LE FILS DU DESERT
Ce livre d'une grande honnêteté intellectuelle exprime, en fait, les désillusions sur ce qu'on appelle l'intégration des peuples qui ont dû s'exiler de leur pays pour tout simplement survivre : Mouloud poussé indirectement par la guerre d'Algérie et Simone par le Nazisme. Ces deux êtres, et malgré tous les éfforts de la France pour les intégrer, resteront à tout jamais des êtres déracinés. Et ce constat d'échec pour la France, qu'on peut déplorer, est dû essentiellement à un vice de fabrication de la société française, qui étrangement a horreur des traditions et s'en méfie comme de la peste! Nayant plus aucun appui pour asseoir leur nouvel exil, ces deux êtres ressentent leur déracinement comme un déchirement intérieur, presque comme une trahison de leur pays d'accueil. Le problème de la France d'aujourd'hui ne se situerait-il pas à cet endroit stratégique où tous les enfants d'immigrés rejettent la France au point de devenir des terroristes et de lui faire du mal? Actuellement dans nos sociétés, où tout va très vite, mais qui aura le courage et, disons même, le temps de réfléchir à toutes ces questions qui semblent venir d'un autre temps, alors qu'aux portes de l'Europe frappent des millions de réfugiés? Le rêve d'une vie meilleure et ailleurs serait-elle la grande désillusion des temps modernes? Question que se pose l'auteur et ne peut y répondre que par l'affirmative. |
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J'avais l'impression de revenir à des temps immémoriaux, lorsque je me retrouvais seul face à cette monstrueuse modernité qui m'accablait de maux indescriptibles. Et je me demandais, non sans inquiétudes, comment il fallait faire pour survivre à tous ses cataclysmes intérieurs? |
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Comme les français! |
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Dans son crâne était inscrit en souvenirs sombres, les années scolaires et en souvenirs lumineux, les périodes de vacances où la liberté et le soleil étaient à nouveau réunis. Et c'était volontairem-ent qu'il terrait au plus profond de lui même, cette période bien funeste pour sa sensibilité ori-entale où l'art du savoir était plutôt une question du moment choisi que d'ambition sociale. Savaient-ils ce que mon coeur renfermait de précieux? Si oui, alors pourquoi ont-ils eu un malin plaisir à tout saccager à l'intérieur de mon propre jardin d'Eden? N'était-ce point ici où je me ressourçais où je reprenais à chaque fois des forces afin de garder ma dignité? Mais comment ont-ils pu me faire cela, me faire souffrir au point qu'aujourd'hui à l'âge de 36 ans j'en porte en-core les stigmates? Mon dieu, mais quelle période affreuse pour tous mes sens qui s'ouvraient alors à la nature environnante. |
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( silence) |
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C'est la chute qui faisait mal..murmura-t-il du bout des lèvres tout en se tenant la tête entre les mains. Avait-il vraiment mal à ce moment là ou bien singeait-il sa souffrance? Mouloud ferma les yeux quelques instants, puis les rouvrit afin de poursuivre sa vengeance. En fait, si la France était devenue le pays le plus hypocrite du monde, c'était dû en grande partie au cynisme de Nap-oleon et des américains. Au cynisme de Napoleon qui lui avait fait croire que son orgueil dém-esuré ne se dégonflerait jamais. Et enfin au cynisme des américains qui lui avait faire croire qu' elle avait gagné elle aussi la guerre en 1945! Oh douces illusions, quand tu nous quittes que la vie devient dure! pensait Mouloud en regardant la société française se dissoudre dans le coca, bref, c'était la Bérézina! Mouloud sentait qu'il revisitait l'Histoire à sa façon et il trouvait cela captivant, car il y découvrait la vérité que les Français voulaient se cacher. |
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Écrire ses mémoires! Mais quelle bêtise suis-je en train de faire? se demandait Mouloud, comme s'il pressentait un désastre ou un signe de mauvaise augure pour lui et sa petite famille. Son ins-tinct de survie s'était réveillé brutalement à cette réalité qu'il avait oublié un peu vite et qui main-tenant le tenaillait de tout son corps et de tout son esprit. Ca pouvait être aussi un bon présage, mais comment le savoir? Cette chose révélée par les écritures intimes, mais que signifiait-elle exactement? Mais que signifiait pour lui ce message qui lui parvenait depuis la nuit des temps? Voulait-il lui annoncer de grands malheurs ou tout simplement le mettre en garde contre un dan-ger imminent? Mouloud ne comprenait pas véritablement le sens de ce message. Car pour lui en ce moment tout allait bien du moins au niveau financier où il venait tout juste d'ouvrir sa troi-sième boucherie à Marseille, rue de l'Esplanade où les affaires marchaient bien. Oui, mais que signifiait réellement pour lui cette réussite matérielle, alors qu'au même instant un vent étrange s'était mis à souffler à l'intérieur de sa vie? Cette voix, qu'il avait entendu au début de son manu-scrit, ne s'était-elle pas clairement exprimée? Mais alors pourquoi continuait-il à se cacher la vé-rité? lui demanda-t-elle pour la seconde fois. Se sentant condamné, il ne put qu'approuver par un petit hochement de tête en laissant cette voix envahir son esprit. |
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A cette révélation stupéfiante, qui semblait venir de l'au-delà, Mouloud se sentit une nouvelle fois déraciné et arraché à la terre de ses ancêtres, à cette Algérie qui l'avait bercée au son du fifre et du tambour. Aussitôt son coeur sembla défaillir et se dégorger telle une panse de brebis per-cée de milles flèches ancestrales. Mais comment est-ce possible, mon dieu, de me faire tant de souffrances, alors que je suis sur une terre étrangère? lança-t-il au ciel. Veux-tu ma mort ou bien veux-tu me dire quelque chose d'important? Réponds-moi, je t'en pris. Car il me semble bien étrange que tu veuilles ma mort, alors que je suis devenu riche et prospère. Et qu'il est cer-tainement plus facile pour moi aujourd'hui d'aider mes parents et mon peuple, qui sont restés là bas dans la misère, que je ne le pouvais hier, n'est-ce pas? (silence). Ah!Ah! Ah! Je sais que tu ne me répondras pas, car je devine en toi l'éternelle lâcheté de ne pas vouloir laisser le temps aux mortels de se défendre. Et qu'il est plus facile de m'accuser de lâche, alors que toi tu ne te déco-uvres jamais en restant caché dans tes limbes impénétrables où aucun mortel n'est admis! Non, ta sentence, je ne l'accepte pas et pour ces raisons! Dieu n'est il pas raison? Raison du coeur ou bien raison des sciences? semblait lui demander le ciel où des nuages transportaient des cargai-sons d'eau et de déluges. |
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Ca y'est, j'ai trahi le lien qui nous unissait, semble-t-il? Mais comment vous dire que je ne crois plus à cette justice que les hommes ont sali. Le monde n'est-il pas en vérité un monstre aux ap-pétits multiples : moraux, intellectuels, financiers et pour finir sanguinaires pour ceux qui ne pa-sseraient pas dans les mailles du filet social? |
-Trahison! me dites vous, je ne serais qu'un roi frustré. |
-Hé ben donc, pendant que vous y êtes! |
-On m'arrêtera demain! vous me dites. |
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-Mais n'es-tu pas le fils du désert? lui demanda orgueilleusement une voix intérieure. |
Bien sûr que oui! répondit-il joyeusement où son coeur reprit aussitôt du courage grâce à ce pouvoir magique hérité de son père et de sa mère à sa naissance sur la terre d'Algérie. C'était au-ssi celui de tout son peuple qui se reconnaissait par ce signe distinctif, mais invisible pour celui dont le coeur était mort. Et le ressentait en lui comme une force que le monde autour de lui ne pouvait détruire. Mouloud avait comme tout oriental, le coeur sur la main et s'il vous le disait, ce n'était pas pour se donner une quelconque importance, oh non, croyez-bien. Mais étrangem-ent, cela vous avait fait rire qu'il vous le dise comme ça de but en blanc et vous ne pouviez plus alors vous retenir tellement la chose vous semblait hilarante, Ah!Ah!Ah! Puis sans prévenir la magie s'envola, voilà votre grande bêtise! comme dirait monsieur de la Fontaine qui en savait quelque chose sur la matière, n'est ce pas? Pour les autres qui ne voudraient pas me croire, vous pourrez le vérifier par vous-même auprès de votre ami oriental( si vous en avez un). Demandez lui ce que vous voulez, il fera tout pour obtenir ce que vous désirez. La magie de l'orient, c'est à vous d'y croire ou non. |
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Djaïda semblait regretter ces moments inoubliables où sa vie puisait ses raisons d'exister dans ce monde si méchant aimait-elle souvent à dire. Mais depuis "ses grands travaux" tout semblait av-oir changé dans la maison et, bien évidemment, Mouloud ne lui avait pas dit ce que de mal il était en train de faire : car un homme n'avait-il pas le droit lui aussi d'avoir un jardin secret où son coeur aimât à saigner encore dans la solitude? Bref, c'était trop intime trop écorché vif pour être dévoilé à sa femme qu'il affectionnait tout de même. Il l'aimait sans hypocrisie, comme tout homme devait le faire envers la mère de ses enfants. Mais en vérité, il la sentait de plus en plus étrangère à ses propres interrogations, n'osant même plus lui demander un avis sur telle ou telle question de peur qu'elle s'en effraye, comme s'il la sentait impuissante à assumer ce nouveau rôle qu'il voulait lui proposer : lui qui avait mûri dans son âme et dans son coeur. |
Djaïda était dans sa cuisine, lorsque le petit Sofiane arriva tout essoufflé. Il posa son gros cart-able sur la table où Djaïda était en train de préparer le repas du soir. Non, non et non, je t'ai dit cent fois de ne pas poser ton cartable sur la table! Tu ne vois pas que je suis en train de faire la cuisine, hein? Allez Sofiane, prends tes affaires et va les ranger dans ta chambre. J'espère que tes professeurs t-ont donné des devoirs. N' me dit pas l'contraire, car si tu mens, tu vas la recevoir sur la figure cette main! Djaïda avait levé une de ses mains tout en gardant l'autre dans le plat, qui continuait à rouler énergiquement les graines de couscous : elle semblait très énervée. |
-Oh m'an, j'ten prie, laisse-moi au manger quelque chose. Tu sais, je crève de faim! |
-Mon dieu, mais qu'est-ce qu'il te donne à manger à la cantine? Tu vas pas me dire que je donne tous les mois 1000 Francs pour que tu reviennes à chaque fois à la maison comme un crève la faim? |
-S'il te plaît, m'an, laisse-moi regarder dans le frigo pour voir s'il ne reste pas un morceau de fromage ou un peu de gâteau d'hier soir. |
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Elle avait fait ce matin elle-même le marché et avait donc choisi tous ses légumes. Ouf, ils y étaient tous: le marchand ne l'avait pas volé! dit-elle en sourdine. Mais soucieuse de la nourriture qu'elle donnait aux siens( en ne faisant aucunement confiance à ces maraîchers venus de la banl-ieue Nord de Marseille où ils avaient mauvaise réputation), elle les retourna un par un et dans tous les sens afin de voir s'ils ne cachaient pas un côté pourri. Car les marchands savaient si bien présenter leur marchandise sur le bon côté des choses que d'après eux, ils avaient toujours les plus beaux légumes du marché. Et si vous essayez de les tâter, aussitôt ils vous insulteront com-me du poisson pourri. Leur réponse étant toute faite : Imaginer ma p'tite dame si tout le monde faisait comme vous. Hè, peuchère, on aurait plus rien à vendre! Avec vos doigts vous les faites souffrir nos beaux légumes, oh ma bonne mère! Ayez pitié de nous( le marchand semblait déli-rer!). Allez ma p'tite dame, vous en voulez un kilo? Je vous assure qu'ils sont les meilleurs du marché. Bon d'accord, mettez-moi z'en un kilo, c'était la réponse qu'attendait le marchand. Tous des charlatans, ces maraîcher! lança-t-elle en remarquant qu'un de ses poivrons était un peu flétri sur le côté. Ouillouillouille, le salaud, mais qu'est-ce qu'il m' a encore vendu le bandit? |
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Ouf, il n'avait pas oublié son manuscrit! s'exclama-t-il en apercevant au fond de sa serviette en peau de chèvre, la tranche épaisse et blanche d'une liasse de papiers. Cette serviette était bien pr-atique pour lui en lui permettant de cacher aux regards des autres (souvent indiscrets) pas mal de choses, comme son manuscrit à sa femme et ses comptes personnels aux employés de la bouche-rie qui selon lui étaient toujours trop curieux. Et puis fouineuse comme elle est, j'en suis sûr qu' elle l'aurait déniché en faisant le ménage dans mon bureau. L'important étant pour moi de limiter les risques, pensait-il en lisant les chiffres qu'ils avaient devant lui qui représentaient les tarifs en gros de chaque morceau de viande d'une bête. Ca allait du prix du jarret jusqu' au prix du pied de veau! Il devait bien surveiller tout ça de près, car les abattoirs du nord de Marseille commençai-ent un peu à l'exaspérer avec leur prix qui ne faisaient que monter. Mais quoi, un veau à 3000 Frs, alors qu'il était le mois dernier à 2000 Frs! Mais ils deviennent tarés ou quoi? Je vais les appeler immédiatement. Ah non, j'vais plutôt demander à? Heu..à Youssef qui s'est occupé de ces derniers achats et lui demander pourquoi il a pris ce veau entier à ce prix là, alors que chez l' abattoir "de la plaine" ils le font beaucoup plus bas." Mouloud, visiblement très vexé, se leva aussitôt de son bureau et entrouvrit discrêtement la porte de l'arrière boutique donnant sur le magasin et appela d'une voix contenue Youssef (qui était en train de servir une cliente).Youss-eff, Yousseff, laisse Kader servir Madame! (bonjour madame! dit-il en passant). Ce dernier s' exécuta et Mouloud le laissa passer dans l'arrière boutique, puis referma la porte derrière lui. |
-Et alors, c'est quoi ça? lui demanda-t-il en lui montrant la facture du veau pris chez "Gigolet". |
-Oui et alors qu'est-ce qu'il y a d'anormal? répliqua Youssef surpris par cet entretien inattendu. |
-Non, tu ne trouves rien d'anormal? Quoi, le prix d'un veau entier 3000 Frs, et ça t'as pas tapé à l' oeil qu'ils essayaient de nous voler? |
-Mais m'sieur Mouloud, moi j'connais pas les prix pratiqués chez les autres concurrents! |
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-Ah oui? répondit-elle surprise. Un long silence s'installa dans la pièce où Gisèle pensa qu'une de ses collègues avait dû la devancer. Mais comment se faisait-il qu'elle n'avait pas été mise au courant? se demanda-t-elle subitement. Mais avec qui comme fille? demanda-t-elle rageusem-ent. |
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Le principe fonctionnait si bien qu'il en abusait d'une façon quotidienne afin d'arriver à ses fins de gloires, de richesses, mais aussi de plaisirs. Les femmes seraient bien évidemment ses premi-ères victimes en lui ouvrant toutes les portes dont elles détenaient étrangement les clefs pour se servir au passage d'une façon magnifique : là était son seul et unique but. Il laisserait donc après son départ un grand vide, mais qui ne le gênait aucunement puisqu'il aura d'une certaine façon regagné sa liberté: lieu où il redevenait intouchable et très loin de l'agitation du monde. C'était un principe assez ignoble, ne nous le cachons pas, mais dont l'exercice lui procurait une grande jouissance à chaque fois qu'il se mettait à inventer de drôles d'histoires que seules et seulement les femmes étaient prêtes à croire. Le rêve de sa vie se jouait dans cette imposture à transformer sa vie, mais aussi celle des autres où il intervenait sans demander leur accord. En les surprenant par sa drôlerie, mais aussi par cet air détaché qu'il prenait pour raconter les événements qui avai-ent marqué d'une manière indélébile l'Histoire de l'humanité et la sienne au passage, elle aussi remplies de folles péripéties. Avec lui, quand les gens l'écoutaient, seul l'instant comptait et le temps perdait de son épaisseur et la vie redevenait tout à coup légère, comme un voile transpare-nt au dessus de ces beaux visages, de ces belles inconnues cherchant sans aucun doute l'amour, toujours l'amour. La température des salons surchargés de lustres et de miroirs étincelants mon-tait et les yeux des femmes brillaient! Ce rêve d'or et d'argent, Mouloud en rêvait jour et nuit. Rêve de vanité? Possible. Rêve d'amour? N'allons pas trop loin! Rêve de gloire traversant le te-mps? Et Pourquoi pas? Mais que Gisèle, malgré sa grande beauté, ne pouvait lui offir? Exact. |
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Youssef semblait très ému, malgré la bêtise qu'il avait faite sur la dernière commande, en sentant son patron à nouveau lui faire confiance. Kader, quant à lui, semblait complètement destabilisé et ne comprenait pas l'indulgence de son patron à l'égard de Youssef. Alors que lui toujours sér-ieux, dure à la tâche, l'air grave, attendait patiemment les faveurs de son patron. Il est vrai que Mouloud n'avait jamais pu le prendre en défaut depuis qu'il avait embauché, il y a 2 ans : il était toujours à l'heure, jamais malade, son tablier toujours propre devant la clientèle, toujours le so-urire, un peu forcé, c'est vrai, mais tout de même crédible auprès des habitués. Kader était presque parfait et c'était peut-être cela qui le gênait le plus, lui qui se savait plein de défauts, de vices cachés, d'emportements colèriques et un goût prononcé pour la boisson. Mais les affaires étaient son domaine de prédilection et ça personne ne pouvait le contester. En fait, il avait trop de respect pour Kader pour lui demander une chose comme de fermer le rideau de fer en fin de journée! Non, ce qu'il prévoyait pour lui, c'était plutôt un avancement un peu plus conséquent. Peut-être ouvrirait-il une quatrième boucherie, afin de lui en confier la gestion? Mais pour l'ins-tant, il n'en savait rien et ça tournait dans sa tête, comme toute chose devait tout naturellement tourner dans tête avant d'être réalisée. |
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AVIS AU LECTEUR |
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Mais qui pouvait bien être la vraie madame Sarfaty? Et que représentait-elle exactement pour Mouloud qui, malgré le temps qui passait, essayait de la rejoindre au plus vite? Et sa femme Dj-aïda que savait-elle de cette étrange relation qu'il entretenait avec cette femme qui était juive et "pied-noir" en plus. Quel étrange garçon, il était! se disait-il en remontant le vieux port où le ve-nt s'était mis à souffler avec l'impression une fois de plus de vouloir remonter le temps malgré lui. Mais qui pouvait bien le pousser ainsi qu'un fétu de paille vers cette femme au nom ridicule de madame Sarfaty? Mais qui le poussait vers ce passé qu'il ne connaissait que par bribes et par accouchements successifs de ses divinités. Le mystère semblait régner dans sa propre vie où il essayait de trouver une raison de continuer cette route, qu'il ne connaissait pas, mais qu'il devait emprunter chaque jour comme ces millions de gens anonymes étrangement attirés par les emb-outeillages des villes : coeur hypertrophique des cités modernes et antiques! |
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Tout ceci se fit à une vitesse si impressionnante que Simone n'aperçut rien de cette étrange gym-nastique venue de la nuit des temps. Après leur retour vers la réalité, ils se mirent à tourner aut-our de son large fauteuil d'où étrangement ses jambes pendaient. Et dans un mouvement incess-ant de va-et-vient, comme dans un rituel mystérieux, ils caressaient ses jambes malades abomin-ablement grossies et déformées par la maladie que l'accident de la semaine dernière avait empiré l'état. Elle se souvenait alors d'avoir débaroulé sur chacune de ces marches (heureusement en bois!), la tête la première et en rebondissant comme un vulgaire punching-bal jusqu'au palier du bas. Simone ne voulait plus y penser et on pouvait bien la comprendre. Mais contrairement à ce qu'elle avait vécu( car elle avait pu se relever toute seule et remonter jusqu'à chez elle à la force de ses poignets malgré ses jambes en bouillie), elle n'en finissait pas de chuter interminablement dans ses escaliers comme dans un puit sans fond. Etrangement ses voisins, qui la voyaient desc-endre comme un obus, avaient plutôt l'air de s'en réjouir que de vouloir lui apporter réellement une aide. Et employaient à son égard un vocabulaire assez féroce qui n'était nullement à la hau-teur de la situation. Alors ma p'tite Simone, on n'dit plus bonjour à ses voisins? Mais c'est pas beau ce que vous nous faites là! Ah, j'vous croyais pas comme ça! Oh, madame Sarfaty, mais c'est la jeunesse qui revient ou quoi? Ah!Ah!Ah! Mais on plaisantait, ma p'tite Simone! |
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-Oh les monstres! leur criait-elle indignée tout en continuant sa chute qui ressemblait à un vérit-able cauchemar en ne connaissant pas la suite des évènements. |
-Au fait, madame Sarfaty, votre créateur n'est-il pas mort? Non? Oui? Et alors qu'est-que vous faites encore parmi nous à nous embêter avec vos vieilleries? Votre place est sûrement entre 4 planches, non? Ah!Ah!Ah! Allez, adieu madame Sarfaty! Simone épouvantée leur criait : Messi-eurs, je vous en supplie, vous devez faire erreur sur la personne. Car je ne suis pas celle que vous avez vu à la télé, mais je suis la vraie madame Sarfaty, celle qui a fait les deux guerres et participé à la libération de la France. Et pour ne rien vous cacher, j'ai connu peronnellement le général de Gaule! |
-Et mon cul, tu le connais? Ah!Ah!Ah! lui répondait-on brutalement. Non, madame Sarfaty, vous n'êtes qu'une menteuse. Car vous n'êtes qu'une imposture de l'Histoire, qu'un personnage audio-visuel. Vous ne méritez même pas qu'on vous répondent! |
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Non pas celui de la deuxième guerre mondiale où ses parents avaient péri carbonisés dans les ca-mps de la mort! Ni celui de la guerre d'Algérie où elle fut violée puis torturée! Mais celui d'auj-ourd'hui où elle se sentit mourir dans la plus grande indiffénce : génocide quotidien où la barb-arie était dans les mots et dans les intentions méchantes de cette humanité chancelante et hysté-rique. |
Elle voulait mourir, mais se demandait comment il fallait faire? Elle regarda alors au plafond pour voir s'il n'y avait pas une corde ou bien un fil électrique qui aurait pu? Mais elle ne vit que des ampoules électriques enfouies sous des hublots de verre translucides et des moulures en bois où semblablement les câbles couraient. Puis tout à coup, la lumière s'éteignit. Tiens, c'est sûrem-ent la minuterie qui a dû se déclencher! dit-elle du bout des lèvres comme pour se rassurer. Mais n'en fut pas plus malheureuse pour autant en ressemblant à une mort artificielle où elle retrouva même un peu de réconfort dans sa détresse. Reposant sa tête contre le mur du palier, mais ne po-uvant contenir ses larmes, elle se mit à pleurer longuement à visage découvert dans la pénombre où ses sanglots prirent une dimension insoupçonnée qui l'effraya horriblement en imitant le chan-ts des morts! Remarquant la peur qu'elle avait engendré sur elle-même, elle détacha instinctivem-ent sa tête du mur et s'arrêta aussitôt de pleurer. Une chose l'intriguait, c'étaient ces petits points lumineux qu'elle pouvait observer dans la pénombre de la cage d'escalier qui se trouvaient à l'int-érieur des boutons électriques et semblaient commander la minuterie. Plus elle les regardait, plus ces petites lucioles avaient l'impression de se détacher du mur et plus elles ressemblaient à de gros insectes lumineux qui se mirent à voler autour d'elle. En les regardant de plus en plus inten-ément leur effet hypnotique ne fit que grandir et madame Sarfaty, au lieu de voir en eux de char-mants petits insectes lumineux, aperçut l'enfer! |
Le feu du diable où les flammes, issues des bombes incendiaires, ravageaient et faisaient s'écrou-ler, comme des châteaux de cartes, des bâtiments entiers dans un fracas abominable de balles cré-pitantes dans le ciel et sous le bruit assourdissant des sirènes de la D.C.A! |
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La journée s'était donc passée dans cette ambiance plutôt bonne enfant pour les gens de la rue. Et le soir venu, la famille Mandel était partie se coucher après un dîner plutôt léger, afin que le so-mmeil de chacun en soit le moins dérangé par la digestion. Elle habitait dans un petit pavillon situé dans le quartier Est de la ville : la nuit était tombée et tout le monde dormait. |
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-Mais qu'est-ce qui s' passe, chéri? Tu te sens pas bien, hein? |
-Non, c'est pas ça, chérie. Mais viens vite, car je ne peux malheureusement pas te décrire ce qui se passe dehors tellement ça me glace.. |
-Comment ça te glace? J'arrive tout de suite..dit Christiane en se levant et en jetant presque la couverture hors du lit pour aller rejoindre son mari à la fenêtre. Alors qu'est-ce qu' il y a ? lui demanda t-elle un peu essoufflée. |
-Regarde! lui dit-il en soulevant le rideau. |
-AAAH! Mais? Mais? |
-Jean, tu sais, tout n'est pas perdu! Et puis il y a les enfants et je ne voudrais en aucun cas qu'il leur arrive quelque chose. Battons-nous pour eux, le veux-tu? |
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-Oui, je le sais bien. Mais notre mission n'est-elle pas de les sauver de la folie destructice des hommes, car qui d'autre que nous le fera? |
-Mais c'est la guerre, mon amour, ne le vois-tu pas? |
-Mais oui, je le vois bien. Mais sans nous, je pense qu'ils ne survivront jamais à cette horreur et ils nous faut les protéger en leur cachant la vérité. Tu sais, chéri, à ces âges on est souvent aveu-gle et leur dire seulement que nous allons faire nos valises pour un très long voyage, ça ne pou-rra que les aider à mieux supporter les choses, non? |
-Mais n'es-tu pas devenue folle? Mais on nous bombarde et ça ils vont le voir, non? Et tous ces morts que nous risquons de voir sur notre route, mais comment vas-tu leur expliquer? Tu vas leur dire qu'ils sont tombés de leurs fenêtres, comme ça par hasard? Tu délires complètement, ma petite Christiane! Mais au fond, je crois que c'est toi qui a raison, car il faut nous battre jus-qu'au bout pour ne pas nous en vouloir plus tard. |
-Ah, je savais bien que tu serais d'accord avec moi, mon chéri! |
-Mais ai-je bien le choix? Allez, au lieu de nous apitoyer sur notre sort, dépêchons-nous! Et il faudrait que l'on soit parti avant qu'ils arrivent. Toi, va réveiller les enfants. Moi pendant ce te-mps là, je vais descendre les valises du grenier afin de préparer ce long voyage où la chance sera notre seule alliée. |
D'accord chéri, j'y vais.. |
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Allez, simone, réveille-toi! Fais vite, c'est maman qui te le demande! |
-Mais maman, c'est quoi tout ce bruit qu'on vient d' entendre? |
-C'est rien, ma petite, c'est tout simplement de l'orage. Allez, fais ce que je te demande. Nous allons partir tous ensemble pour un long voyage et ton père est en train de préparer nos valises. |
-Ah oui, maman? Mais à cette heure-ci? Mais où au juste? |
-Là où on ira, j'te dis. Allez, Simone, arrêtes de me poser toutes ces questions et habille-toi mai-ntenant. |
-D'accord, maman." |
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Les tirs de la D.C.A commençaient à se faire entendre d'ici où l'on pouvait apercevoir à travers la fenêtre des lucioles lumineuses envahir le ciel. C'était beau et en même temps affreux, car je devinais inconsciemment que ces petits insectes devaient tuer les autres beaucoup plus gros et en acier qui lâchaient sur nos têtes des choses qui tuaient. Lorsque je fus prête, je partis dans le salon où j'aperçus avec surprise mon père qui essayait de rentrer un maximum d'affaires dans nos valises qu'on utilisait surtout pour aller en vacances. Mais comme il était très énervé, il n'y arrivait pas. Et moi, bizarrement, au lieu de l'aider, je le regardais faire en apercevant sur son visage une grande détresse, puis tout son corps se mit à trembler frénétiquement de peur ou de froid. En fait, je n'en savais rien. Mon dieu, c'était la première fois que je voyais mon père trembler de cette façon si horrible devant sa famille au point de me faire ressentir de la pitié pour lui. Bref, il m'était impossible de lui venir en aide et je ne savais pas pourquoi, car j'étais comme paralysée par la situation, mais aussi par mon jeune âge, âge bête par excellence. Tout cela ne dura qu'un très court instant et heureusement pour moi. Car ma mère, voyant son désa-rroi, se précipita aussitôt à ses côtés pour l'aider à ranger au mieux nos affaires d'enfants dans les valises. Mon père avait alors baissé les yeux et moi je ne savais pas si c'était de la honte où tout simplement de la peur; ma mère n'avait laissé rien transparaître du moins en apparence. |
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On mit un bon quart d'heure pour nous habiller et faire nos valises. Maman sortit la première et me tenait par la main. Papa portait mon petit frère et tenait l'autre valise. Dehors tous les habi-tants de notre quartier avait fait comme nous et portaient enfants et valises sur les bras. Ca criait et ça pleurait de partout tellement la situation était incompréhensible. Moi je ne pleurais pas, mais j'ai eu très peur quand les maisons ont commencé à s'écrouler sur nous! Maman, furieuse, nous cria dessus en nous sommant de rester au milieu de la rue pour éviter de recevoir sur la tête, les gros blocs de pierre et les énormes poutres qui se détachaient des bâtiments éventrés. L'air devint vite irrespirable à cause de toutes ces fumées toxiques qui se dégageaient des bâtim-ents en flamme où l'on pouvait apercevoir, comme suspendu au dessus du vide, un restant de cuisine et même la moitié d'un salon! La foule, paniquée par le déluge de feu qui se déversait sur elle, encombra très rapidement la rue et nous dûmes accepter de ne plus pouvoir progresser. Étr-angement, tout le monde se mit à observer le ciel, où l'on ne pouvait strictement rien voir, mais entendre uniquement le bruit des bombardiers ainsi que le sifflement des bombes qui en chutant déchiraient affreusement l'atmosphère. Affolés de ne pouvoir s'enfuir, des gens se battaient pour gagner seulement quelques mètres! On s'insultait à mort au milieu du désastre et c'était affligent. |
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Mon père avait serré mon petit frère contre sa poitrine pour qu'il ne vit rien de toute cette horre-ur, ce que ma mère approuva aussitôt. Et nous traversâmes, blottis les uns contre les autres, ce champ de cadavres où un cratère s'était formé au milieu de la route. La foule avait enjambé un à un tous ces morceaux de chair humaine sans pour autant arrêter sa longue marche. Car il lui fall-ait absolument gagner la campagne afin de retrouver un peu de paix au milieu des bois où elle se sentait prête à construire des cabanes pour s'abriter où le bois ne manquerait pas pour se chauffer ainsi que le feuillage pour garnir les sols et couvrir les toits de leurs nouvelles habitations. Cha-cun y pensait, mais sans pouvoir mesurer ni soupçonner la distance qui les séparait de ce bonh-eur juste entraperçu, sachant qu'il leur fallait encore traverser une grande partie de la ville qui était toujours pilonnée par l'aviation en ne faisant qu'augmenter leur crainte qu'ils puissent sortir vivant de cet enfer. |
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Un banc, qui était souvent libre à ces heures-ci, me permettait de me reposer après ma course frénétique à travers la ville. Je savourais le tout accompagné d'une petite bouteille de limonade que j'achetais à la boutique "chop" et j'étais heureuse. Et personne ne pouvait connaître à ce mo-ment là mon bonheur où jeunesse, culture et gourmandise, rimaient ensemble d'une manière fan-tastique! |
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Monsieur Gruau, qui était impressionné par mon sens de l'improvisation, me parlait souvent de vouloir monter un spectacle avec lui. Mais moi, horrifiée par cette idée quelque peu extravagan-te, je préférais ne pas lui répondre en gardant toute ma stupeur. Car de me mettre à jongler avec lui devant toute cette faune où mon père et ma mère pouvaient à tout instant surgir, cela resse-mblait à de la pure folie! Mais il le comprit assez vite et n'osa plus jamais m'en reparler. Je savais bien que ce genre de spectacle aurait pu marcher et lui faire gagner beaucoup d'argent. Mais bien que l'idée fusse bonne, jamais je n'aurais pu expliquer la chose à mes parents qui m'auraient prise pour une folle. |
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La musique de Bach avait fait, semble-t-il, son effet et m'avait propulsé dans un monde et dans une religion que je sentais très proche, mais qui au lieu de m'apporter de la joie m'apportait des inquiétudes et me torturait la chair et les os où il me semblait pleurer des larmes de sang au des-sus des bénitiers d'eau fraîche qui auraient pu soulager ma douleur. Ainsi se terminaient souvent mes visites à l'église Sainte Catherine où, courant de panique à travers la nef, j'épargnais rarem-ent la foule sur mon passage pour le pardon que je ne pouvais leur accorder. Apparemment pour cette foule anonyme, j'étais une fille désespérée ou peut-être avais-je été bouleversée par les ré-vélations du Christ? En fait, je n'en savais rien. |
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Les comptoirs des cafés du boulevard étaient maintenant vides, vidés de toute substance humai-ne et réfléchissante. Les miroirs, qui autrefois renvoyaient la vie et les alcools multicolores sur les visages des jeunes hommes, étaient maintenant brisés par l'horreur. Le zinc avait noirci sous l'effet thermique des bombes et les bouts de comptoirs étaient brisés en plusieurs morceaux! Au fond de la salle, où tous les sièges étaient renversés, on pouvait apercevoir dans la semi-obscu-rité les portraits magnifiques de Marylin Monroe et d'Erroln Flynn encore suspendus au mur. Étrangement, ils souriaient tous les deux à je ne sais quoi d'extraordinaire et de tragique à la fois où Marylin faisait tourner une ombrelle sur son épaule nue et Erroln Flynn en faisant le pitre dans ses collants de robins des bois! |
Au fond de moi, je me disais qu'il fallait arrêter de me faire souffrir inutilement. Car à vouloir absolument tout voir et tout retenir, au milieu de cette tragédie, cela ne pouvait en fin de compte que m'attirer le malheur. A aucun moment, je me suis sentie l'unique témoin de toutes ces horre-urs. Avec l'intime conviction que tous ces gens, qui fuyaient alors les bombardements, avaient essayé comme moi d'arracher aux débris et à la cendre des monuments, un dernier souvenir d'une vie qui avait été heureuse. Maintenant, il n'en restait plus rien. |
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Je l'avais remarqué par la manière qu'ils avaient de parler entre eux avec leur propre jargon qui était bien sûr incompréhensible pour nous autres. Mais le plus surprenant pour moi fut de voir, au fur et à mesure que nous nous enfonçions dans l'inconnu et dans un ordre apparent, qu'il rég-nait derrière nous une agitation anormale. On parlait de scinder le groupe en deux partie afin d' éviter que les troupes ennemies nous capturent tous ensemble! Bizarrement ceux qui avaient lancé cette idée fort logique étaient les anciens employés de la ville et leurs petits chefs de servi-ce qui, par je ne sais quel miracle, avaient pu se rejoindre en remontant la foule et ainsi se regro-uper. Mon père, qui avait tendu l'oreille, poussa aussitôt une exclamation pour exprimer son opposition à cette idée de couper le convois en deux, alors que l'on se rapprochait doucement de notre future libérté. Bref, il était question de faire passer la moitié des gens par l'avenue de Jeru-salem. Mais vous êtes fous! leur lança-t-il à la figure Mais aussitôt les anciens employés de la poste ripostèrent en lui disant que tout n'était qu'une question d'organisation. Car en continuant dans cette direction, il était sûr et certain qu'ils allaient tous se faire prendre! Ce qui n'était pas totalement faux, puisqu'en scindant le convois en deux, chaque groupe avait une chance supplé-mentaire d'atteindre la campagne. Mais mon père n'en démorda pas et prit à partie leur supérieur qui se croyait tout permis en voulant, semble-t-il, prendre le pouvoir au milieu de l'horreur. |
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-Mais? répondit Jean. |
-Je ne sais pas si monsieur a étudié l'histoire? |
-Euh? |
-Moi, si monsieur, et je sais que l'armée ennemie doit nous attendre tranquillement à l'autre bout de la ville où il faut s'attendre au pire. A moins que vous ayez une autre solution à nous propo-ser, monsieur, qui semblez tout savoir? |
-Euh? Jean, ne sachant plus quoi répondre, leur dit: Sâchez, messieurs, que jamais je ne vous su-ivrai moi et ma famille! Pour la simple raison que j'ai toujours été un ennemi fervent aux idées de masse que vous essayez encore aujourd'hui d'appliquer à notre situation désastreuse. Non, messieurs, les anciens fonctionnaires, vous êtes aussi nus que nous, les pauvres citoyens qui av-ons été de tout temps maltraités par nos États. Désolé, messieurs, mais je ne peux plus rien faire pour vous! Et surtout n'essayez pas de convaincre les autres, personne ne vous suivra. Le grand mensonge est enfin terminé pour nous tous, c'est cela que j'avais à vous dire, Adieu, messieurs! Aussitôt, Jean se retourna sur la foule et chercha du regard sa femme qui, émue par les propos de son mari, le prit par le bras et l'entraîna au loin. Jean semblait très ému par ce qu'il venait de dire et ne faisait que répéter à sa femme : Ah tu as vu? Tu as vu, comme je leur ai cloué le bec à ces fonctionnaires? Passer par l'avenue de Jerusalem, mais c'est de la pure folie! Large comme elle est, nous n'aurions aucune chance de nous en sortir vivant s'ils venaient à larguer des bom-bes. Mais ils sont fous, vraiment fous ces fonctionnaires! Après ces enguelades au milieu de l'at-rocité, nous reprîment notre marche, têtes baissées et droit devant nous. Tandis qu'à l'arrière, les gens qui avaient perdu leur prestige et leur statut de fonctionnaire essayaient de convaincre les gens de les suivre, mais semble-t-il sans aucun succès, puisque l'Etat n'existait plus. Des chiens, abandonnés par leurs propriétaires et qui n'avaient pas mangé depuis une dizaine d'heures, dévo-raient des cadavres dans les ruines en essayant d'extirper un morceau de chair à travers les vête-ments cintrant les corps en voie de décomposition. Etrangement, dès qu'ils nous vîmes, ils arrêt-èrent leur carnage, comme si nous représentions pour eux, pour ces animaux domestiques, un appel vers la civilisation, puis ils coururent dans notre direction afin de renouer avec nous. |
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Un jeune garçon sortit de la poche de son veston, un petit transistor qu'il commença à manipuler fébrilement entre ses mains. Tout le monde semblait stupéfait qu'il ait pu emporter avec lui ce petit récepteur radio, alors que chacun avait estimé en faisant ses valises qu'un transistor était une chose de tout à fait superflu. Des curieux le regardaient faire et semblaient l'envier de pou-voir manipuler un objet qui avait appartenu à la vie quotidienne et à un monde qui avait disparu en quelques heures! Ce petit transistor leur rappelait beaucoup de souvenirs, comme le petit déj-euner pris en famille dans leur maison de campagne où l'air sentait bon la verdure et les fleurs du jardin; le café était servi dans les tasses et ils n'avaient plus qu'à s'asseoir pour le déguster tranq-uillement. La radio était allumée et leur parlait joyeusement du temps qu'il allait faire. Étrange-ment, la météo ne se trompait jamais à cette époque là! Après ils écoutaient les chansons d'Edith Piaf et de Charles Trenet innondées les ondes comme des messages chargès d'amour et d'espoir. Que le monde était beau à cette époque là! semblaient-ils regretter en ne quittant pas des yeux, le petit transistor du jeune garçon. Qui, étonné par la surprise qu'il avait créé autour de lui, le colla ensuite contre son oreille en faisant tourner la molette pour essayer de capter une station de ra-dio, mais où aucun crépitement ne sortit du petit récepteur. Il insista, mais cette fois-ci en faisant tourner la molette dans l'autre sens, mais là aussi rien du tout, même pas un petit crachotement ne sortit de ses entrailles électroniques où les ondes semblaient vides, vidées de toute substance humaine où les émetteurs avaient été réduits en miettes ou kidnappés par l'ennemi. |
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Il était vers les 1 heure du matin et cela faisait plus de 2 heures que nous marchions dans la nuit fluorescente où l'on n'apercevait toujours pas la sortie de la ville. Cela nous inquiétait d'autant plus que nous apercevions de temps en temps des soldats sortir des rues perpendiculaires à notre route. Mais étrangement, tout le monde faisait semblant de ne pas les voir et continuait sa route comme si de rien n'était en pensant que personne ne pourrait les arrêter comme ça d'un seul coup avec 2 mitraillettes et 3 couteaux! N'étaient-ils pas des milliers? pensaient-ils fièrement. Et qui pourrait nous arrêter? Quoi, quelques soldats? Non, ce n'était pas possible pour eux de l'envis-ager! De plus en plus de soldats remontaient vers le centre ville afin de s'emparer des lieux strat-ègiques d'où partirait ensuite leur plan d'extermination. On sentait comme un malaise s'amplifi-er parmi nous, puis soudainement, on entendit des bruits de moteurs qui, selon des gens avertis, n'étaient pas ceux d'automobiles ou de camions. Ce sont des chars! lança soudainement quelqu' un dans la foule. En disant cela tout fort, il ne fit qu'inquiéter encore plus la majorité des gens qui pensaient que leur calvaire allait se terminer. Oh mon dieu! dit une personne âgée qui faillit s' écrouler en entendant la terrible nouvelle. Oh mon dieu, sauvez-nous! répéta-t-elle au milieu de la foule transie par l'effroi où chacun se demandait maintenant s'il ne devait pas faire sa dern-ière prière? Nous étions pris par de terribles frissons et nos dents commencèrent à claquer au milieu du froid où des gens pris de panique sortirent du convois en se mettant à courir en arrière pour sauver leurs vies. |
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En passant, je remarquai que ce char avait une couleur très laide d'un jaune pisseux où je pus voir l'emblème de leur armée qui était peint sur l'épaisse tôle. C'était un éléphant jaune qui biza-rrement portait sur sa tête une couronne de fleurs. Que cela pouvait-il signifier exactement? J'en savais rien en ne correspondant à rien à ce que nous connaissions auparavant. La foule que nous formions commença à se refermer sur le char qui, au bout de quelques minutes, se retrouva co-mplètement noyé au milieu de celle-ci (on pensait alors bien naïvement que notre piège avait marché!). Mais à notre grande stupeur, celui-ci se mit à tirer avec ses mitrailleuses au milieu de la foule en ne voulant semble-t-il n'épargner personne! Tout le monde criait : Fuyez! Fuyez! et moi aussi je le criais. En faisant tourner sa tourelle au dessus de nos têtes, il nous aspergeait de balles réelles où malheureusement, prise dans la bousculade, je lâchai la main de maman en cria-nt comme une folle : Maman! Maman! Mais personne ne semblait entendre mes cris parmi les autres cris qui étaient en vérité beaucoup plus terribles que les miens. En une fraction de seco-ndes, je fus emportée par un groupe de gens que je ne connaissais pas. Mais où allions nous co-mme ça? me demandai-je pris par le vertige de cette fuite où ma mort me semblait prochaine. A vrai dire, la séparation avec ma mère me hantait beaucoup plus que l'idée de mourir! Et plus, je courais comme une folle dans ces rues affreusement noires, plus je m'éloignais d'elle et plus je sentais le froid m'envahir, comme regrettant douloureusement sa main chaude et consolatrice. |
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Aussitôt, je grimpai aux étages supérieurs en escaladant les marches deux par deux en me serva-nt de la rampe comme d'un ressort qui, à chaque palier, relançait mon élan. Ainsi, je pus monter jusqu'au dernier étage où surprise par le vide, je dus redescendre en constatant que le toit avait été soufflé par une explosion où l'escalier avec sa rampe en fer forgé se jetait dans le vide. Un pas de plus et je me tuais! pensai-je avec terreur. Touchant presque des doigts le ciel rempli d' étoiles et de lucioles multicolores, j'aurais aimé que cet élan, employé par moi-même pour mo-nter tout en haut, me servit lui aussi à franchir l'espace et le temps. Malheureusement, le poids de la guerre était bien agrippé à mes épaules et ne voulait plus semble-t-il les lâcher. En quelques heures, j'avais vieilli de mille ans et pesais le poids de mille enclumes et que de prendre mon en-vol eut été une chose bien difficile à réaliser par moi-même. Désespérée, je m'abritais derrière un restant de mur où j'observais de ces hauteurs, prises de vues imprenables sur la ville, l'endroit possible où mes parents pouvaient bien se cacher. En voyant d'ici que les chars n'avaient pratiqu-ement pas bougé de la grande avenue où nous nous étions enfuies et désormais éclairée par des torches ainsi que par d'énormes projecteurs à étincelles. J'étais bien sûr un peu loin pour voir réellement quelque chose de la taille d'un être humain, sinon des petits mouvements à travers la nuit en me rassurant aucunement sur la situation de mes proches. |
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Le temps d'aimer un homme viendra pour moi aussi qui ne connaît encore rien de l'amour. Et bien que je sois toujours une petite fille, je sens au plus profond de mon être que mon bonheur sera d'être près de lui. Et sans honte, je pourrai m'épancher sur son épaule et y consoler tous mes chagrins." Par moment, le vent soulevait violemment le rideau où l'on pouvait apercevoir dans toute sa nudité, les restes d'une grande ville que les hommes avaient détruite par simple folie! Le soleil s'était levé comme d'habitude et le ciel était maintenant d'un bleu très pur. Le gel commen-çait à disparaître des campagnes environnantes et le givre, transformé en eau pure, coulait le long des vitres brisées. Les colonnes d'eau à l'intérieur des bâtiments calcinés se remettaient à gicler vers le ciel et répandaient autour d'elles, au milieu de ces gravats, une eau salvatrice qui déjà ne-ttoyait les cadavres enfouis sous les décombres. En emportant dans ses eaux courageuses, le sang de toute cette humanité déchue et brisée par la folie jusqu'aux entrailles de la terre pour dire à tous les hommes: Oh Pauvres mortels, votre sang n'est rien par rapport à la vie qu'il transporte en vous-même, ce n'est qu'un fluide et rien de plus! Le mystère de la vie est bien ailleurs et vous vous en rendez même pas compte, pauvres petites marionnettes! Mais il n'y a rien dans ce sang que vous avez fait couler pour votre propre plaisir et vous n'y verrez pas non plus votre avenir. Car vous êtes de simples mortels et votre avenir est bien sûr entre vos mains. Et surtout ne le co-nfiez jamais à personne, sinon l'on pensera pour vous de ce qui est bon ou mauvais où il sera désormais trop tard pour vous! |
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Même sous les bombardements, les cris de douleurs ne ressemblaient en rien à ceux là! remar-quait-elle. Aussitôt son coeur se mit à s'emballer à l'intérieur de sa poitrine qu'elle essaya en vain de freiner en pensant à autre chose. Mais rien a faire où les gémissements reprirent de plus belle au dessus de son plafond. On entendait en même temps que ces gémissements de femmes des ricanements affreux qui voulaient, semble-t-il, tuer quelque chose ou s'en approcher. Puis la femme semblait prise d'un spasme horrible et son cri sauvage se transformer étrangement en un chant d'amour se rapprochant toujours un peu plus d'un chant qu'on aurait pu entendre discrète-ment à l'opéra! Simone soudainement éclata de rire sous le lit, Hi!Hi!Hi! Ah!Ah!Ah! Mais c'est une histoire à dormir debout! Hi!Hi!Hi! Ah!Ah!Ah! Si j'avais su, ch'rais restée à la maison! Oh! Oh! Oh! Mon dieu, mais qu'est-ce qu'il m'arrive? Hu!Hu!Hu! Turlututu! En continuant à rire de cette manière totalement incontrôlée se rendait-elle compte du bruit qu'elle faisait en réalité da-ns sa chambre? En était-elle consciente? Puis pour une raison inconnue, elle se mit à taper du poing sur son plancher, alors qu'on entendait toujours de la musique dans le hall d'entrèe de l'h-ôtel et en haut, le râle affreux de la femme qui cassait les oreilles. Essayait-elle d'arrêter tout simplement ses fous rires ou bien de cacher par son propre bruit, le bruit des autres, le bruit de l'enfer? |
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L'hôtel, malgré ces tapages, avait retrouvé un semblant de paix où Simone dormait à poings fer-més et semblait heureuse d'être sortie de cette réalité qui la faisait tant souffrir depuis le début des bombardements. Cela faisait plus de 24 heures qu'elle et sa famille s'étaient enfuies par les rues de la ville et elle même n'avait pas eu beaucoup de chance, puisque desormais séparée des siens suite à cette panique générale survenue lors du mitraillage de la foule par les chars ennemis où chacun avait pu s'enfuir comme il avait pu : elle emportée par un groupe et sa petite famille par un autre. Personne ne savait en fin de compte où l'autre se trouvait. Et Simone avait pu, en entrant dans cet hôtel abandonné, éviter le pire en ne se s'éloignant pas trop de leur point de sé-paration. Avec le bon réflexe de monter sur le toit de l'hôtel (ou du moins ce qu'il en restait) afin de le localiser avec plus ou moins de précision. Pour elle, ce n'était bien sûr qu'une question d' heures en n'ayant aucun doute quant à leurs futures retrouvailles. |
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Simone, comme un automate, se leva et prit le grand escalier de l'hôtel afin d'aller chercher un peu de nourriture dans le hall où les soldats avaient fait la fête jusqu'au bout de la nuit. Étrange-ment, il n'y avait plus aucun bruit dans l'hôtel et seul on entendait le bruit de ses pas résonner dans le grand escalier. Elle se disait que les soldats avaient dû quitter l'hôtel à l'aurore et qu'ils avaient dû laisser forcément sur les tables quelques restes de pain et de poulet. Mais elle n'était pas très rassurée, car certains d'entre eux pouvaient être encore là en train de dormir; mais elle avait tellement faim qu'elle se dépêcha d' ouvrir cette porte de malheur. |
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La musique se souvenait du bonheur qu'elle avait à accueillir au bar de l'hôtel, la nouvelle clien-tèle fortunée venant des pays lointains. Ainsi que de ses morceaux favoris qui, jouant sur la sens-ualité des notes, apportaient aux voyageurs le sentiment d'être ailleurs et en même temps chez lui. La magie de la musique, c'était de faire croire aux gens ce qui n'existait pas, bref, de faire apparaître, puis de faire disparaître les sentiments les plus beaux que l'on puisse ressentir. C'est dire que la magicienne en savait beaucoup sur son art que nous même, nous ne pouvons que glo-rifier l'effet sur notre propre imaginaire. Et si tout était imaginaire? Et si nos existences n'étaient que fortuites et hasardeuses? L'Histoire qu'une conception de notre esprit? L'histoire de la mu-sique : la fabuleuse aventure de quelques notes? Musique servant de prétexte ou bien musique servant à remplir un coeur qui ne peut aimer autrement que par le chant? L'amour avait créé l' harmonie, puis la musique. La haine avait crée la dissonance, puis le bruit de la guerre! Mais où commençait exactement la musique? Mais où commençait le bruit dans une oeuvre qu'elle soit musicale ou non? Et pourquoi ne l'appliquerions nous pas à notre propre société? Et si nous nous mettions tout simplement à l'écouter comme une partition, mais qu'entendrions nous exac-tement, du bruit ou de la musique? Mais pourquoi entendons-nous aujourd'hui autant de bruits environnants au milieu de tant de musique? La question est celle-ci : mais qui l'emportera? |
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Mais lorsque, je les aperçus au milieu de la foule encadrés par des soldats, je ne pus malheureus-ement rien faire en sachant qu'un seul de mes cris aurait pu me perdre moi aussi! Bizarrement, je me demandais pourquoi je n'avais pas couru à travers la foule pour allez les rejoindre? Et pour-quoi, j'étais restée comme paralysée derrière la fenêtre? Simone, tout en caressant le pelage soy-eux et chaud de son chat mistigris, se demandait si elle pourra un jour se libérer de ce mal qui faisait d'elle encore aujourd'hui un être inconsolable? Aurait-elle pu imaginer un seul instant que toute sa famille allait être exterminée dans les camps de la mort et qu'elle serait la seule sur-vivante de ce génocide? Mais pourquoi tant de souffrances à supporter dans un coeur d'enfant? Etait-ce juste? Les mots pour elle ne voulaient plus rien dire/ Les mots avaient trahi les valeurs universelles des droits de l'homme/ Les mots étaient tombés eux aussi de très haut...de cette cu-lture que les poètes avaient érigé comme le seul rempart contre l'atrocité! |
Simone, qui jouait avec mistigris, le reposa par terre parce que celui-ci commençait à lui faire mal avec ses griffes qui parfois s'enfonçaient sous sa peau. Elle le gronda, puis se rendormit en attendant le retour du petit Mouloud. Derrière le rideau à fleur de la fenêtre, on pouvait aperc-evoir les lumières de la ville de Marseille faire " feu d'artifice" avec les derniers rayons du soleil qui se jetaient sur un petit bout de mer à l'horizon. Moi je savais au plus profond de mon coeur que tout n'était pas perdu pour autant et qu'en chacun de nous, quand la nuit survient, un bout de rêve nous dit : Mais aurais-tu oublié l'Algérie? Mais que dire aussi de Simone qui avait fui Varsovie? J'étais comme paralysé par le sentiment de ne pouvoir mettre une fin à cette histoire qui, malgré les apparences, se poursuivait dans le silence de nos actualités. La seule chose qu' elle voulut bien me confier à propos de sa fuite de Varsovie, ce fut sa rencontre avec le soldat déserteur Ulrich, dit le causaque, qui l'aidera à sortir du Ghetto et l'aimera d'un amour passion-né : Simone n'avait alors que 13 ans! Mais elle n'en dira pas plus pour l'instant. Allez au revoir.. |
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Mouloud, une fois de plus, s'était attardé a faire tous les bistrots du vieux port pour des raisons qui n'étaient pas uniquement alcooliques, mais aussi sentimentales pour ne rien vous cacher. Et poussant la porte de chaque établissement, son cœur se mettait soudainement à battre plus fort, comme s'il espérait y voir apparaître un visage connu ou bien reconnaître une voix parmi toutes celles qui tempêtaient autour du comptoir. Mais étrangement, ce jour là, rien de tout cela ne se montra à lui, ni amis d'enfance ni copains du quartier avec qui il avait fait les quatre cents coups, mais seulement des visages et des voix qui lui étaient totalement inconnus, comme si un tsunami était passé par là et avait embarqué au passage leur passé commun et leurs merveilleux souven-irs pourtant pas si vieux que cela! s'indignait-il en sachant que son adolescence ne datait que d' une dizaine d'années et pas plus. Mon dieu quel désastre le temps qui passe! Comme si tout cela n'avait jamais existé? Comme si nous étions des fetus de paille ou des coquilles de noix sur un océan démonté? se demandait-il tragiquement devant le grand naufrage de sa vie. Pourtant en so-rtant de sa boutique, il avait espéré faire une de ces rencontres qu'il aurait volontier concédé au hasard. Car Mouloud, sans fausse démagogie, savait très bien qu'ils s'étaient tous quittés de vue pour des raisons inavouables où l'oubli ne serait pas trop douloureux à supporter par chacun d' entre eux. Bref, un oubli progressif jusqu'a creuser sa propre tombe autour de ses amis! const-atait-il amèrement.Le problème chez nous, chez les sudistes, c'est que l'amitié éternelle c'est pas notre truc. Car on change souvent d'idée comme de chemises ou bien on laisse pourrir une situa-tion pendant des années, à cause d'un mot de travers qu'on a entendu prononcer sur sa personne et qu'on a toujours pas digéré dont le résultat devenait monstrueux, comme une terre brûlée. |
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J'avais seulement 13 ans et mon oncle 30, ce qui le rendait plus expérimenté que moi dans la vie et ça personne ne pouvait le démentir, n'est-ce pas? L'avantage que j'avais d'habiter chez lui, c'est qu'il m'en coûtait rien et me facilitait énormément la vie que je passais la plupart du temps sur la canebière où j'avais commencé à me constituer une bande de copains qui venait pour la plupart du quartier le mistral. Il y avait Nasser, dit la fouine, qui en matière de vol par ruse on ne trou-vait pas mieux dans le coin. Il y avait aussi Momo, qui battit comme un colosse, pouvait vous casser un mur avec son poing et surtout faire peur à vos assaillants s'ils vous surprenaient en fla-grant délit, ce qui n'était pas négligeable en cette situation, n'est-ce pas? Et puis Nordine, Faro-uck qui avaient des qualités d'observations dont on ne pouvaient se passer, bien évidemment. Int-elligence, ruse, agilité, yeux de lynx, tels étaient alors nos grandes qualités pour faire notre trou ici à Marseille. La plupart de mes copains connaissaient ma situation et la réputation de mon on-cle Nadir en tant qu'homme à femmes, ce qui du côté de la Méditerranée avait très bonne réput-ation tellement on était macho, Ah!Ah!Ah! Moi, je jouais bien évidemment le jeu en me donnant le beau rôle d'être comme sur ses pas. C'est Nasser, dit la fouine, qui le premier engagea avec moi une conversation d'ordre professionnel, si l'on peut dire. Par là, je sentais déjà ses ambitions enfler sa tête.. |
-Mouloud, tu sais, hier soir, j'ai vu ton oncle relever les compteurs sur le vieux port! |
-Ah oui? |
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-Ah! Ah! Ah! Ton oncle, ça c'est un mec! |
En écoutant Nasser parler de la sorte, je compris aussitôt qu'il avait une idée derrière la tête; non pas de concurrencer mon oncle Nadir(car il n'en avait pas la carrure), mais plutôt de quelqu'un qui essayait de faire son trou dans le monde de la prostitution. |
-Heu..sans vouloir être indiscret avec toi, mais que faisais-tu à cette heure-ci sur le vieux port? |
-Moi? |
-Oui, toi. |
-En fait, si j'ai suivi ton oncle dans sa tournée, c'est parce que j'avais une idée à lui proposer. |
-Ah oui? |
Oui, car j'ai remarqué que la plupart des filles lui mentaient quant aux sommes qu'elles avaient soi-disant gagnées dans la journée. |
-Ah oui et comment tu sais ça? |
-C'est simple. Toute la journée, je guette les clients qui montent et devine au temps qu'il passe avec elles, la somme qu'ils y laissent. J'ai calculé que pour une passe, c'était environ 100 francs le quart d'heure et pour l'amour 300 frs la demi-heure. Voilà, c'est simple. Et dis aussi à ton on-cle que les filles cachent leur argent dans l'allée Marcel Pagnol où elles ont des caches dans les murs. Malheureusement, je n' ai jamais pu leur piquer, car ces putes ont des yeux partout! |
-Oh, fais gaffe, mon gars! N'essaies pas de piquer l'argent à mon oncle, car s'il le savait tu pour-rais passer un mauvais quart d'heure! |
-Oh t'inquiète pas, mon ami! Dit-lui seulement que mes services lui coûteront 100 balles par jour; ce qui n'est rien par rapport à ce que les filles lui volent. |
-Ok, je lui en parlerai. |
Le soir, de retour à la maison, je lui racontais tout ce que Nass m'avait dit, ce qui le mit aussitôt en fureur. Mais comme il connaissait parfaitement la ruse de certains sur le vieux port pour pre-ndre les filles des autres, il reprit son calme et me demanda si ce Nasser était un garçon auquel on pouvait faire confiance. Moi je lui dis que non, mais qu'il fallait voir sur place si tout cela était vrai ou bien manigancé par la concurrence. |
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-Ok, Mouloud, voilà ce qu'on va faire demain. Va avec Nasser et surveille les filles sans vous faire remarquer et faites le compte exact des clients. Comme ça, le soir, je verrais si elles me mentent ou bien me disent la vérité. |
-D'accord, mon oncle, je ferai ce que tu me demandes et ne t'inquiètes pas, on sera discret com-me des poissons de roche. |
-Tu voulais parler de la rascasse? |
-Oui, forcément, pas de la racaille! |
-Oh! Oh! Oh! Mouloud, je ne te connaissais pas autant d'humour, Oh! Oh! Oh! |
-Mais mon oncle, c'est depuis que je suis en France! |
-Oh, ça ne fait plus aucun doute pour moi maintenant, petit frère. |
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-Il n'est pas contre, mais il veut être sûr que tu ne lui racontes pas de conneries. |
-Mais je te jure sur la tête de ma mère que tout ce que je t'ai raconté, c'est vrai! |
-Nass, s'il te plait, ne jure comme ça sur la tête de ta mère, car tu sais bien que ça ne prouve pas ce que tu me dis! |
-C'est vrai, mais alors comment veux-tu que je te parle? |
-Ne dis rien et écoute-moi plutôt. |
-Sans problème, mon pote. |
Voilà, mon oncle nous donne carte blanche pour surveiller les filles. |
-Ouhais! |
-Mais attends un peu, car je ne pense pas qu'a nous deux on aura des yeux assez grands pour les surveiller toutes. J'ai donc décidé à titre personnel qu'on surveillerait en premier la belle Hero-ïca. |
-Quoi, celle qui plait tant aux dockers parce qu'elle ressemble à un paquebot de luxe! |
-A un paquebot de luxe? Alors là, tu exagères un peu, disons plutôt, à une vedette de haute sta-nding serait plus juste. |
-Mais bon, elle est rudement bien cuirassée cette fille-là. Regarde comme elle est habillée et tu verras qu'elle connait bien son affaire, la salope! |
-Quoi, tu voulais parler de ses vêtements en cuir où les boutons dorés ressemblent à des rivets? |
-Pas seulement. Mais regarde comment elle fume devant tous ces hommes en rût, on dirait une cheminée de navire. Et ses yeux couleur bleu marine, crois-moi, ils font chavirer tous les mar-ins! |
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-Ah! Ah! Ah! comme t'es cynique Mouloud! Tu passes vraiment du coq à l'âne.. |
-Non, je t'assure, je passe pas du coq à l'âne. Je te dis seulement la triste vérité. Regarde comm-ent la grosse Rosa s'habille et tu verras qu'elle aussi connaît bien son affaire. |
-Quoi, tu voulais parler de celle qui s'habille en petite fille, alors qu'elle a au moins 50 ans! |
-Oui, celle qui porte des jupes à dentelles et des petites lunettes de salope. Crois-moi, mais c'est fou comme elle a du succès auprès des employés de banque et de bureau. Sa spécialité, m'a dit mon oncle, c'était de proposer au client de faire l'amour sur une table de bureau et c'est fou co-mme ça les excite, ces détraqués du stylo. |
-Ah!Ah! Ah! alors là, Mouloud, tu inventes! |
-Mais non, je t'assure, j'invente rien. Et la grande goulue qui se prend pour la fille du boulanger avec ses miches à l'air. C'est fou, comme elle a du succès auprès des marseillais de souche, et tout particulièrement, auprès des vieux qui on connu Raimu, le comique troupier. |
-Mais ils bandent plus, ces vieux calamars! |
-Detrompes-toi, car la seule idée de tromper leur femme avec la très célèbre femme du boulan-ger leur fait dresser la baguette, comme au temps de leur jeunesse. |
-Mais ça, c'est un mythe. |
-Oui, c'est un mythe, mais qui marche parfaitement. Et mon oncle Nadir, qui connaît parfaitem-ent son affaire, a même demandé à ses filles de faire quelques efforts dans ce sens. |
-C'est à dire? |
-Hé ben..de meubler l'appartement en fonction du goût du client. |
-Comprends pas! |
-En fait, mon oncle, qui ne manque jamais d'imagination pour gagner de l'argent, à proposer à la belle Héroïca de changer son lit contre un autre qui aurait la forme d'un bateau qui, bien évide-mment, serait équipé d'un gouvernail à l'avant. |
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-C'est vrai que pour faire craquer les marins, y' a pas mieux! |
-Et les commandants de bord, je te dis pas comment ça doit les exciter! |
-C'est vrai que ton oncle est un génie à sa façon. |
-Oui, sans aucun doute. Mais n'oublie pas qu'il aime beaucoup s'amuser avec les autres qu'il considère souvent comme plus bête que lui, Ah!Ah!Ah! |
-Et je parie donc pour la grande goulue, qu'il a fait installer chez elle, un four pour que le client puisse enfourner sa baguette? |
-Alors, Nass, tu exagères. Un four, c'est bien trop lourd à monter par les escaliers et puis mon oncle ne veut pas que ça déclenche des incendies dans ses appartements. |
-Ok, ok, mouloud, j'ai bien compris la mentalité de ton oncle qui, il faut le dire, est un avant gardiste dans le domaine de la prostitution. |
-Oh oui, je dirais même que c'est un visionnaire! |
-Bon, ok, Mouloud, finissons-en en éloge sur ton oncle et revenons à notre affaire. Alors quand est-ce qu'on commence? |
-Demain vers les 10 heures, car je ne pense pas qu'elle tapine avant. |
On se positionnera en face de l'allée où elle vend ses charmes. Avant de venir ici, j'ai remarqué qu'il avait un bateau retourné sur le quai non loin de l'allée et je pense qu'on s'en servira comme cache. |
-Et comment il s'appelle ce bateau? |
-Je crois que c'est le petit cascailloux. Mais ne t'inquiètes pas, on se verra avant et on ira ense-mble sous le bateau où un espace nous permettra de surveiller la belle Héroïca. |
-Ok tope là et à demain! |
-A demain sans faute, hum? |
-Ok, sans faute. |
Et Nasser repartit l'air tout guilleret en sautant en l'air, comme s'il essayait d'attraper des mou-ches invisibles. |
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Je sentais par là que nos petites affaires d'argents et de pouvoirs étaient bien insignifiantes deva-nt l'immensité de la mer qui semblait nous dire : Regarde comme je t'en impose et comment je fais briller les yeux des hommes, quand ils entendent mon nom prononcer sur les rivages ingrats de leur vie. Sans moi, ils seraient bien pauvre en imagiination, mais aussi en produit de la mer. Vois avec quelle facilité, je porte leurs embarcations sur mon dos ainsi que leurs rêves en pass-ant. Ma seule vue leur fait tout à coup imaginer des voyages extraordinaires de gloire ou de fort-une ou bien fait pleurer celui qui a quitté son pays pour des raisons sommes toutes ridicules. Et toi, petit garçon, assis sur tes filets, sais-tu pourquoi tu regardes la mer? |
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En scrutant ses yeux, je vis soudainement apparaître des arbres plantés au dessus de noirs roche-rs où la mer en contre bas brisait ses vagues d'écumes. Etrangement, ces arbres étaient habités par des singes magots qui se balançaient de branches en branches au péril de leur vie! Mon dieu, mais comment as-tu fait, mon bel oiseau pour me montrer un si beau paysage? A peine avais-je fini de prononcer ces mots qu'elle prit aussitôt son envol et s'eloigna de la côté pour la haute mer. Puis reprenant peu à peu mes esprits, je compris tout à coup que la poésie existait bien sur cette Terre, mais qu'elle exigeait de nous une seule chose, la sincérité. Bref, une chose qui sem-blait aujourd'hui complètement démodée où le trompe l'oeil et le faux semblant avaient envahi tous nos espaces de libertés en remplacant la scène de la vie par une décor artificiel! |
Le soir, je parlais à mon oncle de l'entretien que j'avais eu avec Nasser et de cette particularité de vouloir surveiller tout d'abord la belle Heroïca pour me donner une idée de l'affaire. Car si esc-roquerie, il y eut, les autres filles devaient être forcement de mèche telles sont les filles. Mon on-cle, curieux de tout ce que je lui disais, approuva mon idée et surtout ma prudence dans ce genre d'affaire où les autres macs du quartier pourraient profiter de l'occasion pour jouer les beaux rôles. Ensuite, nous ragardâmes un film de gangsters à la télé où Lino Ventura se montra une nouvelle fois excellent. |
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Et vu la chaleur qu'il allait faire cet après-midi, je pensais qu'il valait mieux apporter de quoi se désaltérer et pris dans le frigo une bouteille d'orangeade bien fraîche que je mis ensuite dans un sac, genre monoprix, sans oublier un bloc note et un stylo qui trainait sur le buffet afin de pou-voir noter les comptes sur la belle Heroïca. Puis je repartis dans ma chambre pour me changer et faire un brin de toilette seulement au lavabo. En un rien de temps, après que j'avais refermé la porte de l'appartement, je me retrouvais dehors au milieu des gens en direction du vieux port en espérant y trouver Nasser près du petit cascailloux, comme je lui avais indiqué. |
Quand j'arrivai près de la barque retournée, j'entendis une voix m'appeler d'en dessous et com-pris aussitôt que Nasser avait déjà pris place à l'intérieur. En toute discretion, je m'y faufilai en me plaçant derrière lui pour ne pas le gêner. A l'intérieur, il faisait assez sombre. Mais au bout de quelques minutes, nos yeux s'habituants, on y voyait très correctement. |
-Alors, elle a commencé? je lui demandai. |
-Oui, ça fait à peine dix minutes et pour l'instant aucun client. |
Sous la coque du petit Casacailloux, Nasser était en position de chasseur et tenait entre ses mai-ns, une paire de jumelles. Etrangement, ses jumelles ressemblaient a des jumelles d'enfants, com-me celles que l'on trouve dans les paquets de bonux et je faillis bien éclater de rire. |
-Oh Nass, mais c'est quoi ces jumelles? |
-Heu..je les ai prises à mon petit frère. |
-Eh ben, ça se voit, Ah!Ah!Ah! |
-Comment ça se voit? |
-Oui, ça se voit. Je ne sais pas pourquoi, mais ça se voit.. |
-Oh Mouloud, ne te moques pas de moi. Tu sais, ces jumelles marchent très bien. |
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En me les passant, je vis qu'elles étaient en matière plastique et pliantes afin de les mettre facile-ment dans ses poches. |
-Tiens, regarde de ce côté là où la belle Héroïca fait tout un cinéma pour vendre ses charmes. |
En positionnant les jumelles sur la belle Héroïca, je vis bien effectivement qu'il avait entièreme-nt raison pour voir sur une quinzaine de mètres où celles-ci étaient largement suffisantes. En vo-yant presque en détail l'accoutrement ridicule de la belle Héroïca, avec son petit blouson en cuir riveté de boutons dorés oppressant sa grosse poitrine pour allumer tous les matelots du port. Ce matin, pour se protéger du soleil, elle avait mise une casquette de capitaine de couleur rose, bref, tout pour aiguiser l'appétit des gens qui avaient plus ou moins un pied dans la marine, Ah!Ah!Ah! |
-Oh Nass, excuses-moi, mais je ne pensais pas la chose possible.. |
-Mais si, mon vieux, ça marche pour ces distances. |
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-Tiens, reprends tes jumelles, Nasser, j'ai vu un client monter! |
-Passe-les-moi. |
-Moi, pendant ce temps là, je vais le marquer sur mon carnet. Et toi verifie bien le temps qu'il passe avec elle. |
-T'inquiète pas, j'ai ma montre. Au fait, comment il était le mec? |
-C'était un petit gros au crâne dégarni. |
-Hé ben, je plains beaucoup la pauvre Heroïca! Et moi qui pensais qu'elle se tapait que le haut du pavé avec ses capitaines de corvette ou commandant de porte-avions. Là voila maintenant à taper dans le bas de gamme, Ah!Ah!Ah! |
-Oh t'inquiète pas pour elle, c'est une pute qui connaît bien son affaire et qui sait s'adapter qua-nd les marins sont en mission pour plusieurs mois en haute mer. Tu vois, le café à côté, chez l'amiral. Hé ben, c'est là qu'elle se renseigne afin de savoir quand les marins rentrent au port ou bien quand les dockers ont du travail. La patronne, c'est son amie et elle lui donne tous ces rens-eignements. |
-Putain, elles sont vachement organisées, les salopes! |
-Oui, mais c'est mon oncle qui leur a passé ce tuyau pour qu'elles tapinent intelligemment et non comme certaines qui tapinent au petit bonheur la chance. |
-Ton oncle, c'est un génie. |
-Oui, je sais. Mais bon.. |
Au bout d'un quart d'heure, le petit gros au crâne dégarni ressortit et Nasser dit a Mouloud : celui-ci compte le pour 100 frs, c'est le prix d'une passe. |
-Ok, je le marque. |
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Ils décidèrent d'aller manger à la Gariguette, non loin d'ici, où de bonnes odeurs de poulets frites leur donnèrent l'eau à la bouche. |
-Je pense que vais prendre un poulet frites! lança Mouloud enthousiasmé. |
-Pour moi, ce sera plutôt des côtes d'agneaux avec des frites, dit Nasser en retour. |
-Heu..évite les côtes d'agneaux, là bas. Car ils les font tellement cuire et recuire qu'elles devien-nent des vraies semelles de godasse et c'est alors immangeable. |
-Heu..comment tu sais ça, toi? |
-Crois-moi, j'en ai fait l'expérience. A la Gariguette, vaut mieux manger du poulet ou bonne omelette, car le reste c'est tout surgelé et ça vaut pas un clou. |
-Même les pizzas? demanda curieusement Nasser. |
-Oui, même les pizzas.. |
-Oui, je sais que c'est triste à dire. Mais n'oublie pas, mon vieux, qu'on est sur le vieux port où la plupart des restaurants sont des pièges à touristes. Le temps de la bonne bouillabaisse, c'est une vieille histoire, Ah!Ah!Ah! J'ai même vu un jour dans un émission à la télé que c'était en Al-sace qu'on faisait la meilleure bouillabaisse! |
-Oh, tu plaisantes, Mouloud? |
-Non, je t'assure, j'ai bien entendu cela. |
-Je pense que ça devait être plutôt une émission satirique qu'une émission gatronomique, hum? |
-Peut-être, mais bon, ça m'a quant même bien fait rire, Ah!Ah!Ah! |
-Allez, arrêtes de te plaisanter avec moi, car je ne sais jamais quand t'es sérieux ou pas. |
-Ok, tiens, il y a une place là bas! dit Mouloud en voyant une table libre face à la mer où nos deux acolytes s'y dirigèrent et s'y posèrent comme s'ils étaient des habitués des lieux. Un parasol au dessus de leurs têtes, où une publicité orangina était imprimée, leur sembla tout à fait justif-ié à cette heure de la journée où le soleil tapait dure. Autour d'eux, des clients en tenues d'été qui pour certains avaient fini leur repas, alors que d'autres le commençaient par un aperitif en disc-utant sur le temps qu'il faisait. Bref, on était bien dans le sud et dans ce pays où tout était plus lent, plus long à réaliser, non par manque d'intelligence, mais par un manque de volonté de lever le petit doigt pour se battre contre ce soleil, qui vous imposait sa loi tyrannique en voulant vous anéantir à chaque fois que vous essayiez de faire le moindre effort. Ce soir, quand tu seras parti, je me vengerai de toi, satané soleil! semblait se dire chaque marseillais au fond de lui même. |
101 |
Assis l'un en face de l'autre, ils regardaient tous les deux la mer où des petites bateaux rentraient et sortaient du port. Leurs yeux étaient comme éblouis par ce spectacle où le bruit des petits caboteurs semblait venir d'une autre époque, comme au temps d'Arsène Lupin ou des brigades du tigres où les hommes portaient des moustaches à la diable et des collants de filles pour les matchs de boxe française. Les vieux matelots, qui se tenaient debout dans leurs petites embarca-tions, portaient sur la tête leur éternelle casquette en gros coton et fumaient pour la plupart de mauvaise cigarettes, genre gitâne maïs. En remarquant sur leurs visages, une étrange grimace qui avait été semble-t-il sculptée par les éléments de la mer, mais aussi par une activité de pêche qui semblait décliner de jour en jour. Bref, par un profond desespoir qui malgré tout restait beau à voir à travers l'éclat de leurs yeux où l'on pouvait ressentir tout leur amour pour la liberté de pa-rtir en mer très tôt le matin en espérant rentrer le soir les cales pleines de poissons. C'était le rêve de tous ces pêcheurs qui pendant la nuit les faisait miroiter des fortunes de mer où l'écaille des poissons ressemblait à de l'or, à de l'argent et à des pierres précieuses. Leur trésor se trouvait ici en rêve au milieu de la mer bleuté où, ramenant leur cargaison au port, ils seraient salués comme des héros! |
-Tu as vu comme ils sont habillés ces pêcheurs avec leurs pulls troués? Crois-tu qu'ils gagnent suffisamment bien leur vie avec leur bateau? demanda subitement Nasser. |
-Non, je ne le crois pas. Mais en vérité, ils s'en foutent. Car je pense que le plus important pour eux, ce n'est pas l'argent, mais plutôt le genre de vie qu'ils mènent. |
-C'est à dire? |
-Leurs traditions ou coutumes, je pense. Et un pêcheur de père en fils n'acceptera jamais d'aller travailler dans une usine ou un truc comme ça. La liberté, c'est leur grande passion à ces gens, vois-tu. |
102 |
-Oh, Oh, Oh, comme tu est cynique! Mais n'empêche que ce que tu viens de dire est très vrai. Allez buvons un coup! Heu..à la belle Héroïca! lança Nasser qui somme toute avait des intérêts dans cette affaire. A la belle Héroïca! trinqua aussi Mouloud en cognant son verre contre celui de son ami où un peu de bébé rose se répandit sur la table. |
Exceptionnellement, le service fut rapide ce jour là et le serveur leur apporta leur plat à chacun en le déposant délicatement devant eux. |
-Hum, comme ça sent bon! dit Mouloud en voyant dans son assiette, une grosse cuisse de poulet cuite comme il faut avec son filet de jus baignant ses frites. |
Nasser, quant à lui, semblait un peu déçu de voir ses côtelettes d'agneaux ressembler à deux cor-nes calcinées qu'il regardait avec des yeux horrifiés. Son copain, voyant cela, faillit bien éclater de rire et ne se pria pas de lui dire qu'il l'avait prévenu. Mais l'autre ne dit rien et resta paralysé par le spectacle qu'il avait dans son assiette où même ses frites étaient grillées excessivement. Il se disait dans son for intérieur qu'il avait hérité de la plus mauvaise assiette du chef, alors que celle de son copain semblait alléchante avec ses belles frites d'un jaune d'or et sa cuisse de poulet rebondie comme celle d'une autruche. |
-Nass, je t'avais prévenu de ne pas prendre des côtes d'agneaux! |
-N'en rajoutes pas. Tu ne vois pas que tout ça me fout les boules? |
-Ok, mon vieux, j'en rajoute pas. Alors, bon appétit! |
-Oh, Mouloud, cesse un peu tes réflexions et puis j'ai plus faim, merde! |
Ce dernier, ne voulant plus ennuyer son copain, se jeta aussitôt sur son assiette et dichéqueta avec ses doigts la cuisse de poulet en petits morceaux afin de les faire baigner dans la sauce au milieu de ses frites huileuses. |
-Hum, Nass, je pense que tu aurais dû prendre pareil que moi. Ce poulet est délicieux, lança-t-il en se léchant les doigts. |
103 |
Nass n'avait rien touché dans à son assiette sauf quand il esssaya de mordre dans une de ses côt-elettes sans pouvoir en arracher un seul petit morceau. Aussitôt, il la recracha en la mettant au bord de son assiette. Fait chier, c'est immangeable, ce truc! |
-Mange plutôt tes frites, ça te remplira toujours le ventre. |
Nass ne dit rien, mais but une gorgé de son bébé rose qui somme toute était assez nourrissant pour combler ce repas de singe. |
-Mais tu as vu comme elles sont mes frites par rapport aux tiennes? Le cuisinier t'a vraiment gâ-té, alors que moi il m'a tout simplement pris pour un con! |
-Ne dit pas ça, le cuisinier n'y est pour rien. C'est peut-être son aide cuistot qui a tout fait grill-er. |
-Mouloud, voyant son ami commencer à demoraliser, lui tendit une poignée de frites. |
-Tiens, tu peux aussi te servir dans mon assiette. Tu sais, je ne veux pas manger en égoïste. |
-Merci, mon pote, dit-il en s'empressant de remplir sa bouche de frites délicieuses imbibées de sauce au poulet. |
-Prends un dessert après, je te l'offre, lui dit-il comme mué comme par un élan de générosité. |
-Merci, mon pote, je te le redevrai. |
-Casse-toi pas la tête, laisse-moi seulement choisir ton dessert, car je me trompe rarement sur le choix des plats. |
-Oui, c'est vrai. Mais comment tu fais? |
104 |
-C'est fou, comme tu connais de choses sur la bouffe, Mouloud! |
-Oui, mais c'est normal, j'ai un estomac très sensible et un palais digne d'un grand cuisinier. Et tout ce qui est fait à partir d'ingredients surgelés, je les vomis aussitôt comme si ma langue refu-sait de goûter à ces truc là sans goûts et souvent remplis d'eau. Tes côtelettes d'agneaux, j'en suis sûr qu'ils les avaient décongelé au micro-onde juste avant de te servir. |
-Oh arrête de me parler de mes côtelettes d'agneaux, s'il te plait! Je ne peux plus les voir. |
-T'as qu'a les donner au chien! |
-Mais de quel chien, tu veux parler? Moi, je n'en vois aucun. |
-Mais si, là bas! dit Mouloud en montrant du doigt un gros pitbull qui jouait avec une petite balle en contre bas de la terrasse. |
-Lui, j'en suis sûr qu'il les aimera, Ah!Ah!Ah! |
-Allez, balance-lui! Mais fais gaffe à ce que le patron du restaurant te voit pas. |
Nasser, qui jeta un coup d'oeil derrière lui et n'apercevant aucun serveur dans les parages, prit ses deux côtelettes d'agneaux et les jeta en contre bas. Une de ses côtes par hasard atterrit sur la tête du chien qui un moment fut étourdit. Puis celui-ci reprenant peu à peu ses esprits et n'y cro-yait pas ses yeux, il se jeta tel un tigre sur ce morceau de viande carbonisée. |
-Oh, Oh, Oh, tu as vu comme j'ai bien visé? Juste sur la tête! |
-Je ne sais pas où l'autre est partie, mais je crois qu'elle ne doit pas être très loin. |
Mouloud se leva et vit qu'elle avait atterrit au milieu d'une bande de touristes où un de ces étra-nges personnages du dimanche avait glissé dessus et s'était étalé par terre comme une grande as-perge. Autour de lui, tous ses amis éclataient de rire et le photographiaient dans tous les angles afin d'immortaliser l'événement, ce que ne semblait pas beaucoup apprécier la pauvre victime. |
-Ooh, Nass, regarde de ce côté là, il en a un qui a glissé dessus, Ah! Ah! Ah! |
En se levant, il vit aussitôt un attroupement autour d'un homme étalé par terre qu'on photogra-phiait tel un animal de foire. L'homme voulait semble t-il se relever, mais ses amis l'en empêch-aient afin de prendre plus de photos. |
-Comme c'est con, les touristes! |
-Ah oui, c'est vraiment con! dit Mouloud en observant la scène comme quelque chose de tout nouveau dans la région. Où le problème de ces gens se trouvait dans leur appareil photo qu'ils considèraient comme un membre de leur famille et qu'ils dorlotaient comme un enfant plein de promesses en termes de souvenirs. Car avec la vie qu'ils mènaient à l'usine ou au bureau, ils n' avaient véritablement pas le temps de vivre. Alors en vacances, c'était la grosse orgie et on se vengeait d'avoir été un mort-vivant pendant toute l'année et tanpis si les collègues en prenaient plein la gueule! |
-C'est triste tout ça, non? |
-Oh oui et je dirais même que c'est affligeant de voir que le touriste d'antan n'avait plus grand rapport avec celui d'aujourd'hui qui, desormais armés d'appareils photos de plus en plus perfecti-onnés et de nouvelles mœurs, frisait l'hystérie collective en temps estival. Ce touriste nouveau, comme le beaujolais nouveau, ressemblait de plus en plus à un journaliste en mal d'émotions en recherchant le scoop à tout prix. "Et si je faisais une bonne photo, j'en suis sûr que je pourrais la vendre aux magazines peoples et ainsi rembourser mes vacances!" pensait-il étrangement, non plus comme un vacancier, mais comme un travailleur en vacances. |
-Puis tout à coup surgis des aboiements! |
Sur la gauche, l'attroupement des chiens se battait pour la deuxième côte d'agneau que Nasser avait envoyée tout à l'heure. |
-Ah!Ah!Ah! regarde comme ils se battent, on dirait des tigres! |
106 |
-Ouf, ça commençait à être long! soupira Nasser en se tenant le ventre. |
Mouloud ne dit rien en constatant avec bonheur que le spectacle, qu'il avait provoqué avec son copain, avait amusé beaucoup de monde, pensa-t-il en regardant son pote faire une horrible gri-mace dûe à la faim. |
-Nass, tu t'en rends compte, sans nous ce spectacle n'aurait jamais existé! |
-Oui, je le sais. Mais c'est grâce à mes côtes d'agneaux qui étaient infectes, dit-il en grimaçant. |
-C'est vrai. |
Mouloud se rendait compte ici que pour faire un spectacle pouvant plaire au public, il suffisait d'avoir seulement quelques ingredients, comme des côtelettes d'agneaux avec des chiens ou bien une bande de touristes idiots qui photografiait n'importe quoi ou bien une émission à la télé qui parlerait de sexe ou bien des comiques qui débiteraient une connerie toutes les trois secondes, Ah!Ah!Ah! Bref, des choses à la portée de n'importe quel imbécile, n'est-ce pas? Mais c'est fou, comme à la télé on nous prenait pour des imbéciles en voulant nous faire croire que leurs vede-ttes avaient réllement du talent, alors qu'elles ne flattaient que le mauvais goût du public, bref, une chose très facile à faire pour le comun des mortels, n'est-ce pas? En comprenant par l'expéri-ence qu'il venait de faire que l'intelligence n'était pas vendeuse, mais seulement la connerie et de masse si possible.. |
Nasser avait de plus en plus mal au ventre et son copain le voyait bien. |
-Oh Nass, assieds-toi, je vais commander ton dessert. |
-Pssi..dit Mouloud en voyant un serveur aller dans sa direction. |
-Oui, monsieur, c'est pourquoi? |
-Voilà, on va prendre un dessert. |
-Bien, que désirez vous? |
-On va prendre deux pêches melba. |
-Vous prendrez deux cafés après? demanda-t-il comme par habitude. |
107 |
-Mouloud regarda alors son pote d'un air interrogatif. |
-Non, pas pour moi, lâcha-t-il au bord de l'évanouissement. |
-Moi non plus, dit-il d'une manière expéditive. |
Le serveur, à moitié satisfait, repartit aussitôt avec sa commande. |
Quelques minutes plus tard, il leur apporta leurs deux pêches melba où une montagne de chanti-lly couronnait les coupes, comme si le chef cuisinier avait gagné le marathon de New York ou un truc comme ça! s'imaginait Mouloud en y voyant un excessif ou un euphorique qui ignorait sa double ou peut-être triple personnalité? |
Nasser, quant à lui, plongea immédiatement sa cuillère dans cette montagne de neige sucrée en y détachant une colline qu'il engloutit dans sa bouche tel un géant. |
-Hum..ça au moins, c'est bon! |
-Là, tu peux, il y a aucun risque, dit Mouloud en ne sachant pas comment attaquer les flancs de cette montagne de crème fraîche. |
Avec tout ce qu'il avait mangé, il préféra plutôt s'attaquer aux fruits qu'à cette Himalaya con-fectionnée à Marseille. |
Fourrant sa petite cuillère à l'intérieur, il cherchait ce fameux morceau de pèche que sa bouche désirait tant croquer. Quand tout à coup, sous sa petite cuillère, il sentit quelque chose de mi-dur qu'il coupa d'un geste rapide en l'extirpant de cette gangue, souvent un cache misère pour toutes ces glaces en coupe où les boules faisaient souvent mauvaises mines et attristaient aussi bien le touriste que le restaurateur. Alors qu'avec cette chantilly, genre Louis le 14 ème, les app-arences étaient sauves. |
Aussitôt extirpée de cette montagne de chantilly, il vit apparaître dans sa petite cuillère, une ch-ose orangée bien glacée qu'il mit dans sa bouche gourmande. |
-Hum..je te l'avais dit, Nass, je me trompe rarement. |
L'autre ne l'écoutait pas et était occupé à s'en mettre plein les papilles où une sorte de couronne blanche entourait maintenant sa bouche. |
108 |
-Oh, Nass, mais prends ton temps, on est pas à l'usine! |
-Hum, hum, hum, merde que c'est bon! |
Plongeant une nouvelle fois sa petite cuillère dans sa coupe, il sortit un petit morceau de glace à la vanille qu'il déposa délicatement sur sa langue, comme pour en analyser la composition chim-ique où une odeur de vanille naturelle le submergea ainsi qu'un contentement visible sur son vi-sage qui l'encouragea à l'avaler. On peut! dit-il à voix haute en attaquant carrement la coupe à larges cuillerées. |
Son copain, entre temps, avait déjà fini la sienne et semblait au bord de l'indigestion. Avec la tête penchée en arrière et les mains, posées sur son ventre, comme pour en mesurer le gonflement. |
-T'as mangé trop vite! lui expédia-t-il en le voyant commencer à s'endormir. |
-Pouff, Pouff, Pouff..souffla-t-il avachi sur sa chaise. |
-N'oublie pas que cet après-midi on a du travail! |
-Oh merde, c'est vrai! dit-il en relevant la tête. |
-Et elle recommence à quelle heure, la belle Héroïca? |
-A 16 heures 30! dit-il en connaissant parfaitement les horaires des filles. |
-Eh ben alors, on a tout le temps! lança Nasser en reprenant sa position de vacancier sur sa chai-se. |
-On a tout le temps, c'est toi qui le dit! Et puis n'oublie pas qu'on doit passer aussi à l'épicerie prendre une bouteille d'orangeade. |
-Mais la canebière, c'est tout à côté et en dix minutes on y est déjà. Allez, ne t'inquiète pas, on y sera avant pour espionner la belle Heroïca. |
-Heu..t'as quelle heure à ta montre? |
-Deux heures piles, répondit Nasser qui voulait reprendre son somme. |
-Deux heures, c'est vrai qu'il est pas tard, dit Mouloud en sortant de sa poche le carnet de com-ptes sur la belle Heroïca qu'il posa sur la table. |
109 |
-Nasser, en le voyant, lui demanda combien elle avait fait pour l'instant. |
-12 clients à 100 frs, ça fait exactement 1200 balles, ce qui n'était pas mal pour la demi-journ-ée, n'est-ce pas? |
-Oui, c'était pas mal du tout, quand je pense qu'elle déclare seulement 1500 balles par jour à ton oncle, la salope! |
-Oh Nass, respecte-là, un peu! Tu sais, c'est elle qui nous fait vivre moi et mon oncle, ne l'oubl-ie pas! |
-Oui, mais n'empêche que c'est toujours une salope! |
-Salope, salope, c'est toi qui le dit! Mais elle travaille beaucoup comme tous ces ouvriers dans les usines, tu sais.. |
-Quel cynisme, tu montres ici pour une salope qui donne son cul contre un salaire, Ah!Ah!Ah! Alors que les ouvriers, c'est totalement different, ils donnent leurs bras contre un salaire, bref, contre un travail honorable. |
-Peut-être pour toi, mais moi je pense que tous ces ouvriers sont aussi des prostituées à leur fa-çon. |
-Ah oui et pourquoi? |
-Parce qu'ils vendent leur force de travail donc leurs corps à un patron qui devient automatique-ment leur proxénète. |
-Ah!Ah!Ah, Jamais entendu ça de ma vie! Mais il se peut qu'il y ait des similitudes entre les deux professions. Mais de là à penser que les ouvriers donnent leur cul à leur patron contre un salaire, tu y vas un peu fort! |
-Oh, ça c'est toi qui le dit! Car j'en ai vu certains qui faisaient des heures supplémentaires sans être payés. Et si tu n'appelles pas ça donner son cul, alors c'est quoi exactement ? |
-Ca s'appelle aimer tout simplement son travail, mon cher Mouloud! |
-Ah! Ah! Ah! alors là, c'est toi qui est cynique en ce moment! |
-Alors là, pas du tout, je ne fais que dire les choses d'une manière sensée et tout à fait raisonna-ble, voilà tout. |
110 |
-Eh oui et c'est bien là le problème, Nass. |
-Comment, c'est là le problème? |
Mouloud, en écoutant parler son pote de la sorte, comprenait maintenant que celui-ci après s'êt-re rempli le ventre de bonnes choses, voulait redevenir gentil avec tous ces gens normaux qu'on appelait ouvriers ou employés en commençant à haïr tous ces marginaux, comme la belle Heroï-ca. Peut-être en était-il jaloux parce qu'elle gagnait bien sa vie ainsi que son oncle qui semblait accumuler tous les succès? se demandait-il curieusement. Mouloud, pour cacher son embarras, prit son petit carnet et le feuilleta comme un aveugle. |
-Messieurs, nous allons fermer! annonça soudainement le serveur qui s'était approché de leur ta-ble. Le service est terminé! répeta-t-il afin que tout le monde l'ait bien entendu. |
Ouf! lâcha Mouloud quelque peu ébranlé par les doutes sur la personnalité de son copain. |
-Attends-moi, je vais payer! lui dit-il en se levant pour se diriger vers la salle du restaurant. Aus-sitôt Nasser se leva et s'éloigna de la table, comme pour mieux voir la mer qui s'étalait devant lui. |
Quelques minutes plus tard, il revint et lui dit : Allez, remontons sur la canebière. |
-Ok, on y va! expédia Nasser en posant sa main sur l'épaule de son pote. |
En sentant cette main fraiche posée sur son épaule, Mouloud semblait heureux d'avoir un pote comme Nasser et malgré leur divergence d'idée. Mais bon après tout, qu'est-ce que cela pouvait bien faire? pensa-t-il en remontant le vieux port où le soleil et la mer semblaient s'être à nouve-au reconcilés. La mer à l'horizon semblait leur sourire par ses vagues d'écumes où le soleil, écl-atant sur les dalles du port, voulait absolument rotir un de ces touristes idiots qui s'était assis au bord du quai sans sa casquette. |
111 |
-T'as quelle heure? |
-Deux heures et quart, dit-il d'une façon un peu agitée. Heu..tu crois qu'on pourait se baquer av-ant, hum? |
-Quoi, allez se baigner? |
-Oui..de faire quelques brasses avant de retourner au boulot, Ah! Ah! Ah! |
-Ah sacré Nasser, tu changera jamais. Mais où veux-tu aller te baigner? |
-Et si on allait à la plage du Prado? |
-Alors là, non, il y a trop de monde à cette heure-ci, dit-il un peu énervé par cette proposition qui ne lui plaisait pas. |
-Mais alors tu veux aller où, car c'est la plus proche d'ici. |
-Allons plutôt aux calanques, lui envoya-t-il avec un sourire sur le bouche qui voulait tout dire. |
-Aux calanques? Mais c'est pas tout près d'ici. |
-Oh arrête de faire le difficile, Nass, en vingt minutes on y est. |
-Heu..mais avant d'y aller, t'as ton maillot? |
-Mais bougre d'imbecile, bien sûr que je l'ai. |
-Aussitôt Nasser baissa un peu son pantalon pour le lui montrer en étant de couleur bleue foncé. |
-Et ça c'est quoi, vieux bourrin? |
-Ah, Ah, Ah, sacré Nasser! |
-Et toi, j'espère que tu ne l'as pas oublié? |
-Moi oublier mon maillot, mais tu me prends pour un parisien ou quoi? |
Mouloud baissa lui aussi un peu son pantalon pour le lui montrer en étant de couleur rouge. |
-Et ça c'est quoi, vieille sardine? |
112 |
-Mais par où tu veux passer, hum? |
-On va prendre par le chemin des tortues, tu connais? |
-Oui, mais à pieds, c'est pas tout près, dit nasser qui semblait fatigué d'avance de faire cette lon-gue marche. |
-Si tu veux, on peut prendre la ligne 26 qui va aux calanques, je crois. |
-Par la route? Laisse tomber, c'est trop long. Et puis il y a trop de circulation à cette heure-ci. |
-Alors comment tu veux y aller? lui demanda Mouloud qui sentait les nerfs monter en lui. |
-Et si on prenait le train tout bêtement? |
-Par le train? |
-Oui, on est juste à cinq minutes de la gare Saint-Charles et je sais qu'il y a une navette toutes les dix minutes qui va, je crois, jusqu'a la Siotat. |
-Non, non, elle s'arrête avant, car pour aller à la Siotat, il faut prendre un bus. J'ai déjà fait le trajet avec mon oncle pour aller manger à la petite californie. Tu connais, la petite californie? lui demanda-t-il en voulant s'la jouer. |
-Bien sûr que oui, mon vieux! Mais qui à Marseille ne connaît pas la petite californie avec ses pontons en bois qui recouvrent la promenade ainsi que tous ses restaurants qui abusent de la grande baie vitrée pour nous faire croire qu'on est Los Angeles de même que ses vagues qu'on dit aussi grosses qu'à l'ocean et attirent, bien évidemment, tous les surfeurs du coin. Mais tout le monde la connaît! lui expédia-t-il d'un air triomphant. Mouloud, un peu gêné et voulant revenir au sujet qui le préoccupait, lui dit : D'accord, on y va par le train. Mais je te jure que je n'irai pas jusqu'a la Siotat, je te préviens. |
-Mais ne t'inquiète pas, on ira seulement jusqu'à Aubagne qui est juste avant Cassis. Comme ça, on descendra dans les calanques et avec un peu de chance, on trouvera un petit endroit tranqui-lle pour se baigner avant de retourner au boulot, Ah! Ah! Ah! |
-Au bagne? Mais tu en a de drôle d'idées, Nass! Et pourquoi pas aux Baumettes pendant que tu y es? lui dit-il en voulant faire de l'humour. |
113 |
-Oh, Oh, Oh, celle là, je ne l'aurais jamais trouvé tellement elle est fine et surtout quand je pen-se que la prison des Baumettes est juste à côté. Oh, Oh, Oh, là, tu en tiens une bien bonne! lâcha Nasser en riant d'une façon incontrôlée. |
-Je sais, je sais, mais ça m'arrive uniquement quand je me trouve dans une situation ridicule, vois-tu. Où mon cerveau se met à délirer tout seul en inventant des jeux de mots à partir d'ex-pressions banales ou de panneaux publicitaires qui se trouvent sur mon chemin. C'est bizarre à dire, mais ça marche comme ça chez moi, dit Mouloud d'un air un peu abattu par cette étrange faculté. |
-Et bien sûr, tu trouves notre situation ridicule à ce que je vois? lui demanda brutalement Na-sser qui ne comprenait pas bien pourquoi. |
-Oui, bien sûr. Mais rassure-toi, celle-ci ne me gène aucunement, car elle m'amuse énormém-ent. Pas toi? |
-Oh! Oh! Oh! Mouloud, je crois que tu ne changeras jamais et c'est pour cela que je t'aime bien, lui dit son pote qui commençait à avoir des fourmis dans les jambes. Allez on y va. |
-Allez assez bavarder! |
Et nos deux acolytes, ne voulant plus perdre de temps maintenant, accélèrent le pas en direction de la gare Saint-Charles. |
Étrangement, l'entrée de la gare ne se trouvait pas en pleine rue, comme pour la majorité des ga-res en France, où leurs facades majestueuses embellissaient le centre ville par ses ornements sculptés ainsi que par sa grosse horloge sertie dans la pierre tel un gros bijou où grouillait de-vant une population plus ou moins louche. Là rien de tout cela, mais seulement une facade sans éclats abandonnée aux pigeons et à la pollution de la ville, comme si les architectes et les auto-rités de la ville s'étaient concertés pour faire de la gare uniquement un endroit pour prendre le train et non comme un lieu de vie où une vague population se serait bien rassemblée pour occu-per leur journée. Comme ici à Marseille où ne rien faire de la journée était une activité prise très au sérieux contrairement aux apparences et génèrait une réelle activité, certes illégale, mais non moins une réelle activité économique. Ce qui était un vrai paradoxe qui n'appartenait qu'aux villes du sud où les chiffres sur l'économie étaient souvent cachés par pudeur, bien évidemment. |
114 |
-Aubagne, Aubagne, départ dans trois minutes! hurla soudainement un haut parleur sur le quai. |
-Vite, Mouloud, dépêchons-nous! |
-Et les billets? Merde, on a pas pris les billets! hurla Mouloud. |
-Aubagne, Aubagne, départ dans trois minutes! Quai numéro un, hurla une seconde fois le haut- parleur. |
-Mais on a pas le temps! jeta Nasser qui en se retournant vit une queue impressionnante au gui-chet. T'inquiète pas, on prendra les billet a l'intérieur du train. |
-Tu crois? |
-Oui, sans problème, je te l'assure. Le quai numéro un, c'est au fond à droite. |
Aussitôt, ils coururent jusqu'au quai numéro un où un vieux train du type reclassé les attendait, y entrèrent et s'installèrent dans un des compartiments en poussant la porte coulissante. |
-C'est classe, non? Tu as vu, on a un compartiment pour nous tous seuls. |
-Disons pour l'instant, dit Mouloud qui craignait que cela ne dure bien longtemps vu la foule qu'il l'avait aperçue tout à l'heure au guichet. Attendons que le train parte et après on pourra dire ouf. |
-Quelques secondes plus tard, le train s'ébranla et Nasser cria sa joie en sautant sur sa banquette. |
-Youhais! Youhais! Youpi! Youpi! |
-Oh, tu as vu comme on les a bien eu? |
-Tu voulais dire des gens qui attendaient au guichet? |
115 |
-Mouloud, tu peux fermer la fenêtre? Car ça commence à sentir le gazoil dans le compartiment! dit Nasser en se pincant le nez. |
Ce dernier ne lui répondit pas, mais remonta la vitre, puis s'affala sur sa banquette. |
116 |
En bas du vieux port, ça pouvait passer, mais dès qu'on s'en approchait ça devenait pénible avec toutes ces côtes et ces escaliers raides à gravir et seulement pour apporter une offrande à Marie, notre bonne mère. C'est dire la bêtise des constructeurs qui n'avaient pas pensé aux vieilles dam-es des marins disparus qui étaient obligées de rester chez elles pour pleurer leurs défunts maris ou fils. Mais il ne serait pas inutile de dire à notre cher lecteur que ces derniers avaient fait con-struire des ascenseurs pour palier à tout cela. Mais du fait de leur mauvaise conception (système hydraulique à eau aux dimensions exagérées pour transporter quelques dizaine de pèlerins 100 mètres plus haut), ils avaient dû les démolir et faire en même temps le désespoir de ces veuves qui avaient perdu leurs maris en mer. Tout ça pour dire qu'ici à Marseille aucun grand architecte n'avait vu le jour ni aucun grand philosophe dit matérialiste, comme je vous l'avais dit précéde-ment, car aucun pragmatisme chez ces gens, n'est-ce pas? La raison est toute simple, c'est qu'ici tout est superficiel et la moindre pensée profonde ou sérieuse fait aussitôt mal à la tête à la plupart des marseillais, Ah!Ah!Ah! Bref, laissons les farnienter en rêvant à des fortunes de mer acquisent sur le pouce ou bien assis aux terrasses des cafés en buvant leur pastis bien frais, si possible. |
Sous la photo, encadrée de notre Dame de la Garde, Mouloud s'était endormi et rêvait de piquer une tête dans la mer pour oublier le bruit mécanique du train et retrouver les éléments de la na-ture : le vent, les vagues, le sel et le soleil qui allaient tout à l'heure lui brûler la peau. Nasser, quant à lui, semblait somnoler et rêver à l'argent que la belle Heroïca allait lui rapporter, quand les preuves seront apportées à l'oncle de Mouloud et un petit sourire se dessinait sur ses lèvres. |
117 |
-Aubagne! Aubagne! Trois minutes d'arrêt! |
-Aubagne! Aubagne! Trois minutes d'arrêt! hurla de nouveau le haut parleur. |
En descendant du train, ils furent surpris de voir personne descendre avec eux, comme s'ils étai-ent descendus dans une ville fantôme, pensaient-ils en se regardant d'une manière étonnée. |
-Tu crois pas qu'on s'est trompé? demanda Mouloud. |
-Mais non, j'ai bien entendu Aubagne, trois minutes d'arrêt, non? |
-Ouhais, c'est ce que j'ai cru entendre moi aussi. |
-Cassis! Cassis! Quai numéro un. Départ immédiat! hurla soudainement le haut-parleur, puis ils entendirent un coup de sifflet et le train repartit aussitôt. |
Quelque peu demoralisés, il se dirigèrent ensuite vers le passage souterrain pour sortir des voi-es. Ils auraient pu, il est vrai, couper directement les voies pour aller plus vite. Mais comme ils avaient un peu le temps, se disaient-ils, pourquoi ne pas en profiter pour visiter les lieux au fo-nd? |
118 |
En sortant de la gare, ils demandèrent à un passant où se trouvait les calanques. |
-Messieur, s'il vous plait, pour aller aux calanques? demanda Mouloud qui était pressé de pi-quer une tête dans la mer. |
-Les calanques, c'est par là tout droit. En voiture, vous en aurez pour 15 minutes au maximum, dit-il en leur montrant la direction avec le bras. |
-15 minutes en voiture! s'exclama-t-il en regardant Nasser d'une manière étonnée. Mais à pieds en combien de temps, on pourrait y être? lui demanda-t-il inquièt |
-1 heure au moins. Mais moi, je vous le déconseille vu qu'ici la nuit tombe très vite et qu'il est très dangereux de rester dans les calanques où des maraudeurs traînent pour vous voler ou peut-être vous assassiner. Mais bon, après tout, vous faites comme vous voulez, mes garçons, vous êtes assez grands! leur lança l'homme qui était agé d'une cinquantaine d'années et semblait con-naître la vie. |
-Merci pour le conseil, monsieur, répondit Mouloud en lui serrant la main. |
En se saisissant de cette déconvenue, il semblait furieux contre lui-même, mais surtout contre Nasser qui lui avait dit des bêtises sur Aubagne où soi-disant en sortant du train on pouvait plo-nger directement dans la mer. Pendant toute la discution, il s'était éloigné imperspectivement de lui comme par instinct. Mouloud le regardait maintenant avec des yeux furieux en lui deman-dant comme des explications, mais aussitôt Nasser se rapprocha et lui dit : |
-Mouloud, je te jure que n'y suis pour rien...et c'est Farouk qui m'a dit qu'on pouvait se baquer tout près d'Aubagne! |
-Et bien sûr, tu l'as cru? |
-Oui, bien sûr, car Farouk c'est un bon pote à nous, non? |
119 |
-La grosse tête? |
-Oui, de nous avoir berné, purée! |
-D'accord, je dirais rien, lâcha Nasser comme pris en faute. Alors qu'est-ce qu'on fait mainenant? |
-Heu..t'as quelle heure? |
-3 heures moins quart, répondit-il en regardant sa montre. |
-Ok, il est pas trop tard. Heu..voilà ce qu'on va faire maintenant, on va reprendre le train pour Cassis où là bas au moins on sera sûr de ne pas faire des kilomètres pour aller se baigner. |
-Ok, on fait comme tu dis, approuva Nasser qui semblait soulagé par la bonne réaction de son copain. |
Aussitôt, ils reprirent la direction de la gare. Au guichet, ils prirent deux billets pour Cassis avec aller-retour pour Saint-Charles. Après qu'ils aient composté leurs deux billets, ils allèrent s'ass-eoir à l'ombre sur un banc protégé du soleil par la facade de la gare. Dix minutes plus tard, leur train arriva et ils y montèrent avec le sentiment de n'avoir pas perdu autant de temps qu'ils le croyaient, ce qui les mit aussitôt de bonne humeur quand le train repartit. |
Ce trajet Aubagne-Cassis fut si rapide qu'ils n'eurent pas le temps de se parler et se trouvèrent comme par magie sur les crêtes des calanques où ils cherchaient un endroit tranquille pour se baigner. Tous les deux avaient enlevé leurs tee-shorts, puis roulé dans un sac en plastique. |
-Mouloud, t'as pas soif? demanda soudainement Nasser. |
-Si, dit-il, en s'essuyant le front.Tiens, asseyons-nous là, ça à l'air plus ou moins plat. Face à la mer, Mouloud déboucha la bouteille d'orangeade de marque malba où une sorte de pchiiit..s' échappa comme pour leur mettre l'eau à la bouche et redoubler leur soif. |
-Tiens, bois le premier! dit-il en lui tendant la bouteille. Heu..pas au goulot, tu sais? |
-Pas au goulot? Comment pas au goulot? |
-Oui, juste au dessus de ta bouche, car je ne veux pas avaler ta salive, Ah!Ah!Ah! lui expédia-t-il en riant. |
120 |
-Alors là, t'es vraiment con! Je te croyais pas comme ça, dit Nasser d'un air désabusé. |
-Tiens, passe là moi, je vais te montrer. Aussitôt, il positionna le goulot de la bouteille juste au dessus de sa bouche où un liquide orangé s'engoufra comme un petit ruisseau. Nasser, voyant l' exploit de son copain, pensait ne pas y arriver sachant qu'il ne l'avait jamais fait auparavant. Heu..bois carrément la moitié de la bouteille, moi je boirai l'autre moitié, lança-t-il afin de sim-plifier les choses. Mais Mouloud, entendant cela, faillit bien s'étouffer et redressa aussitôt la bouteille pour ne pas en verser une goutte parterre. |
-Alors là, non, Nass, je veux que tu apprennes! Tiens, prends-là et fais comme je viens de faire. Et puis je ne peux pas boire la moitié de la bouteille pendant que toi tu meurs de soif. Boire de cette façon, entre potes, ça ne se fait pas, dit-il l'air fâché. |
-Ok je vais essayer. Et Nasser, positionnant le goulot de la bouteille juste au dessus de sa bou-che, déversa dans ses entrailles un liquide orangé et sucré que ses yeux ne purent cacher l'extase. |
-Eh bien alors, tu vois que tu y arrives, ma vieille sardine! dit-il heureux d'avoir appris quelque chose à son pote. |
-Tiens, c'est a ton tour maintenant, dit-il en lui tendant la bouteille. |
-Encore un dernier coup, pensa-t-il en sachant qu'il fallait en garder pour tout à l'heure. |
Après qu'ils aient bu la moitié de la bouteille, ils la rebouchèrent et la remirent dans le sac. En-tre temps, Mouloud avait aperçu une petite crypte en contre bas qui semblait déserte. |
-Oh, Nasser, tu vois ce que je vois? |
-Oh oui, un endroit parfait pour notre baignade, dit-il en le dépassant et en se mettant a courir pour y arriver le premier. |
-Oh le salaud! lança Mouloud qui partit aussitôt à sa poursuite. |
121 |
Quand il arriva dans la petite crypte, Nasser était déjà dans l'eau et savourait sa victoire en fai-sant beaucoup de bruit avec l'eau qu'il moulinait comme un bateau à aube. |
-Oh, attends que je t'attrape, ma vieille sardine! dit-il en se jetant à l'eau. |
Aussitôt, son pote prit peur et partit vers le large, mais Mouloud qui était un bon nageur le ratt-rapa en un rien de temps, puis l'agrippa par les épaules en essayant de le couler. Fripouille! cria aussitôt Nasser en sortant la tête hors de l'eau pour reprendre sa respiration. |
-Et toi, vieille sardine! lança Mouloud en éclatant de rire, Ah!Ah!Ah! Puis arrêtant ce petit jeu, ils firent ensemble quelques brasses. Nageant côte à côte, ils ressentaient l'un pour l'autre une véritable amitié et malgré que l'un était une fouine et l'autre le fils adoptif d'un maquereau. Fouine ou maquereau, mais qu'est-que cela pouvait bien leur faire? pensaient-ils en se laissant porter par la mer où les vagues, comme des baisers de sels, voulaient embrasser leurs jeunes cor-ps d'adolescents. |
Nageant sur le dos et regardant le ciel, qui était d'un bleu intense, il avaient l'impression de fl-otter au milieu de nulle part où tout se confondait. Seul le bruit du ressac sur le rivage leur rappelait que la terre n'était pas loin. Seul le bruit d'un avion dans l'azur immaculé leur rappelait qu'ils vivaient toujours parmi les hommes. Seul le cri d'une mouette dans le ciel leur rappelait que sur cette terre y vivaient des animaux en totale liberté, comme eux en ce moment. Mais pour combien de temps? s'interrogeaient-ils non sans angoisses. |
Après la baignade, ils retournèrent sur la plage qui n'était pas très grande, mais encaissée entre des rochers où tout une faune de mousses et de coquillages avait élu domicile et en faisait le charme. La brise du vent iodée et le ressac sur le rivage avaient pour eux comme le goût du paradis. |
-C'est dommage qu'on ait pas pris nos serviettes avec nous, hum? demanda soudainement Nas-ser. |
Mais bizarrement, son pote ne lui répondit pas, comme s'il était perdu au paradis. |
122 |
-Heu..youhais, qu'est-ce que tu disais? demanda-t-il en reprenant ses esprits. |
-Oui, je te disais, c'est dommage qu'on ait pas pris nos serviettes avec nous! |
-Oh, tu fais chier avec ça! expédia Mouloud qui était un peu énervé que son pote l'ait fait sortir du paradis si brutalement. Et la bouteille, tu l'as mise au frais? |
-Non, elle est toujours dans le sac. Puis le voyant se lever, il lui dit d'un air amical : non, ne bou-ge pas, je vais le faire à ta place. |
Aussitôt, il partit vers les rochers pour trouver une cavité où mettre la bouteille pour que la mer ne l'entraîne pas au large, mais l'asperge d'eau bien fraîche.. |
Nasser était mat de peau, c'est ce que remarquait Mouloud en le voyant revenir vers lui en resse-mblant à un apollon sous le soleil. Ses parents étaient nés à Oran, lui avait-il dit un jour au café, ce qui lui valait cette couleur de peau caractèristique de cette règion de l'Algèrie où la popula-tion s'était fortement mélangée à cette population noire africaine. Et en même pas une demi-heure, il avait déjà bruni et ressemblait presque à un noir, remarquait-il surpris. Lui était plutôt clair de peau, avec des parents nés à Setif où la population s'était très peu mélangée à celle de l'Afrique noire. Chez lui, on sentait une origine pure Arabe qui s'était mélangée au cours de son histoire avec celle des grecs et des phénicens qui, au temps de l'antiquité, avaient colonisé cette terre d'Algérie. Quant à lui, son bronzage mettait du temps à venir; mais quand il le voyait appar-aître sur sa peau, celle-ci devenait alors couleur caramel, ce qui faisait sa fierté quand il croisait des filles à la plage du Prado ou à la corniche. |
-Ca y'est! dit Nasser en se rasseyant à côté de son pote, je pense que dans dix minutes elle sera fraîche. |
123 |
Tous les deux regardaient maintenant dans la même direction et semblaient penser la même chose. |
-Je commence à avoir soif, tu penses que ça doit être frais? |
-Attends, je vais aller voir.. |
Nasser partit aussitôt vers les rochers consulter l'état de la bouteille. Arrivé à l'endroit où il l' avait mise, il la sortit puis la posa contre sa joue pour savoir si elle était bien fraîche en illumin-ant aussitôt son visage d'un large sourire. |
-Mouloud, Mouloud, je crois que c'est frais! |
-He ben, apporte-là vite, car dans une minute je vais mourir de soif! dit-til en exagerant comme toujours. |
-Ah! Ah! Ah! tu changeras jamais, vieux calamar, lança-t-il tout en faisant attention à ne pas cas-ser la bouteille sur les rochers. |
Assis de nouveau l'un à côte de l'autre, ils répétèrent la séance du "comment boire sans mettre de salive dans la boisson". Puis Nasser sortit le paquet de gâteau du sac, l'ouvrit et offrit à son pote une petite galette du mont Saint-Michel pur beurre. |
-Pur beurre, je vous prie, monsieur! |
-Pur beurre, monsieur l'inspecteur? |
-Bien évidemment, tête d'enfoiré! |
-Ah!Ah!Ah! |
-Oh!Oh!Oh! |
Explosèrent-ils de rire en se tenant les côtes tellement ils étaient pliés en deux par cette petite comédie jouée involontairement, mais uniquement inspirée par le bonheur d'être libre. |
En un rien de temps tout fut engloutit, la boisson aidant à faire passer les galettes. |
Repus et rôtant de temps en temps, ils reprirent leur discution. |
124 |
-Heu..Mouloud, ça fait combien de temps que tu es en France? demanda subitement Nasser. |
-Ca fait quatre ans exactement que je suis à Marseille donc quatre ans que je suis en France, lui dit-il d'un ton direct. Et pour ne rien te cacher, ma vieille sardine, j'avais treize ans quand mon oncle Nadir m'a enlevé à mes parents. |
-Tu veux dire quoi par enlevé? demanda Nasser qui semblait inquiet. |
-Mais kidnappé, ma vieille sardine! |
-Comment kidnappé? Mais tu avais raconté à tout le monde que tu étais parti avec l'accord de tes parents et surtout du tien, non? |
-Mais non, ça c'est la version officielle que j'ai donné aux copains de l'école pour leur faire cro-ire que j'étais une sorte de héros romantique qui à l'âge de treize ans avait décidé de parcourir le monde avec son oncle soi-disant richissime. Ce genre d'histoire plait beaucoup en France et su-rtout aux écoliers qui sont pour la plupart prisonniers de cette institution qu'on appelle l'Educa-tion Nationale, bref, dix ans de prison pour un crime qu'ils n'ont point commis, Ah!Ah!Ah!. Moi personnellement, je trouve cela très injuste pour eux, n'est ce pas? |
-Alors là, tu exagères. Et je pense que s'ils acceptent toutes ces années de prison sans se révolter, c'est pour leur bien, non? |
-Quoi, tu voulais parler de leur avenir à ces gamins? |
-Oui, et je pense que c'est pour ça qu'ils endurent l'enfermement en salle de cours et le gavage in-stitutionnel. |
-Mais penses-tu un peu à tous ces adultes qui plus tard seront au chômage avec le cerveau farci comme une dinde de noel! Hein, tu y penses? |
-Oui, bien sur que j'y pense. Mais ça, c'est le problème de la société française et non des gens comme nous qui à la première occasion sauterons le mur de l'école. |
125 |
En fait, leurs diplômes sanctionnent uniquement la docilité aux institutions et aux futurs travaux des fonctionnaires. Bref, une domesticité apprise dès le plus jeune âge afin de créer une véritable élite politique. |
-Elite politique, tu parles! Regarde comme ils se battent pour une place de ministre ou de dép-uté! Faire autant d'années d'études pour les voir se disputer comme des gamins à l'assemblée nat-ionale, je pense que sortir de sixième suffit largement, Ah!Ah!Ah! Une fois, dans une émission à la télé, j'ai appris que les tous hommes politiques allaient à L'ENA uniquement pour apprendre à mentir aux gens, tu t'en rends compte! |
-Moi personnellement, je ne crois pas qu'ils le font délibérément de mentir. Mais je pense que pour justifier leur salaire, il faut bien dire quelque chose aux gens qui les rassurent, bref, leur faire des promesses, mon cher Mouloud! |
-Eh bien moi aussi, je vais t'en faire des promesses et tu verras si tu vas me les payer! |
-Moi? Alors ça jamais de la vie! Car je connais trop bien le vice de ces gens qui profitent des institutions pour s'en mettre plein les fouilles, Ah!Ah!Ah! ria Nasser, dit la fouine qui sûrement à ses dix huit ans n'irait pas voter. Heu..Mouloud, on parle et on parle, mais tu m'a pas dit com-ment ton oncle t'avait kidnappé. |
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Mais il me dit qu'ils allaient arriver dans la soirée. Mais ne t'inquiètes pas comme ça, mon cher neveu, je vais pas te manger! Tu es le fils de ma soeur et je t'aime comme mon fils, me dit-il en me faisant asseoir dans son salon devant la télévision qu'il alluma : télévision qu'on avait même pas chez nous. Je pensais alors que mon oncle devait être bien riche pour pouvoir se payer un appareil comme celui-là, qui valait au moins quatre milles dinars. En appuyant sur la télécomm-ande, il me fit voir des images de l'occident où tout le monde semblait riche et heureux. Et à ch-aque fois qu'il zappait, il sursautait en me disant : Oh regarde comme c'est beau là bas! Il sont tous riches! Ils ont tous une voiture, une maison. Alors que chez nous, c'est la misère, pas de sécurité sociale, pas de pension retraite pour nos vieux. Mouloud, me criait-il alors dans les or-eilles, notre avenir est en France, je te l'assure! Et moi, bien sûr qui était très influençable par les images, je ne pouvais que le croire et lui demandais le programme de ce soir aussi bien dans nos assiettes qu'à la télévision, ce qui le mit aussitôt de très bonne humeur. Le soir venu, nous man-geâmes très copieusement en regardant un film de gangster où Jean Gabin (l'inspecteur de poli-ce) pourchassait Alain Delon (le voyou) à travers une grande ville moderne. Avant d'aller me co-ucher, il m'apporta un verre de thé à la menthe, pour la digestion, me dit-il d'un ton paternel. |
Quelle drôle d'histoire! pensait Nasser qui à ses côtés l'écoutait avec grand intérêt. |
Le lendemain, tu ne me croiras pas, mais je me suis réveillé dans sa voiture à bord du ferry Alger-Marseille! |
-Quoi, sur un bateau, alors que la veille tu étais à Boujie? Mais comment est-ce possible? |
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-Eh ben, Mouloud, je ne croyais pas que cela puisse exister. Mais avec ce que tu me racontes, la réalité dépasse vraiment la fiction. |
-Eh oui. Et malheureusement pour moi, il était trop tard quand je me suis retrouvé à l'arrière de sa voiture à bord du ferry. Au debut, je croyais vivre un vrai cauchemar, car mon oncle avait disparu et que toutes les portes étaient fermées. La seule chose qu'il avait laissé, c'était un petit espace au dessus de la vitre pour que je puisse respirer. |
-Mais au juste, comment as-tu deviné que tu étais à bord d'un ferry sachant que n'importe quel parking ressemble à n'importe quel autre parking, non? |
-Oui, mais il y avait un haut-parleur qui donnait toutes les dix minutes des informations conce-rnant la météo et la navigation, où un certain capitaine Mektoub souhaitait un bon voyage à tous les passagers du ferry. |
-Au bout d'une heure, je vis quelqu'un s'approcher de la voiture, c'était mon oncle Nadir! Et pour ne rien te cacher, j'étais quant même très heureux de le revoir et malgré tout ce qu'il m'ava-it fait...tu peux le comprendre facilement.. |
-Bien sûr, approuva Nasser qui ne le lâchait pas des yeux. |
-Bizarrement, il m'ouvrit la porte avec un grand sourire en me disant : Viens, maintenant nous allons manger! et m'aida même à sortir de la voiture comme s'il était mon portier. Je n'y croyais pas mes yeux tellement la situation me semblait rocambolesque. Nous sommes invités à la table du capitaine! me dit-il suprenamment. Ah oui? lui répondis-je tout étonné. Oui, mon cher nev-eu, et à ton âge c'était mon rêve de diner un jour avec le capitaine d'un paquebot comme dans la croisière s'amuse, Ah!Ah!Ah! Ce rêve, ce soir se réalise pour toi et tu en as bien de la chance, mon cher neveu. Mais je m'y opposais pas tellement j'étais surpris par la tournure des événem-ents. |
-Alors, ce soir là, tu as vraiment diner avec le capitaine Mektoub et tous ses seconds? demanda Nasser fasciné par son histoire. |
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-Oui, bien effectivement, dit-il avec fierté en faisant un peu envier Nasser. Le hic de l'histoire, c'est qu'il me présenta à tous comme son fils, alors que je savais que c'était faux. Mais bon, co-mme je ne voulais pas gâcher la soirée, je me laissais prendre au jeu. C'est vrai que les lango-ustes et les homards étaient excellents et les jus de fruits exotiques, une pure merveille. Tout ça pour te dire que la soirée fut excellente et le reste du voyage comme dans un rêve. La suite, tu la connais, puisque j'arrivais à Marseille le lendemain avec des rêves plein la tête. |
-Bien, bien, dit Nasser qui semblait tracassé par quelque chose. Mais ta mère qu'est-ce qu'elle a dit quand tu as disparu? |
-Oh elle a su tout de suite que c'était un coup de son frère qui a trente ans était toujours céliba-taire et traînait encore à son âge avec les gamins de la casba, ce qui montrait qu'il était immature et pas constitué comme les autres. C'est ce qu'elle a dit à la police quand ils sont venus la ques-tionner. Des temoins avaient même dit à la police qu'ils l' avaient vu fermer tous les volets de sa maison la nuit de mon enlèvement, puis déposé une sorte de gros colis à l'arrière de sa voiture pour prendre ensuite la route pour Alger. Ma mère priait alors le prophète qu'il ne m'ait point en-core fait de mal ou autres saloperies vu ses problèmes psychologiques. |
-Ton oncle, si ce n'est pas indiscret de ma part, mais t'a-t-il violenté ou fait quelque chose com-me ça? lui demanda Nasser en faisant une drôle de figure. |
-Alors là, pas du tout! expédia Mououd surpris par cette question brutale. Je te dirais, sans men-tir, qu'il a eu une conduite exemplaire avec moi pendant le reste du voyage. Et que ceux qui croi-ent que mon oncle est un fou( ma mère, mon père et tous mes cousins), c'est qu'ils se trompent complètement. Mon oncle est tout simplement un original qui ne manque pas de coeur et malgré qu'il soit très dure en affaire, comme tu le sais. |
-Ah ça, je l'avais deviné! lâcha Nasser en roulant des yeux. Moi personnellement, je pense que s'il t'a kidnappé, c'est parce qu'il t'aimait beaucoup. |
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-Oui, je le crois moi aussi, consentit Mouloud en baissant les yeux. Mais je t'avouerais que je ne sais pas trop bien pourquoi. |
-Oh tu sais, l'amour, ça ne s'explique pas. Va demander à ta mère pourquoi elle t'aime. Elle mê-me ne pourra pas te donner d'explications satisfaisantes et bredouillera sûrement quelque chose que tu ne comprendras même pas, je te l'assure. Car on aime souvent quelqu'un pour un détail qui nous a séduit, comme son regard, la forme de son nez, de sa bouche ou bien de ses poignets qui sont mignons a croquer. Je sais bien que ce sont des choses très futiles, mais n'empêche esse-ntielles quand on veut vivre sa vie entière avec son semblable. |
-Oui, c'est très vrai ce que tu dis là. Mais moi, je veux pas chercher d'explications, car je suis heureux de vivre avec mon oncle. |
-Eh bien, j'en suis heureux pour toi! s'exclama Nasser en lui adressant un large sourire et en lui donant une petite tape sur l'épaule. Heu..pour parler d'autre chose et l'école comment ça marche? |
-Oh ne m'en parle pas, c'est un vrai calvaire pour moi! |
-Ah oui? lui demanda-t-il un peu surpris. |
-Oh oui, parce que j'ai dû réintégrer l'école en France à cause de ma mère. |
-Mais tu m'avais dit que ta mère ne savait pas où tu crèchais, non? |
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-Et qu'est-ce qu'il a répondu ton oncle à cette lettre? demanda Nasser avec une grande curiosité . |
-Hé ben qu'il était d'accord, lâcha Mouloud comme désabusé. |
-J'ai l'impression que tu n'es pas entièrement satisfait par les exigences de ta mère, hein? |
-Non, car j'aurais bien aimé ne pas aller à l'école du tout! |
-Oui, bien sûr, comme tous les enfants, n'est-ce pas? Mais c'est irréalisable, mon vieux. Regarde un peu comment a fini Pinocchio qui ne voulait pas y aller. |
-Quoi, tu voulais parler de la marionnette que Jepetto avait construite pour combler sa solitu-de? |
-Oui et que la bonne fée changea en petit garçon pour qu'il ait un fils digne de lui. Mais les cho-ses ne se passèrent pas comme elle l'avait prévu, car le garnement de Pinocchio, au lieu d'écouter son père Jepetto, n'en faisait qu'à sa tête. |
-Oui, oui, je m'en rappelle maintenant et qu'après, il se faisait engager dans un cirque comme marionnette savante. |
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-Et alors qu'est-ce qui lui est arrivé après à ce Pinocchio? lui demanda-t-il d'une façon fort na-ïve. |
-Hé ben, il a fini dans le ventre d'une baleine. |
-Quoi, dans le ventre d'une baleine? |
-Oui, c'est à dire très mal. La suite est du même style et à chaque fois que la fée le sauvait, celui-ci jurait de ne plus faire de bêtises, mais bizarrement en faisait de plus belles pour se retrouver embarquer dans des catastrophes sans fins. |
-C'est triste tout ça, non? |
-Ah oui, c'est vraiment triste, surtout pour Jepetto! |
-Pourquoi pour Jepetto? demanda Mouloud intrigué. |
-Mais parce que Jepetto croyait que ce cadeau tombé du ciel allait faire son bonheur, alors qu'il n'aura fait que son malheur, voilà tout. |
-C'est la morale de l'histoire? |
-Oui, en gros, répondit Nasser qui ne savait plus quoi dire. |
-Pour mon cas, enchaîna Mouloud, moi j'ai toujours détesté l'école. |
-Ah ça, je l'avais compris par la facon dont tu en parlais...une prison, je crois, hum? |
-Oui exactement et si je te racontais comment s'est passée ma première rentrée, tu tomberais à la renverse. |
-Ah oui et pourquoi? |
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-Quoi, au CE2 à l'âge de 13 ans, mais ils sont fous à l'éducation nationale! Mais c'était une faç-on de te condamner à perpette! s'exclama Nasser en apprenant l'humliation que Mouloud avait subie en entrant en France. |
-Oh oui, perpette, tu l'dis bien. Bien évidemment, mon oncle n'avait rien dit contre la décision de la directrice, car ailleurs ce serait pareil, m'avait-il chuchoté à l'oreille. |
Le jour de la rentrée, madame Nadeau, l'institutrice me présenta à tous les élèves de la classe. Nous étions alors tous les deux sur l'estrade quand elle commença à dire: Voilà, je vous présente un nouvel élève. Il s'appelle Mouloud et il va suivre avec nous le nouveau programme de la cla-sse de CE2. Soyez gentil avec lui, car il vient tout juste d'arriver en France et sait à peine parler le français. Je compte sur vous, sur votre compréhension afin que l'année pour lui se deroule de la meilleur façon. Je vous remercie beaucoup. Allez Mouloud, va prendre ta place au deuxième rang à côté de Jean-Daniel! |
-Oulala, Mouloud, pour ne rien au monde, j'aurais voulu être â ta place! jura Nasser qui compre-nait maintenant pourquoi Mouloud detestait l'école. |
-Et puis je t'avouerais que l'odeur des pieds des élèves, de l'alcool des photocopieuses, de l'encre et du vernis m'a toujours écoeuré. Ajoute à cela, le regard méfiant et calculateur de tous ces ga-rnements qui vous sondent pour connaître vos points faibles afin d'être le premier de la classe, tout cela m'a toujours donné des boutons. |
-Et je peux le comprendre entièrement! dit Nasser qui se sentait solidaire de son pote. |
-Le pire arriva pour moi quelques mois plus tard, quand l'institutrice, ne me voyant pas progre-sser, convoqua l'équipe psychologique de l'école afin de me faire tout un tas des tests. |
-Des tests? Mais pourquoi faire? |
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-Ah!Ah!Ah! Mouloud, mais ça n'arrive qu'a toi ce genre de truc! lâcha Nasser en éclatant de rire. Et seulement quelques mois après ton arrivé en France? Franchement, je les trouve très dure à ton encontre. |
-Oui, très dure, c'est ce que j'ai alors ressenti. Car les tests que j'avais fait furent analysés et ju-gés comme catastrophiques pour l'âge que j'avais et on se demandait même si on allait pas me faire passer dans une classe inférieure! |
-Quoi, dans une classe en dessous? Mais ils sont timbrés à l'Education Nationale! |
-Oui, mais comprends un peu; ils m'avaient trouvé un QI très en dessous de la moyenne, envi-ron 60 et donc pour eux, il était tout naturel que je passe une classe en dessous où les élèves avaient le même QI que le mien, non? |
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Quand on me convoqua dans le bureau de la directrice, pour mes résultats catastrophiques, je faillis bien m'évanouir, mais j'encaissai le coup sans rien dire. Par la suite, je me renfermais de plus en plus sur moi-même et évitais de jouer avec mes camarades. Pour eux, j'étais devenu un fantôme qui décharnais les feuilles des arbres jusqu'à la fin de la récréation. |
-Mouloud, c'est bizarre que tu me dises ça, car moi je te trouve extrêmement ouvert et plaisant. Alors pourquoi ce comportement étrange? |
-Parce que tout simplement, je n'étais pas dans mon élément! s'emporta-t-il |
-Tu veux dire quoi pas là? |
-Je voulais dire que l'école est un milieu artificiel où les comportements des enfants sont orien-tés ou dirigés pour que ces derniers puissent se supporter en classe, puis plus tard en société. |
-Moi personnellement, je trouve que c'est une bonne chose, non? |
-Oui, en théorie. Mais quand on vous dénature complètement au point de vous faire perdre votre personnalité et votre joie de vivre, moi je trouve cela criminel. |
-Oui, dans ce sens, c'est vrai, approuva Nasser qui ne faisait que regarder sa montre. |
-Oh merde, il est déjà 16 heures! On parle et on parle et on oublie l'heure. |
-Oui et c'est souvent le cas quand on dit des choses intéressantes où l'on est sur une autre planète et qu'on oublie l'heure, confessa Mouloud qui n'avait pas l'air d'être pressé. Après tout, se disait-il, la belle Heroïca pouvait bien attendre. Il se leva, puis tira du sac son tee-shirt et dit à Nasser : Allez, retournes-toi, je vais t'enlever le sable! Aussitôt, Nasser lui exposa son dos que Mouloud nettoya avec son tee-shirt qu'il tenait tel un fouet. Ensuite Nasser fit de même pour son pote.. |
-Allez, retour au bercail! dit-il en se levant et en prenant son sac. |
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-Et à quelle heure elle termine? demanda subitement Nasser. |
-A huit heures normalement et va manger après au troquet d'à côté, précisa Mouloud qui com-mençait à en voir un peu marre. Encore quatre heures embusquées comme des taupes, mon dieu quel calvaire! pensa-t-il en essayant de trouver la meilleur position. |
Quand les huit heures sonnèrent, ils comptabilisèrent pour la belle Heroïca, une dizaine de clie-nts en plus et cette fois-ci de la plus belle volée, avec des commandants de bords et des officiers de marine qui s'étaient presentés à elle dans leur plus bel uniforme, ce qui avait fait étinceler les yeux de la belle Heroïca pour des raisons qu'elle seule connaissait, bien évidemment. Mais bon à chacun ses fantasmes, n'est-ce pas? Ensuite, ils rentrèrent tous les deux chez eux, Nasser dans son quartier au mistral et Mouloud chez son oncle, rue de la poudrette. En entrant dans l'appar-tement, n'aperçevant pas son oncle, il se dirigea directement vers sa chambre où il s'éffondra sur son lit. Quand son oncle rentra vers les quatres heures du matin, il l'aperçut dans son lit tout ha-billé, ce qui le fit aussitôt penser qu'il avait dû avoir une rude journée. |
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Bizarrement, il n'arrivait pas à vider son cerveau de toutes ces pensées qui souvent vous empê-chaient de goûter à la béatitude des jours en pensant à son oncle qui ce soir allait lui poser toutes sortes de questions sur les comptes concernant la belle Heroïca. Ca ne va pas être évident pour lui de déchiffrer tellement c'était mal écrit, pensa-t-il un peu inquièt. Mais bon, il n'y a que moi qui sera le faire, alors il m'attendra forcément. En fait, ce qui le gènait le plus dans cette affaire, c'était la suite où il avait encore à espionner La Goulue, Natacha, La Grosse Rosa, Grisella et il ne s'en sentait pas le courage. Oh merde, encore à trouver des coins pour se cacher et pour espio-nner les filles. En fait, moi, j'aime pas trop ce boulot. Lui, Nasser il s'en fou, car c'est une fouine et en tant que fouine, fouiner dans la vie des autres c'est son suprême plaisir. Alors que moi, j' aime bien rêvasser en regardant la mer où en tant que poéte, j'aurais bien aimé écrit quelque chose d'immense, comme une sorte de poème fleuve où marins et pirates défieraient les èléments et surtout les navires de sa royale majesté, le Roi. Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai le sentiment dans les mythes grecs que Posseidon et le Cyclope (qui voulaient se debarrasser d'Ulysse) étaient en réalité l'incarnation du mal bien avant l'invention du diable par les chrétiens. En fait, à cette époque personne ne savait d'où le mal venait, alors on s'inventait des histoires ou des mythes afin de le matérialiser. Et tous étaient d'accord pour dire qu'il venait d'en haut où les dieux rég-issaient la vie des Hommes et non d'en bas où le pouvoir des rois s'engageait dans des guerres interminables. En fait, l'homme se sentait innocent, bon et méchant à la fois et s'il tuait un hom-me par mégarde, c'était à cause des dieux qui l'avaient égaré! |
139 |
Mouloud, qui n'arrivait pas à se débarrasser de toutes ces pensées, se sentait un peu culpabilisé de n'avoir pas encore une copine à lui. Car même s'il avait accès en toute gratuité à toutes les filles de son oncle, bref, à leurs caresses et à leurs corps, il sentait qu'avec une fille normale ça devait être fort different. Et que de faire l'amour avec elles ressemblait plutôt à un jeu pour moi et pour elles, je suppose. Mais où était donc l'amour dans ces rapports même si elles étaient canons? Bref, on pénétrait et embrassait des jolis corps pour ce qu'ils représentaient en tant que matière, mais la fusion des âmes où se touvait-elle pendant l'acte?se demandait-il curieusement du haut de ses dix sept ans en se posant ce genre de question de moralité. L'amour était-il un acte moral ou bien immoral ou tout bêtement ni l'un ni l'autre? se surprit-il à se demander. Baiser pour baiser était-il plus immoral que baiser sa femme pour lui faire un enfant? Mais où se trou-vait la différence? Apparemment, il en avait aucune dans les faits, en conclua-t-il, car la femme qui fait l'amour n'est qu'un corps qui s'abandonne à l'homme où tout peut arriver, une grossesse ou rien. En fait, le problème, c'est qu'on avait trop moralisé notre société où le moindre de nos actes, comme de marcher dans la rue, devenait alors un exercice citoyen où il fallait s'excuser à chaque fois qu'on bousculait quelqu'un sans le faire exprès ou bien manger au restaurant deve-nait aussitôt une torture pour celui qui aimait manger avec les doigts et rire comme un hippop-otame, Ah!Ah!Ah! Bref, notre monde était devenu trop parfait et c'est ce qui le rendait terrifiant, pensa-t-il en se remémorant cette devise : Chassez le naturel et celui-ci revient aussitôt au galop! |
Épuisé de penser, il s'endormit à l'ombre des bidons et au bruit des mouettes. |
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Quand il entra dans l'appartement, il entendit du bruit dans la cuisine et s'y dirigea pour retrouver son oncle qui était en train de se préparer à manger. Bonjour, mon oncle, dit-il en s'approchant de lui et en l'embrassant. Bonjour, Mouloud! dit Nadir qui avait sur le visage la joie de le revoir. Tu veux manger quelque chose? J'ai des langoustines sur le feu. Si tu veux, je peux en rajouter. C'est rapide à faire et en plus elles sont excellentes. Des langoustines? Alors là, mon oncle, tu me prends par le coeur. Tu sais bien que je les adore! Eh ben tant mieux, dit-il en balançant le reste du paquet dans la poêle. Quelle sauce, tu veux? Sauce américaine, mayonnaise ou sauce fé-louchia? Sauce Félouchia, connais pas! lança Mouloud intrigué. Oh cette sauce vient d'Italie et c'est une merveille que je ramène moi-même quand je vais à Milan. Ici, personne ne la connaît pour ces raions, pourtant elle le mériterait bien. Car pour les langoustines ou autres crustacés, c'est une merveille. Elle est composée à partir de tomates cerises, d'ail, de basilic, d'huile d'olive et de crème fraîche tirée du lait de buffle et puis d'une touche de kirsch. Oh oui, avec tous ces in-gredients, ça doit être forcément bon, dit Mouloud en le regardant avec des grands yeux comm-ençer à faire flamber les langoustines avec du whiski. Heu, pas trop, mon oncle, tu sais bien que! Mais t'inquiète pas fiston, l'alcool est brûlé pendant la cuisson et il ne reste alors que le goût pour relever celui des langoustines. Allez, prends une assiette dans le placard et viens t'asseoir. D'accord, mon oncle, dit Mouloud en se précipitant vers le placard où il sortit une assiette déco-rée de motifs très naïfs. |
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Mais la faim et la fameuse sauce felouchia de son oncle reprit le dessus en augmentant le ryth-me pour les avaler à une vitesse vertigineuse. Quant à son oncle, il en décortiquait une bonne dizaine avant de les manger en les entassant au milieu de son assiette, comme un petit trésor de guerre. C'était bien évidemment deux méthodes très différentes pour déguster un plat de lango-ustines, n'est-ce pas? Mais il apprendra, pensait Nadir en le regardant manger d'une façon si dés-organisée. Etrangement, Mouloud ne faisait que penser à son petit carnet qui était posé près de l'assiette de son oncle où des gribouillis de chiffres ressemblaient à des combinaisons magiques que lui seul savait déchiffrer. Nadir le savait et lui demanderait forcément ce service. Heu, Mo-uloud, lui dit-il en finissant d'arracher une tête de langoustine, j'ai jeté un coup d'oeil au carnet et je n'y comprends rien. Tu pourrais m'éclairer un peu? Mais sans problème, mon oncle, dit-il en se levant pour aller s'asseoir près de lui. Ce dernier l'ouvrit et lui dit : Laisse-moi faire, je vais faire les comptes pour toi. C'est bien fiston, apprends tout d'abord à bien compter et après tu pourras commencer à faire des affaires. C'est le b-a-ba, je te l'assure. Mais mon oncle, je ve-ux apprendre, car je voudrais ouvrir plus tard un magasin. Mais un magasin de quoi? lui dema-nda-t-il avec curiosité. Heu..soit un magasin de pêche soit une boucherie. Heu..évite un magasin d'articles de pêche, car je ne pense pas que tu deviendras riche en vendant des bouchons de canne à pêche et des asticots, Ah!AhAh! Mais en ce qui concerne une boucherie sur le vieux port de Marseille, l'idée n'est pas mauvaise. Car lorsqu'il n'y aura plus de poissons à pêcher dans la mer, les gens forcément se rabattront sur la viande. Oh oui, mon fils, cette idée j'y crois et quand tu seras majeur, je t'aiderai financièrement à la réaliser. |
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Nadir était si furieux que je n'aimais pas le voir dans cet état en j'essayant de le calmer comme je pouvais. Mais mon oncle, attendons un peu, car je ne pense pas que se soit le bon moment de régler ses comptes avec les filles. Mais aurais-tu oublié les autres filles qu'on a pas encore espi-onné? Hé oui, c'est vrai! dit Nadir qui retrouvait un peu son calme. Finissons le travail avant tout, car la belle Heroïca pourrait bien alerter les autres filles et taillo pour ton argent. D'accord, Mouloud, en fin de semaine, je réglerai toute cette affaire en ayant en main tous les comptes sur les filles, comme ça elles sauront à quoi s'en tenir. Tiens, tu donneras ça à Nasser pour le service qu'il m'a rendu, dit-il en sortant un billet de cent balles de ses poches. D'accord, je lui donnerai quand je le verrai, dit-il en se saisissant du billet. Son oncle semblait ronger son frein et il aurait voulu régler cette affaire sur le champ tellement il était impatient et colérique et semblait cher-cher au fond de lui une occupation pour ce soir, mais surtout jusqu' à la fin de la semaine. |
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Après qu'il ait entendu son oncle claquer la porte de l'appartement, il se laissa tomber sur une chaise en posant ses coudes sur la table, comme s'il était libéré d'un grand poids. Et semblait mediter sur ce qui l'avait dit à son oncle à propos des filles qu'ils avaient encore à espionner. Il en restait quatre et ne s'en sentait pas le courage, ruminait-t-il en posant sa tête sur la table. Et si je déléguais le travail? dit-il soudainement en se redressant. Mais oui, c'est la solution! lança-t-il. Je vais proposer ce boulot à Farouk qui ne sera certainement pas malheureux de gagner un peu d'argent. Je n'ai même pas besoin de le dire à mon oncle, car tant que le travail est fait, il se-ra content. Mouloud, heureux d'avoir trouvé cette solution, prit alors une éponge dans l'évier et commença à faire le menage dans la cuisine. |
Le lendemain, il retrouva Nasser sur le vieux port et lui donna les cents balles qu'il avait gagné, puis lui parlait de l'affaire où Farouk serait son nouvel acolyte. Ce dernier n'y voyait aucun in-convénients vu qu'ils habitaient dans le même quartier, ce qui facilitait beaucoup les choses, lui avait-il dit. Mouloud y voyait aussi beaucoup d'avantages comme celui de n'être pas reconnu par les filles qui le connaissaient tandis qu'avec Farouk, elles ne se douteraient pas qu'on les espion-ne. Avant de se quitter, il lui donna les adresses exactes où elles tapinaient ainsi que leurs horair-es de travail, ce qui fut considéré par Nasser comme une marque de grand professionnalisme! Mais bon à chacun ses valeurs, n'est ce pas? |
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Trois jours plus tard, en allant faire un tour sur le port, je croisais Nasser qui aussitôt me prit par le bras pour me montrer une chose insolite. Moi, intrigué, je me laissais faire et vis à ma grande stupeur, un peu plus loin, les cinq filles de mon oncle qui avaient toutes du même côté un œil au beurre noir, Ah!Ah!Ah! Nasser et moi, ne pouvant plus alors nous retenir, nous éclatâmes de rire comme des fous, ce qui nous mis d'excellente humeur pour le reste de la journée. |
Mouloud, qui revenait doucement à la réalité, esquissa un sourire en pensant à tous ses souveni-rs d'adolescence. C'ést vieux tout ça! murmura-t-il du bout des lèvres tout en exprimant un regr-et pour son fabuleux passé. Au dessus de lui et dans un ciel qui commençait à s'assombrir se dressait toute illuminée de lumière notre dame de la garde où la vierge marie semblait descendre du ciel et tendre ses bras sur la ville de Marseille et sur tous ces malheureux qui attendaient un miracle dans leur vie peut-être de richesse ou de bonheur? Mouloud un instant se sentit touché par cet espoir et par cette vision toute chrétienne de la vie, bien qu'il fut attiré, comme tout Ar-abe, par les religions de l'orient et de l'Asie. Malgré cela, je resterais toujours un enfant de Mar-seille où la vierge marie aura toujours une petite place près de mon coeur! pensa-t-il avec sincé-rité comme mué par un désir d'aimer cette sainte qui fit un jour l'amour avec dieu. Après ces ins-tants de grande pureté, il redescendit sur terre et se mit à observer, non sans une certaine curio-sité, un petit train de touristes qui attendait ses derniers voyageurs pour monter jusqu'a notre da- me de la garde. Le guide et le chauffeur étaient descendus et discutaient ensemble à voix basse de choses qu'on ne pouvait entendre d'ici. |
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LIVRE TROISIEME
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Après qu'elle ait constaté le désastre dans le hall de l'hôtel (où son imagination avait rêvé d'un festin fabuleux), Simone, meurtrie dans sa chair et dans son esprit, repartit vers les escaliers et s' asseya sur les marches. Recroquevillée sur elle-même et se tenant le ventre contre les affres de la faim et de la soif, elle se disait qu'elle allait mourir si elle ne trouvait pas dans les prochaines heures de quoi manger. Il faut que je trouve la cuisine de l'hôtel, c'est ma seule chance de survie! dit-elle en se levant péniblement et en se cramponnant aux murs. Animée d'un nouvel élan, elle retraversa le hall et s'enfonça dans un petit couloir où une porte à deux battants était obstruée par des planches et des briques. Après un effort surhumain, elle réussit à se glisser à travers et se trouva dans une pièce qui semblait ressembler à une cuisine où des casseroles, des poêles, des chaudrons et des assiettes brisées jonchaient le sol d'une manière anarchique où seules les gro-sses cuisinières en fonte étaient restées debout. Comme si leur fierté, datant du siècle dernier, avait voulu narguer la guerre d'aujourd'hui qui aurait souhaité les anéantir ou les renverser au sol. Cette vision insolite donna un peu de courage à Simone qui put constater qu'elle était tou-jours debout et qu'elle marchait maintenant au milieu de ces décombres où la guerre avait essayé de tout anéantir, mais sans y parvenir complètement. C'est peut-être, ça l'espoir? se demanda-t-elle d'une manière poignate en sachant qu'il y aurait toujours des survivants même sous les bom-bardements. Et c'est de cet espoir dont j'ai besoin en ce moment pour mettre un pas devant l'au-tre, reconnaissait-elle en reprenant son courage à deux mains. |
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En l'observant marcher dans les décombres, elle remarquait que ses yeux étaient d'un bleu très clair et que ses cheveux ressemblaient à ceux d'une jeune fille. C'est dire qu'elle le trouvait très beau, mais sans connaître véritablement ses intentions ou sa dangerosité. Simone, qui semblait envoûtée par sa beauté, perdit malencontreusement l'équilibre et tomba sur le passage où l'étr-anger pouvait la voir. Oh zut alors! Mon dieu, mais quelle maladroite, je suis! lança-t-elle en s' écrasant sur le sol. Pendant un court instant, tous les deux se regardèrent sans bouger, comme surprit par l'existence de l'autre. Mais Simone, prise par la peur, se releva et partit en courant vers la sortie pour s'enfuir. Mais non, ma petite, ne t'enfuie pas! Je ne te ferais pas de mal! cria l' homme qui partit aussitôt à sa poursuite. Haletante et voulant se glisser à nouveau par la porte de la cuisine, elle sentit tout à coup quelqu'un s'abattre sur elle, comme une masse. C'est la fin! pensa-t-elle en sentant ce corps d'homme sur elle, l'écrasant de tout son poids et de toutes ses odeurs mâles de sueur et de tabac. Puis sentit tout à coup son visage rugueux raper le sien, comme s'il voulait l'embrasser, mais l'en détourna aussitôt, puis sentit de grosses mains la pelo-ter et la malaxer vulgairement. Alors qu'elle s'apprêtait à crier, elle fut au même instant arrêtée par l'homme qui lui dit d'un ton compatissant : Mais ma petite, tu n'as que les os sur la peau! Simone, les larmes aux yeux, lui dit : Mais oui, monsieur, ça fait deux jours que je n'ai pas ma-ngé! S'il vous plait, aidez-moi! L'homme prit de pitié se releva et l'aida à se remettre debout. |
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Oui, c'est à dire tout ceux qui avaient adopté des idées contre-natures où l'intellectualisme avait fait des dégâts irrémédiables. Les juifs, je suis désolé de te le dire, mais en font partie! lui dit-il brutalement. Ah maintenant, je comprends tout! dit-elle avec dans la voix une sorte de dégoût. Et que toute cette comédie jouée pendant les accords de Baden-Baden n'avait été en fin de compte qu'une tromperie pour nous faire croire que le problème se trouvait soi-disant dans notre espace aérien européen et non entre les peuples dont l'existence culturelle était remise en question par les nouveaux conquérants. En gros, c'est un peu ça, dit Ulrich qui avait vu la guerre de près, ma-is sans vouloir y prendre part entièrement. La guerre, c'est uniquement la bataille des cultures et non la guerre économique comme beaucoup de gens voudraient le croire où celle qui est dom-inante veut bien évidemment la remporter. J'ai bien dit bataille, car dans l'affaire personne ne gagnera la guerre, puisque la guerre n'a pas de fin! Et la seule façon pour les peuples de se sau-ver et de se protéger est soit de faire la guerre soit de vivre isolé sur une île imaginaire. Mais ô combien de peuples ont disparu de cette façon où, malheureusement, ils n'ont pu voir que seule la creation d'une nouvelle culture où la fonte dans une autre pouvait les sauver. Et s'ils pers-istent à entretenir une tradition de pensée qui au bout du compte ne privilégiera que les anciens donc les riches et non les nouvelles générations, c'est qu'ils n'ont rien compris à l'évolution des sociètés. Bref, ils périront tous par un apauvrissement généralisé de leur culture qui se terminera forcément par une guerre plus ou moins souhaitée par tous. L'une est la conséquence de l'autre pour te dire la vérité. |
En l'écoutant ainsi parler, elle se sentit aussi perdu que lui dans tout ce fatras d'idées que les no-uveaux conquérants voulaient imposer à tous les hommes de la terre. Et dans cette grande affai-re, ils comprirent soudainement qu'ils n'étaient que de la chair à canon, rien que de la chair à can-on! |
Et toi comment tu t'appelles? lui demanda Ulrich d'un air grave. |
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Je m'appelle Simone et j'ai fui les bombardements avec ma famille. Toute ma famille a été capt-urée, sauf moi qui a pu me cacher dans cet hôtel. |
Tu as eu beaucoup de chance, ma petite, lui dit-il, car cet hôtel a été fouillé hier après-midi par mon régiment et on a trouvé personne. Simone, épouvantée, le regardait avec des yeux horrifiés. Et c'est durant l'absence de mes camarades, qui fouillaient alors les étages, que j'ai décidé de me planquer ici. J'ai trouvé cette planque tout à fait par hasard, alors que je pourchassais un rat pour m'en faire un ami. Un ami? lui demanda-t-elle quelque peu surprise. Oui, un ami, car au regi-ment tout le monde me détestait et puis mon père m'avait dit un jour qu'il fallait toujours suivre les bêtes pour trouver de l'eau ou de la nourriture lors d'une catastrophe, car eux seuls savaient trouver ce genre d'endoit. J'ai vu alors mon rat se faufiller à l'interieur d'un buffet renversé sur le sol où en dessous se cachait une trappe. Bref, content de cette heureux découverte, je m'y suis faufillé en découvrant cette caverne d'Ali Baba ou, si tu veux, le garde manger de l'ancien pro-priètaire de l'hôtel. Que le dieu Rat en soit remercié ainsi que nos amis les bêtes qu'on désigne malheureusement de la sorte! On les appelle ainsi, mais elles ne sont pas si bêtes que ça quant il s'agit de trouver l'essentiel, dit Simone en reconnaissant l'intelligence des bêtes à propos de leur propre survie. Oui, tu as parfaitement raison, ma petite. |
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Après ce repas, où Ulrich avait englouti deux bouteilles de Château Margot et Smone qu'un qu-art, il se leva et partit au fond du cellier déplaçer un magnum de champagne pour déclencher l' ouverture d'un passage secret dans le mur. Simone, voyant cela, crut assister à un miracle, non pas de la foi, mais de la magie où Ulrich était un magicien venu la sauver! s'émeveillait-elle co-mme emportée par un élan de superstition. Pendant un court instant, elle se crut redevenir idol-âtre quand celui-ci ouvrit ce passage menant peut-être vers la liberté? Dieu offrait aussi la libe-rté, mais dans combien de temps et sous quels cieux? Personne ne le savait exactement, pensa-t-elle en le regardant les yeux brillants comme ceux d'un demon. Sa veste de civil par dessus son trellis militaire lui donnait l'aspect d'un prêtre où un instant, elle crut voir dépasser d'une de ses poches, une petite croix en or! Mon dieu, quel cauchemar! lâcha-t-elle en se retournant sur sa chaise pour ne pas le voir. |
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Le lendemain matin |
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En voyant cela, elle se disait: Voilà comment les anciens voyaient la vie! Bref, comme un mirac-le ou la science n'avait rien encore expliqué. L'ignorance avait semble-t-il des pouvoirs surnatur-els grâce à l'imagination nous permettant de fabriquer son propre bonheur, bref, son paradis sur terre! semblait-elle stupéfaite. Puis tournant ses yeux vers les petits tableaux peints sur les murs, elle se mit subitement a rougir en remarquant que ces derniers représentaient des scènes lubri-ques où l'on voyait une femme traire un homme, comme il était indiqué en bas du tableau( tra-yus-femina) où il sortait du sexe de l'homme du lait que la femme s'empressait de boire comme un elixir de jouvence. Sur un autre, on y voyait une femme s'accoupler avec un taureau et un peu plus loin, la naissance du minotaure, ce monstre mi-homme mi-animal que les anciens avaient élevé au rang de dieu pour protéger leurs trésors enfouis dans des souterrains. Sur un autre, un homme avait un sexe d'une extrême longueur dont le bout était décoré d'une couronné de fleurs. Ton bonheur t'attend ici! était écrit en dessous. Simone, à la vue de tous ces tableaux, sentit mo-nter en elle le désir et son corps comme prendre feu. Tout autour de la pièce, qui semblait être en tout point de vue un ancien lupanar, il y avait des canapés où sur l'un d'eux Ulrich était assis avec le sexe en érection. Simone, effrayée et fascinée en même temps, entendit Ulrich lui dire : Simone, tu veux me traire? Aussitôt, elle se précipita entre ses cuisses pour introduire son sexe dans sa bouche qui était dure et doux la fois comme une promesse de bonheur. Puis d'un féroce appétit sexuel, il lui souleva sa jupe et aperçut sa petite culotte rose qui cachait un joli petit cul tel qui les aimait. Attends un peu, ma petite garce, je vais te régler ton affaire! dit-il en se plaçant derrière elle pour l'introduire animalement. |
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Une heure plus tard, quand elle se réveilla, elle fut surprise de voir Ulrich debout dans l'ombre, bras croisés sur le torse et en train de l'observer. Étrangement, elle crut voir sur sa tête une paire de cornes et un nez en forme de mufle! Prenant peur, elle s'enfonça aussitôt au fond du canapé. Mais dés qu'elle le vit sortir de son coin, coiffé d'un étrange chapeau à l'aspect démodé et son visage noirci par quelques traces de saleté, elle poussa comme un ouf de soulagement. Oh tu ne peux pas savoir comme tu m'as fait peur! lança-t-elle en s'avançant au bord du canapé. Ah!Ah!Ah! ria-t-il. Mais n'aie pas peur, ma petite, je voulais seulement te faire une petite surprise avec ce chapeau que j'ai trouvé au fond du tunnel. Et comment le trouves-tu? Pour moi, il est sacré-ment démodé! lui expédia-t-elle en faisant une petite grimace. |
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Mais qui est ce marquis de Sade? Un homme bien, répondit-il en faisant un pas de danse en l' en-traînant vers ce théâtre qui semblait logé dans les entrailles de la terre. |
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Mais pourquoi donc? lui demanda-t-il surpris qu'elle le nomme ainsi. Mais tu le fais exprès ou quoi? Mais non, je t'assure, je ne vois pas de quoi tu veux parler! lui dit-il d'un air qui semblait sincère. Mais tout à l'heure dans le tunnel, tu m'as traîné par terre comme un vieux sac à patates et ça je t'en voudrais toute ma vie! lança-t-elle furieusement. Mais ce dernier, étrangement, ne semblait pas comprendre ce qu'on lui reprochait et la regardait avec des yeux étonnés. Mais je t' assure, Smone, jamais je ne me serais permis de te faire une telle chose! dit-il avec un accent poignant. Et ces blessures sur mes genoux, mais d'où viennent-elles alors? lui demanda-t-elle en soulevant un peu sa jupe. Mais Ulrich, en baissant ses yeux sur les genoux de Simone, ne vit au-cune blessure et lui dit en la regardant dans les yeux : Je suis désolé, mais moi je n'en vois au-cune. Croyant à une nouvelle blague de son compagnon, elle regarda par elle-même et vit bel et bien que ses genoux étaient intacts sans aucune éraflures du moins récentes. Je crois que tu te fais beaucoup de cinema, ma petite! lui expédia-t-il d'un ton sévère. Mais? s'écria-t-elle en ne sachant plus quoi répondre à ce nouveau tour de magie d'Ulrich. Allez, prends cette rose! dit-il subitement en lui tendant. Mais qu'elle hésita à prendre en trouvant les vases un peu trop loin pour qu'il ait pu en saisir une, pensa-t-elle comme impressionnée par ses dons. C'est pour me faire pardonner, ajouta-t-il avec un grand sourire. Mais ne pouvant resister à son charme, elle la saisit et la respira profondément. Aussitôt, un parfum de rose démodée la pénétra et l'entraîna dans un autre monde rempli de gloire et de beauté que le temps avait lui-même clos et condamné au silence. |
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En ouvrant la porte, ils furent aussitôt transportés de ravissements en apercevant à leurs pieds, un immense théâtre ressemblant étrangement à de grandes orgues. Au plafond étaient suspendus, comme de gros bijoux, d'énormes lustres taillés dans le cristal qui jetaient dans la salle une lum-ière douce et éclatante. Les balcons étaient décorés par des ornements dorés à l'or fin et les ban-quettes recouvertes d'un beau velour couleur vert émeraude. Mon dieu que c'est beau! s'écria-t-elle en voyant ce beau décors de théâtre enterré dans les catacombes. Le problème, mon ami, c' est qu'il n'y a personne! dit-elle comme à regret. Mais ça, c'est toi qui le dit! lui expédia-t-il d'un air diabolique en réajustant ses décorations sur sa poitrine. Comment, mon ami, que voulez-vous dire par là? lui demanda-t-elle non sans éffroi. Eh bien, tu le verras.. |
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Vas t'assoir sur le canapé! lui dit-il en partant vers le pupitre. Dans la salle, il y avait un silence impressionnant. Et quand il essaya le micro pour voir s'il fonctionnait, étrangement, en le lécha-nt, un énorme bruit de langue amplifié par les haut-parleurs retentit dans la salle où les specta-teurs se mirent à applaudir frénétiquement pour exprimer leur contentement. Simone, une fois de plus, faillit éclater de rire, mais se retint en occupant son temps à grignoter un peu le pain d'épic-es des coussins. Alors qu'Ulrich commençait à faire son discours, elle s'arrêta de cligner des ye-ux et vit apparaître devant elle, une salle entièrement vide à laquelle son compagnon s'adressait dans une langue qui lui semblait totalement incompréhensible. Car composée de petits cris, de bruits de moustaches et de coups de langues bien dosès. Curieuse, elle cligna à nouveau des yeux et entendit Ulrich dire à la salle conquise que le temps était venu pour eux de remonter à la sur-ace et de prendre le pouvoir! L'archiduc, sur son balcon, aussitôt se leva et applaudit avec frén-ésie l'audace de son général. Toute la salle était en délire et se tournant vers son prince accompa-gna ses applaudissement, comme dans une immense apothéose. |
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Mon dieu quel jeu d'acteurs fabuleux! lancèrent les plus fanatiques d'entre eux. Puis d'un geste fou, elle réussit à s'arracher du canapé, mais en y laissant une partie de sa robe. En s'enfuyant dans les coulisses, le public put voir une partie de ses fesses là où la robe s'était déchirée! Des cascades de rires aussitôt s'élevèrent de la salle où monsieur Casanova, à moitié déçu, fit une nouvelle pirouette afin que le spectacle continue. Je vous l'avais dit, ma bonne dame, ce Casano-va a toujours assuré le spectacle. Ca ne fait aucun doute! expédia un vieux rat déguisé en mar-quis. |
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Néammoins sans le génie humain en tant que créateurs, mais s'en inspiraient largement afin de pouvoir créer une nouvelle civilisation quand tous les hommes se seront entretués. La relève, c'ést nous! affirmaient les plus hauts réprésentants de l'Etat Ratavor. Mon dieu, comme c'est intéressant d'apprendre tout cela! s'écria-t-elle en se saisissant d'un autre grand livre à côté qui ressemblait étrangement à une bible. La petite difference était le titre, car celui-ci s'appelait le bulbe. En l'ouvrant, elle découvrit une gravure représentant le fils du dieu Rat, appelé Ratus Christofleur, crucifié, non pas sur une croix, mais sur une vulgaire tapette appelée piège à rat. La barre meurtrière, munie de son puissant ressort, lui avait écrasé le cou et les moustaches en pas-sant. Pour les rats, ce fut le pire des crimes qu'on puisse commettre sur un des leurs. En contre bas de l'image étaient représentés des moines rats qui priaient pour le salut de son âme. Mon dieu, comme toutes ces représentations ressemblaient aux nôtres! pensa-t-elle en refermant le livre et en cherchant du regard Ulrich. Qui, assis sur un petit tabouret, semblait méditer sur toutes ces choses extravagantes qu'il venait d'apprendre sur les rats. Et comprit qu'être rat ne signifiait pas ce que les hommes croyaient bêtement depuis des lustres. C'est à dire des bestioles qui ne pensaient qu'à manger, qu'à se reproduire et qu'à transporter des maladies, non. Mais bien une civilisation en attente de remplacer l'humanité quand celle-ci aura disparu. Les Ratavors avaient pensé à tout en copiant le génie humain pour créer un nouvel ordre sur la terre. Et être rat ne signifiait plus ronger les fondations des maisons ou bien des édifices cultuels des hommes pour que ces derniers s'écroulent. Mais bien s'y introduire afin de survivre jusqu'à la prochaine hécatombe humaine. En resumé, être rat signifiait rester positif et malgré que l'on soit pour l' instant toujours dépendant des hommes. |
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-Alors qu'est ce qu'on fait maintenant? lui demanda-telle soudainement. |
On va partir, dit-il avec le désir de remonter à la surface pour revoir la lumière du jour et malgré que les hommes soient toujours en guerre avec eux-même. |
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Tout ceci était au dessus d'elle et l'acceptait tel quel. Ulrich, épuisé, par la bataille qu'il venait de livrer avec lui-même et son orgueil, se rhabilla quelque peu sonné, voir un peu saoulé par ce qu'il venait de réaliser. Celle-ci le regardait alors comme un dieu et Ulrich comme une déesse comblée. Tout ceci s'exprimait sans aucun mots seulement par l'intensité de leurs regards et de leurs gestes qui un peu maladroit essayaient de remettre leurs affaires en ordre. Où Smone, après avoir sauté du capot et posé les pieds sur le sol, réajusta sa robe suivi d'Ulrich qui remon-ta son pantalon et referma la boucle de son ceinturon avec le sentiment du devoir accompli. |
-Je suis fatigué, je vais aller me reposer! dit-il en ouvrant la portière arrière de la voiture pour se jeter sur la banquette. |
-Moi aussi, dit Simone, en ouvrant celle de devant pour se jeter sur les sièges dont le cuir était encore en bon état. Quelques heure plus tard, tout le hangar se trouva plongé dans l'obscurité où tous les deux semblèrent rêver à des choses bien differentes. Ulrich en pensant mécanique où il rêvait de remettre en état l'auto : Demain, il faudra que je jette un coup d'oeil au moteur pour le remettre en marche! pensa-t-il en étant sûr de ses dons de mécanicien. Et Simone rêvait de déni-cher dans un coin du hangar une bicyclette bleue comme celle que son père lui avait offert pour son 11ème anniversaire en dessinant sur sa bouche un large sourire. Mais ne rêvons pas trop pour l'insatnt et demain on verra! murmura-t-elle du bout des lèvres avant de s'endormir profon-dément. |
-Mouhais..lâcha-t-elle en faisant la moue. Non qu'elle ne le croyait pas capable de le faire, mais bien pour l'impolitesse qu'il lui avait montré si tôt le matin. En sortant du véhicule, elle se dem-andait cureusement s'il avait encore ses dons de magiciens, comme ceux qui lui avait montré à l'intérieur du tunnel. Car à le voir tempêter contre lui-même et contre ce moteur qui ne voulait pas redémarrer, tout pensait à croire que tous ses dons s'étaient volatilisés en passant à nouveau dans la réalité, bref, dans ce hangar qui sentait désormais l'essence, le caoutchouc et la ferraille rouillée. Bref, ne voyant plus d'intérêts à le regarder travailler, elle partit vers le trou de lumière qui semblait l'attirer comme un papillon. En passant de l'autre côté, elle fut agréablement surpr-ise de se retrouver au miilieu d'une forêt où les bruits de la nature la submergèrent d'un bonheur presque irréel. Devant elle, un petit chemin parfumé, légèrement dessiné entre les fougères, sem-blait vouloir l'inviter à la promenade ainsi que de grands arbres surplombants prêts à la saluer sur son passage. Le chant des oiseaux, haut perché sur la cimes des arbres et le cri des bêtes réso-nnant au milieu de cette forêt, avaient comme le goût d'un paradis perdu. En contre-bas, une petite rivière coulait paisiblement en suivant les ondulations de ses rives chargées de cailloux et de terre fécondée. Simone, pénétrée par tout cet environnement merveilleux, se sentit à nouveau faire partie de cette nature et non plus à celui des hommes qui, selon elle, l'avait trahi par cette guerre en la séparant de sa famille. La nature sans les hommes serait à mon avis une excellente chose pour l'avenir du monde! pensa-t-elle en scrutant la cime des arbres d'où s'échappaient des rayons célestes. Quand tout à coup un de ces rayons tomba sur sa joue comme pour lui confir-mer sa pensée et lui dire : Oui, Simone, tu as parfaitement raison de penser que les hommes sont une calamité pour la nature! |
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Car Dieu en leur donnant du génie avait créé sans le savoir des monstres qui un jour lui volera-ient son pouvoir de créateur. Alors Dieu-tout-puissant, entendant ces paroles blasphématoires, les maudit sur le champ, non en agissant, mais en les laissant agir selon leurs vues. Et comme il l'avait prédit, les hécatombes humaines se succédèrent les unes après les autres, mais sans que l' humanité soit réduit au néant. Car sa grande idée ne fut jamais de cette extrémité là, mais plutôt de lui donner un nouveau départ afin qu'elle puisse retrouver les vraies valeurs du coeur qui sont celles du respect de la vie des autres et de la nature. Pour cela, IL ne se trompa jamais et l' humanité se ressaissit à chaque fois afin d'éviter sa destruction totale! C'est ni plus ni moins ce que disait Socrate à ses contemporains pour calmer leur soif de sang : Au bout du compte, c'est toujours le bien qui gagne, car on ne peut pas être méchant tout le temps, n'est-ce pas? Décidém-ent, Dieu avait pensé à tout même aux cas extrêmes. Mais ce qui le démangeait toujours, c'était d'avoir donné à l'homme trop de genie et surtout cet amour immodéré pour la gloire qui le ren-dait très dangereux pour ses semblables. La prochaine fois que je le recréerai, je lui mettrai un cerveau plus petit. Sûrement celui d'une brebis afin qu'il me suive comme un berger! pensait Di-eu, le front plein de sages résolutions. |
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Mais étrangement, il rejeta cette idée parce que les animaux qu'il avait créé avant les hommes ne le satisfaisaient pas entièrement. Car ces derniers, bien que parfaits pour vivre en harmonie avec la nature, avaient le gros défaut de ne pas glorifier sa puissance, mais seulement idolâtrer ce sol-eil qui lui prodiguait de la chaleur et de la lumière pour son bien-être. Bref, déçu d'être considéré comme un simple lampe à bronzer et à éclairer, Dieu eut alors l'idée de créer l'homme afin que celui-ci puisse le glorifier et l'honorer par des prières visibles du ciel. Et pour cela, il lui donna le verbe et l'imagination. Mais étrangement l'homme en usa autrement en fabriquant des légendes et des mythes qu'il peupla aussitôt de dieux et de demi-dieux représentés par des idoles afin de pouvoir les manipuler à son grés. Dieu remarquait ici, pour la première fois, la perversion des hommes à vouloir s'accaparer de son pouvoir, bref, de ne pas reconnaître en lui le maitre de la création, mais uniquement une nébuleuse sans grand rapport avec la réalité. Dieu, désabusé, les laissa donc s'entretuer, puisque ces derniers le voulurent bien. Ceci dura plusieurs millénaires, quand arriva sans prévenir un personnage que Dieu lui-même n'avait pas prévu, puisque Dieu n'était pas un homme ni une femme, mais une entité supérieure spirituelle qui dominait la mati-ère au point de pouvoir la créer par simple volonté. Cet homme s'appelait Jesus-Christ et étrang-ement ne déplut point à Dieu. Car celui-ci rentrait parfaitement dans ses plans de restaurer ses pouvoirs sur la Terre. C'est à dire de faire comprendre aux hommes qu'ils devaient le craindre pour ne pas tomber à nouveau dans le piège du feu et du sang! |
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Simone, surprise de n'entendre plus aucun bruit, commençait vraiment à s'inquiéter et se deman-dait si Ulrich avait eu un accident ou bien réussi à se frayer un chemin à travers la forêt et donc gagner son pari? Mais lui connaissant plus d'un tour dans son sac, elle préféra attendre couchée dans l'herbe près de son vélo qui finissait de sécher au soleil. Et puis orgueilleux comme il est, il va tout faire pour retarder la connaissance de sa défaite, Ah!Ah!Ah! ria-t-elle sûre de sa vic-toire. De toute façon traverser cette forêt relève de l'exploit où les arbres sont gros comme des baobabs ainsi que la flore épaisse comme une jungle équatoriale en sachant mon pari gagné d' avance. Alors qu'elle savourait sa victoire, elle entendit un bruit de chaîne de vélo se rappro-cher d'elle, puis ouvrant soudainement les yeux, elle vit Ulrich la mine déconfite et les vêtem-ents tachés de sang comme par un accident! Simone, je m'avoue vaincu, tu as gagné ton pari! lui dit-il le souffle coupé en se jetant dans l'herbe. Celle-ci ne lui dit rien, mais le regardait comme une bête curieuse qui s'était prise à son propre jeu, à celui du libre arbitre, mais qui avait été vaincu par des forces qui le dépassaient de très loin, c'est à dire aux forces de la nature. Lave- ton vélo! lui dit-elle d'un ton autoritaire, car on a encore beaucoup de chemin à faire. Ulrich, sans broncher, se leva et porta son vélo jusqu'aux eaux de la rivière où il découvrit qu'il était de couleur jaune et équipé de deux sacoches à l'arrière, comme celui de Simone. Après qu'il ait fini de le nettoyer avec soin, il le posa sur la berge et partit s'allonger à côté de son mentor. Quel-ques instant plus tard, la nuit tomba sur eux et ils s'endormirent comme deux enfants, la tête pleine de rêves. |
Le lendemain matin |
Simone, en se levant, remarqua que son vélo ainsi que celui d'Ulrich avaient été déplacés durant la nuit et se trouvaient maintenant appuyés contre un arbre près de la rivière. |
-Oh, Ulrich, réveille-toi! |
-Euh, euh, mais qu'est-ce qu'il y a ? lui demanda-t-il à moitié dans les vaps. |
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-Mais quoi, qu'est qu'ils ont les vélos? |
-Mais ils ont bougé de place durant la nuit! |
-Mais qu'est ce qu tu racontes là, ma petite? |
-Mais regarde toi-même! lui dit-elle en lui donnant une petite tape. |
Ulrich, en se retournant, vit bel et bien que leurs deux vélos étaient appuyés contre l'arbre près de la rivière. |
-Oh mon dieu, c'est pas vrai! dit-il d'un air ahuri. |
-Allons voir de plus près, dit-elle avec l'impression de rêver ou du moins de ne pas être sorti du rêve où son compagnon semblait en être l'énigme |
En s'approchant des vélos, elle s'aperçut que leurs sacoches étaient gonflées anormalement. Avec toute la prudence du monde qu'on lui connaissait, elle ouvrit l'une d'elles appartenant à son vélo et vit apparaître à sa grande surprise des victailles en grande quantité! Puis plongeant sa main à l'intérieur, elle sortit un poulet rôti qui était encore dans son papier d'emballage, puis un gigot d'agneau, puis une énorme cuisse de dinde, puis des fruits composés de pommes, de pêches et de raisins et enfin tout au fond de la sacoche, une couronne de pain! |
-Chouette, lança Ulrich d'un air gourmand, on va pouvoir déjeuner ce matin. |
Simone, qui n'en croyait pas ses yeux, le regardait alors avec plein suspicion. |
-Euh, Ulrich, c'est pas toi qui? |
-Qui quoi? lui répliqua-t-il d'un air un peu agaçé. |
-Eh ben qui les aurais mises durant la nuit? |
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-D'accord, cette fois je veux bien te croire.. |
-Mais avant cela, j'aimerais savoir ce que la tienne contient. |
-Pas de problème! lui dit-il en se dépêchant de l'ouvrir. |
Plongeant sa main à l'intérieur, il sortit une énorme cuisse de jambon, puis tout un chapelet de saucisses fumées accompagné de pommes de terres, puis des fruits secs, deux bouteilles de Bou-rgogne et une bouteille de whisky écossais et enfin un gros pain de campagne. |
-Oh mon dieu, mais c'est un vrai miracle! s'exclama-t-il en mordant dans l'une des saucisses. |
-Oui, c'est ce que je pensais, c'est un vrai miracle! dit-elle en le dévisageant. |
-Allez Simone, ne pinaillons pas comme ça et déjeunons, dit-il en posant une nappe sur l'herbe sur laquelle ils déposèrent les mets que chacun avaient choisis. Simone avait choisi un morceau de poulet rôti accompagné de pommes de terre et Ulrich des saucisses fumées arrosées avec du Bourgogne( mais sans rien lui dire sur la nappe fleurie qu'il avait sortie comme de sa poche!). Et en le regardant engloutir une bouteille de Bourgogne à lui tout seul, elle pensait véritablement qu'elle n'était pas encore sortie de son rêve. Mais quand va-t-on bien pouvoir sortir de ce cauch-emar? semblait-t-elle supplier. |
-Et tu comptes aller où après? lui demanda subitement Ulrich. |
-Après avoir franchi la forêt? |
-Oui, bien sûr, lança-t-il avec aplomb. |
-Eh ben, je compte aller à Paris pour rencontrer les écrivains. |
-Oh en voila un beau projet! dit-il en la regardant avec une sorte de curiosité et d'admiration non dissimulée. |
-Et pour te dire la vérité, c'est la grande bibliothèque qui m'en a donné l'envie. |
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-Mais dans quel but exactement? insista-t-il en fronçant les sourcils. |
-Afin de pouvoir sortir de mon cauchemar! lui expédia-t-elle sans la moindre hesitation. |
-Mais de quel cauchemar veux-tu parler, Simone? Franchement, je ne te comprends pas. Tu ma-nges à ta faim et tu m'as comme compagnon, mais que désires-tu de plus? |
-Je ne parlais pas de ça! Mais j'ai l'impression de ne pas vivre en ce moment dans le réel et que tout cela ressemble à un rêve. |
-A un rêve et tu t'en plains? Alors là, ma pauvre Simone, tu perds complètement les pédales! lan-ça-t-il brutalement en se prenant la tête entre les mains. |
-Oui, mais comprends bien que mes parents ne sont pas là pour partager mon bonheur, le compr-ends-tu? |
-Mais oui, je peux bien le comprendre. Mais pensons tout d'abord à nous, car qu'en savons-nous où ils se trouvent en ce moment? Peut-être sont-ils déjà morts ou disparus? Mais pourquoi vivre dans le passé, alors que l'avenir nous tend ses bras vigoureux? |
-Oh non, Ulrich ne dit pas ça, car je ne veux pas y croire! lança-t-elle d'une façon désespérée |
-Et je suppose que c'est pour cette raison que tu veux rencontrer les écrivains pour qu'ils écri-vent la suite de ton cauchemar où tu pourras retrouver tes parents sains et saufs? |
-Oui, je te l'avoue, dit-elle les yeux troublés par ses larmes. |
-Noble projet, mais c'est impossible à réaliser! lança-t-il brutalement. |
-Comment? lui répliqua-t-elle d'un air furieux. |
-Parce que le réel est compris dans le rêve, ma petite Simone. |
-Comment le réel est compris dans le rêve? lui demanda-t-elle rageusement. |
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-Oh le salaud! lui lança-t-elle à la figure. Tu n'est qu'un salaud qui ne pense qu'à son petit plaisir égoïste! Tu es bien un homme, un goujat de première espèce! |
-Ah!Ah!Ah! ria Ulrich, mais ne t'énerves pas comme ça, Simone. Mais c'est toi qui m'a rêvé ain-si, beau, viril et un caractère de cochon. |
-Pour un caractère de cochon, alors ça non. Je t'avais rêvé plutôt doux et compréhensif. |
-Alors là, tu prenais tes désirs pour des réalités, car l'homme est mauvais par nature, l'aurais-tu oublié? |
-Bien sûr que non, puisque tu m'en fais la preuve en ce moment, vieux bouc! |
Mais comprends bien que ça ne m'empêchera pas de rencontrer mes écrivains. Car je suis convai-ncu, bien au contraire, qu'en étant les maitres de l'imaginaire, ils pourront me sortir de ce cauch-emar et toi avec qui commence vraiment à me casser les pieds! |
-A te casser les pieds? Mais c'est toi qui l'a voulu! |
-Comment je l'ai voulu? |
-Oui, parce que si j'avais été parfait, tu m'aurais jeté comme une vieille chaussette. |
-Mais pourquoi donc? |
-Parce que l'homme parfait n'a plus de désirs charnels, mais uniquement spirituels au point de nier sa propre existence afin de devenir un pur esprit donc insensible à la souffrance de la chair. |
-Mais c'est fou, ce truc! dit-elle en n'arrivant pas à comprendre pourquoi des hommes avaient souhaitè fuir la vie pour vivre en apesanteur. Oui, j'arrive un peu à le comprendre, mais n'em-pêche que tu aurais pu faire un effort pour m'être plus agréable, lança-t-elle comme une pique. |
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-Oui, bien sûr que j'y ai pensé. Et je les choisirais, non en fonction de leur succès en librairie, mais uniquement en fonction de leur honnêteté intellectuelle. |
-C'est bien, mais sois conscient qu'ils sont en très faible nombre ces écrivains, dit-il pour la me-ttre en garde. |
-Oui, je le sais bien. Mais il doit en exister tout de même! lança-t-elle en croyant a sa bonne éto-ile. |
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Il lui fallait donc un grand écrivain qui ne soit pas omnubilé par sa réussite personnelle et par l' argent, mais motivé seulement par la vérité, ce qui ne sera pas une chose facile à trouver à Paris, pensa-t-il, vu la mégalomanie de la ville et de ses habitants. |
-Mais pourquoi n'irais-tu pas le chercher en province ton grand écrivain? lui demanda-t- il subitement. |
-En province, mais pourquoi donc? |
-Parce là bas, je pense, qu'ils sont plus honnêtes que dans la capitale, non? |
-Oh oui, c'est certain, vu la vie simple qu'ils mènent là bas au milieu des champs et des troupea-ux de bovins. Mais à vrai dire, les provinciaux ne m'intéressent pas trop, parce qu'il leur manque cette envergure qu'on les grands écrivains vivant à Paris qui semblent regarder l'Histoire par le haut et non en province où on la regarde par le bas. |
-Que veux-tu dire par la? |
-Je veux dire que le grand écrivain fait le choix délibéré de vivre au milieu de la canaille littér-aire, politique, journalistique (car la voyoucratie exite dans tous les milieux) afin de savoir où se cache la vérité. Alors que l'écrivain provincial, qui vit protégé dans sa campagne, mais que peut-il nous apprendre de nouveau? |
-Rien! répondit séchement Ulrich qui semblait un peu désabusé par les conclusions de Simone. Mais ne s'avouant pas vaincu, il lui répliqua : Oui, mais n'empêche que la fraîcheur de leurs sen-timents, parait-il, met beaucoup du baume au cœur auprès des citadins et surtout auprès des gra-tte-papier professionnels, non? |
-Oh oui, c'est sûr. Mais moi, ce n'est pas de la fraîcheur dont j'ai besoin pour sortir de mon cauc-hemar, mais d'un véritable bouleversement littéraire. |
-Que veux-tu dire par la? |
-Je veux dire que seul le grand écrivain est capable de changer l'Histoire et de l'incliner dans un sens ou dans un autre. |
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-Et bien sûr ton histoire personnelle avec? |
-Oui, forcement. |
-Et pourquoi ne tenterais-tu pas plutôt du côté des essayistes qui ont pas mal d'idées dans ce domaine, non? |
-Non, Ulrich, car je ne veux pas que ma vie devienne un terrain d'experimentations ideologiques pour ces gens là. Moi, je veux du sûr.. |
-Donc, à ce que j'ai compris, tu voudrais trouver un grand écrivain pouvant aussi bien manipuler l'Histoire que les événement actuels, hum? |
-Oui, tu m'as très bien compris. |
-En fait, c'est un génie que tu cherches! |
-Oui, car lui seul peut arrêter la guerre, libérer les prisonniers des camps de la mort et me faire retrouver mes parents sains et saufs! |
-Eh ben, je te souhaite bonne chance! lui-dit-il pour l'encourager. |
-Je te remercie Ulrich, car je suis convaincu que la vérité de demain se decide aujourd'hui et qu'elle n'est aucunement la suite hasardeuse de l'Histoire. |
Ulrich fut ébranlé par cette phrase dite de la plus simple façon du monde en comprenant soudai-nement que Simone avait entièrement raison et malgré les treize années qu'elle affichait sur son visage. Où la profondeur des sentiments n'était aucunement une question d'âge, mais une ques-tion d'intelligence. Avec le sentiment d'être son double masculin incarné par la partie virile de son esprit qu' elle avait créée afin de survivre à l'horreur. Apparemment, elle lui avait donné des dons de magicien et surtout cette faculté de s'entretenir avec elle durant ses longues heures de solitude. C'ést elle, le génie, pensa-il en la fixant du regard. Et le dieu Rat pouvait bien dispar-aître maintenant que j'avais trouvé ma déesse, la maîtresse de mes jours, reconnaissait-il en re-tenant ses larmes. |
-Et toi qu'est-ce que comptes tu faire après? lui demanda-t-elle subitement. |
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-Moi? dit-il en faisant l'étonné, comme pour éluder la question. |
-Oui, toi. |
Soudainement, il comprit que Simone voulait l'abandonner pour des raisons tout à fait légitim-es. Car lorsqu'ils sortiraient de la forêt, ce serait la fin du rêve pour lui et la fin du cauchemar pour elle. Et il ne pouvait pas être contre cela, pensa-t-il dépité. Mais ne voulant pas lui montrer sa deception, il lui dit : Je compte retourner chez mes parents et reprendre la suite de la ferme. Et comme ils se font vieux maintenant, je pense que des bras supplémentaires seront toujours les bienvenus, n'est-ce pas? Elle ne lui répondit pas, mais lui sourit, comme si elle avait attendu cet-te réponse si pleine de bon sens venant de sa part. J'espère que tu réussiras! lui dit-elle en se sai-sissant de sa main. Mais Ulrich, décontenancé, resta muet et regardait au loin comme on regarde la fin du voyage arriver. |
-Et si on y allait maintenant? dit-elle en se levant pour aller prendre son vélo. |
Ulrich ne broncha pas et la suivit comme un pauvre mouton. Sur le chemin, il aperçut son auto pliée contre un arbre, ce qui le mit en rage de n'avoir pas pu franchir la forêt par des moyens modernes, mais desormais en vélo qu'ils essayaient de faire rouler à grande peine à travers la végétation. Au bout de quelques kilomètres, ils aperçurent une route dégagée où deux panneaux indiquaient deux directions opposées : Paris, 95 millions de kilomètres et Kiev, 96 millions de kilomètres. Simone, furieuse, lâcha son vélo et Ulrich ne pouvant contenir son contentement, lui dit : Simone, je suis désolé, mais je crois que ton cauchemar est loin d'être terminé, Ah!Ah!Ah! |
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Ulrich, assommé une nouvelle fois par des propos si humanistes, mais ne voulant pas la perdre, lui proposa un étrange marché. Et si je partais avec toi à Paris, accepterais-tu ma présence à tes côtés? lui demanda-t-il brutalement. Simone, secouée par cette proposition si mal venue, resta stupéfaite pendant un instant, le temps de réfléchir au risque qu'elle allait devoir prendre en l'em-menant avec elle, sachant qu'il était un déserteur qui pouvait à tout moment ruiner ses plans lon-guement médités. Suspendue à la folle proposition de son ami, elle lui dit brutalement : Désolé, Ulrich, mais je ne peux pas prendre un tel risque! puis enfourcha son vélo pour s'éloigner de lui pour toujours. Dépité par la dureté de ses propos et devant son panneau indicateur où il était ma-rqué Kiev, 96 millions de kilomètres, il enfourcha lui aussi son vélo et se mit à siffler comme pour se donner du courage. |
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Trouvant la vue charmante, elle décida de s'y arrêter pour se restaurer en se sentant une faim de loup. Malgré la nuit qui commençait à tomber autour d'elle, elle y voyait encore assez clair grâce à la clarté de la lune qui jetait sur la campagne comme des étincelles d'argent. En ouvrant la sa-coche de son vélo, la première chose qui lui sauta aux yeux fut la nappe fleurie qu'Ulrich avait sortie la dernière fois comme de sa poche. C'était lui tout craché, pensa-t-elle en se remémorant tous ses dons de magicien qui souvent l'avait fait rager. Bref, il était si doué qu'il aurait eu au-cune difficulté à rejoindre Kiev en trois coups de pédales! ironisait-elle en étalant la nappe sur l' herbe. Pour ce diner au clair de lune, elle décida de manger du gigot d'agneau accompagné par des pommes de terre. Et après avoir étalé tout cela avec gourmandise sur la nappe, elle partit ch-ercher la couronne de pain au fond de la sacoche..et c'est en la dégageant qu'elle vit tomber à ses pieds un petit morceau de papier apparemment banal. Surprise, elle le ramassa, puis l'ouvrant comme un dépliant, elle s'aperçut qu'il s'agissait d'un billet de train. Oh mon dieu! s'écria-t-elle en voyant imprimé dessus : Billet première classe, Varsovie-Paris via Berlin. Le voici.. |
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En dépassant les premières maisons, elle vit qu'elles étaient en grande partie détruites par un réc-ent bombardement vu les fumerolles qui s'élevaient encore des maisons carbonisées. Puis s'enfo-nçant toujours plus profondément à bicyclette à l'intérieur de la ville, elle ne put que constater la destruction totale de la ville où les seules maisons qui tenaient encore debout avaient tout simp-lement été abandonnées par leurs occupants. Autour d'elle, tout n'était que ruines fumantes, fra-ctures, gouffres et abîmes plongées dans les plus profondes ténèbres. Seule la petite route qui défilait devant elle, éclairée par sa lampe à vélo, lui paraissait comme épargnée par la folie des hommes. Et en filant tout droit vers la gare, elle avait le sentiment de traverser une ville fantôme où tous les habitants avaient été très sévèrement chatiés pour leurs crimes passés, comme celui du collaborationnisme ou bien par leur coupable indifférence devant la souffrance des autres. |
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Les yeux effarés, elle se demandait si ces ombres pouvaient la voir? Car un instant, elle se sentit observée par des milliers de paires de yeux cachées derrière ces ombres qui semblaient la regar-der avec une grande curiosité. Mais n'aie pas peur, Simone! N'aie pas peur de nous! lança souda-inement cette marée d'ombres humaines tel un choeur chargé d'amour et de retrouvailles. Nous te voyons bien, mais nous ne pouvons pas pour l'instant nous montrer en terre ennemie. Car les assassins sont là juste derrière nous et veulent nous exterminer jusqu'aux derniers! lancèrent à l'unisson les ombres sans visages, mais bien vivantes. Mais demain, quand nous seront sortis de ce cauchemar, nous pourrons enfin vivre libre et fonder notre Terre promise, Israel! entendait-elle prononcer dans sa langue maternelle, le yiddish. Le mot de cauchemar qu'elle entendit fit au-ssitôt échos au sien et comprit qu'elle faisait partie elle aussi du convois pour la liberté. Un beau voyage! se dit-elle en compagnie d'enfants dont la plupart des parents avaient été exterminés par des assassins. Bref, des orphelins qui feront tout pour que cela ne recommencent jamais plus, pensa-t-elle comme rassurée par la tournure des événements. Quelques minutes plus tard, l'horl-oge carillonna un chant de noel en immobilisant ses aiguilles sur Minuit et le train siffla comme pour un dernier rappel. Simone, enthousiasmée par ce long voyage, prit sa sacoche, se leva du banc, puis monta dans le train aux compartiments étrangement vides! |
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Toutes ces questions affreuses envahissaient mon esprit et ne me rassuraient aucunement sur le sort de mon ami. Mais le train, après avoir survolé Berlin détruite, poussa un long sifflement et partit à une vitesse infernale vers l'horizon en feu. En regardant à travers la vitre de mon compar-timent, je vis crépiter au dehors des étincelles, comme si le train voulait atteindre la vitesse de la lumière avec la grande peur que notre voyage extraordinaire se termina ici en sortant de Berlin. Mais quelques secondes plus tard, j'entendis une sorte de bing-bang frapper le train et l'envoyer comme au septième ciel à travers un long tunnel de lumière! Sous l'onde de choc, je perdis conn-aissance en ne sachant pas dans quel nouveau monde j'allais réapparaître. |
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Va maintenant à la librairie Goldberg où le propriètaire se fera un plaisir d'écouter ton histoire extraordinaire afin de la publier, comme tu l'as toujours rêvé. Youhais, Youhais, s'écria-t-elle en comprenant que son voeux le plus intime allait être exaucé. Et elle est où cette librairie? deman-da-t-elle subitement. Regarde dans la boule de cristal et tu la verras de tes propres yeux. Aussitôt une image se forma où elle aperçut la petite librairie Godberg située sur le boulevard Saint-Ger-main. Sans plus attendre, elle plia son matière de magie, le rangea dans ses sacoches et enfourcha son vélo comme à l'assaut d'un nouveau monde! |
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