentit assise sur son banc en remarquant que ces ombres étaient des ombres de petites tailles qui portaient des choses rectangulaires, comme de grosses valises, aussi grandes que leurs propriétaires. Mais ce sont des enfants! s'écria-t-elle en constata-nt par ces signes évidents, l'âge très jeune de tous les voyageurs. Ulrich, veux-tu me dire ce qui se passe? lança-t-elle soudainement à haute voix sur les quais comme effrayée par son immense solitude. Mais pourquoi toutes ces ombres autour de moi, Ulrich? Réponds-moi, je t'en prie! le supplia-t-elle les yeux pleins de larmes assise sur son banc et tenant la sacoche de son vélo sur ses genoux.

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Les yeux effarés,  elle se demandait si ces ombres pouvaient la voir? Car un instant, elle se sentit observée par des milliers de paires de yeux cachées derrière ces ombres qui semblaient la regar-der avec une grande curiosité. Mais n'aie pas peur, Simone! N'aie pas peur de nous! lança souda-inement cette marée d'ombres humaines tel un choeur chargé d'amour et de retrouvailles. Nous te voyons bien, mais nous ne pouvons pas pour l'instant nous montrer en terre ennemie. Car les assassins sont là juste derrière nous et veulent nous exterminer jusqu'aux derniers! lancèrent à l'unisson les ombres sans visages, mais bien vivantes. Mais demain, quand nous seront sortis de ce cauchemar, nous pourrons enfin vivre libre et fonder notre Terre promise, Israel! entendait-elle prononcer dans sa langue maternelle, le yiddish. Le mot de cauchemar qu'elle entendit fit au-ssitôt échos au sien et comprit qu'elle faisait partie elle aussi du convois pour la liberté. Un beau voyage! se dit-elle en compagnie d'enfants dont la plupart des parents avaient été exterminés par des assassins. Bref, des orphelins qui feront tout pour que cela ne recommencent jamais plus, pensa-t-elle comme rassurée par la tournure des événements. Quelques minutes plus tard, l'horl-oge carillonna un chant de noel en immobilisant ses aiguilles sur Minuit et le train siffla comme pour un dernier rappel. Simone, enthousiasmée par ce long voyage, prit sa sacoche, se leva du banc, puis monta dans le train aux compartiments étrangement vides!

Quand le train s'ébranla et que nous commençâmes à quitter la gare de Varsovie, étrangement, il n'y eut aucun cris de joies dans les compartiments, mais un profond silence comme si tout le monde attendait que le train prit assez de sa vitesse pour qu'on ne puisse jamais le rattraper ou du moins le stopper. Il est vrai aussi que personne ne connaissait l'état des voies ni les dégâts oc-casionnés par les forces alliées sur notre terrible ennemi et qu'on pouvait s'attendre à toutes les surprises vu toutes celles que nous avions vécues auparavant. Assise dans mon compartiment, je sentis une ambiance électrique et très fébrile chez tous les voyageurs, qui priaient silencieusem-ent malgré leur très jeune âge. Puis soudainement, je sentis quelqu'un s'asseoir à côté de moi en voyant ma banquette fléchir légèrement sous un poids invisible ainsi que l'appui-tête. Pourtant, il n'y avait personne, mais seulement une présence qui, apparemment, voulait m'accompagner pour ce très long voyage incertain vers la liberté et semblait regarder dans la même direction que moi à travers la fenêtre où l'horreur s'éloignait indiciblement. Quelque peu effrayée par cette présen-ce inattendue, je lui lançai un grand sourire afin de la rassurer et lui faire comprendre que nous nous en sortirons une nouvelle fois. Comme autrefois, lorsque Dieu pour des raisons insonda-bles et bien cruelles nous avait abandonné aux mains des pires hommes, puis nous renouvela son grand amour pour une durée indéterminée. J'aurais aimé prendre la main de cette jeune personne entre les miennes pour la consoler de toutes ses peines et de toutes ses souffrances endurées. Mais apparemment, il y avait à côté de moi juste un fantôme et rien qu'un fantôme peut-être du passé ou de présent? En fait, je n'en savais rien. Tout en concevant que je pouvais être toujours enfermée dans mon cauchemar où Ulrich, par ses dons de magicien, s'était manifesté à moi pour ne pas me laisser mourir de solitude dans ce train où il y avait désespérément personne. Voyager seule dans un compartiment désert, sans livres, sans compagnons ou amis, avec lesquels j'aurais pu agrémenter mon voyage afin de pouvoir tuer mon temps, cela m'avait été retiré pour je ne savais quelle raison bien cruelle pour moi. Parfois, la lumière dans le compartiment s'éteignait et j'apercevais alors dans l'obscurité des yeux briller avec une rare intensité. Apparemment, Dieu avait voulu me faire voyager seule en compagnie de fantômes, pensai-je non sans frayeur.

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Ne pouvant donner un nom à cette présence à mes côtés, qui aurait pu être aussi mon double ou la manifestation de ma mort prochaine, je regardais à travers la fenêtre le paysage qui commen-çait à filer à une vitesse infernale. Au point que le train sembla décoller tel un vaisseau fantasti-que qu'accompagnèrent avec enthousiasme les cris de joie des enfants! En me penchant vers la fenêtre, je vis que nous survolions les voies à une hauteur rêvée pour que nous puissions passer sans dommages au dessus des rails que les bombardements avaient tordu comme du fil de fer. Quelques instants plus tard, j'entendis les enfants frapper dans leurs mains et scander des chants religieux les plus joyeux du Talmud que je connaissais très bien pour les avoir moi-même chanté à la Sinagogue. Ces chants pleins de grâces et d'espoirs, chantés par ces enfants, me rappelaient mon enfance heureuse auprès des miens que j'entonnais à mon tour au point que des larmes in-ondèrent mes yeux et mon visage. Après ces instants de joie intense et bien mérités de voir l'h-orreur s'éloigner dérrière nous, j'entendis un brouhaha inextricable dans les compartiments fait de grincements de banquettes, de courses à travers le couloir que des cris d'enfants remplissaient d'allégresse, puis des valises qu'on ouvrait sur les banquettes. En saisissant instantanément que les enfants allaient se restaurer en entendant le bruit si particulier des emballages qu'on dépliait et des gourdes qu'on débouchait pour assouvir sa soif. Dans chaque coin, ou deux banquettes se faisaient face, j'entendais les premières secretes conversations se tenir, mais que la peur rendait totalement inaudible et incompréhensible pour moi ou bien pour n'importe quel témoin qui fut présent. Apparemment, mes jeunes compagnons de voyage étaient toujours effrayés par ce qu'ils avaient vécu et très suspicieux à l'égard des autres ou peut-être essayaient-ils tout simplement de renouer avec ce qu'on appellait l'humanité? Cela était fort possible en supposant que les discu-tions intimes soient comme les préludes à la comprehension des autres et non plus ces discours démagogiques destinés au public, qui nous entraînaient souvent vers le chaos par le nationalisme et par les idées taillées à l'emporte pièce, bref, par la grande généralisation établie tel un dogme. Et sincèrement, j'ai toujours pensé que la bêtise était malheureusement la pire des choses parta-gées par les Hommes.

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Et faire souffrir les enfants d'une façon inouïe, une chose si facile pour les monstres qui savaient très bien qu'ils ne pourront pas se défendre! En fait, je crois que les conversations secretes ou murmures que j'entendais autour de moi n'avaient que le but de redonner aux enfants leur enfa-nce perdue, assassinée, piétinée, bafouée par des adultes sans scrupules. Je ne dirais pas pour ret-rouver une innocence perdue, car cela fut impossible après tout ce qu'ils avaient vécu d'horrible, mais plutôt une façon de renouer un dialogue qui avait été rompu brutalement par la guerre. Et je ne pensais pas qu'ils se racontaient ce qu'ils avaient vécu, mais qu'ils s'inventaient de nouvell-es histoires qu'ils peupleraient par de nouveaux secrets afin d'occulter les anciens. Rêver à nou-veau, fut me semble-t-il la seule façon pour eux d'exister et de revivre en tant qu'orphelin dans ce monde nouveau. Ce doux murmure que j'entendais autour de moi avait le doux murmure des sources originelles où les colombes aimassent a s'y désaltérer pour ne pas y être dérangées. Bref, je n'essayais même plus de comprendre ce qu'on se disait, mais écoutais seulement la douce mu-sique qui s'en dégageait tel un ruisseau chargé alluvions féconds. Autour de moi, dans le compa-rtiment du train, j'entendais la vie en formation après que celle-ci avait subi un tsunami d'une ampleur inouïe. A mesure que le train filait à vive allure, je voyais la mer horriblement sombre se retirer derrière nous et regagner les plages d'autrefois où le sable allait une nouvelle fois la clarifier. C'est comme si je voyais autour de moi, la puissance des habitudes revenir tel un soleil qui n'oubliait jamais chaque matin de se lever pour le bonheur de tous les êtres vivants sur la Terre. Et sous ce soleil brillant de mille feux et d'espoirs, que je voyais percer à travers les vi-tres du compartiment, j'apercevais le nouveau monde se montrer à nous timidement pour ne pas nous éffrayer par sa puissance de désintégration s'il se montrât entièrement. Mais à chaque fois que j'espérais en voir plus, le train changeait de direction et les éclipses du soleil disparaissaient à notre plus grand désarroi, au point que le train se trouva plongé dans la plus sombre obscurité. Avions-nous été victimes d'un mirage? nous nous demandions comme transis de peur au fond de nos banquettes ou était-ce juste un rêve entraperçu par nos imaginations exaltées ou bien une réalité qui revenait à la charge, comme l'ancien monde qui ne voulait pas abdiquer sa défaite et finir tel que nous l'aurions tous désiré?

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En fait, je compris dans la terreur de notre situation que notre voyage n'était pas encore terminé pour nous tous et que nous devions encore traverser beaucoup d'épreuves pour gagner notre liberté et notre dignité. En trouvant la vie d'une extrême dureté envers nos corps et nos esprits déjà si malmenés par l'existence, au point que je faillis penser que nous étions tous des damnés enfermés dans un compartiment, celui de l'enfer! Sans vous cacher que la nuit qui suivit notre départ de Varsovie fut des plus épouvantables, quand à partir d'une heure du matin pour une rai-son inconnue tous les enfants se mirent à crier, à pleurer, à appeler leurs mamans, leurs papas et à se blottir entre eux telles des petites grappes humaines pendant des heures! Durant ces heures d'hystéries collectives, où je faillis devenir folle, pour m'en sortir, je dûs moi aussi prendre part à cette séance de folie collective en hurlant moi-même à la mort comme un animal blessé! Et dans la pénombre du compartiment du train où parfois de grands éclairs de lumières surgiss-aient, j'apercevais la terreur envahir les enfants. Ce n'étaient, semble-t-il, que des êtres en forma-tion que je voyais là sous mes yeux, comme des images troublées par des éclairs qui allaient peut-être les transfomer en chair et en os? En fait, je n'en savais rien. Mais avec le sentiment que cette hystérie collective était due au ressurgissement du passé dans le présent et vraisemblable-ment que nous n'étions toujours pas sortis de notre cauchemar collectif. Et que cette renaissance dut forcémément s'accompagner de terribles souffrances, ce que je ne pouvais nier. Mais me sen-tant comme une petite mère pour tous ces enfants sans pères et mères, je devais absolument tro-uver une solution pour les calmer et les rassurer en faisant appel, une fois de plus, aux dons de magicien d'Ulrich( malgré le mépris que je lui avais montré entre Paris et Kiev). Mais ne pou-vant le soupçonner d'une quelconque rancune envers mon très jeune âge, j'étais sûre et certaine qu'il viendrait à mon secours durant cette nuit épouvantable où j'avais crié comme une folle pour ne pas entendre les cris des autres. A l'instant même, où je crus cette vague immense, qu'on appelle le passé, nous ensevelir dans ses flots noirs et profonds, je sentis soudainement la prés-ence d'Ulrich à mes côtés sur la banquette!

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Sûr que ce n'était qu'un fantôme que je sentais là, mais qui cette fois-ci me parla et me dit: Oh Simone, comme ça fait du bien de t'entendre à nouveau! Et sincèrement, je pensais jusqu'alors que notre amitié était terminée. Mais à ce que je vois, tu as toujours besoin de moi, hum? me lança-t-il avec son petit air arrogant que j'ai toujours détesté. Mais oui, mon cher Ulrich, fus-je obligée de lui avouer afin de ne pas devenir folle dans mon compartiment qui était toujours pl-ongé dans une profonde obscurité. Mais que veux-tu de moi exactement? me demanda-t-il en secouant la banquette comme un excité ou comme s'il eut souhaité me faire l'amour dessus co-mme une bête. Je vois, mon cher Ulrich, que tu as toujours ton sale caractère de cochon, hum? lui rappelai-je avec dédain. Et la culotte rose l'as-tu trouvé dans la sacoche? m'interrompa-t-il d'un air pervers. Mais oui, je l'ai trouvée et alors? Et la portes-tu en ce moment? insista-t-il en secouant de plus en plus vite la banquette. Mon dieu, Ulrich, mais je ne t'ai appelé pour ça! Ma-is n'entends-tu pas autour de toi tous les cris des enfants? Mais non, je n'entends rien à part le bruit assourdissant des rails, me balança-t-il comme s'il le faisait exprès. Une fois de plus, je le soupçonnais de ne s'intéresser qu'a son petit plaisir égoïste en voulant ignorer la souffrance du monde. Allez, arrête de jouer avec ça, Ulrich, la comédie à assez durée! lui lançai-je brutalem-ent dans la pénombre du compartiment. Excuse-moi, Simone, me dit-il avec sa voix enrouée d' ancien déserteur. Mais oui, j'entends très bien les cris des enfants. Mais que puis-je y faire si da-ns leurs têtes, ils entendent toujours des bruits de bottes accompagnés par de gutturaux accents germaniques? Mais je n'y suis pour rien! Mais je sais bien que tu y es pour rien. Mais trouve-moi vite une solution pour les calmer et les rassurer afin ne pas alerter les gardiens, qui pourr-aient alors nous reprendre et nous livrer aux assassins. Un long silence suivit cette étrange allu-sion, comme si Ulrich connaissait la vérité sur les camps de la mort où la fumée des fours à cré-matoires empuentaient l'air d'une odeur de mort collective. Avait-il été témoin de tout cela, Ulrich, avant de déserter l'armée des assassins? Je savais bien qu'il me l'avouerait jamais. Mais qu'importe! pensai-je en sachant qu'il m'avait montré jusque là tant de bienveillance que je ne pouvais le soupçonner d'une quelconque cruauté envers les miens et les enfants. D'accord, Sim-one, me dit-il, je vais t'aider. Mais te moques pas de moi, ok? Mais bien sûr tant que ton idée tient debout, lui lançai-je en m' attendant au pire. Bien, alors ferme les yeux et ne les ouvre que dans deux minutes et pas avant, ok?

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D'accord, je compte dans ma tête. Après avoir compté deux minutes, je vis mon compartiment retrouver miraculeusement de la lumière et apparaître en face de moi sur la banquette deux man-nequins habillés pour l'un en femme et l'autre en homme! L'homme portait un chapeau rond sur la tête et était vêtu d'un veston simple, d'un gilet et d'un pantalon en étoffe confortable. Quant à la femme, elle portait une robe de tous les jours à plis de couleur vert-pomme et d'un chemisier à fleurs. Apparemment, il s'agissait d'un jeune couple qui semblait heureux de vivre et s'entendre à merveille qu'Ulrich avait étrangement serré les deux mains ensemble. A coté, il avait placé un gros ballon multicolore comme un cadeau destiné à leur premier enfant. Mais j'étais un peu per-plexe quant à l'efficacité de ces deux mannequins apparemment sans vie. Avant de partir, il avait laissé un mot sur ma banquette. Ce message était celui-ci : Va dire aux enfants que papa et ma-man sont revenus! Aussitôt, je compris le coup de génie d'Ulrich en matière d'imagination et partis immédiatement avec le ballon dans le couloir pour avertir les enfants que papa et maman étaient revenus. Ohé, les enfants, jetai-je à tue tête, Papa et Maman sont revenus! Papa et Maman sont revenus! Vite, venez les retrouver, ils vous attendent dans le compartiment numéro 9, wa-gon 168 (qui était le mien). Et pour me faire bien comprendre par ces derniers, qui pleuraient toujours, je fis rebondir le ballon sur le sol à maintes reprises pour attiser leur soif de curiosité. Après avoir parcouru une distance, qui me parut infinie dans les couloirs du train, j'entendis un long silence, puis surgir tel un échos traversant de part en part la locomotive : Papa et Maman sont revenus! Youpii, Papa et Maman sont revenus! Compartiment numéro neuf, wagon 168. Aussitôt, je regagnai mon compartiment pour attendre les enfants, mais surtout pour éviter qu'ils m'écrasent dans le couloir par leur impatience toute légitime. En y pénétrant, je vis que celui-ci était plongé dans une semi-pénombre où mon jeune couple se tenait toujours la main. Quelques instants plus tard, j'entendis une sorte de brouhaha derrière la porte ainsi que des chuchotements d'enfants. Apparemment, mon message avait bien été entendu et je me levai pour aller l'ouvrir, puis j'entendis des pas s'avancer vers mes mannequins de chiffons. Pour moi, ce n'étaient que des fantômes que j'entendais là. Mais lorsque je m'assoupis sur ma banquette en fermant légèrement les yeux, je vis à travers le reflet de ma fenêtre, un tableau des plus émouvants pour l'enfant que j'étais et qui avait mûri trop vite.

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A mes pieds se tenait un petit groupe d'enfants en prière devant ces deux mannequins de chiffons qu'ils prirent aussitôt pour leurs parents. Et tandis que les petites filles étaient très bavardes com-me voulant leur reprocher leur longue absence, les petits garçons gardaient le silence et semblai-ent bouder en essayant discrètement de se rapprocher des jupes de maman, qu'ils semblaient vén-érer tel un lieu d'amour et de protections. Pourtant, je savais bien qu'ils se trouvaient en face de deux mannequins de chiffons et non pas en face d'êtres vivants! Mais ce qui frappa mon esprit, par leurs petits cabotinages enfantins et leurs gestes plein de vénération pour ces deux êtres ine-rtes de vie, ce fut leur prodigieuse imagination d'insuffler la vie à des objets qui n'en avaient pas. Et tout particulièment à des objets très banals qui seraient passés quasiment inaperçus dans notre vie quotidienne. En sachant que plus l'objet était insignifiant, plus il nous demandait un long tra-vail d'imagination pour le muer ou l'animer d'un semblant de vie, mais une chose totalement na-turelle pour les enfants et un travail harassant pour la plupart des adultes, ne nous le cachons pas. Tel un enfant qui jouait avec une voiture miniature ou un bout de branche cassée, qui devenai-ent aussitôt pour lui des véhicules extaordinaires pour exercer son imagination où il ne faisait aucune doute qu'il était à l'intérieur de la petite voiture et la conduisait avec forte intrépidité en ne s'épargnant aucun dérapage sur le terrain d'expérimentation de son auto où son moteur était surpuissant grâce aux rugissements de sa bouche en furie. Quant à ce bout de branche cassée, il aurait facilement imaginé une histoire autour de ce bout de bois tombé du ciel, comme une ba-guette magique envoyée par une fée afin de lui donner des super-pouvoirs et surtout de pouvoir tout transformer autour de lui en délicieux gâteaux à la crème ou en glace au chocolat, Ah!Ah!Ah! Tout compte fait des projets bien inoffensifs pour tous ceux qui avaient gardé leur âme d'en-fant, n'est-ce pas? Mais que les adultes avaient malheureusement perdu en se fourvoyant dans cette réalité chiffrée, armée jusqu'aux dents, hautement sophistiquée jusqu'à la barbarie telle que dans cette guerre où nous souffrions terriblement. Mais voyant tous ces enfants en prière devant ces deux mannequins de chiffons, cela me donnait du courage pour l'avenir de humanité, bref, en sa capacité à rêver à des choses totalement inoffensives dont les beautés seront à découvrir par les générations futures.

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Pris dans mes pensées, je pensais aussitôt au travail de l'écrivain qui consistait à remplir une feuille blanche d'histoires invraisemblables ou de pensées longuement méditées. L'important éta-nt pour lui de donner vie à son ouvrage telle une petite machine créée par son imagination débo-rdante. En nous montrant que l'écrivain était resté un grand enfant toujours en quête d'amour par un possible manque d'enfants dans sa vie, quand nous constations sa folle imagination à créer des personnages exubérants ou hauts en couleurs. Ainsi passèrent dans mon compartiment bien étroit tous les enfants qui repartirent se coucher la tête plein de rêves, comme je l'avais souhaité. Le calme revenu, avant de m'endormir, je remerciais le génie d'Ulrich d'avoir pu sauver ce début de voyage qui aurait pu être catastrophique pour les enfants. Durant une partie de la nuit pour des raisons étranges, je fus fréquemment réveillée par les arrêts du train en rase campagne et dans des gares étrangement désertes! Et à chaque fois que j'entendais le train serrer les freins, puis s'immobiliser et ouvrir ses portes automatiquement en m'attendant au pire. Car je ne voula-is en aucun cas que les enfants puissent être repris par leurs anciens geôliérs des camps de la mort. Mais à chaque fois que je me penchais vers la fenêtre pour regarder les longs quais défiler vers moi, je ne voyais personne ni aucun voyageur mystérieux monter à bord et potentiellement dangereux pour les enfants, mais j'entendais seulement des voix envahir les compartients avec un fort tumulte, puis se tarir au fur et à mesure que le train reprenait sa vitesse de croisière. Ainsi nous passâmes sans encombre toutes ces petites gares de campagne où l'attente ne fut que de courte durée à part celle de Chelmno qui, plus importante que les autres, nous immobilisa pen-dant une longue demi-heure dans un froid glacial. Je pensais alors que les voyageurs devaient être fort nombreux pour nous imposer une telle torture. Mais une nouvelle fois, je ne vis pers-onne sur les quais enneigés ni des voix ordinaires envahir les compartiments du train, mais des cris à faire pleurer toute âme sensible en entendant le bruit de corps d'hommes et de femmes tré-bucher et tomber lourdement à l'intérieur, comme exténués par la fatigue et par de longues priv-ations. Je sentis à cet instant là que Chelmno avait été pour eux comme un horrible cauchemar et que le train arrivé en gare allait les sauver pour les emmener vers la liberté, me sembla-t-il.

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J'avais l'étrange impression que ce train, en traversant l'Allemagne, avait comme ultime mission de sauver toutes les âmes rescapées des camps de la mort! Où en tant qu'unique passagère en ch-air et en os, il me semblait ressembler à un train fantôme où je ne fus pas la seule à m'angoisser. Et l'idée que je puisse être le seul témoin de ce voyage extraordinaire, où les âmes meurtries commençaient à remplir les compartiments dans un brouhaha de plus en plus audible, me sembla comme une évidence. Sincèrement, je n'en connaissais pas la véritable raison peut-être liée au hasard? Car mes 13 ans ne me permettaient pas d'obtenir ce privilège si on pouvait l'appeler ainsi en considérant que ce poids historique était bien trop lourd à porter sur mes frêles épaules. Mais me sentant comme une petite mère pour tous ces enfants en voie de reconstruction, cette idée après une rapide réflexion, me sembla tout à fait légitime et parfaitement admissible par moi-même et par mon esprit où Ulrich semblait tenir comme les tenants et les aboutissants. En sac-hant bien que sans lui et ses mannequins de chiffons, nous nous serions à nouveau abîmés dans le passé où nous aurions sùrement péri par un manque d'imagination et d'amour pour nos sem-blables. Parfois, je me demandais si Ulrich avait des liens avec le diable pour pouvoir le trom-per si facilement avec ses dons de magiciens? Put-il être un ange noir déchu par le diable lui-même pour pouvoir se retourner contre son ancien maitre? Tout cela était fort possible, quand j'appris lors d'une discution entendue dans le train que le bon dieu des chrétiens s'était refusé à entrer dans les camps de la mort parce que nous étions juifs! En me demandant comment cette horrible chose avait pu se produire pour quelqu'un qui prêchait l'amour pour son prochain et non la haine? Bref, une incompréhension totale pour moi qui me faisait penser que derrière Ulr-ich devait se cacher le vrai Dieu. Et l'idée que nos tortionnaires puissent se déculpabiliser devant l'Histoire en se prenant pour les apôtres du diable par ses représentations maléfiques, fut pour moi comme la preuve qu'ils étaient bien des êtres humains comme vous et moi, mais qui avaient dépassé de très loin les horreurs prétendues faites par le diable. Car le diable, qu'on nous représe-ntait souvent dans les contes enfantins, n'était qu'une idée pour nous effrayer et non point une réalité à laquelle nous étions exposés chaque jour, comme pour nous tester ou tenter. Car sinc-èrement qui de nous se levait le matin avec cette horrible idée de vouloir tuer ses voisins pour les voler? Réponse, pratiquement personne! Mais apparemment le diable était une personne bien pratique pour les pires d'entre nous afin de commettre leurs crimes, comme des assassins qui all-aient se faire passer aussitôt pour des fous après avoir commis l'horrible chose!

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Quand le train repartit en décollant des voies pour prendre assez de hauteur, tout le monde fut rassuré par les bonnes intentions du train de fuir ce maudit endroit. Et moi, qui n'avais jusque là plus de nouvelles de mes parents et de mon petit frère Franck, les deux mannequins en face de moi me rassuraient et me réconfortaient autant qu'ils l'avaient fait pour tous les enfants. Ainsi me voyais-je comme l'un d'entre eux et malgré mon état très inconfortable d'être en chair et en os, je vous confesserais. Se tenant toujours la main comme deux amoureux que parfois les vibr-ations du train animaient de vie, il me semblaient veiller sur les âmes de tous les passagers du train, comme roi et reine veillant avec amour sur leur royaume d'ordre divin. A leur coté, quasi en équilibre, se tenait le ballon multicolore tel un globe lumineux suspendu au fond de l'univ-ers. Sur celui-ci des pays intensément colorés de couleurs vives se partageaient le monde d'une façon joyeuse et harmonieuse pour le bonheur de l'humanité. Ces deux êtres de chiffons aux yeux de porcelaine semblaient regarder ce globe comme s'ils avaient été le père et la mère de l' humanité. Et je sentis à cet instant que ce nouveau monde allait être repeuplé par toutes ses âm-es en souffrances en voie de reconstruction dans le train, mais dont je ne percevais pour l'instant que par éclairs intermittents leur image parasitée par un étrange phénomène atmosphérique ou résurgence du passé dans le présent. Apparemment, le phénomène avait du mal à se stabiliser et m'empêchait de voir la vie se former sous mes yeux, comme si elle était empêchée par des for-ces malèfiques.Visiblement, nous étions toujours enfermés dans le passé dont le train fut com-me le véhicule extratemporel pour nous en sortir. Plongé dans cette nuit qui n'en finissait pas, nous attendions avec fort empressement l'arrivée de l'aube. Quelque temps plus tard dont je ne pouvais pas donner l'heure exacte( à cause du manque de pragmatisme d'Ulrich qui avait oublié de me donner une montre à mon départ de Varsovie), j'entendis à nouveau le train serrer les fre-ins. Puis me collant à la fenêtre, je vis une personne seule sur les quais bien en chair et en os! Je pensais alors à un mirage en le voyant défiler sous mes yeux en pensant à un pylône de couleur sombre tellement il était imposant. 

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Ouvrant avec discretion ma fenêtre, je vis sa haute stature à une vingtaine de mètres de mon wa-gon habillée d'une longue gabardine en cuir noir, coiffée d'une casquette d'officier et de bottes lustrées comme par des années d'entrainement à l'armée. De là où j'étais placée, j'avais beaucoup de mal à voir ses insignes sur son uniforme bien macabre, il faut le dire. Mais avant d'entrer dans le train, il frappa lourdement ses bottes contre le marche-pied afin d'enlever la neige qui était co-llée sous les semelles. Ce bruit de bottes me parut éffayant comme ébranlant la structure du tra-in, au point de plonger tous les enfants dans un silence assourdissant à l'intérieur des compartim-ents. Que cherchait-il exactement, je me demandai d'un air tétanisé, des juifs en fuite ou bien n' était-il qu'un simple déserteur pour se trouver tout seul dans cette gare totalement déserte? Sus-picieuse à son égard, je me coiffai aussitôt de mon chapeau broché d'une petite tête d'éléphant qu'Ulrich m'avait offert pour mon voyage, puis je sortis de ma sacoche mon billet de train en cas où il ne serait qu'un contrôleur ferroviaire. Et puis qu'allait-il trouver dans ce train, sinon qu'un train totalement désert? Et par quel flair infaillible allait-il me trouver, moi qui était la seule pa-ssagère de ce train fantôme? Allait-il visiter tous les compartiments un par un qui se dénombrai-ent à plusieurs milliers? me demandai-je en sachant la chose impossible à réaliser par une seule personne. Puis il entra dans le train, mais sans savoir quelle direction il avait prise. Aussitôt, je refermai ma fenêtre et me mis à écouter avec attention les bruits de bottes qui semblèrent s'éloi-gner dans la direction opposée. Quelque peu rassurée sur le moment, j'avais une hantise de voir le train repartir avec ce lugubre individu. Car ce fut comme héberger un fantôme au fond de sa mémoire, ce que je ne souhaitais aucunement comme tous les passagers du train. Mais par bonh-eur le train ne bougea pas d'un centimètre et resta immobilisé comme s'il était animé par une intelligence propre. A cet instant, j'espérais bien que ce dernier l'enfermât pour toujours dans un compartiment afin qu'il ne nuise plus jamais à personne. Mais à ma grande surprise, j'entendis soudainement de lourds bruits de bottes venir dans ma direction! Que dire d'autre que j'étais épouvantée par le bruit grandissant de ces pas venir vers moi et ébranler le train comme un arm-ée d'un millier de soldats!

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Je sentis ces secousses jusque sous mes pieds frapper ma chair et mes os tel un marteau gigantes-que que je dûs faire un éffort monumental pour garder mon calme et mon sang froid pour ne pas m'évanouir. Mais quelques instants plus tard, à ma grande stupeur, j'entendis quelqu'un frapper à la porte de mon compartiment! N'osant pas lever les yeux vers celle-ci, je regardais mes pieds co-mme un enfant pris en faute par les adultes. Mais il frappa à nouveau, comme pour me montrer une politesse que j'avais beaucoup de mal à comprendre vu la dernière manifestation brutale de ses bottes dans les couloirs du train. Ne pouvant point me débusquer, puisqu'il m'avait vu derri-ère la porte vitrée, je levai timidement mes yeux vers lui et aperçus un géant tout vêtu de noir en-trer dans mon compartiment et afficher un air plutôt satisfait par sa découverte. Bonjour, made-moiselle! me dit-il en s'avançant vers moi pour se positionner au milieu du compartiment telle une tourelle qui observait tout, écoutait tout, reniflait tout en apercevant que ce géant avait un nez énorme qui ne cessait de renifler autour de lui tel un chien de chasse. Un instant, je crus que ce géant était enrhumé ou avait le nez bouché. Mais ne le voyant sortir aucun mouchoir de sa po-che, je m'attendais au pire. Billet s'il vous plait, mademoiselle! me demanda-t-il sans prévenir. Aussitôt, je lui présentai et il le prit avec un grand sérieux tout en regardant bizarrement mon chapeau broché d'une petite tête d'elephant. En levant les yeux vers lui, je m'aperçus que sa cas-quette était aussi ornée d'une petite tête d'éléphant! Immédiatement, je pensais au génie d'Ulrich qui m'avait offert ce chapeau comme pour pouvoir passer à travers les lignes ennemies. L'offi-cier, vu l'air affiché sur son visage, semblait plutôt satisfait par l'authenticité de mon billet et me dit : Merci, mademoiselle, tout à l'air en ordre! Puis se tourna subitement vers les deux manneq-uins de chiffons, assis sur la banquette en face, en me demandant si c'étaient mes parents, non sans un air ironique. Oui, c'est exact, monsieur, le controleur! je lui répondis avec le plus grand sérieux du monde pour lui montrer mon plus grand respect pour sa profession. Et en tant qu' artistes, nous allons à Berlin pour faire un spectacle et redonner du courage à nos vaillant soldats du 3 ème Reich! je lui lançai comme par une folie de mon imagination. C'est bien, c'est bien, mademoiselle, car ils en ont tellement besoin en ce moment! me dit-il en ôtant sa casquette afin de me laisser découvrir son vrai visage d'homme, mais que je n'aimais pas pour autant.

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Puis prenant le ballon entre ses mains herculéennes pour se distraire un peu, j'eus peur qu'il l' écrase comme une coquille d'oeuf. Il est beau, ce ballon! me dit-il en le faisant tourner entre ses mains comme un géant, puis le reposa délicatement sur la banquette. Il fait lui aussi partie du sp-ectacle! je lui lançai afin d'être plus crédible envers mon histoire invraisemblable. Étrangement, le contrôleur ne faisait que renifler dans le compartiment, comme s'il s'était exercé à sentir l'od-eur des passagers clandestins ou bien des juifs, pensai-je non sans inquiètude. Puis se retournant vers moi, il me dit: C'est étrange, mademoiselle, ce train est totalement désert et je n'arrive pas à bien comprendre pourquoi. Monsieur, je crois bien que ce train doit aller à Berlin pour chercher des troupes et les conduire sur le front! ne pus-je que lui répondre pour me sortir de cette situa-tion bien incommode, comme vous l'auriez compris. Oui, ça en a tout l'air! me dit-il à moitié convaincu. Mais je sens dans ce train comme une atmosphère qui me dérange un peu, voyez-vous! insista-t-il en reniflant une nouvelle fois l'air du compartiment, puis en me passant son énorme nez près du visage. Je sens comme quelque chose que j'ai déjà senti ailleurs! me dit-il comme troublé. Je pense que ça doit être l'odeur du renfermé que vous devez sentir, monsieur! lui expédiai-je afin de le détourner de ses impressions dangereuses sur le convoi du train renfer-mant les âmes des rescapée des camps de la mort. Oui, je crois bien que ça doit être ça! finit-il par dire en se détournant de moi pour aller palper les mannequins de chiffons pour voir s'ils ne cachaient pas des personnes à l intérieur ou peut-être des marchandises de contrebande, sait-on jamais? Mais après ses vulgaires palpations sur mes mannequins de chiffons, il ne trouva rien à redire, sauf à me demander d'une façon impromptue en quoi consistait mon spéctacle? Surprise par ce revirement de situation, je lui dis qu'il consistait à redonner vie à mes marionnettes en les faisant parler, marcher et agir comme de vrais êtres vivants. En êtes-vous sûre, mademoiselle? me demanda-t-il en me prenant pour une folle. Mais oui, monsieur, je vous l'assure..et mon spe-ctacle a toujours beaucoup de succès auprès du public qui n'en croit pas ses yeux et ses oreilles de les voir s'animer et s'exprimer comme vous et moi. Et serait-il possible de les voir en action ici? me demanda-t-il sans prévenir. Surprise par son hallucinante demande, je lui dis : Je suis désolée, monsieur, mais tout mon matériel de scène se trouve dans la soute du train et sans lui aucun spectacle n'est possible. Je suis vraiment désolée! 

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Je comprends bien que sans la technique et la science rien n'est possible, n'est-ce pas, mademois-elle? me demanda-t-il comme indifférent aux rêves inoffensifs des hommes en ne croyant qu'à la science dure de fabriquer des armes en acier pour rayer de la carte son prochain. Décidément, je n'arrivais pas à me défaire de ce géant, qui était devenu un véritable pot de colle, en s'asseyant même sur ma banquette qu'il écrasa quasiment comme un vulgaire polochon tellement il était lourd et massif. Puis renifla une nouvelle fois dans ma direction en ouvrant si grandes ses narin-es que je crus apercevoir un dragon prêt à m'aspirer ou à me lancer les flammes de l'enfer pour me mettre en cendre! Mais il se releva et me dit : C'est étrange, mais il me semble connaître cette odeur! Mais où l'ai-je bien pu sentir, au nom du 3 ème Reich? lança-t-il en tournant dans le co-mpartiment comme un chien de chasse. Mais je vous l'ai déjà dit, monsieur, c'est l'odeur du ren-fermé que vous respirez! lui expédiai-je à nouveau afin de m'en débarrasser (car je ne voulais pas qu'il s'aperçut de l'invraisemblance de mon histoire à force de renifler ou de se questionner qui put aussi lui mettre la puce à l'oreille en sachant que mes mannequins de chiffons représentaient les parents de tous ces enfants qui avaient été gazés dans les camps de la mort dont le train trans-portait les âmes en voie de reconstitution corporelle). C'est vrai que je pourrais passer pour une folle si quelqu'un m'entendait parler de la sorte d'une façon si hallucinante. Mais croyez-moi, tout ce que je venais de vous dire était l'entière vérité que je comptais un jour raconter dans un livre, quand j'aurai trouvé à Paris le grand écrivain qui serait prêt à croire à mon invraisemblable histoire. Mais pour l'instant, je voyais devant moi, mon grand gaillard tournicoter dans le comp-artiment et sans se décider à partir. Exaspérée, je lui lançai : Monsieur, je pense que le train va partir dans un instant à l'autre et qu'il serait mieux pour vous de partir! Et pourquoi donc? me demanda-t-il d'un air féroce. Parce qu'il va à Berlin et que vous risquez de vous faire réexpédier sur le front! lui balançai-je avec une incroyable audace. C'est vrai, mademoiselle, vous avez sûr-ement raison! me dit-il en réfléchissant soudainement à sa situation en se mettant à arpenter le compartiment d'une manière méditatif dont les bottes furent d'un impressionnant silence. Il me semblait, par cette phrase jetée par moi-même avec une formidable adresse, que les rôles s'étai-ent inversés en un éclair de temps. Et que le bourreau était devenu la victime et la victime un bourreau bien inoffensif, pensai-je avec une grande lucidité.

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Pensait-il déserter à ce moment là? je me demandais en le regardant méditer la main sous le men-ton et la casquette relevée sur le front, tel un gardien de nuit en fin de service. Soudainement, pour une raison inconnue, le train poussa un long sifflement et sembla éffrayer mon géant qui se précipita vers la porte du compartiment. Avant de sortir, il me dit : Je crois que vous avez raison, mademoiselle! et partit en courant dans le couloir où le bruit de ses bottes ressemblait désormais à celui d'un lièvre apeuré. Curieuse, j'ouvris ma fenêtre et le vis sauter du wagon comme un voy-ageur clandestin et se planter sur les quais en attendant je ne sais quoi. Quelques instants plus tard, le train siffla une deuxième fois et s'ébranla de toute sa masse. Penchée à ma fenêtre, je le vis défiler devant moi, la tête découverte en tenant sa casquette pressée contre son coeur! Sincè-rement, je ne comprenais rien à son geste en restant stupéfaite la tête hors du compartiment. Puis pour une raison inconnue, il agita en l'air sa casquette comme pour me souhaiter un bon voyage! Totalement surprise par la tournure des événements, je refermai aussitôt ma fenêtre et me jetai sur ma banquette l'esprit très troublé. Avec ce sentiment très étrange, par ces tous signes troubl-ants et incohérents pour moi, que la guerre était peut-être en train de se terminer, mais sans en avoir la certitude. Puis le train redécolla des voies au plus grand soulagement de tous les voya-geurs en atteignant une hauteur où nous étions à nouveau intouchables. Immédiatement, une bonne ambance se remit en place dans le train pour nous permettre de discuter à nouveau de cho-ses insignifiantes après ces instants pleins de frayeurs. Dehors, il faisait nuit noire et nous sur-volions la vaste campagne allemande où tout feu était éteint. Enfin, nous pûmes nous endormir quand le calme regagna tous les compartiments et que le train cessa ses fréquents arrêts dont no-us connaissions désormais la raison. Quelques heures plus tard, me sembla-t-il, je fus réveillée par un étrange Tic-Tac assourdissant et très angoissant pour moi où, encore plongée dans mon sommeil, je pensais bizarrement aux vibrations métalliques du train. Mais quand j'ouvris les ye-ux, je vis en face de moi sur la banquette, posé à coté du ballon, une petite montre!

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Zut alors, j'en croyais pas mes yeux qu'Ulrich eut lidée de penser à satisfaire mon grand désir d' en posséder une, pas uniquement pour connaître l'heure, mais pour habiller le poignet délicat d' une jeune demoiselle. En m'approchant de la banquette, j'eus l'heureuse surprise de voir qu'elle avait un joli bracelet en velour rouge bordeaux comme assortie à ma robe et marquait 5 heures du matin. Aussitôt, je la mise à mon poignet dont le bracelet était miraculeusement adappté à la dimension. Pour des raisons étranges, en regardant ma montre à mon poignet, je pensais qu'on allait enfin me prendre pour une grande personne ou du moins pour une jeune fille sérieuse sûre d'elle qui tenait son destin entre ses mains. Mais personnellement, je doutais beaucoup sur cette assurance que pouvait nous apporter une montre, sinon de nous donner l'heure exacte, n'est-ce pas? Sans nier qu'à partir de cet instant tout sembla changer de dimension autour de moi en aper-cevant à nouveau les éclipses du soleil traverser la fenêtre de mon compartiment et l'inonder d' une lumière dorée et chaleureuse. Avec l'impression de voir mes marionnettes de chiffons pren-dre vie sous mes yeux en prenant des couleurs, comme un soleil mûrissant ses fruits vermeils. Assise sur ma banquette, la tête baignée aux rayons de miel du soleil, j'attendais avec impatience la promesse de l'aube ainsi que tous les enfants tel un amour rempli d'espoirs. Avec le sentiment, par cette montre offerte par Ulrich, que le compte à rebours venait de commencer et qu'il ne s'arrêterait qu'une fois arrivé a Paris où tous les enfants seraient sauvés! A travers le reflet de la vitre, je remarquai pour la première fois que j'avais retrouvée le sourire depuis mon départ de Varsovie avec l'espoir que les tous enfants l'auraient remarqué pour leur donner du courage. Car qu'en savait-il pour l'instant de la fin du voyage où ils étaient toujours des âmes en errance dans ce train fantôme? Aussitôt des larmes inondèrent mon visage où se mêlaient étrangement la joie et la peine de connaître seule la vérité. Saisie par l'émotion, j'essuyais d'un geste discret mes lar-mes pour ne pas qu'elles soient aperçues par les enfants en reprenant aussitôt mon doux sourire pour ressembler à celui une jeune demoiselle sûre d'elle et de son avenir.

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A travers la vitre, pour la première fois, je vis la tête de la locomotive à l'horizon où celle-ci av-ait amorcé un virage d'une extrême longueur. Puis pour une raison inconnue, elle poussa un lo-ng sifflement et monta très haut vers le ciel pour redescendre à une vitesse infernale tel un tob-oggan chargé d'enfants afin de les rendre heureux. J'avais le sentiment, par toute cette joie retro-uvée par la locomotive, que nous arrivions au bout de notre voyage en regardant les éclipses du soleil éclairer désormais l'horizon d'une lumière douce et colorée tel un fruit mûrissant sous nos yeux. En contre bas, dans la vaste campagne, tout était noir et semblait calme, apparemment. Ma montre indiquait 5H30 du matin et je pus enfin me rendormir en pensant bizarrement à Ulrich, qui selon moi devait être arrivé à Kiev dans la ferme de ses parents, mais dont la pensée me suiv-ait en permanence comme une âme bienveillante. Ce nom à consonnance germanique, mais que signifiait-il exactement pour moi? je me demandais une nouvelle fois comme voulant découvrir la vérité sur ce peuple allemand qui avait tant fait souuffrir les miens. Les nazis fussent-ils des Allemands ou bien des monstres sans visages, sans véritable pays ou nationalité, mais venant d' une autre planète? Et Ulrich put-il être ce héros des temps modernes, cet Ulysse invisible à nos yeux qui allait sauver le peuple juif ainsi que la bonne conscience d'une partie du peuple alle-mand, qui avait refusé la barbarie? Mais ces gens là étaient-ils si nombreux que cela en vérité? je me demandais tragiquement en vivant cette histoire insolite avec toutes ces âmes rescapées des camps de la mort. Je savais qu'Ulrich avait des origines allemandes, mais qu'il était né dans une province russe où il avait été enrôlé de force dans l'armée des assassins et qu'il n'avait sûrement jamais foulé de sa vie le sol de l'Allemagne avant cette odieuse machination. Mais de penser qu' il voulut aussi sauver une partie de l'Allemagne( qui représentait si peu de monde) fut pour moi comme intolérable et me mit mal à l'aise en me plaçant dans une position tres inconfortable, comme vous l'auriez compris. Fut-ce trop précoce d'y penser ou bien une chose à laquelle on devait réfléchir pour l'avenir du peuple juif et du peuple allemand? je me demandais l'esprit très troublé par tous ces paradoxes.

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Mais à son propos, je ne doutais guère sur sa sincérité qui jusque là nous avait montré beaucoup de bienveillance grâce à tous ses dons de magiciens qui avaient pu tromper l'ennemi en recueill-ant dans ce train de l'espoir toutes les âmes des rescapées des camps de la mort afin de les ressu-sciter. Où paradoxalement, j'étais le seul témoin avec mes deux mannequins de chiffons qui alla-ient leur permettre de se reconstruire. Je sentis en Ulrich, la présence de Moïse par toutes ces lois éternelles ou sans arrêt nous étions des âmes en reconstruction permanente. Avais-je réellement 13 ans ou plutôt 130 ans après avoir vécu tant d'horribles choses depuis mon départ de Varso-vie? Et l'age réel du monde était-il le bon ou bien qu'une image figée dans le calendrier? je me demandais tragiquement, la tête appuyée contre la vitre du compartiment. Dorlotée par les vibra-tions douces du train, je ne faisais qu'un avec lui, avec cet être mystérieux chargé de bonté et d'intelligence. Préocupée par toutes ces questions d'ordre politique et philosophique, je ne pus me rendormir en restant en quasi état de veille, comme une petite mère veillant sur ses enfants meurtris par la vie. Puis soudainement, pour une raison inconnue, je sentis ma banquette fléchir sous un poids invisible! Mais en me tournant, je ne vis personne, sinon la présence d'une âme recherchant quelque réconfort auprès d'un être fait de chair et de sang, me sembla-t-il. En repo-sant ma tête contre la vitre, j'aperçus soudainement dans le reflet, Ulrich qui était assis à coté de moi! Oh mon dieu! m'écriai-je en le voyant dans un piteux état : la tête baissée sur la poitrine presque honteux et ses vêtements déchirés et couverts de sang comme s'il s'était battu avec un tigre! Mais qu'est-ce qu'il t'es arrivé, mon pauvre ami? lui demandai-je avec plein de pitié. Quand il entendit ma voix, il redressa aussitôt la tête en m'apercevant qu'elle était complètement tumé-fiée et couverte de sang à faire peur. Après avoir passé sa langue sur ses lèvres horriblement gon-flées comme par des coups, il me dit avec sa voix éternellement enrouée : Simone, j'ai été repris à la frontière Tchécoslovaque par une milice qui m'a aussitôt jeté en prison pour désertion. Et les coups que tu vois sur ma figure, ce sont ces salauds qui me les ont infligés!

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Mais comment ont-ils fait pour te reprendre, toi, Ulrich, qui possède des dons de magicien? Tu me croiras jamais, Simone, mais j'ai fait une grosse bêtise en laissant dans mon portefeuille une photo à laquelle je tenais beaucoup : où je suis en compagnie de mes camarades de régiment où je tiens dans mes bras mon rat domestique dénommé Domino parce qu'il était noir et piqué de points blancs. Mais tu es fou, Ulrich! Comment a-tu pu faire une telle erreur, mon pauvre ami? Ce dernier, blessé dans son amour propre, baissa la tête et lui dit: C'est bête à dire, mais je crois que j'y tenais beaucoup. Et ce rat, crois-moi, je l'aimais comme un fils! ajouta-il comme si on avait affaire aux propos d'une fou. Mais habituée à la folie de son ami, elle ne lui en tint pas gri-ef, mais l'écoutait en espérant qu'il retrouverait ses esprits. Mais ne te fais pas de bile pour moi, car je leur ai dit que je n'étais pas contre ma réintégration dans l'armée du 3 ème Reich qui m'a t'on dit était en pleine déroute. Mais quoi, ils sont en train de perdre la guerre? lui demanda-t-elle subitement comme hébétée par cette nouvelle inattendue. Oui, simone, ils sont en train de la perdre et annonce-le aux enfants, qui ne pourront que se réjouir de voir leur cauchemar se term-iner dans les heures prochaines. Je te remercie beaucoup, mon ami, pour cette information qui est primordiale pour nous tous et malgré les gros risques que tu as pris en te téléportant par la pensée dans le train. Mais ne crains rien pour moi, j'ai plus d'un tour dans mon sac! dit-il en essa-yant de sourire derrière un visage tuméfié en gardant sa fierté et un optimisme à toute épreuve. Je crois que je vais rester un peu avec toi, si ça ne te déranges pas! lui demanda-t-il d'un air épu-isé en fermant les yeux comme pour retrouver un peu de force. Car en ce moment, je suis seuil dans mon cachot où mes gardiens se sont éloignés pour je ne sais combien de temps et me per-met de téléporter mon esprit dans le train. Mais qu'il me faudra absolument réintégrer quand ils reviendront me poser toutes leurs questions idiotes concernant ma desertion. Car ne sommes-nous pas toujours le déserteur de quelqu'un ou d'une quelconque institution? lui demanda-t-il étrangement en sachant que Simone n'était qu'une enfant de 13 ans où toutes ces questions d'en-gagements militaires ou autres lui étaient jusque là inconnues.

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Elle sentit à ce instant là, une grosse culpabilité envahir l'esprit d'Ulrich après tout ce qu'il venait de vivre. Et même si tu avais été attrapé par les Russes, ils t'auraient traité aussi de déserteur, n' est-ce pas? lui demanda-t-elle afin qu'il garde sa lucidité au fond de sa cellule. C'est vrai ce que tu dis là, Simone, sachant que les Russes font partis désormais de nos sauveurs! dit-il en reconn-aissant qu'il était peut-être tombé au moins pire des endroits, car les Russes exécutaient tous les déserteurs quelque soit leur bord. Un long silence suivit toute cette méditation concernant la dé-sertion qui pouvait aussi concerner les choses de la vie où combien de fois nous fûmes tentés de déserter la désolante réalité, n'est-ce pas? Mais reste autant de temps que tu le peux, mon ami, lui dit-elle afin de le rassurer. Merci! lâcha-t-il du bout des lèvres, comme s'il n'avait plus la force de prononcer un seul mot, puis ferma les yeux en attendant qu'on le réveille brutalement au fond de sa cellule. En face de lui, sur la banquette, les deux mannequins de chiffons affichaient un vis-age radieux empourpré par les rayons du soleil traversant la vitre du compartiment. Parfois, sort-ant de son léger sommeil, il souriait en pensant au coup magistral qu'il avait employé pour ras-surer tous les enfants, quand le passé eut la macabre ambition de faire capoter le voyage extra-ordinaire. A travers le reflet de la vitre, elle le regardait sourire comme devant un joli tableau où un déserteur avait peut-être sauvé le peuple juif et la partie saine de l'Allemagne. A l'horizon, les éclairs de lumière se faisaient de plus en plus intenses et incendiaient notre compartiment d'un feu éblouissant où je crus un instant que nous allions être désintégrès par la puissance solaire du jour. Mais la locomotive, muée par une intelligence mystérieuse, redescendit aussitôt vers la ter-re en poussant un long sifflement. Quelques instants plus tard, nous nous trouvâmes à survoler en quasi ralenti une ville totalement détruite par un bombardement peut-être extraterrestre? pen-sai-je vu l'ampleur de la désolation. J'avais alors le sentiment que la locomotive avait réduit vol-ontairement sa vitesse afin que nous puissions voir toute la folie des hommes!

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Même baignée par les lueurs de l'aube, elle avait encore une beauté sans égale que la lumière du jour allait effacer la magie pour nous montrer l'horrible réalité. Interrogeant des yeux, Ulrich, à travers la vitre du compartiment, il lui lança comme une bombe : Mon dieu, c'est Berlin qui est détruite, détruite! répéta-t-il en laissant tomber sa tête sur sa poitrine comme une bête qu'on ven-ait d'achever d'un coup fatal. J'ai reconnu la porte de Brandebourg où les chevaux sonr désorm-ais décapités, décapités! répéta-il en bredouillant quelque chose qu'on n'arrivait pas bien à comp-rendre Tu sais, Simone, dans le salon familiale à Kiev, nous avions en photo le célèbre monum-ent qui avait accompagné toute notre famille durant sa vie et son éternel voeux de retourner viv-re dans sa chère patrie, l'Allemagne. Mais aujourd'hui, je n'aurai plus le courage d'envisager un tel voyage, après tout le mal que mon peuple avait fait aux autres peuples de la terre ainsi qu'au tien. Emu par la terrible confession qu'il venait de faire à son amie, Ulrich ne put retenir ses lar-mes que Simone essayait d'essuyer à travers la vitre : où Berlin détruite défilait en arrière fond tel un spectre macabre! Et ses larmes, qui déferlaient sur la vitre tel un rideau de pluie, séparaient désormais le paradis de l'enfer. Le paradis se trouvait dans le train où l'âme des enfants allait être ressuscitée dans les prochaines heures et l'enfer au dehors où l'âme des damnés vivait alors un véritable purgatoire. Quelques instants plus tard, quand les larmes d'Ulrich cessèrent d'inonder la vitre du compartiment, je m'aperçus qu'il avait disparu et qu'il avait écrit sur la vitre pleine de buée : Au revoir, Simone! A cet instant là, je ne pris pas sa fuite comme une desertion, mais plu-tôt comme un aveux qu'il avait bien fini son travail pour le peuple juif et le peuple allemand qui un jour se réconcilieraient. Parfois, je doutais un peu sur sa soi-disant mobilisation forcée dans l'armée des assassins, mais ne doutais plus désormais sur sa sincérité d'aimer à nouveau son pro-chain qu'elle que soit sa confession ou sa culture. Allait-il me donner prochainement de ses nou-velles ou bien allait-il m'oublier pour toujours? me demandai-je tragiquement les yeux envahis par mes larmes. Et surtout allait-il pouvoir sortir vivant de ce cachot où les nazis l'avaient enf-ermé pour désertion. Et s'il s'en échappait, mais comment allait-il faire pour traverser les lignes Russes sans être pris ou fusillé par l'armée soviétique?

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Toutes ces questions affreuses envahissaient mon esprit et ne me rassuraient aucunement sur le sort de mon ami. Mais le train, après avoir survolé Berlin détruite, poussa un long sifflement et partit à une vitesse infernale vers l'horizon en feu. En regardant à travers la vitre de mon compar-timent, je vis crépiter au dehors des étincelles, comme si le train voulait atteindre la vitesse de la lumière avec la grande peur que notre voyage extraordinaire se termina ici en sortant de Berlin. Mais quelques secondes plus tard, j'entendis une sorte de bing-bang frapper le train et l'envoyer comme au septième ciel à travers un long tunnel de lumière! Sous l'onde de choc, je perdis conn-aissance en ne sachant pas dans quel nouveau monde j'allais réapparaître.

Quelques heures plus tard, réveillée par le long sifflement du train, j'ouvris les yeux et aperçus devant moi, non plus mes deux mannequins de chiffons, mais un jeune couple en chair et en os où se tenait à côté leur jeune enfant qui jouait avec le ballon multicolore! Stupéfaite par ce mir-acle, opéré pendant mon sommeil, je mis un certain temps à reprendre mes esprits. Mais dès qu' ils me virent me redresser sur ma banquette et revenir à la réalité, ils me lancèrent un large sou-rire accompagné d'un chaleureux : Bonjour, Simone! qui pour ne rien vous cacher me fit un gra-nd bien si tôt le matin. A ma montre, il était 8H30 et un soleil admirable perçait à travers la vitre du compartiment. Apparemment, nous avions rejoins la réalité par tous ces signes distinctifs où sans plus attendre, je leur adressai un timide bonjour par politesse en ne les connaissaint pas so-us cette forme réincarnée. Mais comprenant ma totale surprise, ils n'insistèrent point et se prirent à nouveau la main comme pour se monter leur attachement. Tiens! me dit soudainement le jeune enfant en me tendant le ballon, comme s'il voulait m'offrir la terre entière. Je te remercie beau-coup, mon garçon! je lui répondis en ne connaissant pas son prénom. Il s'appelle David! me dirent ses parents qui d'un regard plein de bonté me prièrent de l'accepter. Bien, alors, je te rem-ercie beaucoup, David, pour ton joli cadeau! je lui lançai en le saisissant, puis en le posant sur mes genoux tel un astre de lumière.

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Puis tournant mes yeux vers la fenêtre, je m'aperçus que nous roulions à travers une campagne magnifique et sur une vraie voie de chemin de fer et non plus dans les hauteurs atmosphèriques! Ce fut pour moi le signe évident que nous étions sortis de notre cauchemar et que nous allions prochainement atteindre une vraie gare avec de vrais voyageurs et tout le tumulte que cela comp-ortait et non plus une gare fantôme où les âmes erraient éternellement sur les quais enneigés. Aussitôt, j'entendis le nom de Paris sonner dans ma tête, comme une joyeuse fête! qu'Ulrich ava-it planifié d'une manière magistrale par son billet d'ordre divin. Bref, une ville magnifique où nous avions tant de choses à réaliser moi et les enfants, pensai-je en regardant le paysage défiler sous mes yeux. Quand soudainement, j'entendis du bruit me parenir de la porte du compartiment où j'aperçus à travers la porte vitrée des visages d'enfants qui me regardaient comme une bête curieuse. J'avais alors l'impression que leurs grands yeux noirs et profonds me regardaient com-me si j'étais une sainte enchâssée dans une boite, comme celle que l'on voit dans les églises chré-tiennes. Et je crus un instant que tout le train allait défiler devant moi pour voir le nouveau phé-nomène de foire que je pouvais alors représenter! Mais le jeune homme, voyant mon désarroi, se leva et partit les inviter à reprendre leur place dans le calme. Au bout d'une heure, qui passa com-me un éclair, nous entrâmes dans une petite agglomération constituée de maisons individuelles, non sans charme, avec leurs jardins particuliers entretenus comme de jolis bouquets de fleurs, puis nous traversâmes une plus grosse agglomération où les facades des immeubles nous barra-ient tout simplement l'horizon en nous cachant la campagne verdoyante. A cet instant, je compris que nous étions entrés dans une grande ville où Paris fut toute proche et nous attendait les bras ouverts où nos destins allaient devoir se séparer après ce voyage extraordinaire connu de moi seule. Quelques minutes plus tard, le train siffla longuement pour annoncer son arrivée, puis serra les freins et s'immobisa en bout de voie. En sortant ma tête par la fenêtre, j'entendis les hauts-parleurs crépiter et nous annoncer comme dans un rêve : Paris, gare de l'Est! Paris, gare de l'Est! Tous les voyageurs sont priés de descendre et de ne laisser aucun bagages dans les voit-ures! Merci.

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Penchée à ma fenêtre, j'assistais au miracle qu'Ulrich avait souhaité pour que nos deux peuples (le peuple juif et le peuple allemand) ne se haïssent point jusqu'à la fin des temps, mais se réco-ncilient quand ils connaîtrons mon histoire dont j'étais l'unique témoin. Absorbée par une grande émotion, en regardant tous les enfants ressuscités envahir les quais avec leurs grosses valises, je lui tirais ma révérence comme on tirait un joyeux feu d'artifices dans un ciel d'été! En me reto-urnant sur le compartiment, je remarquai que le jeune couple et son enfant avaient disparu ou du moins étaient descendus du train pour commencer une nouvelle vie à Paris. En sachant bien que quelques heures auparavant, ils n'étaient que des mannequins de chiffon! Seuls restaient sur la banquette, le ballon multicolore et la sacoche de mon vélo à laquelle je tenais beaucoup, car elle contenait des victuailles qui me permettrons de tenir quelques jours à Paris sans mourir de faim. Quant au ballon, celui-ci me causait quelques embarras en ne sachant pas comment j'allais con-duire mon vélo avec un ballon sur les bras? Mais la decision fut vite prise par moi-même en retournant à la fenêtre où je lançai le ballon sur un groupe d'enfants qui était tout heureux de posseder enfin quelque chose dans leur vie. Merci, mademoiselle! me lançèrent-ils en voyant bi- en que je n'étais pas une adulte, mais un enfant comme eux! Paris, gare de l'Est! Paris gare de l'Est! Tous les voyageurs sont priés de descendre du train et de ne laisser aucun bagage dans les voitures! crépita à nouveau les haut-parleurs. Paniquée par l'idée que le train puisse repartir vers une nouvelle destination, je descendis aussitôt pour me fondre dans la foule et rejoindre le wa-gon où j'avais laissé mon vélo depuis la gare de Varsovie. Après quelques éfforts à remonter la foule, je parvins enfin au wagon dont j'avais noté le numéro dans ma tête et decrochai mon vélo pour le descendre sur le quai. Apparemment, il avait bien supporté le voyage en palpant les pneus qui avaient l'air suffisamment gonflé pour parcourir la ville de Paris sans danger. Et dès la porte de la gare franchie, j'enfourchai mon vélo avec un bonheur que j'aurai du mal à vous décrire, mon cher lecteur, sinon de retrouver ma liberté durement gagnée, il faut le dire! Mais avec une réelle inquiètude en sachant bien que personne ne m'attendait à Paris et que toute ma famille avait été exterminée par les nazis!

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Mais en étant tout de même heureuse qu'il fasse aujourd'hui au guidon de mon vélo où il me semblait revasser  à je ne sais quoi. Peut-être à toute cette histoire extraordinaire qu'il venait de m'arriver ou peut-être à Ulrich, mon sauveur, dont j'essayais de renouer le contact par la pensée? Car étant revenue à la réalité, j'avais peur que sa bienveillance pour moi se soit tue pour toujo-urs. Bref, tout ça pour dire que je me sentais bien seule à rouler dans les rues de Paris où j'ess-ayais de trouver une destination honorable pour moi. Instinctivement; je m'aventurais au centre ville où peut-être dans la foule quelqu'un me reconnaitrait? je me demandais dans un état déli-rant. Mais voilà dans quel état d'esprit j'étais, sinon dans un grand desaroi où miser sur la chance fut pour moi comme le seul moyen de m'en sortir. Quand tout à coup, j'entendis dans ma tête, une voix surgir et me dire : Simone, va où ton coeur te mène! Quelque peu destabilisée par ce message venant d'outre-tombe, sinon qu'il était d'une grande banalité, j'essayais de retrouver mes esprits et comprit qu'il ne pouvait venir que d'Ulrich, mon sauveur! Abasourdie par cette bo-nne nouvelle, je saisis à cet instant qu'il était toujours vivant et qu'il avait survécu aux camps nazis et sovietiques! En me souvenant très bien d'une discution qu'on avait eu, lors d'un repas, où je lui avais raconté ma passion pour la littérature avec le projet d'aller à Paris voir les écrivains afin de sauver la paix! Ce qui l'avait fait beaucoup rire, ne nous le cachons pas. Mais bien que très naive à ce sujet, j'avais soutenu mon projet en lui disant que l'Histoire s'écrivait au jour le jour où les écrivains étaient les éclaireurs et les avant-gardistes, n'est-ce pas? En pensant dure comme fer que la littérature sauverait le monde et l'humanité! Ce qui n'était pas entièrement faux en faisant confiance aux bons écrivains et non aux mauvais qui se moquaient complètement de la paix dans le monde où seuls l'argent et lé célébrité comptaient.  Et bien qu'il ne m'ait cru qu'à moitié, il sa-vait que j'avais raison et tout particulièrement sur mon projet d'écrire un livre sur ce mon his-toire extraordinaire où j'avais assisté dans le train Varsovie-Paris via Berlin à la résurr-ection des enfants qui avaient été exterminés dans les camps de la mort! Mais un projet délirant auquel il ne croyait pas un instant, m'avait-il fait comprendre en me faisant une horrible grimace.

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Avec la certitude que personne ne me croirait tellement mon histoire semblait rocambolesque ou digne d'un roman de science-fiction. Bref, nous nous étions brouillés avant de nous séparer difi-nitivement, ce qui nous avait causé beaucoup de peine à l'un comme à l'autre, ne nous le cachons pas. Apparemment, Ulrich voulait m'encourager à suivre mes passions dans le nouveau monde et dans le seul but de me tenir en vie intellectuellement. Ce auquel, je tenais absolument pour des raisons inexpliquées ou mystèrieuses. Ne connaissant pas du tout Paris, je me dirigeai instinctiv-ement sur les quais de la Seine où j'aperçus des bouquinistes avec l'espoir de leur demander où se trouvait le quartier des écrivains? Ce qui à mon avis leur paraitrait d'une grande naiveté de ma part ou bien la question d'une petite folle vu mon jeune age de 13 ans! Mais je ne me démontais pas et malgré la langue française que je connaissais peu avec l'espoir de trouver quelqu'un sach-ant parler le polonais. Mais avant d'entreprendre ma grande stratégie pour faire connaître mon histoire au monde entier, j'avais un réel désir de descendre sur les quais de la Seine où les lieux étaient charmants pour casser la croûte vu que j'avais une faim de loup. Et malgré que je n'avais pas un sou en poche, j'avais la chance d'avoir de quoi manger pendant plusieurs jours grâce à la magie d'Ulrich qui avait pensé à moi pour mon long voyage dont j'ignorais exactement la destina-tion. Car pour l'instant, j'étais dans un flou total pour n'avoir enore rencontré personne à Paris qui puisse m'aider. Et la peur d'être prise pour une vagabonde et d'être arrêtée par la police me tétanisa sur le moment en m'empêchant d'être sereine ou de dormir sur mes deux oreilles en cas où je dormirais à la belle étoile sur les quais de Paris, ce qui me semblait comme la seule solut-ion . Sans oublier les ivrognes et les clochards qui allaient m'importuner vu que j'étais une enfant de 13 ans ainsi que la peur d'être dépouillée de mon vélo auquel je tenais comme à la prunelle de mes yeux! Bref, toutes ces pensées occupaient mon esprit au point de me couper l'appetit, il faut le dire. Quand je descendis sur les quais, après quelques recherches sur la propreté des lieux qui était mon grand souci, je trouvai enfin un lieu qui ne sentait pas l'urine ou couvert d'excéments. Aussitôt, je garai mon vélo à mes côtés de peur qu'on me le vole et sortis de ma sacoche la nappe fleurie qu'Ulrich m'avait offerte quand nous vivions dans une autre réalité qui avait été très pé-nible pour moi, il faut le dire.

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En fouillant au fond de ma sacoche, j'eus le plaisir de trouver un bon morceau de gigot d'agneau, des pommes de terre ainsi que la motié d'une couronne de pain, ce qui m' enleva la petite déprime qui commencait à envahir mes pensées dès les premières heures de mon arrivée à Paris. Tout en m'interdisant d'avoir des états d'âmes afin de pouvoir survivre dans un nouveau monde dont j'ign-orais les codes et bien qu'il avait retrouvé la paix. Ce qui n'empêchait pas que la vie fut un com-bat de tous les instants, n'est-ce pas? J'étais sans aucun doute une enfant armée pour la survie, vu tout ce que j'avais vécu d'insupportable et d'irrévocable, ne nous le cachons pas.  Mais entre nous vivre n'était-il pas mieux que de survivre, mon cher lecteur? Et le célèbre séducteur, Giacomo Casanova, aurait-il pu survivre à son siècle sans la Dolce Vita? Certainement pas pour être honn-ête avec vous. Simone, qui ne connaissait pas la vie tumultueuse de Casanova, mangeait avec fr-ugalité son repas pour ne pas en gâcher une miette et semblait pensive en regardant la Seine où des bateaux-mouches naviguaient tels de gros insectes aquatiques. A travers les baies vitrées des bâteaux, elle pouvait apercevoir le bonheur des touristes s'afficher, comme une jouissance de la vie qu'elle ne connaissait pas pour l'instant! Mais pour être honnête avec vous, après tout ce qu' elle avait vécu d'insupportable avec un grand sang froid, elle n'était aucunement jalouse ou en-vieuse envers ces gens qui semblaient profiter de la vie. Car dans son for intérieur, elle ne dete-stait pas le tourisme, mais comptait faire de sa vie quelque chose de plus interessant, comme une quête du savoir pour ne pas finir idiote, pensa-t-elle avec des yeux lointains et réfléchis. Et que de visiter le monde en passant par une agence de voyage qui organisait tout, bref, avec leurs pro-pres yeux, n'était pas de son goût pour le dire clairement. Sur les quais, beaucoup de jeunes cou-ples se baladaient et semblaient la regarder curieusement. Intriguée, elle se demandait ce qui pou-vait tant les interesser chez elle? Du haut de ses 13 ans, elle se demandait s'ils n'étaient pas en mal d'enfants ou bien la prenait-elle pour une refugiée ou peut-être pour une gitane vu son acco-utrement qui n'était pas à la mode en ce moment à Paris. L'air gênée, elle semblait très inquiète sur son sort qui d'après elle commençait très mal. Quand tout à coup, la voix d'Ulrich surgit dans sa tête pour la conseiller de garder son calme.

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Car après tout, ces jeunes couples d'amoureux avaient peut-être de la tendresse pour elle vu son jeune âge et son air de petite fille abandondée ou sans famille? Reste positive, ma petite Simone et montre leur que tu n'es pas aigrie par la vie, mais pleine d'espoir pour l'avenir, insista Ulrich qui voulait reprendre contact avec elle dans les moments difficiles de sa vie. Tu as tout à fait rai-son, mon cher Ulrich! murmura-t-elle du bout des lèvres en changeant complétement la physion-omie de son visage afin de ne pas éffrayer les personnes qui voudraient lui venir en aide. Sous entendu qu'à Paris, les apprences avaient une importance primordiale pour le public, mais aussi pour ceux qui voulaient réussir en sachant qu'elle était la capitale de la mode et des arts, n' est-ce pas? Mais qu'allait-elle bien pouvoir leur raconter s'ils se présentaient à elle? se demandait-elle avec inquiétude. Où il était hors de question pour elle de leur dire qu'elle était une petite fille juive qui avait réussi à s'échapper du guetto de Varsovie! Pour la simple raison qu'elle ne voulait pas passer pour une enfant traumatisée voir impossible à réadapter à la vie normale. Ce qui n'était pas totalement faux, pensa-t-elle, avec lucidité vu qu'elle avait pour l'instant parler uniquement à un fantôme dénommé Ulrich et à des mannequins de chiffons dans sa cabine de train. Ulrich, à distance, l'admettait entièrement, mais voulait pour elle le meilleur compromis. D'accord si tu ne veux pas parler de ça, va voir dans la sacoche où je t'ai mis des objets qui pourront t'aider à éviter des questions pénibles. Aussitôt, Simone se leva, ouvrit la sacoche de son vélo et aperçut au fond avec étonnement une boule de cristal ainsi qu'un jeu de tarot! Mais qu'est-ce que celà? s'écria-t-elle en s'adressant à lui en ne comprenant pas le jeu qu'il voulait lui faire jouer. Alors là, non, si tu comptes me faire jouer le rôle d'une gitane, je ne suis pas d'accord avec toi! lui expedia-t-elle avec le sentiment qu'il voulait la ridiculiser. Mais non, Simone, ne te fâches pas comme ça! C'est uniquement pour que les gens s'interessent à toi  en leur annonçant de bonnes nouvelles. Ce dont tout le monde est friand, n'est-ce pas? Mais ne me prendrais-tu pas pour une menteuse professio-nnelle? insista-t-elle en connaissant bien ses talents de magiciens, mais sans devoir les remettre en question.

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Prends la boule de cristal et le jeu de tarot et va t'assoir devant la nappe et commence à faire sem-blant de voir des choses extraordinaires à travers. Mais ne t'inquiète pas, car c'est moi qui ferait apparaitre dans la boule de cristal des images lorsque les gens ne te demanderons de voir leur avenir. Mais en es-tu sûr, mon cher Ulrich? lui demanda-t-elle très inquiète. Mais si je vois rien? rétorqua-t-elle. Mais non, tu verras quelque chose, car mes pouvoirs de magiciens sont toujours actifs et même se sont accrus pendant mon incarcération dans les geôles nazies et soviétiques! dit-il avec une assurance hors du commun. Bon, d'accord! dit-elle en emportant avec elle son ma-tériel de magie et en les posant sur la nappe où elle s'asseya devant comme un grande astrologue ou prêtresse. Elle n'était pas loin d'en rire, mais Ulrich l'observait à disance et était prêt à la répri-mander si elle sortait de son rôle de marrionnette qui lui avait assigné. Sur les quais, les gens qui passaient s'interrogeaient de plus en plus sur cet enfant au soi-disant talents de magicienne et pret à recevoir son public pour lui prodiguer de bons conseils et pourquoi pas lui lire les lignes de la main? Lorsqu'elle posa la boule de cristal sur la nappe fleurie, qu'Ulrich lui avait offerte il y a bien longtemps, elle aperçut soudainement son visage! Un visage souriant qui semblait heureux d'avoir survécu aux nazis et aux soviètiques. Visiblement, il était retourné dans la ferme de ses parents à Kiev où il ramassait des pommes de terre avec une binette. Elle n'était pas loin d' éclater de rire où il posait fièrement comme sur une photo d'antan ou bien comme sur un tableau de Van Gogh. Décidément, il était un grand magicien et un véritable passe-muraille qui pouvait s'initier à chaque instant dans la pensée de Simone, qui était apparemment sa protègée. Son ange gardien! pensa-t-elle émue de le voir en bonne santé. Malheureusement, son image disparut soudainement, lorsqu'un jeune couple s'approcha de Simone. Mademoiselle, nous ne voulons pas vous déranger, mais pouvez-vous lire dans l'avenir? leur demanda-t-elle avec une grande naiveté, mais aussi avec une grande audace, il faut le dire. Abasourdie par cette question allucinante qu'on pose rar-ement aux gens normaux, elle ne pouvait plus alors se dérober devant ce jeune couple aux atten-tes bien légitimes et prêt à croire ses paroles miraculeuses. Mais oui, bien sûr! leur dit-telle avec un aplomb inouie en gesticulant ses mains devant la boule de cristal en attendant les paroles prophétiques d'Ulrich qui tardaient à venir.

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Quand le jeune couple s'approcha de Simone, leurs visages se reflétèrent aussitôt sur le boule de cristal où leur amour pour l'un et l'autre était visible, comme une évidence pour Simone. Quel-ques instants plus tard, l'image se brouilla pour laisser place à une petite maison avec un joli jardin ou deux enfants jouaient avec un ballon et un chien! Aussitôt, elle leur dit avec un grand aplomb, Madame, Monsieur, vous aurez deux enfants, un chien et une petite maison à la campag-ne ou vous vivrez heureux jusqu'a vos vieux jours. En êtes-vous sure, mademoiselle? leur dema-nda-t-elle  comme ébahis par la bonne nouvelle. Mais oui, je vous l'assure, car je les vois dans la boule de cristal, comme je vous vois. Bien, bien, et pourriez-vous nous dire leurs prénoms si ce n'est pas trop vous demander? insistèrent-ils en croyant aux talents de voyance de Simone. Atten-dez quelques instants! leur dit-elle en posant l'oreille contre la boule de cristal pour mieux éco-uter la scène où la mère de famille appela ses enfants à travers le jardin pour aller manger. Emi-llie et Gérard, arrêtez de jouer avec le chien et venez manger avant que ça refroidisse! leur dit-elle en haussant la voix pour se faire entendre. Vos deux enfants s'appeleront Emillie et Gérard! leur annonça-t-elle en décrochant un grand sourire au jeune couple qui n'y croyait pas ses oreilles. Mais en êtes-vous sûre, mademoiselle? insistèrent-il en se regardant mutuellement d'un air ébahi. Mais oui, puisque je viens de l'entendre, Madame et Monsieur. Et tu crois que deux enfants suf-firont? demanda étrangement la jeunne femme à son mari. Mais oui bien sûr que ça suffira! répo-ndit-il en la serrant dans ses bras. Chéri, je m'attendais pas à une si bonne nouvelle aujourd'hui en me promenant sur les quais de la Seine et toi aussi je crois, n'est-ce pas? Pour te dire la vérité, ma chérie, je ne m'y attendais pas du tout tellement les temps aujourd'hui sont incertains. Mais je pense, avec ce que nous venons d'entendre, nous pouvons être confiant face à l'avenir. Car j'ai le sentiment que cette jeune fille dit la vérité et qu'elle a un vrai talent pour lire dans l'avenir et je vais en profiter pour lui demander comment sera notre avenir professionnel ou financier. Tu veux parler des sous, mon chéri? Mais oui, bien sûr! répondit le mari en regardant Simone d'une façon insistante, qui semblait génée par cette question d'argent vu qu'elle n'avait pas un sou en poche!

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Aussitôt, elle se pencha sur la boule de cristal et attendit les miracles d'Ulrich dont elle sentait la présence à distance. Quelques instants plus tard, elle aperçut à travers, un bâtiment imposant qui ressemblait étrangement à un ministère peut-être à celui de l'agriculture ou des finances! pensa-t-elle en y voyant entrer et sortir des personnes habillées en costume-cravate tenant entre leurs mai-ns une serviette en cuir. Ulrich, je t'en prie, donne-moi plus de précision pour me sortir de cette sale situation! lança-t-elle avec desaroi en s'adressant à lui. Quand tout à coup, l'image se cala sur l'entrée où elle aperçut une plaque en marbre où il était inscrit en lettres dor-ées : Ministère des Finances! Moniseur, je peux vous annoncer la bonne nouvelle que vous serez haut fonctionnaire au ministère des finances! balança-t-elle comme une bombe à laquelle il ne s'attendait pas en sac-hant qu'il travaillait pour l'instant à la poste où il triait le courrier. Décidément, une sacrée prom-otion! expédia sa femme en lui sautant au cou. Ca ne fait aucun doute pour moi, ma chérie! dit-il en lorgant sur Simone qui était pour eux comme un cadeau tombé du ciel. Peut-on vous aider, mademoiselle? lui demandèrent-ils pour le service formidable qu'elle leur avait rendu. Mais Sim-one, quelque peu génée par la question d'argent en refusant de devenir une mendiante, leur dit : Vous pouvez me donner ce que vous voulez, car je ne fais pas ça pour l'argent mais pour rendre les gens heureux. Le jeune couple, étonné par à cette réponse pleine d'espér-ance pour l'humanité, s'attendrit aussitôt sur cette fille de 13 ans qui semblait connaître la vie. Où apparemment, elle avait attendu cet instant insolite ou magique pour prononcer ces mots qui lui venaient du coeur. Décidément, son passé atroce n'avait pas entâme sa foi en l'humanité, découvrait-elle d'une façon inopinée ainsi qu'Ulrich  qui le savait depuis le premier jour en la sauvant du guetto de Varsovie en tant que déserteur afin de sauver sa conscience d'avoir participé à des massacres. Massacres, qu'il ne lui avait jamais avoué, pour ne pas qu'elle le prenne pour un monstre. Mais Simone, pour service rendu à Ulrich, n'était pas prête pour autant à lui pardonner si cela était avéré, mais évitait le sujet qui fâche où tous les deux cohabitaient ensemble sans trop de heurts ou d'affrontements, ce qui ne changeaient pas en vérité la situation.  

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Quant elle revint  à la réalité, elle entendit le mari lui demander : Est-ce que dix francs vous su-ffiront, mademoiselle? Etonnée par cet élan de générosité, elle ne dit rien, mais lui lança un grand sourire qui voulait tout dire en fait. Aussitôt, le jeune homme, qui semblait près de ses sous, ou-vrit son portefeuille et sortit un billet de dix francs qu'il posa délicatement sur la nappe fleurie. Visiblement tout le monde semblait satisfait par cette expérience unique et insolité où à distance Ulrich savourait ses talents de magicien. Aussitôt, Simone posa un petit caillou sur le billet pour éviter qu'il s'envole. Merci beaucoup, mademoiselle. Ce fut un moment fantastique de vous avoir rencontré! dirent-ils avant de disparaître sur les quais où ils reprirent leur balade amoureuse plei-ne d'espoir en l'avenir. Bien qu'elle fut satisfaite par sa première expérience de voyance, Simone se sentit soudainement très seule face à sa boule de cristal où elle semblait attendre la suite. Car Ulrich mettait du temps à lui répondre ou bien à la complimenter sur sa prestation où visiblement elle était très douée. Quand tout à coup, le visage de ce dernier se refléta dans la boule de cristal et lui dit en ricanant : Eh ben, voilà ta première paye, Ah!Ah!Ah! Simone, génée par cette remar-que déplaisante, ne put se taire et lui expédia avec un semblant de colère : Ah sacré Ulrich, je vois que tu changeras jamais! Et toujours prêt à se moquer des autres, n'est-ce pas? insista-t-elle en lui faisant une grimace à travers la boule de cristal. Cela est vrai, ma petite Simone, mais com-prends-bien que sans mon petit plaisir egoiste, je n'aurai pas le courage de faire les choses. Et pour preuve, tu en es la grande bénéficiaire. Car sans moi, tu n'aurais jamais pu t'échapper du gu-etto de Varsovie et survivre! lui balança-t-il brutalement à travers la boule de cristal où Simone était tétanisée par la vérité qu'Ulrich, le deserteur, venait de lui asséner. Mais, je n'ai jamais dit le contraire! lui retorqua-t-elle avec une grande diplomatie, il faut le dire. Un long silence suivit cette réponse où Ulrich semblait savourer sa victoire en se vengeant d'une petite humiliation qu'il avait reçue de Simone. A propos d'une auto qu'il avait pu réparer, mais que cette dernière avait jugée inutile en sachant qu'ils devaient traverser une forêt pour atteindre la liberté. Mais Ulrich, têtu comme une mûle, avait tout de même insisté et s'était retrouvé vite coincé par la l'épaisse vé-gétation en devant abandonner son véhicule. La mort dans l'âme, il avait dû suivre les recomman-dations de Simone et prendre le second vélo qui se trouvait dans le hangar, non sans amertume, il faut le dire.

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Sur les quais, on voyait notre couple d'amoureux parler à d'autres couples où apparemment, il vantait les qualités extraordinaires de voyance de Simone. Au point qu'une rumeur insolite com-mença à circuler sur les quais où une fille de 13 ans avait le don de lire votre avenir! Et comme les parisiens et les parisiennes étaient connus pour aimer le spectacle, il fallut peu de temps pour crèer une file indienne devant Simone avec le sentiment de devenir une bête d'attraction et de viv-re un véritable enfer. Ulrich, dis-moi vite ce qu'il faut faire avant que je devienne folle? le su-pplia-t-elle en s'adressant à travers la boule de cristal. Aussitôt, Ulrich prit la parole et lui dit : Fait leur comprendre que les consultations sont confidendielles et qu'ils doivent attendent leur tour pour ne pas géner la prestation. Mais dit dire leur avec tact, sinon il risque de partir. Et ce sera ta notoriété et ton salaire qui seront en jeu, Ah!Ah!Ah! ria-t-il avec cynisme. Simone, entend-ant les propos déplacés d'Ulrich, se sentit humilliée une fois de plus en étant sa marionnette où il lui recommandait de jouer le rôle d'une organisatrice de spectacle ou d'un parc d'attractions! Tu sais, c'est beaucoup ce que tu me demandes, Ulrich! lui faisait-elle remarquer en voyant les gens s'amasser devant elle comme des bêtes curieuses, mais aussi avec pleins d'attentes ou d'esperan-ces pour leur avenir. Mais dit leur ce que je viens de te dire et tout ira pour le mieux, ma petite Simone, insista-t-il en restant tout de même le maître du jeu. D'accord, grand prédicateur, Ah!Ah!Ah! ne put-elle s'empêcher de lui dire pour se moquer cordialement de lui. Puis prenant son cou-rage à deux mains, Simone haussa la voix et leur dit : Messieurs et Mesdames, il faut attendre chacun votre tour et si possible vous reculer pendant que je m'entretiens avec une ou deux perso-nnes maximum. Car mes consultations sont confidentielles et ne peuvent pas être divulguées aux autres pendant la séance. En sachant que la magie ne peut qu'opérer en privé, sinon elle sera un échec! insista-t-elle pour les mettre en garde. Aussitôt, on entendit dans la file d'attente, comme une grogne générale ou de contestation, mais qui finit par se tarir en comprenant que la petite magicienne de 13 ans avait tout à fait raison. Un nouveau couple s'approcha de Simone et lui dit : Mademoiselle, nous voulons connaître nos avenir, car mon mari est commerçant et tient beau-coup à ses affaires, n'est-ce pas, chéri? lui demanda-t-elle en de tournant vers lui et qui approuva aussitôt de la tête. Décidément, elle n'était pas encore sortie de ses affaires avec tous ces gens qui avaient des problématiques différentes, pensa-t-elle en attendant les prédications d'Ulrich, le ma-gicien.

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J'espère que personne ne me demandera de soigner ses problèmes d'hémorroides, Ah!Ah!Ah! ria- t-elle sourdement en découvrant les attentes illimités des Hommes. Mettez-vous bien en face de la boule de cristal afin que je vois vos visages, Monsieur et Madame. Aussitôt, notre jeune coup-le de commerçants prit la pose afin que Simone et Ukrich puissent à distance voir leur avenir co-mmercial. Quelques instant plus tard, l'image se brouilla, puis on aperçut une petite rue, visible-ment mal desservie, où se trouvait une petite épicerie qui s'appelait " Au bon beurre" Ca y'est, j'ai trouvé! s'écria-t-elle en apercevant le problème, si l'on peut dire du jeune couple. Votre épicerie s'appelle "Au bon beurre" et visiblement très ma placée, n'est-ce pas? leur demanda-t-elle pour confirmer ses dires. Oui, c'est très exact, mademoiselle, mais comment le savez-vous? insistèr-ent-t-ils avec des yeux allucinés. Mais c'est la boule de cristal qui me le dit et me confirme que vous devez changer d'endroit afin que vos affaires reprennent et que votre commerce redevienne florissant. Oui, c'est exactement ce que l'on veut, mais nous ne savons pas comment nous y pre-ndre. Car voyez-vous, nous sommes de jeunes commerçants sans véritable expérience, il faut le dire. Bien, bien, dit Simone en oscultant à nouveau la boule de cristal afin de leur donner une réponse qui puisse répondre à leurs inquiètudes toutes légitimes. Aussitôt, elle vit défiler sur la boule de cristal des images dont l'une d'elle s'arrêta sur une superette placée sur les champs Elys-ées où la population parisienne s'y engouffrait avec frénésie pour faire leurs achats. Monsieur et Madame, je peux vous confirmer que vous aller reussir votre projet de commerce, car je vois un commerce florissant sur les Champs Elysées! leur balança-t-elle comme une bombe avec un gra-nd sourire. Sur les champs Elysées, mais ne faites-vous pas erreur, mademoiselle? lui demandè-rent-ils en y croyant pas leurs oreilles. Mais si je vous assure, car la boule de cristal ne ment jam-ais et je peux même vous donner le nom de l'enseigne. Ah, oui? Mais alors, j'aimerais bien la connaître afin de me faciliter la vie, Ah!Ah!Ah! ria-t-il avec l'impression de vivre comme dans un rêve. Aussitôt, elle zooma sur la façade du magasin où il était marqué " Au Paris gourmand". C' est "Au Paris gourmand" que vous tiendrez votre commerce et qui, d'après les images, sera flo-rissant par la foule nombreuse que je vois y entrer.

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Le jeune couple de commerçants semblait médusé par les prédictions de Simone qui leur annonç-ait une reussite commerciale, ce à quoi il tenait le plus dans la vie. Au Paris gourmand, oui, oui, ça sonne bien et ça nous convient parfaitement, n'est-ce pas, chérie? demanda-t-il à sa femme qui aussitôt lui sauta au cou. Simone avait alors le sentiment d'apporter du bonheur à ces gens que l'avenir inquiètait en ne sachant pas de quoi il sera fait. Un message qui s'adressait tout particuli-èrement aux gens qui avaient de l'ambition, n'est-ce pas, mon cher lecteur? Quand aux autres, qui n'en avaient aucune dans la vie( et ils étaient plus nombreux qu'on le pensait), l'avenir n'était pas une vraie source d'inquiètude en vivant le jour le jour, si l'on peut dire. Sous entendu qu'ils ne voulaient pas se rendre malade à l'avance, Ah!Ah!Ah! Tout en ignorant qu'ils étaient plus philoso-phes qu'ils le pensaient. Mais entre nous, mon cher lecteur, savions-nous ce que nous étions vrai-ment? Toutes ces questions trottaient dans la tête de Simone qui se demandait si Ulrich un jour lui dira la vérité? Ce qui dérangea pendant un instant ce dernier qui à kiev se demandait de quelle vérité, elle voulait parler? Car pour le magicien qu'il était, la vérité n'avait pas véritablement de sens sinon qu'elle faisait partie elle aussi des illusions. Comme de faire apparaître, puis de faire disparaître les choses où les êtres vivants, comme le faisait la vie depuis la naissance du monde, n'est-ce pas? Ce qui pour lui ne demandait aucun débat philosophique puisque la nature avait jeté les dés dès le depart où les Hommes essayaient de contrecarrer le hasard par des tricheries ou bien par des calculs statistiques. En ne voulant pas remettre en question ces principes en connaissant parfaitement la nature humaine à laquelle on avait peu de prise, il faut le dire. Il n'était pas loin de rire aux questionnements philosophiques de Simone, mais s'abstint en obscurcissant aussitôt la boule de cristal pour lui répondre à sa façon. Simone, remarquant ce changement de luminosité à l'intérieur de la boule de cristal, se sentit soudainement abandonnée par son alter ego et fut prise d'une crise de panique devant les gens qui attendaient leur tour de voyance. Décidément, l'avenir quel sujet de tourmente pour les Hommes! s'exclama-t-elle avec ecoeurement. Alors que vivre au présent, quelle libération pour nos âmes sous le joug du temps, n'est-ce pas?

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Et l'oubli à l'évidence, le meilleur moyen pour accéder au bonheur, mais qui pour elle était une chose impossible à concevoir en sachant que ses parents avaient été exterminés dans les camps de la mort! Et les oublier serait pour elle comme un crime qu'elle ne pourrait assumer moralement. Devenue désormais une otage de son passé, les fantômes de sa famille la hanterait jusqu'à la fin de sa vie, reconnaissait-elle avec amertume, les mains et les points liées. Mais jamais, je ne pour-rais les oublier! lança-t-elle d'un cri du coeur. Et si Ulrich hésitait encore à lui dire la vérité, celle que Simone voulait entendre, c'était pour ne pas la blesser. Car bien qu'il était son sauveur, il n'a-vait pu empêcher la disparition des êtres chers à son coeur, malheureusement. C'est ce qu'elle avait du mal à admettre chez lui dont les talents de magicien auraient pu faire beaucoup plus pour elle, pensa-t-elle, mais sans obtenir de réponse de sa part. Mais un silence tout à fait légiti-me pour Ulrich qui ne voulait pas denonçer les petites ou grandes lachetés de Simone qui avait refusé de rejoindre ses parents en les voyant déliler devant l'hotel où elle s'était cachée bien égoi-stement, il faut le dire. Le désir de survivre était déjà en elle, reconnaissait-il et la raison pour laquelle il l'avait sauvé du massacre. Et comme disait l'évangile dans la bible : Un jour, mes chers semblables, il vous faudra quitter vos familles afin de découvrir la vérité dans la tourmente du monde! C'est ce que visiblement, il essayait de lui faire comprendre, un peu brutalement, il faut le dire. Et se découvrant desormais voyante sur les quais de Seine, à cause d'Ulrich, elle ne savait plus sur quel pied danser!