LE FILS DU DESERT
Ce livre d'une grande honnêteté intellectuelle exprime, en fait, les désillusions sur ce qu'on appelle l'intégration des peuples qui ont dû s'exiler de leur pays pour tout simplement survivre : Mouloud poussé indirectement par la guerre d'Algérie et Simone par le Nazisme. Ces deux êtres, et malgré tous les éfforts de la France à les intégrer, resteront à tout jamais des êtres déracinés. Et ce constat d'échec pour la France, qu'on peut déplorer, est dû ess- entiellement à un vice de fabrication de la société française, qui étrangement a horreur des traditions et s'en méfie comme de la peste! Nayant plus au- cun appui pour asseoir leur nouvel exil, ces deux êtres ressentent leur déracinement comme un déchirement intérieur, presque comme une trahison de leur pays d'accueil. Le problème de la France d'aujourd'hui ne se situerait-il pas à cet endroit stratégique, où tous les enfants d'immigrés rejettent la France au point de devenir des terroristes et de lui faire du mal? Actuellement dans nos sociétés, où tout va très vite, mais qui aura le courage et, disons même, le temps de réfléchir à toutes ces questions qui semblent venir d'un autre temps, alors qu'aux portes de l'Europe frappent des millions de réfugiés? Le rêve d'une vie meilleure et ailleurs serait-elle la grande désillusion des temps modernes? Question que se pose l'auteur et ne peut y répondre que par l'affirmative. |
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Mais pourquoi se sentait-il si mal en France, après y avoir vécu une bonne partie de sa vie? se demanda-t-il dans un excès de sincérité." Oui, pourquoi ne suis-je pas toujours intégré à cette culture que le monde entier pourrait m'envier? Oui ou non, suis-je en train de devenir fou?" réitéra-t-il. En fait, c'était beaucoup plus grave qu'il le pensait. Car cette douleur, il l'a ressentait bien tous les jours dans sa vie quotidienne et non par crise comme on aurait pu le croire au point d'être devenue pour lui comme un lourd fardeau à porter sur ses larges épaules : épaules olympiennes que le temps avait taillé par on ne sa-vait quelle magie, comme pour mieux supporter son malheur? D'après lui, cela devait remonter au plus haut de ses origines, parce qu'il se sentait issu d'une sorte d'esclavage indéfinissable et incompréhensible : n'était-il pas de race blanche et orientale? Alors po- urquoi tout ce tohu-bohu intérieur pour expliquer peut-être qu'un simple problème d'a- mour propre ou d'orgueil? "Mais non, ça ne pouvait pas être cela! s'emportait-il contre lui même et contre tous ces préjugés simplistes qui souvent nous faisaient croire que to- ut le monde pouvait se ressembler et comprendre nos joies et nos douleurs personnelles! ainsi le ressentait-il au fond de son coeur afin de justifier son immense solitude. Pendant ses longues promenades solitaires, il cherchait souvent à comprendre pourquoi la prése-nce de l'autre l'empêchait à proprement parlé d'être heureux? Et pourquoi, il existait enc-ore chez lui, cette étrange incompatibilité entre son bonheur et celui des autres? Mais quel âge avait-il réellement pour pouvoir ressentir ces choses datant presque de la préhi-stoire? Questions étranges qui semblaient venir d'un autre monde! |
"J'avais l'impression de revenir à des temps immémoriaux, lorsque je me retrouvais seul face à cette monstrueuse modernité qui m'accablait de maux indescriptibles. Et je me de- mandais, non sans inquiétudes, comment il fallait faire pour survivre à tous ses cataclys- mes intérieurs?" |
" Comme les français!" |
Cette petite phrase résonna plusieurs fois dans sa tête et fut surpris par le ridicule qu'il avait fait naître en lui comme une sorte de monstruosité. Curieusement, il se demandait s'il fallait en rire ou en pleurer? Mais au fond de lui même, il riait, puisque rire dans ses propres larmes était aussi une façon de cacher ses larmes aux autres. "Comme la vie est cruelle! se plaignait-il amèrement. Mon dieu, mais quelle injustice d'avoir un coeur rem- pli de contradictions!" remarquait-il en se prenant pour quelqu'un d'autre ou peut-être de plus important qu'il était dans la vie? "Ah quelle horreur, cette fée qu'on appelle impuné- ment la pensée! Et quand je pense qu'on dit qu'elle est la source de tout savoir et de tout progrès humain, brrrr, j'en ai la chair de poule du seul fait d'y penser! Car je sais en ce moment que c'est elle qui dirige nos humeurs ou peut-être notre folie en sachant bien que nos sociétés anciennes et des plus sophistiquées en ont déjà éprouvées les conséquences, n'est-ce pas? Moi même aujourd'hui, j'en ressens toute la puissance et toute la terreur qu' elle dégage autour d'elle, celle de son extrême liberté à juger l'autre ainsi qu'à la choisir comme victime toute désignée. Je sais aussi d'une façon étrangement souveraine que je serai une de ses futures victimes. Mais dans combien de temps et pour quelle raison? En fait, je l'ignore complètement. Disons plutôt, sans vouloir vous induire en erreur, qu'auj-ourd'hui je ne fais qu'attendre les signes annonciateurs de ma future condamnation. Oui, je sais et vous l'entends dire, qu'attendre bêtement qu'on vienne vous cueillir est une for-me de lâcheté. Mais oui, je suis parfaitement de votre avis! Mais comment vous dire, sans vouloir vous fâcher, que feindre est pour moi la seule solution pour pouvoir survivre à mon siècle en déclin? En serait-il autrement pour tout homme ou toute femme désirant vivre ardemment son siècle? Car feindre d'être fort, invulnérable, inspirer la peur, cela marche. L'inverse aussi, avoir peur de l'autre, le craindre, faire le gentil alors qu'on ne de-mande qu'à se venger. Mais au fait, je remarque depuis le début, je ne fais que dire des évidences, comme c'est étrange! Comme si le temps ne demandait que ça, à faire des évi-dences, c'est à dire à faire la justice à coups de faucilles et de canons. En vérité, ce que je voudrais dire aux Hommes de tous les pouvoirs, c' est : |
Dans son crâne était inscrit en souvenirs sombres, les années scolaires et en souvenirs lumineux les périodes de vacances où la liberté et le soleil étaient à nouveau réunis. Et c'était volontairement qu'il terrait au plus profond de lui même, cette période bien fune- ste pour sa sensibilité orientale où l'art du savoir était plutôt une question du moment choisi que d'ambition sociale. "Savaient-ils ce que mon coeur renfermait de précieux? Si oui, alors pourquoi ont-ils eu un malin plaisir à tout saccager à l'intérieur de mon pr- opre jardin d'éden? N'était-ce point ici où je me ressourçais où je reprenais à chaque fois des forces afin de garder ma dignité? Mais comment ont-ils pu me faire cela, me fa- ire souffrir au point qu' aujourd'hui à l'âge de 36 ans j'en porte encore les stigmates? M- on dieu, mais quelle période affreuse pour tous mes sens qui s'ouvraient alors à la natu- re environnante!" |
En fait, dans cette histoire d'incompréhensions mutuelles, tout le monde avait bien évid- emment perdu son temps. Moi le premier, par le fait que je me sentais aujourd'hui plut- ôt indifférent au monde qui m'entourait (et je me demandais même s'il fallait le déplor- er?). Et puis en second, la société française et toute sa culture qui avaient perdu défniti- vement un individu qui aurait pu la défendre, prendre ses positions afin de l'aimer vérit- ablement. Mais étant donné qu'elle m'avait fait trop souffrir, je ne pouvais souhaiter d' elle que sa mort prochaine et bien évidemment sans qu'elle eut un quelconque remercie- ement de ma part. Bref, j'avais bien trop souffert de son ingratitude pour devoir encore la nourrir de ma propre chair et dans le seul but d'enrichir son dictionnaire imaginaire! |
( silence) |
"Écrire ses mémoires! Mais quelle bêtise suis-je en train de faire? se demandait moul- oud, comme s'il pressentait un désastre ou un signe de mauvaise augure pour lui et sa petite famille. Son instinct de survie s'était réveillé brutalement à cette réalité qu'il avait oublié un peu vite et qui maintenant le tenaillait de tout son corps et de tout son esprit. Ca pouvait être aussi un bon présage, mais comment le savoir? Cette chose révélée par les écritures intimes, mais que signifiait-elle exactement? Mais que signifiait pour lui ce message qui lui parvenait depuis la nuit des temps? Voulait-il lui annoncer de grands m-alheurs ou tout simplement le mettre en garde contre un danger imminent? Mouloud ne comprenait pas véritablement le sens de ce message. Car pour lui en ce moment tout allait bien du moins au niveau financier où il venait tout juste d'ouvrir sa troisième boucherie à Marseille, rue de l'Esplanade où les affaires marchaient bien. Oui, mais que signifiait réellement pour lui cette réussite matérielle, alors qu'au même instant un vent étrange s'était mis à souffler à l'intérieur de sa propre vie? Cette voix, qu'il avait entendu au début de son manuscrit, ne s'était-elle pas clairement exprimée? Mais alors pourquoi continuait-il à se cacher la vérité? lui demanda-t-elle pour la seconde fois. Se sentant condamné, il ne put qu'approuver par un petit hochement de tête en laissant cette voix envahir son esprit. |
"En lui parlant de cette façon, à mon dieu, je voulais lui donner une leçon d'intelligence en me basant sur ma nouvelle condition d'homme moderne. Mais je compris assez vite que j'avais eu tort de lui parler de cette odieuse façon en saisissant aussitôt ma lâcheté à mes propres yeux! Et je me demandais, non sans inquiétudes, si je pouvais me guérir moi même de toutes ces ambitions de grandeurs que l'Occident avait fait naître à l'intéri- eur de mon cerveau?" Le temps était comme une lame de couteau suspendue à notre cou où il nous suffisait seulement de glisser un peu hors de la réalité pour la voir apparaître! Mouloud, qui avait entrepris en cachette d'écrire ses mémoires, pouvait-il savoir que l' écriture pouvait être considérée comme un blasphème envers le créateur de toute chose vivante en sachant bien que l'écriture était réservée aux scribes et aux initiés qui connai-ssaient parfaitement les limites à ne pas dépasser? "Je savais par instinct que l'écriture pouvait punir de mort celui qui s'y aventurait incognito, car les mots étaient des choses bien vivantes et les éléments énergétiques qui nous permettaient de passer d'une réalité à une autre tout en gardant notre propre identité. Des hommes et des femmes étaient morts d'avoir trop écrit sur eux mêmes, le savaient-ils? N'y avait-il eu personne pour leur dire que l'on écrivait non pour soi, mais bien pour les autres, comme l'est la destinée de tout savoir transmis par les écritures? Et si Dieu nous avait donné cette idée magique de pou-voir écrire nos propres sentiments, ce n'était pas pour notre propre gloire, mais bien pour nous faire subir une épreuve autrement plus douloureuse qu'échappant au destin de l'ho-mme ordinaire. Et en ce moment cet homme, c'était moi, c'était l'homme qui avait peur! |
Enseignes au bord des routes sur le goudron de nos peurs. Enseignes sur les parois de verre où ma vie se tranche les veines. Enseignes multicolores où mon sang fait mouche avec le réel déglingué. Non, je ne veux pas de ce monde là où la conjugaison du futur me fait froid dans le dos pour ne rien vous cacher. Car c'est bien le moment présent que je veux louer pour mes jeunes années au bord d'un lac ou bien d'une oasis bleue de couleur, de vies et de pêches extraordinaires, le bonheur, le vrai! Ce que je veux, c'est sentir la fraîcheur maritime enivrer mes narines de sels odorants et colorer mes joues de pourpre vraie, sentir la feuille de menthe parfumer les sentiers et les rivages de nos jou- rs clandestins, aimer à loisir les gens que nous aimons. Aimer à mourir, sans haine et sa- ns assassiner Dieu pour ce qu'il n'a pas fait. Dire, oui, j'ai vécu, non pour être un héros, mais bien pour être enfin débarrassé du tourment qui nous oppresse, de la guerre qui pointe son nez sous les tropiques et sous les caoutchoucs morts et artificiels de nos jar- dins suspendus au dessus des villes, au dessus de nos vies parsemées par l'industrie de nos sous en toc : médaille, non de la providence, mais bien de la compromission humai- ne, de la basse tâche, du sous-prolétariat et du sûr-prolétariat du pauvre. Ce que je veux, ce sont ces jours habillés de couleurs simples et blanches, blanches comme les terres lointaines et africaines, blanches comme du sable remué par les eaux pures de nos riva- ges clandestins, un peu vives, mais jamais oppressées par ces navires indécents de notre civilisation en déclin. J'en demande un peu trop, me direz-vous. Oui, mais ne sommes nous pas mortels? Mais demain que seront nous devenus? Avons-nous réellement le temps d'attendre le sel de nos vies parsemées au hasard des causes et des conséquences ignorées par nous mêmes? L'intuition n'est-elle pas notre seule chance d'être heureux, un jour? Je sais que je m' étale sur ma vie et je vous vois déjà l'oeil méfiant sur mon cas où j'en ai trop dit, me dites vous. Certainement mon frère, mon ennemi, je ne sais? Mais comme je vous le disais précédemment, c'est la vérité que je veux pour nous et non celle que nous propose le monde en faillite. |
Ca y'est, j'ai trahi le lien qui nous unissait, semble-t-il? Mais comment vous dire que je ne crois plus à cette justice que les hommes ont sali. Le monde n'est-il pas en vérité un monstre aux appétits multiples : moraux, intellectuels, financiers et pour finir sanguin- aires pour ceux qui ne passeraient pas dans la maille du filet social? |
-Trahison, me dites vous, je ne serais qu'un roi frustré! |
-Hé ben donc, pendant que vous y êtes! |
-On m'arrêtera demain! vous me dites. |
-Mais n'es-tu pas le fils du désert? lui demanda orgueilleusement une voix intérieure. |
Mouloud apprenait par ses rêveries la beauté du monde hors du temps et surtout loin des hommes. Ainsi, il retrouvait auprès de son coeur l'authenticité des choses. Il ne parlait jamais d'amour parce qu'il savait que l'amour était une invention de l'Occident. Amour révélé par le sacrifice de Jésus-Christ sur son propre autel qui fut la condition éterna pour qu'il retrouve un peu de coeur au fond de ses entrailles. Mais sacrifice vain, car les guerres recommencèrent à pleuvoir entre les hommes dont l'erreur fut de croire que l' amour était le contraire de la haine et la paix le contraire de la guerre. Bref, un cercle in- fernal où l'humanité se retrouvait à chaque fois embarquée. Maintenant, il entendait le br uit des vagues incessantes venir à lui, comme un amour naissant d'un lointain pays pour le caresser et lui parler des jours, de ces premiers ou derniers jours sur la terre dont il aimait la lumière et les instants. Il en ressentait toute la durée, toute la langueur sur son corps et sur ses pensées : envahissements et évanouissements total des jours ainsi que les joies entre-aperçues par son coeur. "Tout cela pouvait disparaître à tout jamais de moi, si je les écrivais sur une simple feuille de papier! pensa-t-il dans un sommeil entre rêve et réalité. Et s'ils avaient encore autant de clarté au fond de mon coeur, c'était par la grâ- ce de Dieu! lança-t-il au ciel, comme un homme pris d'un terrible doute face à son destin qui lançait une louange universelle au ciel bleu ensoleillé où souvent il n'y avait jamais de réponse en retour. Car demander l'impossible, c'était souvent errer près des sentinelles couvertes d'or et d'argent. Non, ce n'était pas cela qu'il fallait faire pour exhausser un vo- eux ou convertir une prière en salut. Et que demander la pitié sans avoir combattu jusqu' à la mort était une chose bien maladroite, inconcevable pour l'ancien monde qui nous avait enfanté sans amour. |
Djaïda était dans sa cuisine lorsque le petit sofiane arriva tout essoufflé. Il posa son gros cartable sur la table où djaïda était en train de préparer le repas du soir. Non, non et non, je t'ai dit cent fois de ne pas poser ton cartable sur la table! Tu ne vois pas que je suis en train de faire la cuisine, hein? Allez sofiane, prends tes affaires et va les ranger dans ta chambre. J'espère que tes professeurs t-ont donné des devoirs. N' me dit pas l'co- ntraire. Car si tu mens, tu vas la recevoir sur la figure cette main! Djaïda avait levé une de ses mains tout en gardant l'autre dans le plat, qui continuait à rouler énergiquement les graines de couscous : elle semblait très énervée. |
-Oh m'an, j'ten pris, laisse-moi au moins manger quelque chose..Tu sais, je crève de faim! |
-Mon dieu, mais qu'est ce qu'il te donne à manger à la cantine? Tu vas pas me dire que je donne tous les mois 1000 Francs pour que tu reviennes à chaque fois à la maison comme un crève la faim? |
-S'il te plais, m'an, laisse-moi regarder dans le frigo pour voir s'il ne reste pas un morc- eau de fromage ou un peu de gâteau d'hier soir. |
-Et alors, c'est quoi ça? lui demanda-t-il en lui montrant la facture du veau pris chez "Gigolet". |
-Oui et alors qu'est qu'il y a d'anormal? répondit youssef surpris par cet entretien inatt- endu. |
-Non, tu ne trouves rien d'anormal? Quoi, le prix d'un veau entier 3000 Frs et ça t'as pas tapé à l'oeil qu'ils essayaient de nous voler? |
-Mais m'sieur mouloud, moi j'connais pas les prix pratiqués chez les autres concurrents! |
Ses anciens démons semblaient s'être réveillés d'un long sommeil, comme pour le revoir dans de drôles de situations, se disait-il par l'évocation de ses souvenirs d'ancien voyou. Et cela le remuait d'autant plus qu'elles pourraient bien le reconnaître! Et puis de toute façon n'avait-il pas autre chose à faire que de jouer à nouveau au gigolo? pensa-t-il co- mme pour se rassurer. Il se souvenait très bien qu'un jour une fille lui avait demandé d' une façon indirecte s'il voulait vivre avec elle. Mais étrangement, il n' avait pas voulu lui répondre spontanément afin de faire durer le plaisir, bien évidemment. Il était alors en train de se regarder dans la glace pour voir si tout était normal : sa coiffure, l'ajustement de son costume, quand tout à coup ces mots délicieux sortirent de sa bouche qui était parfaitement dessinée par le contre jour. Mouloud, envoûté par ce chant des sirènes, se demandait si ce chant magnifique pouvait durer éternellement autour de lui et s'en abre- uver jour après jour sans en rompre la merveilleuse mélodie? Il savait que plus d'un ho- mme se serait damner, trancher les veines pour l'entendre à nouveau, mais il n'en fit rien et continua son manège en réajustant son col, puis le noeud de sa cravate, puis joua avec un de ses boutons en nacre de sa chemise légère. Pendant tout ce temps, où il essayait de cacher son embarras, la fille qui lui parlait, se tenait le bassin légèrement appuyé contre la porte de l'appartement et n'avait pratiquement pas bougé de place depuis le début de son chant envoûtant. Et on entendait par moment des chocs brutaux secoués cette vieille porte qui pourtant ne lui avait rien fait! Elle semblait vouloir lui dire : Non, tu ne sorti- ras pas d'ici, tant que tu ne m'auras pas donné ta réponse! Cette fille ne plaisantait plus maintenant et un énorme silence avait remplacé son chant mélodieux en attendant sa ré- ponse. |
-Ah oui? répondit-elle surprise. Un long silence s'installa dans la pièce et gisèle pensa aussitôt à une de ses collègues qui avait dû la devancer. Mais comment se faisait-il qu' elle n'avait pas été mise au courant? se demanda-t-elle subitement. Mais avec qui com- me fille? demanda-t-elle rageusement. |
-Mais avec une fille normale, quoi! lui répondit-il en faisant l'étonné. Gisèle ne comprit rien du tout à cette expression " avec une fille normale", car elle était plus ou moins assommée de savoir qu'il vivait déjà avec une fille et qui lui en avait jamais parlé. Oui, elle était vraiment étonnée et ne semblait pas vouloir le croire tout à fait." Hum, hum, il trahissait sa petite amie avec moi et cela ne semblait pas le gêner le moins du monde. Y'avait quelque chose de louche derrière tout ça! pensa-t-elle avec son instinct de fem- me. Et puis cette façon qu'il avait de me faire l'amour, cela ne voulait-il pas dire que nous étions fait l'un pour l'autre?"Mouloud, quant à lui, essayait de garder son assurance devant les doutes de gisèle sachant bien que toute cette histoire de fille normale avec qui il semblait filer un parfait amour était absolument fausse. Mais il n'avait pas le choix s'il voulait retrouver sa liberté. Gisèle avait toujours le dos appuyé contre la porte et l' emp- êchait de sortir( mais se refusait d'employer la violence contre elle, parce qu'ils se conn- aient un peu et malgré tout ce qui les séparait dans la vie : lui son esprit d'aventure et elle une pauvre putain!). Mais il comptait bien sur ce beau mensonge pour s'en débarra- sser une bonne fois pour toute et d'une manière tout à fait naturelle. C'est à dire sans qu' elle puisse s'apercevoir qu'il lui mentait depuis le début. En fait, il avait remarqué chez beaucoup de femmes, une bizarrerie qui faisait que plus vous leur mentiez plus elle vous croyait! C'était bien sûr une histoire à dormir debout, mais dont le jeune séducteur ne pouvait pas laisser aux autres concurrents. |
Le principe fonctionnait si bien qu'il en abusait tous les jours dans sa vie quotidienne, afin d' arriver à ses fins de gloires, de richesses, mais aussi de plaisirs. Les femmes serai- ent bien évidemment ses premières victimes, car elles allaient lui ouvrir toutes les portes dont les clefs étaient étrangement gardées par les femmes! et il allait au passage se servir d'une façon magnifique : là était son seul et unique but. Il laisserait donc derrière lui ap- rès son départ un grand vide. Oui, un grand vide, mais qui ne le gênait aucunement puis- qu'il aura d'une certaine façon regagné sa liberté: lieu où il redevenait intouchable et très loin de l'agitation du monde. C'était un principe assez ignoble, ne nous le cachons pas, mais dont l'exercice réel lui procurait une grande jouissance et à chaque fois qu'il se me- ttait à inventer de drôles d'histoires que seules et seulement les femmes étaient prêtes à croire. Le rêve de sa vie se jouait dans cette imposture à transformer sa vie, mais aussi celle des autres où il intervenait sans forcément leur accord! Bref, il surprenait par se dr- ôlerie, mais aussi par cet air détaché qu'il prenait quand il racontait les événements qui avaient marqué d'une manière indélébile l'histoire de l'humanité et la sienne au passage, elle aussi remplies de folles péripéties. Avec lui, quand les gens l'écoutaient, seul l'insta- nt comptait et le temps perdait de son épaisseur et la vie redevenait tout à coup légère, comme un voile transparent au dessus de ces beaux visages, de ces belles inconnues che- rchant sans aucun doute l'amour, toujours l'amour. La température des salons surchargés de lustres et de miroirs étincelants montait et les yeux des femmes brillaient alors. Ce rêve d'or et d'argent, mouloud en rêvait jour et nuit. Rêve de vanité? Possible. Rêve d' amour? N'allons pas trop loin! Rêve de gloire traversant le temps? Et Pourquoi pas? Mais que gisèle, malgré sa grande beauté, ne pouvait lui offir? Exact. |
AVIS AU LECTEUR |
Allez, prenez ma main pour vous sortir de ce pétrin où vous vous êtes mis bien mala- droitement toute seule. Et si vous en êtes là, c'est uniquement de votre faute et nullem- ent de la nôtre, croyez le bien. Allez, ma p'tite simone, encore un petit effort et je l' attr- ape votre main." Au moment où madame Sarfaty se saisissait de cette main, celle-ci se retirait aussitôt des siennes accompagnées par de gros éclats de rires, Ah! Ah! Ah! Mais ça va pas? Vous n'alliez pas croire tout de même qu'on allait vous aider? Non mais! Moi, j'vous croyais moins naïve que ça pour vos 101 ans! Ah! Ah! Ah! " |
-Oh les monstres! leur criait-elle indignée tout en continuant sa chute. Pour elle, cela ressemblait à un véritable cauchemar puisque ne connaissant pas la suite des évènem- ents. |
-Au fait, madame Sarfaty, votre créateur n'est-il pas mort? Non? Oui? Et alors qu'est que vous faites encore parmi nous à nous embêter avec vos vieilleries? Votre place est sûrement entre 4 planches, non? Ah!Ah!Ah! Allez, adieu madame Sarfaty!" Simone était épouvantée et leur criait: Messieurs, je vous en supplie, mais vous devez faire erreur sur la personne. Car je ne suis pas celle que vous avez vu à la télé, mais je suis la vraie madame Sarfaty, celle qui a fait les deux guerres et ait réellement participé à la libérati- on de la France. Et pour ne rien vous cacher, j'ai connu personnellement le général de Gaule! |
-Menteuse! lui répondait-on brutalement. Non, madame Sarfaty, ce n'est pas vrai ce que vous dites. Vous n'êtes qu'une imposture de l'histoire, qu'un personnage audiovisuel. Vous ne méritez même pas qu'on vous répondent! |
Non pas celui de la deuxième guerre mondiale où ses parents avaient péri carbonisés da- ns les camps de la mort! Ni celui de la guerre d'Algérie où elle fut violée puis torturée! Mais celui d'aujourd'hui où elle se sentait mourir dans la plus grande indiffénce : génoc- ide quotidien où la barbarie était dans les mots et dans les intentions méchantes de cette humanité chancelante et hystérique. |
Elle voulait mourir, mais se demandait comment il fallait faire? Elle regarda alors au plafond pour voir s'il n'y avait pas une corde ou bien un fil électrique qui aurait pu? Mais elle ne vit que des ampoules électriques enfouies sous des hublots de verre transl- ucides et des moulures en bois où semblablement les câbles couraient. Puis tout à coup la lumière s'éteignit." Tiens, c'est sûrement la minuterie qui a dû se déclencher! dit-elle du bout des lèvres comme pour se rassurer. Mais curieusement, elle n'en fut pas plus ma lheureuse pour autant, car cela ressemblait pour elle à une sorte de mort artificielle et retrouva même un peu de réconfort dans sa détresse. Reposant sa tête contre le mur du palier, mais ne pouvant contenir ses larmes, elle se mit à pleurer longuement à visage découvert dans la pénombre où ses sanglots prirent une dimension jusque là insoupçon- née qui l'effraya horriblment en imitant le chants des morts! Remarquant la peur qu' elle avait engendré sur elle même, elle détacha instinctivement sa tête du mur et s'arrêta aus- sitôt de pleurer. Une chose l'intriguait, c'étaient ces petits points lumineux qu'elle pouv- ait observer dans la pénombre de la cage d'escalier qui se trouvaient à l'intérieur des bo- utons électriques et semblaient commander la minuterie. Et plus elle les regardait plus ces petites lucioles avaient l'impression de se détacher du mur et plus elles se détachai- ent du mur, plus elles ressemblaient à de gros insectes lumineux qui se mirent à voler autour d'elle. En les regardant de plus en plus intensément leur effet hypnotique ne fit que grandir..et madame Sarfaty, au lieu de voir en eux de charmants petits insectes lu- mineux, vit l'enfer! |
Le feu du diable où les flammes, issues des bombes incendiaires, ravageaient et faisaient s'écrouler comme des châteaux de cartes, des bâtiments entiers dans un fracas abomina- ble de balles crépitantes dans le ciel et sous le bruit assourdissant des sirènes de la D. C.A! |
La journée s'était donc passée dans cette ambiance plutôt bonne enfant pour les gens de la rue. Et le soir venu, la famille Mandel était partie se coucher après avoir fait un dîner plutôt léger, afin que le sommeil de chacun en soit le moins dérangé par la digestion. Elle habitait un petit pavillon qui était situé dans le quartier Est de la ville : la nuit était tombée et tout le monde dormait. |
-Mais qu'est ce qui s' passe, chéri? Tu te sens pas bien, hein? |
-Non, c'est pas ça, chérie. Mais viens vite, car je ne peux malheureusement pas te décrire ce qui se passe dehors tellement ça me glace.. |
-Comment ça te glace? J'arrive tout de suite..dit christiane en se levant et en jetant presq- ue la couverture hors du lit pour aller rejoindre son mari à la fenêtre. Alors qu'est ce qu' il y a ? lui demanda t-elle un peu essoufflée. |
-Regarde! lui dit-il en soulevant le rideau. |
-AH! Mais? Mais? |
-Jean, tu sais, tout n'est pas perdu! Et puis il y a les enfants et je ne voudrais en aucun cas qu'il leur arrive quelque chose. Battons-nous pour eux, le veux-tu? |
-Mais chérie, tu as vu ce qui nous attend dehors? |
-Oui, je le sais bien. Mais notre mission n'est elle pas de les sauver de la folie destructi- ce des hommes, car qui d'autre que nous le fera? |
-Mais c'est la guerre, mon amour, ne le vois-tu pas? |
-Mais oui, je le vois bien. Mais sans nous, je pense qu'ils ne survivront jamais à cette horreur et ils nous faut les protéger en leur cachant la vérité. Tu sais, chéri, à ces âges on est souvent aveugle et leur dire seulement que nous allons faire nos valises pour un très long voyage, ça ne pourra que les aider à mieux supporter les choses, non? |
-Mais n'es-tu pas devenue folle? Mais on nous bombarde! et ça ils vont le voir, non? Et tous ces morts que nous risquons de voir sur notre route, mais comment vas-tu leur ex- pliquer? Tu vas leur dire qu'ils sont tombés de leur fenêtre, comme ça par hasard? Mais tu délires complètement, ma petite christiane! Mais au fond, je crois bien que c'est toi qui a raison, car il faut nous battre jusqu'au bout pour ne pas nous en vouloir plus tard. |
-Ah je savais bien que tu serais d'accord avec moi, mon chéri! |
-Mais ai-je bien le choix?Allez, au lieu de nous apitoyer sur notre sort, dépêchons nous! Et il faudrait que l'on soit parti avant qu'ils arrivent. Toi, va réveiller les enfants. Moi pendant ce temps là, je vais descendre les valises du grenier afin de préparer ce long vo- yage où la chance sera notre seule alliée. |
D'accord chéri, j'y vais..». |
Allez, simone, réveille-toi! Fais vite, c'est maman qui te le demande! |
-Mais maman, c'est quoi tout ce bruit qu'on vient d' entendre? |
-C'est rien, ma petite, c'est tout simplement de l'orage! Allez, fais ce que je te demande. Nous allons partir tous ensemble pour un long voyage et ton père est en train de prépa- rer nos valises. |
-Ah oui, maman? Mais à cette heure-ci? Mais où au juste? |
-Là où on ira, j'te dis. Allez, simone, arrêtes de me poser toutes ces questions et habi- lles-toi maintenant. |
-D'accord maman." |
Mon père avait serré mon petit frère contre sa poitrine pour qu' il ne vit lui aussi rien de toute cette horreur, ce que ma mère approuva aussitôt. Et nous traversâmes, blottis les uns contre les autres, ce champs de cadavres où un cratère s'était formé au milieu de la route. La foule avait enjambé un à un tous ces monceaux de chair humaine, mais sans pour autant arrêté sa longue marche. Car il lui fallait absolument gagner la campagne afin de retrouver un peu de paix au milieu des bois où elle se sentait prête à construire des cabanes pour s'abriter où le bois ne manquerait pas pour se chauffer ainsi que le feui- llage pour garnir les sols et couvrir les toits de leurs nouvelles habitations. Chacun y pe- nsait, mais sans personne puisse mesurer ni même soupçonner la distance qui les séparait de ce bonheur juste entraperçu, sachant qu'il leur fallait encore traverser une grande par- tie de la ville qui était toujours pilonnée par l'aviation et tout cela ne faisait qu'augmen- ter leur crainte qu'ils puissent sortir vivant de cet enfer. |
Un banc, qui était souvent libre à ces heures-ci, me permettait de me reposer après ma course frénétique à travers la ville. Je savourais le tout accompagné d'une petite bou- teille de limonade que j'achetais à la boutique « chop » et j'étais heureuse alors. Et per- sonne ne pouvait connaître à ce moment là, mon bonheur : où jeunesse, culture et gou- rmandise, rimaient ensemble d' une manière fantastique! |
Monsieur Gruau, qui était impressionné par mon sens de l'improvisation, me parlait sou- vent de vouloir monter un spectacle avec lui. Mais moi, horrifiée par cette idée quelque peu extravagante, je préférais ne pas lui répondre en gardant toute ma stupeur. Car de me mettre à jongler avec lui devant toute cette faune où mon père et ma mère pouvaient à tout instant surgir, cela ressemblait à de la pure folie! Mais il le comprit assez vite et n'o- sa plus jamais m'en reparler. Je savais bien que ce genre de spectacle aurait pu marcher et lui faire gagner beaucoup d'argent. Mais bien que l'idée fusse bonne, jamais je n'aurais pu expliquer la chose à mes parents qui m'auraient prise alors pour une folle. |
La musique de Bach avait fait, semble-t-il, son effet et elle m'avait d'une certaine façon propulsé dans un monde et dans une religion que je sentais très proches, mais qui au lieu de m'apporter de la joie, m'apportait des inquiétudes et me torturait la chair et les os où il me semblait pleurer des larmes de sang au dessus des bénitiers d'eau fraîche qui pourtant auraient pu soulager ma douleur. Ainsi se terminaient souvent mes visites à l' église Sainte Catherine où, courant de panique à travers la nef, j'épargnais rarement la foule sur mon passage pour le pardon que je ne pouvais leur accorder. Apparemment pour cette foule anonyme, j'étais une fille désespérée ou peut-être avais-je été boulever- sée par les révélations du Christ? En fait, je n'en savais rien. |
Les comptoirs des cafés du boulevard étaient maintenant vides, vidés de toute substance humaine et réfléchissante. Les miroirs, qui autrefois renvoyaient la vie et les alcools mu- lticolores sur les visages des jeunes hommes, étaient maintenant brisés par l'horreur. Le zinc avait noirci sous l'effet thermique des bombes et les bouts de comptoirs étaient bri- sés en plusieurs morceaux! Au fond de la salle, où tous les sièges étaient renversés, on pouvait apercevoir dans la semi-obscurité les portraits magnifiques de Marylin Monroe et d'Erroln Flynn encore suspendus au mur. Étrangement, ils souriaient tous les deux à je ne sais quoi d'extraordinaire et de tragique : Marylin en faisant tourner une ombrelle sur son épaule nue et Erroln Flynn en faisant le pitre dans ses collants de robins des bois! |
Je me disais au fond de moi même que je devais arrêter de me faire souffrir comme cela. Car à vouloir absolument tout voir et tout retenir, au milieu de cette tragédie, cela ne po- uvait en fin de compte que m'attirer le malheur. Et à aucun moment, je me suis sentie l' unique témoin de toutes ces horreurs. En fait, j'avais l'intime conviction que tous ces ge- ns, qui fuyaient alors les bombardements, avaient essayé comme moi d'arracher aux débr- is et à la cendre des monuments, un dernier souvenir d'une vie qui avait été heureuse. Maintenant, il n'en restait plus rien. |
-Mais? répondit Jean. |
-Je ne sais pas si monsieur a étudié l'histoire? |
-Euh? |
-Moi, si monsieur, et je sais que l'armée ennemie doit nous attendre tranquillement à l' autre bout de la ville où il faut s'attendre au pire. A moins que vous ayez une autre so- lution à nous donner : vous monsieur qui semblez tout savoir? |
Des enfants riaient et voulaient en avoir un de ce petits chiots qui étaient nés sous le bo- mbardement. Mais les parents, embarrassés par d'autres soucis, les firent détaler en leur donnant de grands coups de pieds dans les flancs qui, toutes gémissantes, regagnèrent au ssitôt les charniers où ils avaient commencé quelque chose à l'ombre de toute humani- té. |
Le jeune garçon fit alors une grimace et d'un geste fou le jeta contre un pan de mur qu' il y avait sur le passage où l'appareil explosa littéralement et partit en miettes! La foule qui l'avait vu faire cela lui en voulait terriblement d'avoir jeté cet objet chargé de tendresses, même s'il ne fonctionnait plus. Mais était-ce une bonne raison pour le jeter comme ça à la vue de tout le monde, alors que chacun était dans une situation désespérée? Ce n' était qu'un jeune con, voilà tout! pensait la foule vexée de n'avoir pas pu le toucher, le mani- puler, le coller contre son oreille afin d'écouter même un petit crachotement qui aurait pu lui donner un petit plaisir au milieu du désastre. Tout le monde parmi la foule se ma- udissait désormais et semblait prêt à s'allier avec le diable! |
Quand le froid commença à se faire sentir, je pris la decision de redescendre à l'intérieur de l'hôtel pour y chercher une chambre et tout en espérant qu'une au moins eut été épar- gnée par les bombardements. Sans trop de difficulté, j'en trouvais une au 4ème étage qui ressemblait étrangement à un petit boudoir. Exténuée de fatigue, je me jetai sur le lit et m'endormis aussitôt. |
Le lendemain matin.. La lumière du jour avait percé le voile déchiré de la petite fenêtre où l'on pouvait aper- cevoir le corps de la petite simone recroquevillé sur lui même. Une pauvre couverture le recouvrait et l'on se demandait si elle vivait toujours? Car il régnait à l'intérieur de ce petit boudoir, qui était tapissé de rose et de bleu, un froid glacial. Le vent du nord, qui avait soufflé toute la nuit à travers le rideau troué, avait envahi sournoisement ces lie- ux qui jadis avaient dû abriter des amours clandestins. Seuls les rayons du soleil sembl- aient apporter un peu de réconfort et de chaleur à l'ensemble de la pièce. Il n' y avait auc- un bruit, seul on entendait par moment le souffle du vent qui faisait vibrer des anneaux de cuivre qui retentissaient alors comme de petits morceaux de cristal. Simone dormait toujours et un de ses petits pieds sortait de la couverture où l'on voyait au dessus de sa chaussette rouge l'extrême blancheur de sa peau que le froid avait bleui par endroit. Le corps semblait pris dans les glaces et ne semblait pas s'en rendre compte et simone rêvait bien évidemment à ce qui n'existait pas et certainement pas à cette sale guerre qui la me- utrissait déjà si jeune. Etrangement, elle se dorait au soleil sur une plage imaginaire ent- ourée de ses parents et de son petit frère face à la mer bleutée qui s'étendait à perte de vue où des petits voiliers à l'horizon renvoyaient au promeneur, le long des côtes, la bl- ancheur de leurs voiles triangulaires. Simone semblait sourire sous sa couvertuure à la vue de tant de merveilles où la vie semblait l'attendre, lui tendre les bras où elle n'avait qu'à dire oui pour être emportée par un flot de bonheur qui lui était jusque là encore in- connu. "L'important était de ne pas passer à côté des plaisirs! pensa-t-elle comme prise par ces magnifiques visions. Et puis la terre n'avait-elle pas été créée pour rendre visible l'imagination des hommes et des femmes? Et l'amour, un îlot de bonheur que chacun de nous était prêt à défendre coûte que coûte et malgré nos impossibilités à gérer notre te- mps et nos humeurs? |
Le temps d'aimer un homme viendra pour moi aussi qui ne connaît encore rien de l'am- our. Et bien que je sois toujours une petite fille, je sens au plus profond de mon être que mon bonheur sera d'être près de lui. Et sans honte, je pourrai m'épancher sur son épaule et y consoler tous mes chagrins." Par moment, le vent soulevait violemment le rideau où l'on pouvait apercevoir, dans toute sa nudité, les restes d'une grande ville que les ho- mmes avaient détruite par simple folie! Le soleil s'était levé comme d'habitude et le ciel était maintenant d'un bleu très pur. Le gel commençait à disparaître des campagnes envi- ronnantes et le givre, transformé en eau pure, coulait le long des vitres brisées. Les colo- nnes d'eau à l'intérieur des bâtiments calcinés se remettaient à gicler vers le ciel et répan- daient autour d'elles, au milieu de ces gravats, une eau salvatrice qui déjà nettoyait les cadavres enfouis sous les décombres en emportant dans ses eaux courageuses, le sang de toute cette humanité déchue et brisée par la folie pour l'entraîner dans les entrailles de la terre et dire à tous les hommes: Oh Pauvres mortels, votre sang n' est rien par rapport à la vie qu'il transporte en vous même : ce n'est qu'un fluide et rien de plus! Le mystère de la vie est bien ailleurs et vous vous en rendez même pas compte, pauvres petites marion- nettes! Mais il n'y a rien dans ce sang que vous avez fait couler pour votre propre plaisir et vous n'y verrez pas non plus votre avenir. Car vous êtes de simples mortels et votre avenir est bien sûr entre vos mains. Et surtout ne le confiez jamais à personne, sinon l'on pensera pour vous de ce qui est bon ou mauvais et où il était désormais trop tard! |
La nuit était tombée sur la ville déserte où le vent s'était mis à souffler à travers les rui- nes et les grands trous laissés par les immeubles fracturés. La poussière, issue des effro- ndrements successifs des murs et des constructions en brique, avait fait que la ville était entièrement recouverte de poussière blanche où l'on se serait cru en hiver alors que nous étions seulement au début de l'automne. Le vent qui soufflait semblait regretter le bruit de ces feuilles qui jadis couraient le long des trottoirs et amusaient les enfants au rythme des saisons, quand la pluie tombait et que la neige s'éffilochait dans le ciel. Le froid réc- lamait les doigts gelés d'un enfant courant sur le chemin de l'école. Le vent réclamait ses bourrasques sous le préau d'un mois pluvieux de septembre. Fausse neige ou vraie pluie de cendres? Éternel regret du vent à souffler au milieu de la désolation? Éternel regret d' un empire d'avoir touché son sommet? L'ivresse du vent, c'est aussi de parfumer l'hori- zon! La base avait touché le sommet de l'édifice et celui-ci se brisa en mille morceaux! Il faisait nuit maintenant sur la ville.. |
Simone, qui jouait avec mistigris, le reposa par terre parce que celui-ci commençait à lui faire mal avec ses griffes qui parfois s'enfonçaient sous sa peau. Elle le gronda, puis se rendormit en attendant le retour du petit mouloud. Derrière le rideau à fleur de la fe- nêtre, on pouvait apercevoir les lumières de la ville de Marseille faire " feu d'artifice" avec les derniers rayons du soleil qui se jetaient sur un petit bout de mer à l' horizon. Moi je savais au plus profond de mon coeur que tout n'était pas perdu pour autant et qu' en chacun de nous, quand la nuit survient, un bout de rêve nous dit : Mais aurais-tu ou- blié l'Algérie? Mais que dire aussi de simone qui avait fui Varsovie? J'étais comme par- alysé par le sentiment de ne pouvoir mettre une fin à cette histoire qui, malgré les appa- rences, se poursuivait dans le silence de nos actualités. La seule chose qu'elle voulut bi- en me confier à propos de sa fuite de Varsovie, ce fut sa rencontre avec le soldat déser- teur Ulrich, dit le causaque, qui l'aidera à sortir du Ghetto et l'aimera d'un amour passi- onné : simone n'avait alors que 13 ans! Mais elle n'en dira pas plus pour l'instant. Allez au revoir.. |
LIVRE DEUXIÈME
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Pourtant comme j'aurais aimé, autour d'un pastis, échanger avec eux quelques brides de souvenirs, ce qui m'aurait fait moins boire! s'avoua-t-il en titubant sur le vieux port. Mais malheureusement, ce jour là, le hasard n'avait pas voulu opérer et lui avait laissé dans le coeur une impression d'immense vide. C'est vrai qu'on était des sales gosses. Mais alors, c'est fou comme on était heureux! semblait-il crier au fond de lui même. Et puis de toute façon, aujourd'hui, ils devaient être tous mariés avec des gosses et des res- ponsabilités sur le dos comme tout à chacun. Leur vie devait être triste à mourir, bref, comme la mienne! reconnaissait-il tout en évitant un trou dans une dalle. Ah cette fois- ci, j'ai failli me faire avoir! dit-il en reprenant son équilibre. Bon dieu, de bon dieu, don- nez-moi du courage pour pouvoir continuer cette route que je ne connais pas moi mê- me! Et toi, prophète de mon coeur, sauvez-mon âme de cet occident malade afin que je puisse retrouver ma dignité d'homme. Et vous, famille algérienne, sachez que je ne vous ai point quitté par lâcheté, mais à cause de mon oncle Nadir qui m'avait attiré en France pour des raisons obscures de projets fabuleux.. |
Moi, un peu naïf, je l'avais suivi bizarrement sans trop me poser de questions sur le but réel de ce voyage. Car l'idée de voyager pour des raisons que je ne connaissais pas m' ex- citait beaucoup à vrai dire, comme tout jeune garçon désirant découvrir le monde à mo- indre frais après avoir lu " deux ans de vacances" un livre de Jules Verne ou bien le clo- chard céleste de Jean Kerouac. Notre voyage vers la France se déroula à merveille où je voyais à travers le visage de mon oncle( quand nous nous approchâme de Marseille où il faisait un temps magnifique) qu'il avait entrepris ce voyage uniquement pour son plais- ir. Ce qui ne pouvait que me ravir quand on sait que partir pour aller travailler est une totale aberration voir un sacrifice inutile sachant que la vie est si courte. Par contre par- tir pour jouir de la vie et s'amuser, voilà une noble occupation que mon oncle Nadir avait saisi à bras le corps en me faisant l'aimer encore plus. En parlant de cette idée de jouir de la vie, celle-ci n'est pas considérée en France comme une mauvaise chose co- mme là bas en Algérie où la tradition musulmane interdit le plaisir pour le plaisir parce que le plaisir charnel doit avoir comme unique but la reproduction et non, comme en France, une idée pouvant se décliner sous toutes ses formes grâce au jeu intellectuel au- quel s'adonne une grande partie des français par tradition, bien évidemment. Jeu, il est vrai dangereux pour celui qui ne possédrait pas cette culture de l'esprit. Mais à ce prop- os, je m'inquiétais guère pour mon oncle qui, je vous avouerais, était un homme à fem- mes donc un homme d'esprit pour la plus part des français. Et il serait juste d'ajouter afin de completer ce tableau que son imagination ne le privât jamais de trouver une nou- velle jouissance pour tromper son ennui. Bref, tout ça pour dire qu'il se sentait totalem- ent français par ses moeurs. |
J'avais seulement 13 ans et mon oncle 30, ce qui le rendait plus expérimenté que moi da- ns la vie et ça personne ne pouvait le démentir. L'avantage que j'avais d'habiter chez lui, c'est qu'il m'en coûtait rien et me facilitait énormément la vie que je passais la plus part du temps sur la canebière : là où j'avais commencé à me constituer une bande de copains qui venait pour la plus part du quartier le mistral. Il y avait Nasser, dit la fouine, qui en matière de vol par ruse on ne trouvait pas mieux dans le coin. Il y avait aussi Momo, qui battit comme un colosse, pouvait vous casser un mur avec son poing et surtout faire peur à vos assaillants s'ils vous surprenaient en flagrant délit, ce qui n'était pas négligeable en cette situation, n'est-ce pas? Et puis Nordine, Farouck qui avaient des qualités d'observa- tions dont on ne pouvaient se passer, bien évidemment. Intelligence, ruse, agilité yeux de lynx, tels étaient alors nos grandes qualités pour faire notre trou ici à Marseille. La plus part de mes copains connaissaient ma situation et la réputation de mon oncle Nadir en tant qu'homme à femmes, ce qui du côté de la Méditerranée a très bonne réputation telle- ment on est macho. Moi, je jouais bien évidemment le jeu en me donnant le beau rôle d' être comme sur ses pas. C'est Nasser, dit la fouine, qui le premier engagea avec moi une conversation d'ordre professionnel, si l'on peut dire. Par là, je sentais déjà ses ambitions enfler sa tête.. |
-Mouloud, tu sais, hier soir, j'ai vu ton oncle relever les compteurs sur le vieux port! |
-Oui et il faisait même très noir. Mais il ne m'a pas vu, car j'étais caché derrière une montagne de filets. Mais c'est fou comme il en jette avec son borsalino sur la tête, ton oncle! Et si tu entendais sa voix dans cette situation, mon gars! Alors bébé, combien t'as fait aujourd'hui? Et la petit béqueuse répondait avec son accent de pute, 1500 balles, mon amour. C'est bien, c'est bien, donne-moi la moitié et garde l'autre pour toi, car je veux que tu sois heureuse toi aussi, ma petite poule. Oh Nadir, au moins toi tu sais parler aux femmes! Youhais, c'est ce qu'on m'a toujours dit. Mac, c'est ma vocation et je n'y peux rien, AH!AH!AH! Allez embrasse-moi, ma petite chatte! Et la petite chatte, séduite, embrassait son matou sur la joue comme en signe de soumission. |
-Ah! Ah! Ah! Ton oncle, ça c'est un mec! |
En écoutant Nasser parler de la sorte, je compris aussitôt qu'il avait une idée derrière la tête( non pas de concurrencer mon oncle Nadir, car il n'avait rien d'un futur mac), mais plutôt de quelqu'un qui essayait de faire son trou dans le monde de la prostitution. |
-Heu..sans vouloir être indiscret avec toi, mais que faisais-tu à cette heure-ci sur le vieux port? |
-Moi? |
-Oui, toi. |
-En fait, si j'ai suivi ton oncle dans sa tournée, c'est parce que j'avais une idée à lui proposer. |
-Ah oui? |
Oui, car j'ai remarqué que la plus part des filles lui mentaient quant aux sommes qu' elles avaient, soi-disant, gagnées dans la journée. |
-Ah oui et comment tu sais ça? |
-C'est simple. Toute la journée, je guette les clients qui montent et devine au temps qu'il passe avec elles, la somme qu'ils y laissent. J'ai calculé que pour une passe, c'était environ 100 francs le quart d'heure et pour l'amour 300 frs la demi-heure. Voilà, c'est simple. Et dis aussi à ton oncle que les filles cachent leur argent dans l'allée Marcel Pagnol, où elles ont des caches dans les murs. Malheureusement, je n' ai jamais pu leur piquer, car ces putes ont des yeux partout! |
-Oh, fais gaffe, mon gars! N'essaies pas de piquer l'argent à mon oncle, car s'il le savait tu pourrais passer un mauvais quart d'heure! |
-Oh t'inquiète pas, mon ami! Dis-lui seulement que mes services lui coûteront 100 ba- lles par jour; ce qui n'est rien par rapport à ce que les filles lui volent. |
-Ok, je lui en parlerais. |
Le soir, de retour à la maison, je lui racontais tout ce que Nass m'avait dit, ce qui le mit en fureur pendant un bon moment. Mais comme il connaissait parfaitement la ruse de certains sur le vieux port pour prendre les filles des autres, il reprit son calme et me demanda si ce Nasser était un garçon auquel on pouvait faire confiance. Moi je lui dis que non, mais qu'il fallait voir sur place si tout cela était vrai ou bien manigancé par la concurrence. |
-D'accord, mon oncle, je ferai ce que tu me demandes et ne t'inquiètes pas, on sera dis- cret comme des poissons de roche. |
-Tu voulais parler de la rascasse? |
-Oui, forcément, pas de la racaille! |
-Oh! Oh! Oh! Mouloud, je ne te connaissais pas autant d'humour, Oh! Oh! Oh! |
-Mais mon oncle, c'est depuis que je suis en France! |
-Oh, ça ne fait plus aucun doute pour moi maintenant, petit frère. |
-Il n'est pas contre, mais il veut être sûr que tu ne lui racontes pas de conneries. |
-Mais je te jure sur la tête de ma mère que tout ce que je t'ai raconté, c'est vrai! |
-Nass, s'il te plait, ne jure comme ça sur la tête de ta mère, car tu sais bien que ça ne prouve pas ce que tu me dis! |
-C'est vrai, mais alors comment veux-tu que je te parle? |
-Ne dis rien et écoute-moi plutôt. |
-Sans problème, mon pote. |
Voilà, mon oncle nous donne carte blanche pour surveiller les filles. |
-Ouhais! |
-Mais attends un peu, car je ne pense pas qu'a nous deux on aura des yeux assez grands pour les surveiller toutes. J'ai donc décidé à titre personnel qu'on surveillerait en prem- ier la belle Heroïca. |
-Quoi, celle qui plait tant aux dockers parce qu'elle ressemble à un paquebot de luxe! |
-A un paquebot de luxe? Alors là, tu exagères un peu, disons plutôt, à une vedette de haute standing serait plus juste. |
-Mais bon, elle est rudement bien cuirassée cette fille là. Regarde comme elle est habi- llée et tu verras qu'elle connait bien son affaire, la salope! |
-Quoi, tu voulais parler de ses vêtements de cuir où les boutons dorés ressemblent à des rivets ? |
-Pas seulement. Mais regarde comment elle fume devant tous ces hommes en rût, on di- rait une cheminée de navire. Et ses yeux couleur bleu marine, crois moi, ils font chavi- rer tous les marins! |
-Tu exagères Nasser, ce n'est qu'une pute et rien de plus et chacune à sont truc pour atti- rer le client, bref, leur spécialité. Et je pense que pour pouvoir supporter les coups de butoirs des dockers, il faut être tallé dans l'acier. Alors que pour les employés de ban- que, taillé dans de la gélatine suffit amplement. |
-Ah! ah! ah! comme t'es cynique mouloud! Tu passes vraiment du coq à l'âne.. |
-Non, je t'assure, je passe pas du coq à l'âne. Je te dis seulement la triste vérité. Regarde comment la grosse Rosa s' habille et tu verras qu' elle aussi connaît bien son affaire. |
-Quoi, tu voulais parler de celle qui s' habille en petite fille, alors qu'elle a au moins 50 ans! |
-Oui, celle qui porte des jupes à dentelles et des petites lunettes de salope. Crois-moi, mais c'est fou comme elle a du succès auprès des employés de banque et de bureau. Sa spécialité, m'a dit mon oncle, c'était de proposer au client de faire l'amour sur une table de bureau..et c'est fou comme ça les excite, ces détraqués du stylo. |
-Ah! ah! ah! alors là, mouloud, tu inventes! |
-Mais non, je t'assure, j'invente rien. Et la grande goulue qui se prend pour la fille du boulanger avec ses miches à l'air. C'est fou, comme elle a du succès auprès des marseil- lais de souche, et tout particulièrement, auprès des vieux qui on connu Raimu, le comi- que troupier. |
-Mais ils bandent plus, ces vieux calamars! |
-Detrompes toi, car la seule idée de tromper leur femme avec la très célèbre femme du boulanger leur fait dresser la baguette, comme au temps de leur jeunesse. |
-Mais ça, c'est un mythe. |
-Oui, c'est un mythe, mais qui marche parfaitement. Et mon oncle Nadir, qui connaît parfaitement son affaire, a même demandé à ses filles de faire quelques efforts dans ce sens. |
-C'est à dire? |
-Hé ben..de meubler l'appartement en fonction du goût du client. |
-Comprends pas! |
-En fait, mon oncle, qui ne manque jamais d'imagination pour gagner de l'argent, à pro- poser à la belle Héroïca de changer son lit contre un autre qui aurait la forme d'un bat- eau qui, bien évidemment, serait équipé d'un gouvernail à l'avant. |
-C'est vrai que pour faire craquer les marins, y' a pas mieux! |
-Et les commandants de bord, je te dis pas comment ça doit les exciter! |
-C'est vrai que ton oncle est un génie à sa façon. |
-Oui, sans aucun doute. Mais n'oublies pas qu'il aime beaucoup s'amuser avec les autres qu'il considère souvent comme plus bête que lui. Mais bon... |
-Et je parie donc pour la grande goulue, qu'il a fait installer chez elle un four pour que le client puisse enfourner sa baguette? |
-Alors, nass, tu exagères. Un four, c'est bien trop lourd à monter par les escaliers et puis mon oncle ne veut pas que ça déclenche des incendies dans ses appartements! |
-Ok, ok, mouloud, j'ai bien compris la mentalité de ton oncle qui, il faut le dire, est un avant gardiste dans le domaine de la prostitution. |
-Oh oui, je dirais même que c'est un visionnaire ! |
-Bon, ok, mouloud, finissons-en en éloges pour ton oncle et revenons à notre affaire. Alors quand est-ce qu'on commence? |
-Demain vers les 10 heures, car je ne pense pas qu'elle tapine avant. |
On se positionnera en face de l'allée où elle vend ses charmes. Avant de venir ici, j'ai re- marqué qu'il avait un bateau retourné sur le quai non loin de l'allée et je pense qu'on s' en servira comme cache. |
-Et comment il s'appelle ce bateau? |
-Je crois que cest le petit cascailloux. Mais ne t'inquiètes pas, on se verra avant et on ira ensemble sous le bateau où un espace nous permettra de surveiller la belle Héroïca. |
-Ok tope là et à demain! |
-A demain sans faute, hum? |
-Ok, sans faute. |
Et nasser repartit l'air tout guilleret en sautant en l'air, comme s'il essayait d'attraper des mouches invisibles. |
Moi, pendant ce temps là, je restais assis sur mon tas de filet à rêvasser à je ne sais quoi, comme si le réalisme de cette situation commençait à m'ennuyer un peu. Et le simple fait de regarder la mer, où des petits bateaux gigotaient comme des petits bouchons de canne à pêche, cela me remplissait de bonheur. Je ne savais pas trop bien pourquoi, mais j'avais l'intuition que la beauté des choses residait dans l'instant qu'on voulût bien lui accorder et non par le spectacle qui à la longue devenait ennuyeux. Des bateaux, de la fl- otte, des voiles, des mouettes, des bruits de moteur. Bref, tout ce qui faisait le charme d' un port de pêche, on finissait par plus le voir ni plus l'entendre, comme si nos sens s'ém- oussaient ou se fermaient à la beauté du monde. Bref, on s'habituait à ne plus rêver et on s'enlisait dans les sables de l'indifference. Moi la chance que j'avais, c'était d'être très je- une, ce qui m'interdisait d'avoir ce défaut des adultes et je sentais toujours mon coeur prêt à s'émouvoir pour quelque chose en attendant je ne sais quel miracle ou bien une émotion qui le ferait succomber dans l'instant. Mourir ainsi me semblait une belle mort, alors que mourir dans l'indifference des jours me semblait un vrai cauchemar. Tout ça pour dire que je trouvais complètement ridicule de m'opposer à toutes mes sensations et à cette jeunesse qui réclamait son elixir de jouvence que je devais boire à grande gorgée pour ne pas sombrer dans la mélancolie avec le risque de me noyer de vin frais. Dans ces moments de grande intensité, je comprenais parfaitement les passions de mon coeur qui voulait battre toujours plus vite, toujours plus fort pour jouir de la vie. Et ce coeur gor- gé de sang avait toutes les raisons du monde pour réclamer son butin, tel un pirate qui avait choisi l'aventure comme style de vie et non le confort du petit bourgeois. |
Je sentais par là que nos petites affaires d'argents et de pouvoirs étaient bien insignifiant- tes devant l'immensité de la mer qui semblait nous dire : Regarde comme je t'en impose! et regarde comment je fais briller les yeux des hommes, quand ils entendent mon nom prononcer sur les rivages ingrats de leur vie. Sans moi, ils seraient bien pauvre en imag- iination, mais aussi en produit de la mer. Vois avec quelle facilité, je porte leurs embar- cations sur mon dos ainsi que leurs rêves en passant. Ma seule vue leur fait tout à coup imaginer des voyages extraordinaires de gloire ou de fortune ou bien fait pleurer celui qui a quitté son pays pour des raisons sommes toutes ridicules. Et toi, petit garçon, assis sur tes filets, sais-tu pourquoi tu regardes la mer? |
En scrutant ses yeux, je vis soudainement apparaître des arbres plantés au dessus de noi- rs rochers où la mer en contre bas brisait ses vagues d'écumes. Etrangement, ces arbres étaient habités par des singes magots qui se balançaient de branches en branches au péril de leur vie! Mon dieu, mais comment as-tu fait, mon bel oiseau pour me montrer un si beau paysage? A peine avais-je fini de prononcer ces mots qu'elle prit aussitôt son env- ol et s'eloigna de la côté pour la haute mer. Puis reprenant peu à peu mes esprits, je com- pris tout à coup que la poésie existait bien sur cette Terre, mais qu'elle exigeait de nous une seule chose, la sincérité. Bref, une chose qui semblait aujourd'hui complètement dé- modée où le trompe l'oeil et le faux semblant avaient envahi tous nos espaces de libertés en remplacant la scène de la vie par une décor artificiel! |
Le lendemain matin, en ouvrant mes volets, je vis un soleil magnifique pénétrer ma cha- mbre et l'inonder d'une clarté qu'on ne peut voir qu'ici dans ces pays du sud : où l'hume- ur des gens dépend plus de la couleur du ciel que de l'état de leurs finances( souvent cat- astrophique) à part pour les bandits, les gens de la mafia et les élus politiques qui baign- ent dans tout cela. Ainsi est le sud, superficiel, voir oublieux de la réalité au point qu' aucun grand penseur, dit matérialiste, n'avait pu voir le jour dans ce pays où la farniente était l'activité principale, mais seulement de grands philosophes du temps qui passe, c' est dire tout le drame pour ces régions. Bref, il était vers les dix heures et me sentant un flemme pas possible, je me traînais jusqu'à la cuisine pour me préparer mon petit déjeu- ner où, passant devant la chambre de mon oncle où la porte était entrouverte, je vis qu'il dormait à poings fermés où son petit ronflement régulier semblait me dire : mon petit frère surtout ne me dérange pas et laisse-moi dormir jusqu'a midi ou plus. Car ce soir, je veux être en pleine forme pour régler mes affaires avec mes petites femmes! Sans bruit, j'entrai dans la cuisine et refermai la porte derrière moi pour me préparer mon chocolat que je bus dans un grand silence qui, à vrai dire, ne me déplaisait pas du tout, vu l'activi- té que j'allais devoir fournir avec Nasser jusqu'au soir pour surveiller la belle Héroïca. Bref, du calme avant l'action me semblait tout à fait indiqué pour prendre ses marques et surtout pour que cette journée se passe sans fausses notes. |
Et puis avec la chaleur qu'il allait faire cet après-midi, je pensais qu'il valait mieux app- orter de quoi se désaltérer et pris dans le frigo une bouteille d'orangeade bien fraîche que je mis ensuite dans un sac, genre monoprix, sans oublier un bloc note et un stylo qui trainait sur le buffet afin de pouvoir noter les comptes sur la belle Heroïca. Après, je re- partis dans ma chambre pour me changer et faire un brin de toilette seulement au lavabo. En un rien de temps, après avoir refermé la porte de l'appartement, je me retrouvais de- hors au milieu des gens en direction du vieux port en espérant y trouver nasser près du petit cascailloux, comme je lui avais indiqué. |
Quand j'arrivai près de la barque retournée, j'entendis une voix m'appeler d'en dessous et compris aussitôt que nasser avait déjà pris place à l'intérieur. En toute discretion, je m'y faufilai et me plaçai derrière lui afin de ne point le gêner. A l'intérieur, il faisait ass- ez sombre. Mais au bout de quelques minutes, nos yeux s'habituants, on y voyait très correctement. |
-Alors elle a commencé? je lui demandai. |
-Oui, ça fait à peine dix minutes et pour l'instant aucun client. |
En lui demandant ceci, je vis nasser en position de chasseur et tenir entre ses mains, une paire de jumelles. Etrangement, ses jumelles ressemblaient a des jumelles d'enfants, co- mme celles que l'on trouve dans les paquets de bonux et je faillis bien éclater de rire.. |
-Heu..je les ai prises à mon petit frère. |
-Eh ben, ça se voit, Ah! Ah !Ah! |
-Comment ça se voit? |
-Oui, ça se voit. Je ne sais pas pourquoi, mais ça se voit.. |
-Oh mouloud, ne te moques pas de moi. Tu sais, ces jumelles marchent très bien. |
-Fais voir. |
En me les passant, je vis qu'elles étaient en matière plastique et pliantes afin de les mett- re facilement dans ses poches. |
-Tiens, regarde de ce côté là où la belle Héroïca fait tout un cinéma pour vendre ses ch- armes. |
En positionnant les jumelles sur la belle Héroïca, je vis bien effectivement qu'il avait entièrement raison pour voir sur une quinzaine de mètres où elles-ci étaient largement suffisantes. Je voyais presque en détail l'accoutrement ridicule de la belle Héroïca, avec son petit blouson en cuir riveté de boutons dorés oppressant sa grosse poitrine pour all- umer tous les matelots du port. Ce matin, pour se protéger du soleil, elle avait mise une casquette de capitaine de couleur rose, bref, tout pour aiguiser l'appétit des gens qui ava- ient plus ou moins un pied dans la marine. |
-Oh nass, excuses-moi, mais je ne pensais pas la chose possible.. |
-Tiens, reprends tes jumelles, nasser, j'ai vu un client monter! |
-Passes-les moi. |
-Moi, pendant ce temps là, je vais le marquer sur mon carnet. Et toi verifies bien le tem- ps qu'il passe avec elle. |
-T'inquiète pas, j'ai ma montre. Au fait, comment il était le mec? |
-C'était un petit gros au crâne dégarni. |
-Hé ben, je plains beaucoup la pauvre Heroïca! Et moi qui pensais qu'elle se tapait que le haut du pavé avec ses capitaines de corvette ou commandant de porte-avions. Là voi- la maintenant à taper dans le bas de gamme. |
-Oh t'inquiètes pas pour elle, c'est une pute qui connaît bien son affaire et qui sait s'ada- pter quand les marins sont en mission pour plusieurs mois en haute mer. Tu vois le café à côté, chez l'amiral! Hé ben, c'est là qu'elle se renseigne afin de savoir quand les marins rentrent au port ou bien quand les dockers ont du travail. La patronne, c'est son amie et elle lui donne tous ces renseignements. |
-Putain, elles sont vachement organisées, les salopes! |
-Oui, mais c'est mon oncle qui leur a passé ce tuyau pour qu'elles tapinent intelligemm- ent et non comme certaines qui tapinent au petit bonheur la chance. |
-Ton oncle, c'est un génie. |
Au bout d'un quart d'heure, le petit gros au crâne dégarni ressortit et nasser dit a moul- oud : celui-ci compte le pour 100 frs, c'est le prix d'une passe. |
-Ok, je le marque. |
Ainsi ils passèrent 3 heures cachés sous le petit cascailloux, puis partirent manger au re- staurant. Ils avaient pratiquement bu toute la bouteille d'orangeade et le carnet de mou- loud était noirci de grillouillis de comptes. En trois heures, la belle Heroïca avait fait monter chez elle une dizaine de clients plus ou moins louches, mais aucun capitaine au costume prestigieux! |
Ils décidèrent d'aller manger à la gariguette, non loin d'ici, où de bonnes odeurs de pou- lets frites leur donnèrent l'eau à la bouche. |
-Je pense que vais prendre un poulet frites! lança mouloud enthousiasmé. |
-Pour moi, ce sera plutôt des côtes d'agneaux avec des frites, dit nasser en retour. |
-Heu..évite les côtes d'agneaux, là bas. Car ils les font tellement cuire et recuire qu'elles deviennent des semelles de godasse et c'est alors immangeable. |
-Heu..comment tu sais ça, toi? |
-Crois-moi, j'en ai fait l'expérience. A la gariguette, vaut mieux manger du poulet ou bonne omelette, car le reste c'est tout surgelé et ça vaut pas un clou. |
-Même les pizzas? demanda curieusement nasser. |
-Oui, même les pizzas.. |
-Oh, tu plaisantes, mouloud? |
-Non, je t'assure, j'ai bien entendu cela. |
-Pour moi, je pense que ça devait être plutôt une émission satirique ou quelque chose comme ça, non? |
-Peut-être, mais bon, ça m'a quant même bien fait rire, ah! ah! ah! |
-Allez arrêtes de te plaisanter avec moi, car je ne sais jamais quand t'es sérieux ou pas. |
-Ok, tiens, il y a une place là bas! dit mouloud en voyant une table libre face à la mer où nos deux acolytes s'y dirigèrent et s'y posèrent comme s'ils étaient des habitués des lieux Un parasol au dessus de leur tête( où une publicité orangina était imprimée) leur sem- blait tout à fait justifié à cette heure de la journée où le soleil tapait dure. Autour d'eux des clients en tenues d'été qui pour certains avaient fini leur repas, alors que d'autres le commençaient par un aperitif en discutant sur le temps qu'il faisait. Bref, on était bien dans le sud et dans ce pays où tout était plus lent, plus long à réaliser, non par manque d' intelligence, mais seulement par un manque de volonté de lever le petit doigt pour se ba- ttre contre ce soleil, qui vous imposait sa loi tyrannique en voulant vous anéantir à cha- que fois que vous essayiez de faire le moindre effort. Ce soir, quand tu seras parti, je me vengerai de toi, satané soleil! semblait se dire chaque marseillais au fond de lui même. |
-Tu as vu comme ils sont habillés ces pêcheurs avec leur pull troué? Crois-tu qu'ils ga- gnent suffisamment bien leur vie avec leur bateau? demanda subitement nasser. |
-Non, je ne le crois pas. Mais en vérité, ils s'en foutent. Car je pense que le plus impor- tant pour eux, ce n'est pas l'argent, mais plutôt le genre de vie qu'ils mènent. |
-C'est à dire? |
-Leurs traditions ou coutumes, je pense. Et un pêcheur de père en fils n'acceptera jamais d'aller travailler dans une usine ou un truc comme ça. La liberté, c'est leur grande pass- ion à ces gens, vois-tu. |
-Et je pense qu'ils ont entièrement raison, car vaut mieux être pauvre et libre que pauv- re et prisonnier comme la plus part des ouvriers d'aujourd'hui. Mais moi, personnellem- ent, je pense que d'être riche et libre, c'est encore mieux, Ah! ah! ah! |
-Oh, oh, oh, comme tu est cynique! Mais n'empêche que ce que tu viens de dire est très vrai. Allez buvons un coup! Heu..à la belle Héroïca! lança sans prévenir nasser qui som- me toute avait des intérêts dans cette affaire. A la belle Héroïca! trinqua lui aussi mou- loud, cognant son verre contre celui de son ami où un peu de bébé rose se répandit sur la table. |
Exceptionnellement, le service fut rapide ce jour là et le serveur leur apporta leur plat à chacun en le déposant délicatement devant eux. |
-Hum..comme ça sent bon! dit mouloud en voyant dans son assiette une grosse cuisse de poulet cuite comme il faut avec son filet de jus baignant ses frites. |
Nasser, quant à lui, semblait un peu déçu de voir ses côtelettes d'agneaux ressemblant à deux cornes calcinées qu'il regardait avec des yeux horrifiés. Son copain, voyant cela, faillit bien éclater de rire et ne se pria pas de lui dire qu'il l'avait prévenu. Mais l'autre ne dit rien et resta paralysé par le spectacle qu'il avait dans son assiette où même ses frites étaient grillées excessivement. Il se disait dans son for intérieur qu'il avait dû hériter de la plus mauvaise assiette du chef, alors que celle de mouloud semblait alléchante avec ses belles frites d'un jaune d'or et sa cuisse de poulet rebondie comme celle d' une autr- uche. |
-Nass, je t'avais prévenu de ne pas prendre des côtes d'agneaux, ici elles sont infectes! |
-N'en rajoutes pas. Tu ne vois pas que tout ça me fout les boules? |
-Ok, mon vieux, j'en rajoute pas. Alors, bon appétit! |
-Oh, mouloud, cesse un peu tes réflexions et puis j'ai plus faim, merde! |
Ce dernier, ne voulant plus ennuyer son copain, se jeta aussitôt sur son assiette et avec ses doigts dichéqueta la cuisse de poulet en petits morceaux, afin qu'ils baignent bien dans la sauce au milieu de ses frites huileuses. |
-Hum..nass, je pense que tu aurais dû prendre pareil que moi. Ce poulet est délicieux, lança-t-il en se léchant les doigts. |
-Manges plutôt tes frites, ça te remplira toujours le ventre. |
Nass ne répondit rien, mais but une gorgé de son bébé rose qui somme toute était assez nourrissant pour combler ce repas de singe. |
-Mais tu as vu comme elles sont mes frites par rapport aux tiennes? Le cuisinier t'a vrai- ment gâté, alors que moi il m' a tout simplement pris pour un con! |
-Ne dit pas ça, le cuisinier n' y est pour rien. C'est peut-être son aide cuistot qui a tout fait griller. |
-Mouloud, voyant son ami commencer à demoraliser, lui tendit une poignée de frites. |
-Tiens, tu peux aussi te servir dans mon assiette...tu sais, je ne veux pas manger en égo- ïste. |
-Merci, mon pote, dit nasser qui s'empressa aussitôt de remplir sa bouche de frites déli- cieuses imbibées de sauce au poulet. |
-Prends un dessert après, je te l'offre, lui dit-il comme mué comme par un élan de géné- rosité. |
-Merci, mon pote, je te le redevrai. |
-Casses-toi pas la tête, laisse-moi seulement choisir ton dessert, car je me trompe rare- ment sur le choix de mes plats. |
-Oui, c'est vrai. Mais comment tu fais? |
-C'est fou, comme tu connais de choses sur la bouffe, mouloud! |
-Oui, mais c'est normal, j'ai un estomac très sensible et un palais digne d'un grand cuisi- nier. Et tout ce qui est fait à partir d'ingredients surgelés, je les vomis aussitôt comme si ma langue se refusait de goûter à ces truc là sans goût et souvent rempli d'eau.Tes côte- lettes d'agneaux, j'en suis sûr qu'ils les avaient décongelé au micro-onde juste avant de te servir. |
-Oh arrêtes de me parler de mes côtelettes d'agneaux, s'il te plait! Je ne peux plus les voir. |
-T'as qu'a les donner au chien! |
-Mais de quel chien, tu veux parler? Moi, je n'en vois aucun. |
-Mais si, là bas! dit mouloud en montrant du doigt un gros pitbull qui jouait avec une petite balle en contre bas de la terrasse. |
-Lui, j'en suis sûr qu'il les aimera, Ah! Ah! Ah! |
-Allez, balance-lui! Mais fais gaffe à ce que le patron du restaurant te voit pas. |
Nasser jeta un coup d'oeil rapide derrière lui, mais ne voyant aucun serveur dans les pa- rages, prit ses deux côtelettes d'agneaux et les jeta en contre bas. Une de ses côtes par hasard atterrit sur la tête du chien qui un moment fut étourdit. Puis celui-ci reprenant peu à peu ses esprits n'y croyait pas ses yeux et se jeta tel un tigre sur ce morceau de via-nde carbonisée. |
-Oh, oh, oh, tu as vu comme j'ai bien visé? Juste sur la tête! |
-Je ne sais pas où l'autre est partie, mais je crois qu'elle ne doit pas être très loin. |
Mouloud se leva et vit qu'elle avait atterrit au milieu d'une bande de touristes où un de ces étranges personnages du dimanche avait glissé dessus et s'était étalé parterre comme une grande asperge où tous ses amis autour de lui éclataient de rire et le photographia- nt par tous les angles afin d'immortaliser l'événement, ce que ne semblait pas beaucoup apprécier la pauvre victime. |
-Ooh, nass, regarde de ce côté là, il en a un qui a glissé sur ta côte, ah! ah! ah! |
En se levant, il vit aussitôt un attroupement autour d'un homme qui était étalé parterre et qu'on photographiait tel un animal de foire. L'homme voulait semble t-il se relever, mais ses amis l'en empêchaient afin de prendre plus de photos. |
-C'est con, les touristes, hum? |
-Ah oui, c'est vraiment con! dit mouloud en observant la scène comme quelque chose de tout nouveau dans la région. En fait, le problème de ces gens, c'est leur appareil pho- to qu'ils considèrent comme un membre de leur famille et qu'ils dorlotent comme si c' était un enfant plein de promesses en termes de souvenirs. Car avec la vie qu'ils mènent à l'usine ou au bureau, ils n'ont véritablement pas le temps de vivre. Alors en vacances, c'est la grosse orgie et on se venge d'avoir été un mort-vivant pendant toute l'année et tanpis si les collègues en prennent plein la gueule! |
-Oh oui et je dirais même que c'est affligeant, dit-il en comprenant que le touriste d'ant- an n'avait plus grand rapport avec celui d'aujourd'hui qui, desormais armés d'appareils photos de plus en plus perfectionnés et de nouvelles mœurs, frisait l'hystérie collective en temps estival. Ce touriste nouveau, comme le beaujolais nouveau, ressemblait de plus en plus à un journaliste en mal d'émotions qui recherchait le scoop à tout prix. "Si je faisais une bonne photo, j'en suis sûr que je pourrais la vendre aux magazines peoples et ainsi rembourser mes vacances!" pensait-il étrangement en faisant de lui, non plus un vacancier, mais un travailleur en vacances. |
-Puis tout à coup, on entendit des aboiements! |
Sur la gauche, l'attroupement des chiens se battait pour la deuxième côte d'agneau que nasser avait envoyée tout à l'heure. |
-Ah! ah! ah! regarde comme ils se battent; on dirait des tigres! |
-Ouf, ça commençait à être long! soupira nasser en se tenant le ventre. |
Mouloud ne dit rien. Mais constatait avec bonheur que le spectacle, qu'il avait provoqué avec son copain, avait amusé beaucoup de monde, pensa-t-il en regardant son pote faire subitement une horrible grimace dûe certainement à la faim. |
-Nass, tu t'en rends compte, sans nous ce spectacle n'aurait jamais eu lieu! |
-Oui, je sais. Mais c'est grâce à mes côtes d'agneaux qui étaient infectes. |
-Oui c'est vrai. |
Mouloud se rendait compte ici que pour faire un spectacle pouvant plaire au public, il suffisait d'avoir seulement quelques ingredients pour le réussir, comme des côtelettes d' agneaux avec des chiens ou bien une bande de touristes idiots qui photographiaient n' importe quoi ou bien une émission à la télé qui parlerait de sexe ou bien des comiques qui débiteraient une connerie toutes les trois secondes. En fait, des choses que n' impor- te quel imbécile pouvait faire, n'est-ce pas? Mais c'est fou, comme à la télé on nous pre- nait pour des imbéciles en voulant nous faire croire que leurs vedettes avaient réllement du talent, alors qu'elles ne faisaient que flatter le mauvais goût du public, bref, une cho- se très facile à faire pour le comun des mortels, n'est-ce pas? Décidement, il comprenait ici par sa propre expérience que l'intelligence n'était pas vendeuse, mais seulement la connerie et de masse si possible.. |
Nasser avait de plus en plus mal au ventre et son copain le voyait bien. |
-Pssi..dit mouloud en voyant un serveur aller dans sa direction. |
-Oui, monsieur, c'est pourquoi? |
-Voilà, on va prendre un dessert. |
-Bien, que désirez vous? |
-On va prendre deux pêches melba. |
-Vous prendrez deux cafés après? demanda-t-il comme il en avait l' habitude. |
-Mouloud regarda alors son pote d'un air interrogatif. |
-Non, pas pour moi, répondit-il au bord de l'évanouissement. |
-Moi, non plus, dit-il d'une manière expéditive. |
Le serveur, à moitié satisfait, repartit aussitôt avec sa commande. |
Quelques minutes plus tard, il leur apporta leurs deux pêches-melba où une montagne de chantilly couronnait la coupe, comme si le chef cuisinier avait gagné le marathon de New York ou un truc comme ça! s'imaginait mouloud pour le chef cuisiner qui devait être d'après lui un excessif ou bien un euphorique qui ignorait sa double ou peut-être tr- iple personnalité? |
Nasser, quant à lui, plongea immédiatement sa cuillère dans cette montagne de neige su- crées en y détachant une colline qu'il engloutit aussitôt dans sa bouche tel géant. |
-Hum..ça au moins, c'est bon! |
-Là, tu peux, il y a aucun risque, lui dit-il en ne sachant pas comment attaquer les flancs de cette montagne de crème fraîche. |
Avec tout ce qu'il avait mangé, se disait-il, il préférait plutôt s'attaquer aux fruits qu'à cette Himalaya confectionnée à Marseille. |
Fourrant sa petite cuillère à l'intérieur, il cherchait ce fameux morceau de pèche que sa bouche désirait tant croquer. Sous sa petite cuillère, il sentit tout à coup quelque chose de mi-dur et qu'il coupa d'un geste rapide en l'extirpant de cette gangue( souvent cache misère pour toutes ces glaces en coupe où les boules, mises en place à l'intérieur, font souvent mauvaises mines et attristent aussi bien le touriste que le restaurateur). Alors qu'avec cette chantilly, genre Louis le 14 ème, les apparences étaient sauves. |
Aussitôt sortie de cette montagne de chantilly, il vit apparaître dans sa petite cuillère, une chose orangée bien glacée qu'il mit dans sa bouche gourmande. |
-Hum..je te l'avais dit, nass, je me trompe rarement. |
L'autre ne put rien lui répondre, car il était occupé à s'en mettre plein les papilles et une sorte de couronne blanche entourait maintenant ses lèvres où sa bouche ressemblait à un veritable entonnoir. |
-Oh, nass, mais prends ton temps, on est pas à l'usine! |
-Hum..hum..hum, merde que c'est bon! |
Nass, entre temps, avait déjà fini la sienne et semblait au bord de l'indigestion où sa tête était penchée en arrière et ses mains, posées sur son ventre, semblaient en mesurer com- me le gonflement. |
-T'as mangé trop vite! lui dit-il en le voyant commencer à s'endormir. |
-Pouff...Pouff..Pouff..souffla-t-il avachi sur sa chaise. |
-N'oublies pas que cette après midi on a du travail! |
-Oh merde, c'est vrai! dit-il en l'ayant complètement oublié. |
-Et elle recommence à quelle heure, la belle Héroïqua? |
-A 16 heures 30, lui expédia-t-il en connaissant parfaitement les horaires des filles. |
-Eh ben alors, on a tout le temps! lança-t-il en reprenant sa position de vacancier sur sa chaise. |
-On a tout le temps, c'est toi qui le dit! Et n'oublies pas qu'on doit passer aussi à l'épice- rie chercher une bouteille d'orangeade. |
-Mais la canebière, c'est tout à côté et en dix minutes on y est déjà. Allez, ne t'inquiète pas, on y sera avant pour espionner la belle Heroïca. |
-Heu..t'as quelle heure à ta montre? |
-Deux heures piles, répondit nasser qui voulait reprendre son somme. |
-Deux heures, c'est vrai qu'il est pas tard, dit mouloud en sortant de sa poche le carnet de comptes sur la belle Heroïca qu'il posa sur la table. |
-Nasser, en le voyant, lui demanda combien elle avait fait pour l'instant. |
-12 clients à 100 frs, ça fait exactement 1200 balles, ce qui n'était pas mal pour la demi- journée, non? |
-Oh oui, c'était pas mal du tout, quand on pense qu'elle déclare seulement 1500 balles par jour à ton oncle, la salope! |
-Oh nass, respectes là, un peu! Tu sais, c'est elle qui nous fait vivre moi et mon oncle, ne l'oublies pas. |
-Oui, mais n'empêche que c'est toujours une salope! |
-Salope, salope, c'est toi qui le dit! Mais elle travaille beaucoup comme tous ces ouvri- ers dans les usines, tu sais.. |
-Quel cynisme, tu montres ici pour une salope qui donne son cul contre un salaire! Al- ors que pour les ouvriers, c'est totalement different. Car eux ils donnent leurs bras con- tre un salaire, bref, un salaire contre un travail tout à fait honorable. |
-Peut-être pour toi, mais moi, je pense que tous ces ouvriers sont aussi des prostituées à leur façon. |
-Ah oui et pourquoi? |
-Parce qu'ils vendent leur force de travail, donc leur corps à un patron qui devient au- tomatiquement leur proxénète. |
-J'ai jamais entendu ça de ma vie! Mais il se peut qu'il y ait des similitudes entre les de- ux professions. Mais de là à penser que les ouvriers donnent leur cul à leur patron con- tre un salaire, tu y vas un peu fort! |
-Oh, ça c'est toi qui le dit! Car j'en ai vu certains qui faisaient des heures supplémentair- es sans être payés. Et si tu n'appelles pas ça donner son cul, alors c'est quoi exactement ? |
-Ca s'appelle aimer tout simplement son travail, mon cher mouloud. |
-Ah! ah! ah! alors là, c'est toi qui est cynique en ce moment! |
-Alors là, pas du tout, je ne fais que dire les choses d'une manière sensée et tout à fait raisonnable, voilà tout. |
-Eh oui et c'est bien là le problème, nass. |
-Comment, c'est là le problème? |
Mouloud, en écoutant parler nasser de la sorte, comprenait maintenant que celui-ci après s'être rempli le ventre de bonnes choses, voulait redevenir gentil avec tous ces gens nor- maux qu'on appelle ouvriers ou employés et commençait à haïr tous ces marginaux co- mme la belle Heroïca. Peut-être en était-il jaloux parce qu'elle gagnait bien sa vie ainsi que son oncle qui semblait accumuler tous les succès? se demandait-il curieusement. Mouloud, pour cacher son embarras, prit son petit carnet et le feuilleta comme le ferait un aveugle. |
-Messieurs, nous allons fermer! annonça soudainement le serveur qui s'était approché de leur table. Le service est terminé! répeta-t-il afin que tout le monde l'entende bien. |
Ouf! lâcha mouloud quelque peu ébranlé par les doutes sur la personnalité de son co- pain. |
-Attends-moi, je vais payer! lui dit-il en se levant pour se diriger vers la salle du restau- rant. Aussitôt Nasser se leva et s'éloigna de la table, comme pour mieux voir la mer qui s' étalait devant lui. |
Quelques minutes plus tard, il revint et lui dit : Allez, remontons sur la canebière. |
-Ok, on y va! expédia nasser en posant pendant quelques secondes sa main sur l'épaule de son copain. |
Mouloud, en sentant cette main fraiche posée sur son épaule, semblait heureux d'avoir un pote comme nasser et malgré leur divergence d'idée. Mais bon; après tout, qu'est ce que cela pouvait bien faire? pensa-t-il en remontant le vieux port où le soleil et la mer semblaient s'être à nouveau reconcilés. La mer à l'horizon semblait leur sourire par ses vagues d'écumes où le soleil, éclatant sur les dalles du port, voulait absolument rotir un de ces touristes idiots qui s'était assis au bord du quai sans sa casquette. |
Ainsi ils remontèrent le vieux port jusqu'à la canebière, puis s'arrêtèrent chez un épici- er arabe pour prendre une bouteille d'orangeade bien fraîche. Nasser, qui avait encore un peu faim, prit un paquet de gâteau. Mais que mouloud lui fit payer, car il exagérait un peu trop, lui avait-il dit au moment de passer à la caisse. |
-T'as quelle heure? |
-Deux heures et quart, lui dit-il d'une façon un peu agitée. Heu..mouloud, tu crois qu' on pourait se baquer avant, hum? |
-Quoi, allez se baigner? |
-Oui..de faire quelques brasses avant de retourner au boulot, Ah! ah! ah! |
-Ah sacré nasser, tu changera jamais. Mais où veux-tu aller te baigner? |
-Et si on allait à la plage du Prado? |
-Alors là, non, il y a trop de monde à cette heure-ci, lui dit-il un peu énervé par cette proposition qui ne lui plaisait pas. |
-Mais alors tu veux aller où, car c'est la plus proche d'ici. |
-Allons plutôt aux calanques, lui envoya-t-il avec un sourire sur le bouche qui voulait tout dire. |
-Aux calanques? Mais c'est pas tout près d'ici. |
-Oh arrêtes de faire le difficile, nass, en vingt minutes on y est. |
-Heu..mais avant d'y aller, t'as ton maillot? |
-Mais bougre d'imbecile, bien sûr que je l'ai. |
-Aussitôt nasser baissa un peu son pantalon pour le lui montrer, celui-ci était de cou- leur bleue foncé. |
-Et ça c'est quoi, vieux bourrin? |
-Ah, ah, ah, sacré nasser! |
-Et toi, j'espère que tu ne l'as pas oublié? |
-Moi, oublier mon maillot, mais tu me prends pour un parisien ou quoi? |
Mouloud baissa lui aussi un peu son pantalon pour le lui montrer, celui-ci était de cou- leur rouge. |
-Et ça c'est quoi, vieille sardine? |
-Mais par où tu veux passer, hum? |
-On va prendre par le chemin des tortues, tu connais? |
-Oui, mais à pieds, c'est pas tout près, dit nasser qui semblait fatigué d'avance de faire cette longue marche. |
-Si tu veux, on peut prendre la ligne 26 qui va aux calanques, je crois. |
-Par la route? Laisse tomber, c'est trop long. Et puis il y a trop de circulation à cette he- ure-ci. |
-Alors comment tu veux y aller? lui demanda mouloud qui sentait les nerfs monter en lui. |
-Et si on prenait le train tout bêtement? |
-Par le train? |
-Oui, on est juste à cinq minutes de la gare Saint-Charles et je sais qu'il y a une navette toutes les dix minutes qui va, je crois, jusqu'a la Siotat. |
-Non, non, elle s'arrête avant, car pour aller à la Siotat il faut prendre un bus. J'ai déjà fait le voyage avec mon oncle pour aller manger à la petite californie. Tu connais la pet- ite californie? lui demanda-t-il en voulant se la jouer. |
-Mais ne t'inquiètes pas, on ira seulement jusqu'à Aubagne qui est juste avant Cassis. Comme ça, on descendra dans les calanques et avec un peu de chance, on trouvera un petit endroit tranquille pour se baigner avant de retourner au boulot, Ah! ah! ah! |
-Au bagne? Mais tu en a de drôle d'idées, nass! Et pourquoi pas aux Baumettes pendant que tu y es? lui dit-il en voulant faire de l'humour. |
-Oh, oh, oh, celle là, je ne l'aurais jamais trouvé tellement elle est fine et surtout quand je pense que la prison des baumettes est juste à côté. Oh, oh, oh, là, tu en tiens une bien bonne! lâcha nasser en riant d'une façon incontrôlée. |
-Je sais, je sais, mais ça m'arrive uniquement quand je me trouve dans une situation ri- dicule, vois-tu, où mon cerveau se met à délirer tout seul en inventant des jeux de mots à partir d'expressions banales ou de panneaux publicitaires qui se trouvent sur mon che- min. C'est bizarre à dire, mais ça marche comme ça chez moi, dit mouloud d'un air un peu abattu par cette étrange faculté. |
-Et bien sûr, tu trouves notre situation ridicule à ce que je vois? lui demanda brutalem- ent nasser qui ne comprenait pas bien pourquoi. |
-Oui, bien sûr. Mais rassures-toi, celle-ci ne me gène aucunement, car elle m'amuse én- ormément. Pas toi? |
-Oh! oh! oh! mouloud, je crois que tu ne changeras jamais et c'est pour cela que je t'ai- me bien, lui dit son pote qui commençait à avoir des fourmis dans les jambes. Allez on y va. |
-Allez assez bavarder! |
Et nos deux acolytes, ne voulant plus perdre de temps maintenant, accélèrent le pas en direction de la Gare Saint-Charles. |
Étrangement, l'entrée de la gare ne se trouvait pas en pleine rue, comme pour la majorité des gares en France, où leurs facades majestueuses embellissaient le centre ville par ses ornements sculptés ainsi que par sa grosse horloge sertie dans la pierre tel un gros bijou, sans oublier, une population plus ou moins louche qui grouillerait devant pour x ou y raisons. Là rien de tout cela, mais seulement une facade sans éclats abandonnée aux pig- eons et à la pollution de la ville, comme si les architectes et les autorités de la ville s'ét- aient concertés pour faire de la gare uniquement un endroit pour prendre le train et non comme un lieu de vie où une vague population se serait bien rassemblée pour occuper leur journée. Comme ici à Marseille où ne rien faire de la journée était une activité prise très au sérieux contrairement aux apparences et génèrait une réelle activité, il est vrai, il- légale, mais non moins une réelle activité économique. Ce qui était un vrai paradoxe, mais qui n'appartenait qu'aux villes du sud où les chiffres sur l'économie étaient souvent cachés par pudeur, bien évidemment. |
-Aubagne! Aubagne! départ dans trois minutes, hurla soudainement un haut parleur sur le quai. |
-Vite, mouloud, dépêchons-nous! |
-Et les billets? Mais merde, on a pas pris les billets! hurla mouloud. |
-Aubagne! Aubagne! départ dans trois minutes. Quai numéro un, hurla une seconde fois le haut parleur. |
-Mais on a pas le temps! dit nasser qui en se retournant vit une queue impressionnante au guichet. T'inquiètes pas, on prendra les billet a l'intérieur du train. |
-Tu crois? |
-Oui, sans problème, je te l'assure. Le quai numéro un, c'est au fond à droite. |
Aussitôt ils coururent jusqu'au quai numéro un où un vieux train du type reclassé les attendait, y entrèrent et s'installèrent dans un des compartiments en poussant la porte coulissante. |
-C'est classe, non? Tu as vu, on a un compartiment pour nous tous seuls. |
-Disons pour l'instant, dit mouloud qui craignait que cela ne dure bien longtemps, vu la foule qu'il l'avait aperçue tout à l'heure au guichet. Attendons que le train parte et après on pourra dire ouf. |
-Quelques secondes plus tard, le train s'ébranla et nasser cria de joie en sautant sur sa banquette. |
-Oh tu as vu comme on les a bien eu? |
-Tu voulais dire des gens qui attendaient au guichet? |
-Mais oui, ma vieille sardine! lâcha mouloud en ouvrant la fenêtre pour voir dehors les gens défiler sur le quai où certains, croyant vous reconnaître, vous fasaient un signe de la main comme pour vous souhaiter un bon voyage, alors que d'autres, les yeux loinains, semblaient vous dire adieu pour toujours. Au fur et à mesure que le train prenait de la vitesse et effacait en même temps les visages, étrangement, nous nous sentions de plus en plus léger comme si nous laissions derrière nous tout ce tas de sentiments humains et ce trop plein d'humanité qui souvent alourdissait nos vies. Ce train, qui roulait à grande vitesse, n'était ni plus ni moins le temps qui fuyait devant nous et qu'on essayait en vain de rattraper en laissant malheureusement derrière nous les gens que nous aimions. App- aremment, le progrés technique était notre lâcheté à tous de ne pouvoir supporter notre vie présente, bref, l'incapacité d'aimer notre propre famille et le reste du monde. |
-Mouloud, tu peux fermer la fenêtre? Car ça commence vraiment à sentir le gazoil dans le compartiment! lui dit nasser en se pincant le nez. |
Ce dernier ne lui répondit pas, mais remonta la vitre, puis s'affala sur sa banquette. |
Sous la photo, encadrée de notre Dame de la Garde, mouloud s'était endormi et rêvait de piquer une tête dans la mer pour oublier le bruit mécanique du train et retrouver les éléments de la nature : le vent, les vagues, le sel et le soleil qui allaient tout à l'heure lui brûler la peau. Nasser, quant à lui, semblait somnoler et rêver à l'argent que la belle He- roïca allait lui rapporter, quand les preuves seront apportées à l'oncle de mouloud et un petit sourire se dessinait sur ses lèvres. |
Puis sans prévenir, le train freina plusieurs fois, ce qui fit valdinguer mouloud dans les bras de nasser qui ne put s'empêcher de rire de la situation. Quelques instants plus tard, le train s'immobilisa sur la voie. |
-Aubagne! Aubagne! Trois minutes d'arrêt! |
-Aubagne! Aubagne! Trois minutes d'arrêt! hurla de nouveau le haut parleur. |
En descendant du train, ils furent surpris de voir personne descendre avec eux, comme s' ils étaient descendus dans une ville fantôme, pensaient-ils en se regardant d'une mani- ère étonnée. |
-Tu crois pas qu'on s'est trompé? demanda mouloud. |
-Mais non, j'ai bien entendu Aubagne, trois minutes d'arrêt, non? |
-Ouhais, c'est ce que j'ai cru entendre moi aussi. |
-Cassis! Cassis! Quai numéro un. Départ immédiat! hurla soudainement le haut parleur, |
puis ils entendirent un coup de sifflet et le train repartit aussitôt. |
En sortant de la gare, ils demandèrent à un passant où se trouvait les calanques. |
-Messieur, s'il vous plait, pour aller aux calanques? demanda mouloud qui était pressé de piquer une tête dans la mer. |
-Les calanques, c'est par là tout droit. En voiture, vous en aurez pour 15 minutes au maximum, répondit-il en montrant la direction avec le bras. |
-15 minutes en voiture! s'exclama-t-il en regardant nasser d'une manière étonnée. Mais à pieds en combien de temps, on pourrait y être? lui demanda-t-il expressément |
-1 heure au moins. Mais moi, je vous déconseille d'y aller à pieds vu que la nuit ici to- mbe très vite et qu'il est très dangereux de rester dans les calanques où des maraudeurs traînent pour vous voler ou peut-être vous assassiner. Mais bon, après tout, vous fait- es comme vous voulez, mes garçons. Je pense que vous êtes assez grands! leur lança l' homme qui était agé d'une cinquantaine d'années et qui semblait connaître la vie. |
-Merci pour le conseil, monsieur, répondit mouloud en lui serrant la main. |
En se saisissant de cette déconvenue, il semblait furieux contre lui même, mais surtout contre nasser qui lui avait dit des bêtises sur Aubagne où, soi-disant, en sortant du train on pouvait plonger directement dans la mer. Son pote pendant toute la discution s'était éloigné imperspectivement de lui comme par instinct. Mouloud le regardait maintenant avec des yeux furieux en lui demandant comme des explications, mais aussitôt nasser se rapprocha pour lui dire. |
-Mouloud, je te jure que n'y suis pour rien...et c'est Farouk qui m'a dit qu'on pouvait se baquer tout près d'Aubagne! |
-Et bien sûr, tu l'as cru? |
-Oui, bien sûr, car Farouk c'est un bon pote à nous, non? |
-Farouk, mais tu ne le connais pas; il aime bien foutre les autres dans la merde. Et s'il t'as dit ça, c'est pour ensuite se marrer avec les autres potes du quartier. Surtout ne lui raconte pas ce qui vient de nous arriver, car il pourrait bien avoir la grosse tête. |
-La grosse tête? |
-Oui, de nous avoir berné, purée! |
-D'accord, je dirai rien, répondit nasser comme pris en faute. Alors qu'est ce qu'on fait mainenant? |
-Heu..t'as quelle heure? |
-3 heures moins quart, répondit-il en regardant sa montre. |
-Ok, il est pas trop tard. Heu..voilà ce qu'on va faire maintenant, on va reprendre le train pour Cassis où là bas au moins on sera sûr de ne pas faire des kilomètres pour aller se baigner. |
-Ok, on fait comme tu dis, approuva nasser qui semblait soulagé par la bonne réaction de son copain. |
Ce trajet Aubagne-Cassis fut si rapide qu'ils n'eurent pas le temps de se parler et se tro- uvèrent comme par magie sur les crêtes des calanques où ils cherchaient un endroit tran- quille pour se baigner. Ils avaient tous les deux enlevé leurs tee-shorts, puis roulé dans un sac en plastique. |
-Mouloud, t'as pas soif? demanda soudainement nasser. |
-Si, dit-il, en s'essuyant le front.Tiens, asseyons nous là, ça à l'air plus ou moins plat. Face à la mer, mouloud déboucha la bouteille d'orangeade de marque malba où une sorte de pchiiit..s'échappa comme pour leur mettre l'eau à la bouche et ainsi redoubler leur soif. |
-Tiens, nass, bois le premier! dit-il en lui tendant la bouteille. Heu..pas au goulot, tu sais? |
-Pas au goulot? Comment pas au goulot? |
-Oui, juste au dessus de ta bouche, car je ne veux pas avaler ta salive! dit-il en riant.. |
-Alors là, t'es vraiment con! Je te croyais pas comme ça, dit nasser d'un air désabusé. |
-Alors là, non, nass, je veux que tu apprennes! Tiens, reprends-là et fais comme je viens de faire. Et puis je ne peux pas boire la moitié de la bouteille pendant que toi tu meurs de soif. Boire de cette façon, entre potes, ça ne se fait pas, dit mouloud d'un air fâché. |
-Ok je vais essayer. Et nasser, positionnant le goulot de la bouteille juste au dessus de sa bouche, déversa dans ses entrailles un liquide orangé et sucré que ses yeux ne purent cacher l'extase. |
-Eh bien alors, tu vois que tu y arrives, ma vieille sardine! lui dit-il heureux d'avoir ap- pris quelque chose à son pote. |
-Tiens, c'est a ton tour maintenant, dit son pote en lui tendant la bouteille. |
-Encore un dernier coup, dit-il en sachant qu'il fallait en garder pour tout à l'heure. |
Après avoir bu la moitié de la bouteille, ils la rebouchèrent puis la remirent dans le sac. Entre temps, mouloud avait aperçu une petite crypte en contre bas qui semblait déserte. |
-Oh là, nasser, tu vois ce que je vois? |
-Oh oui, un endroit parfait pour notre baignade, dit-il en le dépassant et en se mettant a courir pour y arriver le premier. |
-Oh le salaud! lâcha mouloud qui partit aussitôt à sa poursuite. |
Quand il arriva dans la petite crypte, nasser était déjà dans l'eau et se moquait de lui d' avoir perdu, en faisant beaucoup de bruit avec l'eau qu'il moulinait comme un bateau à aube. |
-Oh, attends que je t'attrape, ma vieille sardine! dit-il en se jetant à l'eau. |
Aussitôt son pote prit peur et partit vers le large, mais mouloud qui était un bon nageur le rattrapa en un rien de temps, puis l'agrippant par les épaules essayait ni plus ni moins de le faire couler. Fripouille! cria aussitôt nasser en sortant la tête hors de l'eau pour reprendre sa respiration. |
-Et toi, vieille sardine! lança mouloud en éclatant de rire, Ah!Ah!Ah! Puis arrêtant ce petit jeu, ils firent ensemble quelques brasses. Nageant côte à côte, ils ressentaient l'un pour l'autre une véritable amitié et malgré que l'un était une fouine et l'autre le fils ado- ptif d'un maquereau. Fouine ou maquereau, mais qu'est que cela pouvait bien leur faire? pensaient-ils en se laissant porter par la mer où les vagues, comme des baisers de sels, voulaient embrasser leurs jeunes corps d'adolescents. |
Après s'être baigné suffisamment, ils retournèrent sur la plage qui n'était pas très grande, mais encaissée entre des rochers où tout une faune de mousses et de coquillages avait élu domicile et en faisait le charme. La brise du vent iodée et le ressac sur le rivage avai- ent pour eux comme le goût du paradis. |
-C'est dommage qu'on ait pas pris nos serviettes avec nous, hum? demanda soudainem- ent nasser. |
Mais bizarrement, son pote ne lui répondit pas, comme s'il était perdu au paradis. |
-Oh, tu m'écoutes ou quoi? |
-Heu..Youhais, qu'est ce qu'il y a? demanda-t-il en reprenant ses esprits. |
-Oui, je te disais, c'est dommage qu'on ait pas pris nos serviettes avec nous! |
-Oh, tu fais chier avec ça! lui dit mouloud qui était un peu énervé que son pote l'ait fait sortir du paradis si brutalement. Et la bouteille, tu l'as mise au frais? |
-Non, elle est toujours dans le sac. Puis le voyant se lever, il lui dit d'un air amical : non, ne bouges pas, je vais le faire à ta place. |
Et le voyait maintenant partir vers les rochers chercher une cavité où mettre la bouteille pour que la mer ne l'entraîne pas au large, mais l'asperge bien d'eau fraîche.. |
-Ca y'est! dit nasser en se rasseyant à côté de son pote, je pense que dans dix minutes elle sera fraîche. |
Etarngement, mouloud ne dit rien, mais regardait tout simplement la mer, comme hy- pnotisé par tant de beauté à ses pieds où il suffisait tout bonnement d'être assis au bon endroit et se laissez envahir par cette ivresse qui allait submerger votre cœur et le faire chavirer sous vos yeux médusés. C'était bien leur corps qui leur parlait ainsi à ce mo- ment là et non leur intellect. La différence était énorme, car l'un ne leur mentait jamais au niveau de ses sensations, alors que l'autre était prêt à inventer toutes sortes d' artifi- ces et de mensonges pour combler ce manque d'émotions et de sensations que votre cor- ps vous réclamait. L'un puisait sa source dans les origines de la vie, alors que l'autre dans ses défauts et très probablement dans une éducation trop rigide ou peut-être trop parfaite, qui faisait de vous, non plus un homme véritable, mais un homme civilisé, donc malheureux. |
Tous les deux regardaient maintenant dans la même direction et semblaient penser la même chose. |
-Je commence à avoir soif...tu penses que ça doit être frais? |
-Attends, je vais aller voir.. |
Nasser partit aussitôt vers les rochers consulter l'état de la bouteille. Arrivé à l'endroit où il l'avait mise, il la sortit puis la posa contre sa joue pour savoir si elle était bien fraîche qui illumina aussitôt son visage d'un large sourire. |
-He ben, apportes là vite, car dans une minute je vais mourir de soif! dit-til en exagerant comme toujours. |
-Ah! Ah! Ah! tu changeras jamais, vieux calamar, lança-t-il tout en faisant attention à ne pas casser la bouteille sur les rochers. |
Assis de nouveau l'un à côte de l'autre, ils répétèrent la séance du "comment boire sans mettre de salive dans la boisson". Puis nasser sortit le paquet de gâteau du sac, l'ouvrit et offrit à son pote une petite galette du mont Saint-Michel pur beurre. |
-Pur beurre, je vous prie, monsieur! |
-Pur beurre, monsieur l'inspecteur? |
-Bien évidemment, tête d'enfoiré! |
-Ah!Ah!Ah! |
-Oh!Oh!Oh! |
Explosèrent-ils de rires en se tenant les côtes tellement ils étaient pliés par cette petite comédie jouée involontairement, mais uniquement inspirée par le bonheur d'être libre. |
En un rien de temps tout fut engloutit, la boisson aidant à faire passer les galettes. |
Repus et rôtant de temps en temps, ils reprirent leur discution. |
-Heu..mouloud, ça fait combien de temps que tu es en France? demanda subitement nas- ser. |
-Tu veux dire quoi par enlevé? demanda nasser qui semblait inquiet. |
-Mais kidnappé, ma vieille sardine! |
-Comment kidnappé? Mais tu avais raconté à tout le monde que tu étais parti avec l' ac- cord de tes parents et surtout du tien, non? |
-Mais non, ça c'est la version officielle que j'ai donné aux copains de l'école pour leur faire croire que j'étais une sorte de héros romantique qui à l'âge de treize ans avait déci- dé de parcourir le monde avec son oncle soi-disant richissime. Ce genre d'histoire plait beaucoup en France et surtout aux écoliers qui sont pour la plus part prisonniers de cet- te institution qu'on appelle l'Education Nationale, bref, dix ans de prison pour un crime qu'ils n'ont point commis. Moi personnellement, je trouve cela très injuste pour eux, n'est ce pas? |
-Alors là, tu exagères. Et je pense que s'ils acceptent toutes ces années de prison sans se révolter, c'est pour leur bien , non? |
-Quoi, tu voulais parler de leur avenir à ces gamins? |
-Oui, et je pense que c'est pour ça qu'ils endurent l'enfermement en salle de cours et le gavage de cerveau institutionnel. |
-Mais penses-tu un peu à tous ces adultes qui plus tard seront au chômage avec le cer- veau farci comme une dinde de noel! Hein, tu y penses? |
-Oui, bien sur que j'y pense. Mais ça, c'est le problème de la société française et non des gens comme nous qui, à la première occasion, sauterons le mur de l'école. |
En fait, leurs diplômes sanctionnent uniquement la docilité aux institutions et aux futu- rs travaux des fonctionnaires. Bref, une domesticité apprise dès le plus jeune âge afin de créer une véritable élite politique. |
-Elite politique, tu parles! Regarde comme ils se battent pour une place de ministre ou de député! Faire autant d'années d'études pour les voir se disputer comme des gamins à l' assemblée nationale, je pense que sortir de sixième suffit largement! Une fois, dans une émission à la télé, j'ai appris que les tous hommes politiques allaient à L'ENA uniquem- ent pour apprendre à mentir aux gens, tu t'en rends compte! |
-Moi personnellement, je ne crois pas qu'ils le font délibérément de mentir. Mais je pen- se que pour justifier leur salaire, il faut bien dire quelque chose aux gens qui les rassu- rent, bref, leur faire des promesses, mon cher mouloud! |
-Eh bien moi aussi, je vais t'en faire des promesses et tu verras si tu vas me les payer! |
Mais il me dit qu'ils allaient arriver dans la soirée. Mais ne t'inquiètes pas comme ça, mon neveu, je vais pas te manger! Tu es le fils de ma soeur et je t'aime comme mon fils, me dit-il en me faisant asseoir dans son salon devant la télévision qu'il alluma : télévi- sion qu'on avait même pas chez nous. Je pensais alors que mon oncle devait être bien riche pour pouvoir se payer un appareil comme celui-là, qui valait au moins quatre mi- lles dinars. En appuyant sur la télécommande, il me faisait voir des images de l'occident où tout le monde semblait riche et heureux. Et à chaque fois qu'il zappait, il sursautait en me disant : Oh regarde comme c'est beau là bas! Il ssont tous riches! Ils ont tous une voiture, une maison. Alors que chez nous, c'est la misère, pas de sécurité sociale, pas de pension retraite pour nos vieux. Mouloud, me criait-il alors dans les oreilles, notre ave- nir est en France, je te l'assure! Et moi, bien sûr qui était très influençable par les ima- ges, je ne pouvais que le croire et lui demandais le programme de ce soir aussi bien dans nos assiettes qu'à la télévision, ce qui le mit aussitôt de très bonne humeur. Le soir ve- nu, nous mangeâmes très copieusement en regardant un film de gangster où Jean Gabin (l'inspecteur de police) pourchassait Alain Delon(le voyou) à travers une grande ville moderne. Avant d'aller me coucher, il m' apporta un verre de thé à la menthe, pour la digestion, me dit-il d'un ton paternel. |
Quelle drôle d'histoire! pensait nasser qui à ses cotés l'écoutait avec grand intérêt. |
Le lendemain, tu ne me croiras pas, mais je me suis réveillé dans sa voiture à bord du ferry Alger-Marseille! |
-Quoi, sur un bateau, alors que la veille tu étais à Boujie? Mais comment est-ce possi- ble? |
-Je n'en sais rien. Mais la seule explication que j'ai pu me donner, c'est que mon oncle m'avait drogué la veille avec son thé à la menthe et, pendant la nuit, m'avait transporté dans sa voiture jusqu'a Alger pour prendre ensuite le ferry. Pour te dire la vérité, il m' avait ni plus ni moins kidnappé pour aller avec lui en France. |
-Eh ben, mouloud, je ne croyais pas que cela puisse exister. Mais avec ce que tu me ra- contes, la réalité dépasse vraiment la fiction. |
-Eh oui. Mais malheureusement pour moi, il était trop tard quand je me suis retrouvé à l'arrière de sa voiture à bord du ferry. Au debut, je croyais vivre un vrai cauchemar, car mon oncle avait disparu et que toutes les portes étaient fermées. La seule chose qu'il av- ait laissé, c'était un petit espace au dessus de la vitre pour que je puisse respirer. |
-Mais au juste, comment as-tu deviné que tu étais à bord d'un ferry, vu que n'importe quel parking ressemble à n'importe quel autre parking, non? |
-Oui, mais il y avait un haut parleur qui donnait toutes les dix minutes des informations concernant la météo et la navigation, où un certain capitaine Mektoub souhaitait un bon voyage à tous les passagers du ferry. |
-Bien sûr, répondit nasser qui ne le lâchait pas des yeux. |
-Bizarrement, il m'ouvrit la porte avec un grand sourire en me disant : Viens, maintena- nt nous allons manger! et m'aida même à sortir de la voiture comme s'il était mon por- tier. Je n'y croyais pas mes yeux tellement la situation me semblait rocambolesque. Nous sommes invités à la table du capitaine! me dit-il soudainement. Ah oui? lui répon- dis-je tout étonné. Oui, mon cher neveu et à ton âge, c'était mon rêve de diner un jour avec le capitaine d'un paquebot comme dans la croisière s'amuse. Ce rêve ce soir se réa- lise pour toi et tu en as bien de la chance, mon cher neveu. Je ne répondis rien tellem- ent je fus surpris par la tournure des événements. |
-Mais alors, ce soir là, tu as vraiment diner avec le capitaine Mektoub et tous ses secon- ds? demanda nasser fasciné par son histoire. |
-Oui, bien effectivement, lui répondit-il avec fierté en faisant un peu envier nasser. Le hic de l'histoire, c'est qu'il me présenta à tous comme son fils, alors que je savais que c' était faux. Mais bon, comme je ne voulais pas gâcher la soirée, je me laissais prendre au jeu. C'est vrai que les langoustes et les homards étaient excellents et les jus de fruits ex- otiques, une pure merveille. Tout ça pour te dire que la soirée fut excellente et le reste du voyage comme dans un rêve. La suite, tu la connais, puisque j'arrivais à Marseille le lendemain avec des rêves plein la tête. |
-Bien, bien, dit nasser qui semblait tracassé par quelque chose. Mais ta mère qu'est ce qu'elle a dit quand tu as disparu? |
-Ton oncle, si ce n'est pas indiscret de ma part, mais t'a-t-il violenté ou fait quelque ch- ose comme ça? lui demanda nasser en faisant une drôle de figure. |
-Alors là, pas du tout! répondit mououd surpris par cette question brutale. Je te dirais, sans mentir, qu'il a eu une conduite exemplaire avec moi pendant le reste du voyage. Et que ceux qui croient que mon oncle est un fou( ma mère, mon père et tous mes cousi- ns), c'est qu'ils se trompent complètement. Mon oncle est tout simplement un original qui ne manque pas de coeur et malgré qu'il soit très dure en affaire, comme tu le sais. |
-Ah ça, je l'avais deviné! lâcha nasser en roulant des yeux. Moi personnellement, je pen- se que s'il t'a kidnappé, c'est parce qu'il t'aimait beaucoup. |
-Oui, je le crois moi aussi, répondit mouloud en baissant les yeux. Mais je t'avouerais que je ne sais pas trop bien pourquoi. |
-Oui, c'est très vrai ce que tu dis là. Mais moi, je veux pas chercher d'explications, car je suis heureux de vivre avec mon oncle. |
-Eh bien, j'en suis heureux pour toi! s'exclama nasser en lui adressant un large sourire et en lui donant une petite tape sur l'épaule. Heu..pour parler d'autre chose et l'école com- ment ça marche? |
-Oh ne m'en parle pas, c'est un vrai calvaire pour moi! |
-Ah oui? lui demanda-t-il un peu surpris. |
-Oh oui, parce que j'ai dû réintégrer l'école en France à cause de ma mère. |
-Mais tu m'avais dit que ta mère ne savait pas où tu crèchais, non? |
-Et qu'est ce qu'il a répondu ton oncle à cette lettre? demanda tout curieux nasser. |
-Hé ben..qu'il était d'accord, répondit mouloud comme désabusé. |
-J'ai l'impression que tu n'es pas entièrement satisfait par les exigences de ta mère. |
-Non, car j'aurais bien aimé ne pas aller à l'école du tout! |
-Oui, bien sûr, comme tous les enfants, n'est-ce pas? Mais c'est irréalisable, mon vieux. Regarde un peu comment a fini Pinocchio qui ne voulait pas y aller. |
-Quoi, tu voulais parler de la marionnette que Jepetto avait construite pour combler sa solitude? |
-Oui et que la bonne fée changea en petit garçon pour qu'il ait un fils digne de lui. Mais les choses ne se passèrent pas comme elle l'avait prévu, car le garnement de Pinocchio, au lieu d'écouter son père Jepetto, n'en faisait qu'à sa tête. |
-Oui, oui, je m'en rappelle maintenant et que même après il se faisait engager dans un cirque comme marionnette savante. |
-Engagé, mais t'as pas bien suivi l'histoire, mon gars! Pinocchio se faisait carrement enl- ever par le méchant type du cirque, lui lança-t-il comme pour lui faire saisir une similit- ude entre sa vie et celle de Pinocchio. Mais mouloud ne voulait, semble-t-il, rien enten- dre et campait toujours sur ses positions d'enfant incompris. |
-Et alors qu'est ce qui lui est arrivé après à ce Pinocchio? lui demanda-t-il d'une façon fort naïve. |
-Hé ben, il a fini dans le ventre d'une baleine. |
-Quoi, dans le ventre d'une baleine? |
-Oui, c'est à dire très mal. La suite est du même style..et à chaque fois que la fée essay- ait de le sauver, celui-ci lui jurait alors de ne plus faire de bêtises, mais bizarrement en faisait de plus belles pour se retrouver embarqué dans de nouvelles catastrophes sans fins. |
-C'est triste tout ça, non? |
-Ah oui, c'est vraiment triste, surtout pour Jepetto! |
-Pourquoi pour Jepetto? lui demanda mouloud intrigué. |
-Mais parce que Jepetto croyait que ce cadeau tombé du ciel allait faire son bonheur, alors qu'il n'aura fait que son malheur, voilà tout. |
-C'est la morale de l'histoire? |
-Oui, en gros, répondit nasser qui ne savait plus quoi dire. |
-Pour mon cas, enchaîna mouloud, moi j'ai toujours détesté l'école. |
-Ah ça, je l'avais compris par la facon dont tu en parlais...une prison, je crois, hum? |
-Oui exactement et si je te racontais comment s'est passée ma première rentrée, tu tom- berais à la renverse. |
-Parce que lorsque mon oncle m'a inscrit à lécole, la directrice de l'école m'a aussitôt demandé mon niveau d'etude. Mais quand elle a vu et surtout entendu que je savais à peine parler le français, elle a decidé de me mettre en classe de CE2 pour que je puisse rattraper le niveau des autres élèves. |
-Quoi, au CE2 à l'âge de 13 ans, mais ils sont fous à l'éducation nationale! Mais c'était une façon de te condamner à perpette! s'exclama nasser en apprenant l'humliation que mouloud avait subie en entrant en France. |
-Oh oui, perpette, tu l'dis bien. Bien évidemment, mon oncle n'avait rien dit contre la décision de la directrice, car ailleurs ce serait pareil, m'avait-il chuchoté à l'oreille. |
Le jour de la rentrée, madame nadeau, l'institutrice me présenta à tous les élèves de la classe. Nous étions alors tous les deux sur l'estrade quand elle commença à dire : Voilà, je vous présente un nouvel élève. Il s'appelle mouloud et il va suivre avec nous le nou- veau programme de la classe de CE2. Soyez gentil avec lui, car il vient tout juste d' arri- ver en France et sait à peine parler le français. Je compte sur vous, sur votre compréhen- sion afin que l'année pour lui se deroule de la meilleur façon. Je vous remercie beau- coup. Allez mouloud, va prendre ta place au deuxième rang à côté de Jean-Daniel! |
-Oulala, mouloud, pour ne rien au monde j'aurais voulu être â ta place! jura nasser qui comprenait maintenant pourquoi mouloud detestait l'école. |
-Et je peux le comprendre entièrement! dit nasser qui se sentait solidaire de son pote. |
-Le pire arriva pour moi quelques mois plus tard, quand l'institutrice, ne me voyant pas progresser, convoqua l'équipe psychologique de l'école afin de me faire tout un tas des tests. |
-Des tests? Mais pourquoi des tests? |
-He ben, pour savoir si je n'étais pas un demeuré! |
-Ah!Ah!Ah! mouloud, mais ça n'arrive qu'a toi ce genre de truc! lâcha nasser en éclatant de rires. Et seulement quelques mois après ton arrivé en France? Franchement, je les tr- ouve très dure à ton encontre. |
-Oui, très dure, c'est ce que j'ai alors ressenti. Les tests que j'avais fait furent analysés et jugés comme catastrophiques pour l'âge que j'avais et on se demandait même si on all- ait pas me faire passer une classe en dessous! |
-Quoi, une classe en dessous? Mais ils sont timbrés à l'Education Nationale! |
-Oui, mais comprends un peu; ils m'avaient trouvé un QI très en dessous de la moyenne, environ 60 et donc pour eux, il était tout naturel que je passe une classe en dessous où les élèves avaient le même QI que le mien, non? |
Quand on me convoqua dans le bureau de la directrice, pour mes résultats catastrophiq- ues, je faillis bien m'évanouir, mais j'encaissai le coup sans rien dire. Par la suite, je me renfermais de plus en plus sur moi même et évitais de jouer avec mes camarades. Pour eux, j'étais devenu un fantôme qui décharnais les feuilles des arbres jusqu'à la fin de la récréation. |
-Mouloud, c'est bizarre que tu me dise ça, car moi je te trouve extrêmement ouvert et plaisant. Alors pourquoi ce comportement étrange? |
-Parce que tout simplement, je n'étais pas dans mon élément! s'emporta mouloud. |
-Tu veux dire quoi pas là? |
-Je voulais dire que l'école est un milieu artificiel où les comportements des enfants so- nt orientés ou dirigés pour que ces derniers puissent se supporter en classe, puis plus tard en société. |
-Moi personnellement, je trouve que c'est une bonne chose, non? |
-Oui, en théorie. Mais quand on vous dénature complètement au point de vous faire pe- rdre votre personnalité et votre joie de vivre, moi je trouve cela criminel. |
-Oui, dans ce sens, c'est vrai, répondit nasser qui ne faisait que regarder sa montre. |
-Oh merde, il est déjà 16 heures! On parle et on parle et on oublie l'heure. |
-Allez, retour au bercail! dit mouloud en se levant et en prenant son sac. |
Assommés par le soleil et par ces moments intenses de bonheur, ils ne virent point passer le voyage retour pour Saint-Charles et se retrouvèrent un peu surpris de marcher au mil- ieu des gens sur cette canebière si populeuse et si bruyante. Sur le chemin, ils s'arrêtèrent à la même épicerie que tout à l'heure pour prendre une bouteille d'orangeade de marque "malba". Puis ils poursuivirent jusqu'au vieux port pour retrouver leur cachette sous le petit cascailloux et espionner la belle Heroïca. Chacun reprit sa place à l'intérieur; mou- loud à l'arrière avec son carnet de note et nasser aux avant-postes avec ses jumelles en plastique. |
-Et à quelle heure elle termine? demanda subitement nasser. |
-A huit heures normalement, car après elle va manger au troquet d'à côté, répondit mo- uloud qui commençait à en voir un peu marre. Encore quatre heures embusquées com- me des taupes, mon dieu quel calvaire! pensa-t-il en essayant de trouver la meilleur po- sition. |
Il n'avait pas eu la force d'enlever ses sandalettes tellement il devait être fatigué le petit! se disait Nadir ému de le voir dormir comme un petit enfant. Les sandalettes en plasti- que bleu qu'ils portaient aux pieds lui rappelaient des souvenirs d'enfances en Algérie, où avec ses frères et soeurs ils se baignaient dans la mer avec cette assurance de ne pas attraper d'épines d'oursins aux pieds. C'était leur fierté à tous face à ces colons qui se pr- enaient pour des êtres supérieurs! se souvenait Nadir qui n'avait rien oublié. Les yeux pleins de larmes et craignant que son petit mouloud prit froid, il remonta la couverture sur lui. Sur la table de nuit, il y avait le carnet de note que mouloud avait posé avant de s'éffondrer dans son lit qui, rempli de gribouillis de chiffres, indiquait les sommes gagn- es aujourd'hui par la belle Heroïca. Bref, des gribouillis sûrement à déchffrer, pensa-t-il en le feuilletant rapidement puis en l'emportant avec lui dans sa chambre. Pour l' instant, laissons le dormir. Demain, on fera les comptes, dit-il presque en murmurant. |
Le lendemain matin, mouloud se leva vers les onze heures et partit directement dans la cuisine se préparer son petit déjeuner. A côté son oncle dormait et comme à son habitu- de étendrait son somme jusqu'à quatre heures de l'après-midi. Laissons le dormir, mur- mura-t-il en passant devant sa chambre. Et puis on s'coupera des comptes quand lui mê- me me le demandera. Pour l'instant allons déjeuner tranquillement, pensa-t-il en regard- ant vers la fenêtre où un soleil magnifique perçait à travers la vitre, ce qui le mit aussi- tôt de bonne humeur. S'approchant de celle-ci, il l'ouvrit puis sortit sa tête à l'extérieur, comme un gamin qui voulait voir le monde d'en haut sans être vu, afin de surprendre la vie des hommes et des femmes dans leurs occupations quotidiennes : où acheter un kilo de sardines chez le poissonnier ou une baguette de pain chez le boulanger avait quelque chose de beau et de simple, comme cette vie qu'on voulait donner à la rue en faisant beaucoup de bruit aux terrasses des cafés ou bien en monopolisant la parole auprès d'un commerçant, ce qui faisait raler les autres clients qui attendaient leur tour. Mais tout le monde savait en vérité que tout cela n'était qu'un jeu, qu' une vaste comédie jouée par chacun d'entre nous pour faire croire aux autres qu'on était bien vivant et non mort- vivant. Bref, c'était la vie qui vous obligeait à vivre, à parler avec les parleurs, à danser avec les danseurs, à parier avec les parieurs, à voler avec les voleurs et enfin à mourir comme tout le monde avec dignité, monsieur! La vie semblait se reproduire par simple mimétisme ou copiage, comme dirait les japonais et non par une véritable création orig- inale ou extravagance. La vie avait, semble-t-il, compris depuis fort longtemps qu'on fi- nirait tous un jour par se ressembler, ce qui faisait le drame pour nos sociétés futures. |
Mon dieu, quelle admirable philosophie que ces hommes pratiquaient pour se debarrass- er de toute culpabilité qui, il est vrai, n'existait pas à cette époque! Il parait même, que pour compenser la mort d'un fils ou d'un père de famille, le coupable engrossait la veuve afin de lui donner un fils ou une fille en dédommagement. Quelles étranges moeurs! ma- is aussi quelle invention merveileuse pour réparer le moindre dégât occasionné par sa pr- opre folie! N'oublions pas aussi de dire que les gens mourraient assez jeune à ces épo- ques de maladies, d'accidents du travail, de blessures de guerres et donc se culpabiliser pour le restant de ses jours leur paraissait un non sens et on pouvait parfaitement les co- mprendre. Mais plus tard, quand les conditions de vie s'amélioreront pour tous les hom- mes, le temps de la culpabilité viendra et régnera alors tel un despote sur les âmes. Le mal s'étant déplacé du haut vers le bas, l'homme moderne naîtra avec ses souffrances in- terieures qu'il essayera de soigner par toutes sortes d'artifices ou de stupéfiant tels que la drogue, le travail, le crime d'Etat où la guerre consentie par tous, mais inavouée indivi- duellement, bref, la grosse hypocrisie des temps modernes. |
Épuisé de penser, il s'endormit à l'ombre des bidons et au bruit des mouettes. |
Quand il se réveilla, vers les seize heures, il fut surpris d'avoir dormi autant de temps. Mon dieu, dit il, en ouvrant les yeux devant la mer qui commençait à s'agiter, j'ai dormi comme une langouste et me porte maintenant à merveille! Je pense que mon oncle doit être debout à cette heure ci, pensa-t-il en se relevant avec une agilité impressionnante et en repartant d'un pas rapide. |
Oh merci, mon oncle, dit mouloud en l'embrassant sur la joue. Mais c'est rien, fils, c'est tout naturel pour moi, répondit Nadir qui semblait emu par ce témoignage d'amour im- prévu. Puis reprenant un air serieux, il se mit aussitôt à compter à voix basse : 100 + 100+200+ puis au bout d'une minute, il dit à voix haute : Hier, elle à gagné trois cents milles balles! Quoi, trois cents milles balles? Mais en est tu sûr? Mais oui, mon oncle, je te l'assure, je reconnais bien mon écriture! Oh la salope, ce soir elle va voir de quel bois je me chauffe! Oh la voleuse, je vais lui régler son compte si elle me rembourse pas l'argent qu'elle m'a volé! jura violemment Nadir en tapant du poing sur la table où les têtes décapitées des langoustine dégringolèrent et se mirent à rouler comùme de petits cadavres. |
Peut-être irait-il ce soir au casino de Monte-Carle pour oublier ce qu'il venait d'appren- dre et dans les prochains jours un petit tour en Italie voir Rome ou Venise? se deman- dait-il avec quelque chose qui brillait dans les yeux. Ce soir, ce sera casino, pensa-t-il en regardant sa montre qui marquait déjà dix sept heures. Nadir se retourna et prit ses clefs de voiture qui étaient posées sur le buffet et dit à mouloud : Tu m'excuseras, mais je dois y aller maintenant. Je te laisse nettoyer la table et j'aimerais bien qu'elle soit nickel en revenant. Mais sans problème, mon oncle, lui répondit-il en ne voyant pas cela com- me une corvée. Je ne compte pas rentrer ce soir. Alors si tu veux, tu peux inviter un de tes potes a venir manger ici à la maison. Mais surtout ne le laisse pas entrer dans ma chambre, car j'ai des choses de grande valeur. Hum, je peux te faire confiance? Mais mon oncle, personne ne te volera quelque chose dans ta chambre, car je ne compte in- viter personne ce soir. Alors, c'est parfait, lui dit Nadir en l'embrassant sur la joue et en sortant d' un pas pressé. |
Le lendemain, il retrouva Nasser sur le vieux port et lui donna les cents balles qu'il avait gagné, puis lui parlait de l'affaire où Farouk serait son nouvel acolyte. Ce dernier n' y voyait aucun inconvénients vu qu'ils habitaient dans le même quartier, ce qui facilitait beaucoup les choses, lui avait-il dit. Mouloud y voyait aussi beaucoup d' avantages com- me celui de n'être pas reconnu par les filles qui le connaissaient, tandis qu'avec Farouk elles ne se douteraient pas qu'on les espionne. Avant de se quitter, il lui donna les adres- ses exactes où elles tapinaient ainsi que leurs horaires de travail, ce qui fut considéré par Nasser comme une marque de grand professionnalisme! Mais bon à chacun ses valeurs, n'est ce pas? |
Trois jours plus tard, en allant faire un tour sur le port, je croisais Nasser qui aussitôt me prit par le bras pour me montrer une chose insolite. Moi, intrigué, je me laissais faire et vis à ma grande stupeur, un peu plus loin, les cinq filles de mon oncle qui avaient tou- tes du même côté un œil au beurre noir! Nasser et moi, ne pouvant plus alors nous rete- nir, nous éclatâmes de rire comme des fous, ce qui nous mis d'excellente humeur pour le reste de la journée. |
De temps en temps, le guide reprenait son micro et lançait aux touristes, qui s'étaient att- ardés sur le port, l'offre promotionnelle en fin de journée : Messieurs, Mesdames, derni- er voyage pour notre dame de la garde! 20 pour cent de reduction pour découvrir les spl- endeurs de la ville de Marseille et par son plus haut point culminant. Dernier voyage pour notre dame de la garde! Dernier voyage de la journée, Messieurs, Mesdames. Pro- fitez en. Vingt pour cent de reduction! répéta-t-il en hurlant dans son micro. Des tourist- es, qui avaient entendu l'offre, se précipitèrent vers le petit train et prirent leur billet au grand contentement du guide. Vas-y rené, tu peux démarrer! dit-il au chauffeur. Aussitôt les clefs tournées que le petit train démarra et illumina en même temps de jolies guirlan- des électriques qui décoraient les wagons, le transformant ainsi en vaisseau fantastique. Mouloud, séduit par ce spectacle, ne le lâcha plus alors des yeux et le suivit même jus- qu'en haut de la colline : où une guirlande de lumière illumina pendant un bon moment le parcours chaotique du petit train. |
LIVRE TROISIEME
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En l'observant marcher dans les décombres, elle remarquait que ses yeux étaient d'un bl- eu très clair et que ses cheveux ressemblaient à ceux d'une jeune fille. C'est dire qu'elle le trouvait très beau, mais sans connaître véritablement ses intentions ou sa dangerosité. Simone, qui semblait envoûtée par sa beauté, perdit malencontreusement l'équilibre et tomba sur le passage où l'étranger pouvait la voir. Oh zut alors! Mon dieu, mais quelle maladroite, je suis! lança-t-elle en s'écrasant sur le sol. Pendant un court instant, tous les deux se regardèrent sans bouger, comme surprit l'un et l'autre par leur exitence. Mais si- mone, prise par la peur, se releva et partit en courant vers la sortie pour s'enfuir. Mais non, ma petite, ne t'enfuies pas! Je ne te ferais pas de mal! cria l'homme qui partit auss- itôt à sa poursuite. Haletante et voulant se glisser à nouveau par la porte de la cuisine, elle sentit tout à coup quelqu'un s'abattre sur elle comme une masse. C'est la fin! pensa- t-elle en sentant ce corps d' homme sur elle, l'écrasant de tout son poids et de toutes ses odeurs mâles de sueur et de tabac. Puis sentit tout à coup son visage rugueux raper le sien, comme s'il voulait l'embrasser, mais l'en détourna aussitôt, puis sentit de grosses mains la peloter et la malaxer vulgairement. Alors qu'elle s'apprêtait à crier, elle fut au même instant arrêtée par l'homme qui lui dit d'un ton compatissant : Mais ma petite, tu n'as que les os sur la peau! Simone, les larmes aux yeux, lui dit : Mais monsieur, ça fait deux jours que je n'ai pas mangé! S'il vous plait, aidez-moi! L'homme prit de pitié se releva et l'aida à se remettre debout. |
Viens, ma petite, je vais te montrer ma caverne d'Ali Baba. Ta caverne d'Ali Baba? lui demanda-t-elle curieuse. Oui, ma caverne d'Ali Baba, dit-il en lui prenant la main et en l'entrainant vers la cuisine où ils descendirent tous les deux par la trappe. |
En écoutant parler ainsi ulrich, elle se sentit aussi perdu que lui dans tout ce fatras d'id- ées que les nouveaux conquérants voulaient imposer à tous les hommes de la terre. Et dans cette grande affaire, ils comprirent soudainement qu'ils n'étaient que de la chair à canon, rien que de la chair à canon! |
Et toi comment tu t'appelles? lui demanda ulrich d'un air grave. |
Je m'appelle simone et j'ai fui les bombardements avec ma famille. Toute ma famille a été capturée, sauf moi qui a pu me cacher dans cet hôtel. |
Et puis il ne faut jamais oublié que nous sommes nous mêmes des animaux et que not- re lien avec eux ne doit jamais être rompu, sinon les dieux pourraient bien se mettre en colère. En l' écoutant parler de la sorte, elle sentit ses cheveux se dresser sur la tête. Car sa religion lui interdisait toute idolâtrie aussi bien envers les hommes que les animaux. Pour elle, il était un idolâtrie qui s'ignorait, bref, un incroyant que sa religion aurait bien jeté au feu au temps de Moïse. Mais sauvée de la faim par celui-ci, elle ne pouvait plus desormais lui en vouloir. Et malgré que leur association fut très mal assortie et liée uni- quement au hasard de la guerre, elle se disait en le regardant non sans pitié que Dieu se- rait clément et misericordieux à son égard. |
Elle avait le sentiment que les nouveaux conquérants avaient une fois de plus gagné sur ce terrain là où le désespoir nous faisait croire à n'importe quel miracle pourvu qu'il soit terrestre, bref, materiel, pensa-t-elle en le regardant fasciné par sa découverte. Puis sou dainement elle entendit un bouchon de champagne sauter en l'air et ulrich lui dire : Allez simone, amènes-toi, on va boire en l'honneur du dieu Rat et à la liberté! Pour la liberté, d'accord. Mais pour le dieu Rat, alors ça, non! dit-elle entre ses dents et en sautant de sa chaise. Il lui semblait que sa religion était mise à rude épreuve aussi bien par cette gue- rre que par ulrich qui lui demandait maintenant de croire à de nouveaux dieux qu'il avait inventé lui même pour pouvoir survivre à cet enfer. Et pourquoi pas au dieu schnapps pendant tu y es, mon pauvre ulrich? murmura-t-elle du bout des lèvres. Eprouvée déjà par tant de tortures, elle prit alors la bouteille et but comme un soldat, c'est à dire d'une façon exagérée. Hé, laisse-moi s'en! lui dit-il en lui arrachant des mains. Mais celle-ci, enivrée par l'alcool, se laissa tomber par terre et s'évanouit. Hé mais qu'est ce qui t'arri- ves, ma petite? Mais?Mais?Ah! ah! ah! ria-t-il soudainement. Merde, je crois qu'elle est saoule! Ah non d'une pipe, elle ne supporte pas l'alcool! Ulrich la souleva et la transpo- rta jusqu'à sa paillasse qui était posée sur le sol vers les meilleurs crus du cellier, puis voyant sa petite culotte rose sous sa robe soulevée, une envie de lui faire l'amour lui prit soudainement. Mais le remords de faire du corps de simone un second champ de bataille lui ôta aussitôt l'envier. La petite était déjà si meurtrie par la guerre que je n'avais pas le droit de lui faire ça, pensa-t-il rempli de désir et de sentiments contradictoires. Mais ne pouvant dominer entièrement tous ses désirs, il ne put s'empêcher de l'embrasser sur la joue, comme pour reprendre contact avec l'amour que la guerre lui avait fait oublier. Le contact de ses lèvres sur la joue de l'enfant lui semblait comme une promesse d' amour. Demain, quand elle sera réveillée, on partira d'ici, dit-il en allant se coucher dans un coin. |
Le lendemain matin |
En voyant cela, elle se dit : Ah voilà comment les anciens voyaient la vie! Bref, comme un miracle ou la science n'avait rien encore expliquée. L'ignorance avait semble-t-il des pouvoirs surnaturels quand la mère de l'imagination nous permettait de fabriquer son propre bonheur, bref, son paradis sur terre! sembla-t-elle stupéfaite. Puis tournant ses yeux vers les petits tableaux peints sur les murs, elle se mit subitement a rougir quand elle remarqua que ces derniers représentaient des scènes lubriques où l'on voyait une fe- mme traire un homme, comme il était indiqué en bas du tableau( trayus-femina) où il sortait du sexe de l'homme du lait que la femme s'empressait de boire comme un elixir de jouvence. Sur un autre, on y voyait une femme s'accoupler avec un taureau et un peu plus loin la naissance du minotaure, ce monstre mi-homme mi-animal que les an- ciens avaient élevé au rang de dieu pour protéger leur trésor enfoui dans des souterrains. Sur un autre, un homme avait un sexe d'une extrême longueur dont le bout était décoré d' une couronné de fleurs. Ton bonheur t'attend ici! était écrit en dessous. Simone, à la vue de tous ces tableaux, sentit monter en elle le désir et son corps comme prendre feu. Tout autour de la pièce, qui semblait être en tout point de vue un ancien lupanar, il y avait des canapés où sur l'un d'eux ulrich était assis avec le sexe en érection. Simone, effrayée et fascinée en même temps, entendit ulrich lui dire : Simone, tu veux me traire? Aussitôt elle se précipita entre ses cuisses pour introduire son sexe dans sa bouche qui était dure et doux la fois comme une promesse de bonheur. Puis ulrich, prit d'un féroce appétit sexuel, lui souleva sa jupe et aperçut sa petite culotte rose qui cachait un joli petit cul tel qui les aimait. Attends un peu, ma petite garce, je vais te régler ton affaire! lui dit-il en se plaçant derrière elle pour l'introduire animalement. |
Effrayée, elle sentit tout à coup quelque chose de gros et de long la transpercer et un long cri sortit de sa bouche qui se transforma à son grand étonnement en un grand cri d'amour! Étrangement au même instant, tous les tableaux sur les murs se mirent à trembler et les yeux de tous les personnages comme briller aux temps de leurs amours passés. Mais ulri- ch, occupé à son seul plaisir, continuait à lui donner de grands coups de butoirs que celle- ci accompagnait par des cris de douleurs et de plaisirs en même temps, puis éjacula en elle en poussant un cri de bête qui ressemblait étrangement à celui d'un minautor! Effra- yée une nouvelle fois par tant de mystères, elle s'évanouit au bord du canapé. Oh là! lança ulrich, mais tu ne vas pas me faire le même coup que tout à l'heure, petite? Mais celle-ci resta muette et se laissa soulever par ce dernier qui la déposa au fond du canapé tel un corps mortifié, puis il se rhabilla et partit à l'intérieur du tunnel. |
Mais qui est ce marquis de Sade? Un homme bien, lui répondit-il en faisant un pas de danse en l'entraînant vers ce théâtre qui semblait logé dans les entrailles de la terre. |
Pourtant combien de hourras et de cris de victoires, ce monde disparu avait-il poussé au plus haut de son apothéose? Personne ne le savait vraiment, sinon simone et ulrich qui en ce moment se tenaient la main devant l'entrée d'un théâtre dont une simple porte en donnait l'accés. Quand elle reprit conscience, elle s'aperçut qu'elle portait sur elle une très belle robe en soie rouge surmontée d'un chapeau fleuri et ulrich à ses côtés portait un bel uniforme de général avec un nombre impressionnant de distinctions accroché sur la poitrine. Si Madame la marquise veut bien me suivre! lui dit-il d'un air impérial. Mon général, je n'attendais que vos ordres pour m'executer, lui dit-elle d'un air soumise. Bien, ma très chère, allons maintenant au théâtre! Bien, je vous suis, finit-elle par lui dire en lui lançant un regard de chatte. |
A peine avaient-ils posé le pied à l'intérieur du théâtre que de grands applaudissements retentir soudainement en les enveloppant d'une sorte d'aura que simone avait dû mal à co mprendre, mais qu'ulrich semblait tout à fait assumer en affichant sur son visage un air triomphal. Mais d'où viennent-ils tous ces applaudissements, mon ami? lui demanda-t- elle d'un air halluciné. Mais il n'y a personne dans la salle! insista-t-elle en le regardant maintenant avec éffroi. Mais ma chère amie, ils viennent de la salle, ne les voyez-vous pas? Mais non, moi j'vois rien! répondit-elle l'air déçu. Alors cligne des yeux et tu verras tous nos amis dans la salle. Tiens, je vois l'archiduc et sa femme l'archiduchesse au pre- mier balcon! dit ulrich en les saluant par une révérence appuiée. Le couple princier fit alors un signe de la tête en guise de politesse. Cligne des yeux, mais qu'est-ce que tu veux dire par là? lui demanda-t-elle l'air embarrassé. Mais cligne des yeux, c'est simple, non? Allons maintenant sur la scène afin de nous présenter à tous nos amis. En descen- dant vers la scène, elle cligna une fois puis deux fois les yeux et aperçut à son grand éto- nnement des gens assis sur les fauteuils qui avaient tous des têtes de rats! mais habillés d'une manière très élégante. En passant devant le balcon du couple princier, elle s'aperçut qu'eux aussi avaient des têtes de rat surmontées d'une petite paire de jumelle pour l'ar- chiduchesse et d'un pince nez pour l'archiduc. Elle faillit pouffer de rire, mais se retint et suivit ulrich jusqu'à la scène où les applaudissements furent remplacés par une sorte de brouhhaa inextricable. Sur la scène, le decors se composait d'un canapé qui étrangement avait été taillé dans un gros bloc de gruyère où reposaient deux coussins en pain d'épices et au devant de la scène, un pupitre fait en biscuit et chocolat muni d'un micro qui app- aremment était une glace aux deux parfums. |
Vas t'asseoir sur le canapé! lui dit-il en partant vers le pupitre. Dans la salle, il y avait un silence impressionnant. Quand il essaya le micro pour voir s'il fonctionnait, étrangement en le léchant, un énorme bruit de langue amplifié par les haut parleurs envahit soudaine- ment la salle où les spectateurs se mirent à applaudir frénétiquement pour exprimer leur contentement. Simone, une fois de plus, faillit éclater de rires, mais se retint en occupant son temps à grignotter un peu le pain d'épices des coussins. Alors qu'ulrich commençait à faire son discours, elle s'arrêta de cligner des yeux et vit apparaître devant elle une sal- le entièrement vide à laquelle son compagnon s'adressait dans une langue qui lui sem- blait totalement incompréhensible. Bref, composée de petits cris, de bruits de moustach- es et de coups de langues bien dosès. Curieuse, elle cligna à nouveau des yeux et enten- dit ulrich dire à la salle conquise que le temps était venu pour eux de remonter à la sur- face et de prendre le pouvoir! L'archiduc, sur son balcon, aussitôt se leva et applaudit avec frénésie l'audace de son général. Toute la salle était en délire et se tournant vers son prince accompagna ses applaudissement, comme dans une immense apothéose. |
L'archiduc lui a demandé personnellement d'en faire une pour son grand projet de repren- dre le pouvoir sur la terre. Et celui-ci lui a prédit un franc succès vu qu'à la surface les hommes s'entretuaient en se faisant la guerre. Quel escroc, cet homme! Oui, escroc, mais qui a toujours assuré le spectacle, dit-on dans le milieu. Espérons que ce soir, il sera à la hauteur. Simone, séduite par le pas de danse de monsieur Casanova ne faisait que cligner des yeux pour lui. Alors que celui-ci saluait le public, elle remarquait que derrière son pantalon sortait une queue de rat longue et grise qui s'étalait sur la scène. En se tournant vers elle, elle vit dépasser de son masque de carnaval de longues moustaches de rat et un petit museau reniflant sans cesse. Horrifiée et voulant s'enfuir, elle fut malheureusement retenue par le canapé dont le gruyère s'était collé a sa robe. Criant et levant les bras pour qu' ulrich vienne la sauver, toute la salle transportée par l'émotion applaudit alors à gran- ds fracas le spectacle qui, il est vrai, ne manquait pas de piquant où comédie et tragédie étaient étrangement mêlées. Puis monsieur casanova s'asseya à côté d'elle et commença à la renifler des pieds à la tête comme s'il comptait la manger; mais simone pour se défen- dre interposa entre elle et lui un coussin en pain d'épices. Un hors d'oeuvre, monsieur Casanova? lui demanda-t-elle en lançant un regard ironique au public. Aussitôt des rires s'élevèrent de la salle. Mais quel humour, cette fille! Mais quel humour! J'espère que Ca- sanova les mangera tous les deux! dit un gros rat obèse au deuxième rang. Avec l'appetit qu'on lui connait, je crains qu'il mange aussi le canapé, Ah!Ah!Ah! Vous êtes ignoble, monsieur le baron! Vous savez bien que le canapé est pour la fin du spectacle où nous sommes tous conviés, voyons! Madame la baronne, veuillez m'excusez, mais j'avais co- mplètement oublié le programme de ce soir. |
Mon dieu quel jeu d'acteurs fabuleux! lancèrent les plus fanatiques d'entre eux. Puis d' un geste fou, elle réussit à s'arracher du canapé, mais en y laissant une partie de sa robe. En s'enfuyant dans les coulisses, le public put voir une partie de ses fesses là où la robe s'était déchirée! Des cascades de rires aussitôt s'élevèrent de la salle où monsieur Casan- ova, à moitié déçu, fit une nouvelle pirouette afin que le spectacle continue. Je vous l' avais dit, ma bonne dame, ce Casanova a toujours assuré le spectacle. Ca ne fait aucun doute! expédia un vieux rat déguisé en marquis. |
-Alors qu'est ce qu'on fait maintenant? lui demanda subitement simone en se tournant vers lui. |
On va partir..lui dit-il avec ce désir de remonter à la surface pour revoir la lumière du jour et malgré que les hommes fussent toujours en guerre avec eux même. |
Tout ceci était au dessus d'elle et l'acceptait tel quel. Ulrich, épuisé, par la bataille qu'il venait de livrer avec lui même et son orgueil, se rhabilla quelque peu sonné, voir un peu saoulé par ce qu'il venait de réaliser. Celle-ci le regardait alors comme un dieu et ulrich comme une déesse comblée. Tout ceci s'exprimait sans aucun mots seulement par l'in- tensité de leurs regards et de leurs gestes qui un peu maladroit essayaient de remettre le- urs affaires en ordre : où simone, après avoir sauté du capot et posé les pieds sur le sol, réajusta sa robe suivi d'ulrich qui remonta son pantalon et referma la boucle de son ceinturon avec le sentiment du devoir accompli. |
-Je suis fatigué, je vais aller me reposer! dit-il en ouvrant la portière arrière de la voit- ure et en se jetant sur la banquette. |
-Moi aussi, dit simone, en ouvrant celle de devant et en se jetant sur les sièges dont le cuir était encore en bon état. Quelques heure plus tard, tout le hangar se trouva plongé dans l'obscurité où tous les deux semblaient rêver à des choses bien differentes. Ulrich pensait mécanique et rêvait de remettre en état l'auto : Demain, il faudra que je jette un coup d'oeil au moteur pour voir si je peux le faire repartir! pensa-t-il. Simone, quant à elle, rêvait de dénicher dans un coin du hangar une bicyclette bleue comme celle que son père lui avait offert pour son 11ème anniversaire. Et un sourire semblait se dess- iner sur sa bouche. Mais ne rêvons pas trop, demain on verra! murmura-t-elle du bout des lèvres avant de s'endormir profondément. |
Après l'échec de Jésus-Christ, un homme intègre arriva. Il s'appelait Mahomet et ne se prenait pas pour le fils de dieu, mais seulement pour son prophète, ce que dieu considéra comme une marque de grande honnêteté. Mais ce que dieu appréciait tout particulièrèm- ent chez Mahomet, c'était sa combativité par rapport à Jésus-Christ qu'il considérait co- mme quelqu'un d'un peu trop intellectuel, voir un peu mou pour rétablir ses pouvoirs sur la terre. Alors qu'avec Mahomet, il emploierait la force pour dompter les infidèles et les idolâtres. Dieu avait enfin trouvé son homme providentiel pour rétablir son royaume sur la Terre et l'aiderait en première tache à reconquérir l'Arabie heureuse (tel était le premi- er voeux de Mahomet), puis à conquérir d'autres regions et de nouveaux continents où les idoles païennes seraient renversées. Et pour effectuer cette mission d'ordre divin, dieu le protégera à maintes reprises aussi bien contre ses assaillants lors des combats que con- tre ces vaines tentatives d'assassinats qu'il sut déjouer afin qu'il puisse assister de son vi- vant au triomphe de l'unique et vraie religion de dieu : l'Islam. Dieu réalisa ce rêve et fit de Mahomet le plus grand prophète de tous les temps. Et si dieu put réaliser tout cela gr- âce à lui, ce fut dans le seul but de faire comprendre aux Hommes que l'Islam, étant la dernière religion révélée, était aussi la plus proche de l'esprit de dieu à laquelle ils pouv- vaient faire une entière confiance pour y établir le paradis sur Terre. Et contrairement à ce que les chrétiens croyaient, que le paradis était au ciel, Mahomet pensait plutôt que le paradis était réalisable ici bas. Parce que dieu avait mis entre les mains des Hommes tous les matériaux nécessaires à sa réalisation en leur donnant une religion, l'Islam, c'est à dire une maison où désormais les lois du Coran organiseraient la vie des Hommes aussi bien en matière de justice que d'économie où des sentences seraient appropriées à la hauteur des crimes commis ainsi que des prêts sans intérêts, etc, c'est à dire une société se voul- ant juste, mais implacable comme la justice de dieu. |
Simone, surprise de n'entendre plus aucun bruit, commençait vraiment à s' inquiéter et se demandait si ulrich avait eu un accident ou bien réussi à se frayer un chemin à travers la forêt et donc gagner son pari? Mais lui connaissant plus d'un tour dans son sac, elle pré- féra attendre couchée dans l'herbe près de son vélo qui finissait de sécher au soleil. Et puis orgueilleux comme il est, il va tout faire pour retarder la connaissance de sa défaite! pensa-t-elle sûre de sa victoire. De toute façon traverser cette forêt relève de l'exploit où les arbres sont gros comme des baobabs ainsi que la flore épaisse comme une jungle éq- uatoriale, bref, je savais mon pari gagné d'avance. Alors qu'elle commençait à savourer sa victoire, elle entendit un bruit de chaîne de vélo se rapprocher d'elle, puis ouvrant sou- dainement les yeux, elle vit ulrich la mine déconfite et les vêtements tachés de sang com- me par un accident! Simone, je m'avoue vaincu, tu as gagné ton pari! lui dit-il le souffle coupé en se jetant sur l'herbe. Celle-ci ne lui dit rien, mais le regardait comme une bête curieuse qui s'était prise à son propre jeu, à celui du libre arbitre, mais qui avait été vain- cu par des forces qui le dépassaient de très loin, c'est à dire aux forces de la nature. Lave ton vélo! lui dit-elle d'un ton autoritaire, car on a encore beaucoup de chemin à faire. Ulrich, sans broncher, se leva et porta son vélo jusqu'aux eaux de la rivière où il décou- vrit qu'il était de couleur jaune et équipé de deux sacoches à l'arrière, comme celui de simone. Après qu'il eut fini de le nettoyer avec soin, il le posa sur la berge et partit s'all- onger à côté de son mentor. Quelques instant plus tard, la nuit tomba sur eux et ils s'en- domirent comme deux enfants, la tête pleine de rêves. |
Le lendemain matin |
Simone, en se levant, remarqua que son vélo ainsi que celui d'ulrich avaient été déplacés durant la nuit et se trouvaient maintenant appuyés contre un arbre près de la rivière. |
-Oh, ulrich, réveille-toi! |
-Euh, euh, mais qu'est-ce qu'il y a ? lui demanda-t-il à moitié dans les vaps. |
-Mais quoi, qu'est qu'ils ont les vélos? |
-Mais ils ont bougé de place durant la nuit! |
-Mais qu'est ce qu tu racontes là, ma petite? |
-Mais regarde toi même! lui dit-elle en lui donnant une petite tape. |
Ulrich, en se retournant, vit bel et bien que leurs deux vélos étaient appuyés contre l'ar- bre près de la rivière. |
-Oh mon dieu, c'est pas vrai! dit-il d'un air ahuri. |
-Allons voir de plus près, dit-elle avec l'impression de rêver ou du moins de ne pas être sortit du rêve où son compagnon semblait en être l'énigme |
En s'approchant des vélos, elle s'aperçut que leurs sacoches étaient gonflées anormalem- ent. Avec toute la prudence du monde qu'on lui connaissait, elle en ouvrit une qui appar- tenait à son vélo et vit apparaître à sa grande surprise des victailles en quantité impressi- onnante! Puis plongeant sa main a l'intérieur, elle en extrait un poulet rôti qui était enco- re dans son papier d'emballage, puis un gigot d'agneau, puis une énorme cuisse de dinde, puis des fruits composés de pommes, de pêches et de raisins et enfin tout au fond de la sacoche, une couronne de pain! |
-Chouette, lança ulrich d'un air jubilatoire, on va pouvoir déjeuner ce matin! |
Simone, qui n'en croyait pas ses yeux, le regardait alors avec plein suspicion. |
-Euh, ulrich, ce serait pas toi qui? |
-Qui quoi? lui répliqua-t-il d'un air un peu agaçé. |
-Eh ben qui les aurais mises durant la nuit? |
-D'accord, lui dit elle, cette fois je veux bien te croire.. |
-Mais avant cela, j'aimerais savoir ce que la tienne contient. |
-Pas de problème! lui dit-il en se dépêchant de l'ouvrir. |
Plongeant sa main à l'intérieur, il en extrait une énorme cuisse de jambon, puis tout un chapelet de saucisses fumées accompagné de pommes de terres, puis des fruits secs, deux bouteilles de Bourgogne et une bouteille de whisky écossais, puis enfin un gros pain de campagne. |
-Oh mon dieu, mais c'est un vrai miracle! s'exclama-t-il en mordant dans l'une des sauci- sses. |
-Oui, c'est ce que je pensais, c'est un vrai miracle! dit-elle en le dévisageant. |
-Allez simone, ne pinaillons pas comme ça et allons déjeuner, lui dit-il en posant une na- ppe sur l'herbe sur laquelle ils déposèrent les mets que chacun avaient choisis. Simone avait choisi un morceau de poulet rôti accompagné de pommes de terre et ulrich des saucisses fumées arrosées avec du Bourgogne( mais ne lui dit rien pour la nappe fleurie qu'il avait sortie comme de sa poche!). Et en le regardant engloutir une bouteille de Bou- rgogne à lui tout seul, elle pensait véritablement qu'elle n'était pas encore sortie de son rêve. Mais quand va-t-on bien pouvoir sortir de ce cauchemar? semblait-t-elle supplier. |
-Et tu comptes aller où après? lui demanda subitement ulrich. |
-Après avoir franchi la forêt? |
-Oui, bien sûr, lui répondit-il d'un air étrangement sûr. |
-Eh ben, je compte aller à Paris pour aller à la rencontre des écrivains. |
-Oh en voila un beau projet! lui dit-il en la regardant avec une sorte de curiosité et d' admiration non disimumlée. |
-Et pour te dire la vérité, c'est la grande bibliothèque qui m'en a donné l'envie. |
-Mais dans quel but exactement? insista-t-il en fronçant les sourcils. |
-Afin de pouvoir sortir de mon cauchemar! lui répondit-elle sans la moindre hesitation. |
-Mais de quel cauchemar veux-tu parler, simone? Franchement, je ne te comprends pas. Tu manges à ta faim et tu m'as comme compagnon, mais que désires-tu de plus? |
-Je ne parlais pas de ça! Mais j'ai l'impression de ne pas vivre en ce moment dans le réel et que tout cela ressemble à un rêve. |
-A un rêve et tu t'en plains? Alors là, ma pauvre Simone, tu perds complètement les péd- ales! lança brutalement ulrich en se prenant la tête entre les mains. |
-Oui, mais comprends bien que mes parents ne sont pas là pour partager mon bonheur, le comprends-tu? |
-Mais oui, je peux bien le comprendre. Mais pensons tout d'abord à nous, car qu'en savo- ns nous où ils se trouvent en ce moment? Peut-être sont-ils déjà morts ou disparus? Ma- is pourquoi vivre dans le passé, alors que l'avenir nous tend ses bras vigoureux? |
-Oh non, ulrich ne dit pas ça, car je ne veux pas y croire! lança-t-elle d'une façon déses- pérée |
-Et je suppose que c'est pour cette raison que tu veuilles rencontrer les écrivains pour qu'ils écrivent la suite de ton cauchemar où tu pourras retrouver tes parents sains et sau- fs? |
-Oui, je te l'avoue, lui dit-elle les yeux troublés par ses larmes. |
-Noble projet, mais impossible à réaliser! lui lança-t-il brutalement. |
-Comment? lui répliqua-t-elle d'un air furieux. |
-Parce que le réel est compris dans le rêve, ma petite simone. |
-Comment le réel est compris dans le rêve? lui demanda-t-elle rageusement. |
-Oh salaud! lui lança-t-elle à la figure. Tu n'est qu'un salaud qui ne pense qu'à son petit plaisir égoïste! Tu es bien un homme, un goujat de première espèce! |
-Ah!Ah!Ah! ria ulrich, mais ne t'énerves pas comme ça, simone! Mais c'est toi qui m'a rêvé ainsi, beau, viril et un caractère de cochon. |
-Pour un caractère de cochon, alors ça non. Je t'avais rêvé plutôt doux et compréhensif. |
-Alors là, tu prenais tes désirs pour des réalités, car l'homme est mauvais par nature, l'au- rais-tu oublié? |
-Bien sûr que non, puisque tu m'en fais la preuve en ce moment, vieux bouc! |
Mais comprends bien que ça ne m'empêchera pas de rencontrer mes écrivains. Car je suis convaincu, bien au contraire, qu'étant les maitres de l'imaginaire ils pourront me sortir de ce cauchemar et toi avec qui commence vraiment à me casser les pieds! |
-A te casser les pieds? Mais c'est toi qui l'a voulu! |
-Comment je l'ai voulu? |
-Oui, parce que si j'avais été parfait, tu m'aurais jeté comme une vieille chaussette. |
-Mais pourquoi donc? |
-Parce que l'homme parfait n'a plus de désirs charnels, mais uniquement spirituels au point de nier sa propre existence afin de devenir un pur esprit donc insensible à la souff- rance de la chair. |
-Mais c'est fou, ce truc! dit-elle en n'arrivant pas à comprendre que des hommes eussent souhaitè fuir la vie pour vivre en apesanteur. Oui, j'arrive un peu à le comprendre, mais n'empêche que tu aurais pu faire un effort pour m'être plus agréable, lui lança-t-elle co- mme une pique. |
-Oui, bien sûr que j'y ai pensé. Et je les choisirai, non en fonction de leur succès en libr- airie, mais uniquement en fonction de leur honnêteté intellectuelle. |
-C'est bien, mais sois conscient qu'ils sont en très faible nombre ces écrivains, lui dit-il pour la mettre en garde. |
-Oui, je le sais bien. Mais il doit en exister tout de même! répondit-elle en croyant a sa bonne étoile. |
Il lui fallait donc un grand écrivain qui ne soit pas omnibiulé par sa réussite personnelle et par l'argent, mais motivé seulement par la vérité, ce qui ne sera pas une chose facile à trouver à Paris, pensa-t-il, vu la mégalomanie de la ville et de ses habitants. |
-Mais pourquoi n'irais-tu pas le chercher en province ton grand écrivain? lui demanda-t- il subitement. |
-En province, mais pourquoi donc? |
-Parce là bas, je pense, qu'ils sont plus honnêtes que dans la capitale, non? |
-Oh oui, c'est certains, vu la vie simple qu'ils mènent là bas au milieu des champs et des troupeaux de bovins. Mais à vrai dire, les provinciaux ne m'intéressent pas trop, parce qu'ils leur manquent cette envergure qu'on les grands écrivains vivant à Paris qui semble- nt regarder l'Histoire par le haut et non en province où on la regarde par le bas. |
-Que veux- tu dire par la? |
-Je veux dire que le grand écrivain fait le choix délibéré de vivre au milieu de la canaille littéraire, politique et journalistique (car la voyoucratie exite dans tous les milieux) afin de savoir où se cache la vérité. Alors que l'écrivain provincial, qui vit protégé dans sa ca- mpagne, mais que peut-il nous apprendre de nouveau? |
-Rien! répondit séchement ulrich qui semblait un peu désabusé par les conclusions de si- mone. Mais ne s'avouant pas vaincu, il lui répliqua : Oui, mais n'empêche que la fraîch- eur de leurs sentiments, parait-il, met beaucoup du baume au cœur auprès des citadins et surtout auprès des grattes-papier professionnels, non? |
-Oh oui, c'est sûr. Mais moi, ce n'est pas de la fraîcheur dont j'ai besoin pour sortir de mon cauchemar, mais d' un véritable bouleversement littéraire. |
-Que veux-tu dire par la? |
-Je veux dire que seul le grand écrivain est capable de changer l'Histoire et de l'incliner dans un sens ou dans un autre. |
-Et bien sûr ton histoire personnelle avec? |
-Oui, forcement. |
-Et pourquoi ne tenterais-tu pas plutôt du côté des essayistes qui ont pas mal d'idées dans ce domaine, non? |
-Non, ulrich, car je ne veux pas que ma vie devienne un terrain d'experimentations ideol- ogiques pour ces gens là. Moi, je veux du sûr.. |
-Donc, à ce que j'ai compris, tu voudrais trouver un grand écrivain pouvant aussi bien manipuler l'Histoire que les événement actuels, hum? |
-Oui, tu m'as très bien compris. |
-En fait, c'est un génie que tu cherches! |
-Oui, car lui seul peut arrêter la guerre, libérer les prisonniers des camps de la mort et me faire retrouver mes parents sains et saufs! |
-Eh ben, je te souhaite bonne chance! lui-dit-il pour l'encourager. |
-Je te remercie ulrich, parce que moi je suis convaincu que la vérité de demain se decide aujourd'hui et qu'elle n'est aucunement la suite hasardeuse de l'Histoire. |
Et ulrich, ébranlé par cette phrase dite de la plus simple façon du monde, comprit soudai- nement que simone avait entièrement raison et malgré les treize années qu'elle affichait sur son visage. La profondeur des sentiments n'était aucunement une question d' âge, ma- is bien une question d'intelligence. Et il avait alors l'impression d'être son double mascu- lin incarné par la partie virile de son esprit qu'elle avait créée afin de survivre à l'horreur. Apparemment, elle lui avait donné des dons de magicien et surtout cette faculté de s'en- tretenir avec elle durant ses longues heures de solitude. C'était elle, le génie, pensa-il en la fixant du regard. Et le dieu Rat pouvait bien disparaître maintenant que j'avais trouvé ma déesse, la maîtresse de mes jours, reconnaissait-il en retenant ses larmes. |
-Et toi qu'est-ce que comptes tu faire après? lui demanda-t-elle subitement. |
-Moi? fit-il l'étonné en entendant la question. |
-Oui, toi. |
Soudainement, il comprit que simone voulait l'abandonner pour des raisons tout à fait légitimes. Car lorsqu'ils sortiraient de la forêt, ce serait la fin du rêve pour lui et la fin du cauchemar pour elle. Et il ne pouvait pas être contre cela, pensa-t-il dépité. Mais ne vou- lant pas lui montrer sa deception, il lui dit : Je compte retourner chez mes parents et re- prendre la suite de la ferme. Et comme ils se font vieux maintenant, je pense que des bras supplémentaires seront toujours les bienvenus, n'est-ce pas? Elle ne lui répondit pas, mais lui sourit, comme si elle avait attendu cette réponse si pleine de bon sens venant de sa part. J'espère que tu réussiras! lui dit-elle en se saisissant de sa main. Mais ulrich, dé- contenancé, ne put sortir aucun mot de sa bouche et regardait au loin comme on regarde la fin du voyage arriver. |
-Et si on y allait maintenant? lui dit-elle en se levant pour aller prendre son vélo. |
Ulrich ne broncha pas et la suivit comme un pauvre mouton. Sur le chemin, il aperçut son auto pliée contre un arbre, ce qui le mit en rage de n'avoir pas pu franchir la forêt par des moyens modernes, mais desormais en vélo qu'ils essayaient de faire rouler à grande peine à travers la végétation. Au bout de quelques kilomètres, ils aperçurent une route dégagée où deux panneaux indiquaient deux directions opposées : Paris 95 millions de kilomètres et Kiev 96 millions de kilomètres. Simone, furieuse, lâcha son vélo et, Ulrich ne pouvant contenir son contentement, lui dit : Simone, je suis désolé, mais je crois que ton cauchemar est loin d'être terminé! |
LIVRE TROISIEME
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Ulrich, assommé une nouvelle fois par des propos si humanistes, mais ne voulant pas la perdre, lui proposa un étrange marché. Et si je partais avec toi à Paris, accepterais-tu ma présence à tes côtés? lui demanda-t-il brutalement. Simone, secouée par cette propositi- on si mal venue, resta stupéfaite pendant un instant, le temps de réfléchir au risque qu'el-le allait devoir prendre en l'emmenant avec elle, sachant qu'il était un déserteur qui pou- vait à tout moment ruiner ses plans longuement médités. Simone, suspendue à la folle proposition de son ami, lui dit brutalement : Désolé, Ulrich, mais je ne peux pas prendre un tel risque! puis enfourcha son vélo pour s'éloigner de lui pour toujours. Dépité par la dureté de ses propos et devant son panneau indicateur où il était marqué Kiev 96 millio- ns de kilomètres, il enfourcha lui aussi son vélo et se mit à siffler comme pour sener du courage. |
Trouvant la vue charmante, elle décida de s'y arrêter pour se restaurer en se sentant une faim de loup. Malgré la nuit qui commençait à tomber autour d'elle, elle y voyait encore assez clair grâce à la clarté de la lune qui jetait sur la campagne comme des étincelles d' argent. En ouvrant la sacoche de son vélo, la première chose qui lui sauta aux yeux fut la nappe fleurie qu'Ulrich lui avait sortie la dernière fois comme de sa poche. C'était lui tout craché, pensa-t-elle en se remémorant tous ses dons de magicien qui souvent l'avait fait rager. Bref, il était si doué qu'il aurait eu aucune difficulté à rejoindre Kiev en trois coups de pédales! ironisait-elle en étalant la nappe sur l'herbe. Pour ce diner au clair de lune, elle décida de manger du gigot d'agneau accompagné par des pommes de terre. Et après avoir étalé tout cela avec gourmandise sur la nappe, elle partit chercher la couronne de pain au fond de la sacoche..et c'est en la dégageant qu'elle vit tomber à ses pieds un petit morceau de papier apparemment banal. Surprise, elle le ramassa, puis l'ouvrant comme un dépliant, elle s'aperçut qu'il s'agissait d'un billet de train. Oh mon dieu! s'écria-t-elle en voyant imprimé dessus : Billet première classe, Varsovie-Paris via Berlin. Le voici.. |
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La suite fut comme du bonheur pour elle où, fouillant au fond de la sacoche, elle trouva de quoi s'habiller entièrement des pieds à la tête grâce à une paire de ballerines ainsi qu' un chapeau broché d'une petite tête d'éléphant dorée. Apparemment, Ulrich avait pensé à tout, se disait-elle en regardant devant elle ce trésor que toute petite fille aurait souhaité porter pour un long voyage. Mais c'est bien dommage qu'il n' ait pas mis une montre, ce qui m'aurait bien servi! rouspéta-t-elle contre son idole qui avait si peu de sens pratique, selon elle. Mais au juste que représentait-il exactement pour elle, ce jeune homme au nom à la consonance germanique? se surprit-elle à se demander comme si elle fut prise d' un doute le concernant. Mais pourquoi lui montrait-il autant de bienveillance? Ulrich était-il la bonne conscience d'un peuple que le bruit de la guerre et du nationalisme avait essayé de réduire au néant, mais sans y parvenir entièrement? Était-il le dernier rempart contre l'atrocité? se demanda-t-elle en pleurant soudainement à chaudes larmes contre le tissu soyeux de sa robe. Mais pourquoi voulait-il absolument la sauver, elle, la petite jui-ve qui désirait seulement retrouver ses parents? Avait-il comme seule et unique mission de sauver tous les enfants juifs, parce leurs parents avaient tous été exterminés? Connais-sait-il déjà le terrible holocaust? Simone, désespérée par toutes ces effroyables pensées, redoubla ses pleurs qu'elle ne put s'empêcher de répandre sur sa petite robe d'enfant. Tout en séchant ses larmes, voyant le ciel s'assombrir brutalement au dessus de sa tête, elle s' empressa de tout ranger, puis se changea pour ressembler désormais à une jeune fille sûre d'elle. Ses vieux vêtements, elle les cacha au fond d'un buisson pour qu'ils ne puissent jamais être découverts en s'imaginant des êtres machiavéliques la poursuivant pour l'an-éantir, l'exterminer. En sortant la tête du buisson, qui était plongé dans une totale obsc- urité, elle entendit soudainement surgir dans la nuit le long sifflement d'un train! Mon dieu, Ulrich! s'écria-t-elle en pensant à lui et à sa prophétie. Mais comment est-ce poss- ible? Mais comment as-tu fait pour qu'il en soit ainsi? l'interrogeait-elle par la pensée comme si elle s'adressait à Dieu ou à Moïse. |
En dépassant les premières maisons, elle vit qu'elles étaient en grande partie détruites par un récent bombardement, vu les fumerolles qui s'élevaient encore des maisons carbonis- ées. Puis s'enfonçant toujours plus profondément à bicyclette à l'intérieur de la ville, elle ne put que constater la destruction totale de la ville où les seules maisons qui tenaient en- core debout avaient tout simplement été abandonnées par leurs occupants. Autour d' elle, tout n'était que ruines fumantes, fractures, gouffres et abîmes plongées dans les plus prof- ondes ténèbres. Seule la petite route qui défilait devant elle, éclairée par sa lampe à vélo, lui paraissait comme épargnée par la folie des hommes. Et en filant tout droit vers la gare, elle avait le sentiment de traverser une ville fantôme où tous les habitants avaient été très sévèrement chatiés pour leurs crimes passés, comme celui du collaborationnisme ou bien par leur coupable indifférence devant la souffrance des autres. |
Mais étrangement les murs restèrent muets à toutes ses interrogations ou incantations di- gitales ainsi que la pensée d'Ulrich dont le silence lui parut effrayant. Un instant, elle crut que c'était le nom des destinations de la gare ou peut-être de simples décorations? pensa- t-elle en longeant le mur où les inscriptions n'en finissaient pas de s'étendre jusqu'à l'ho- rizon. Après avoir parcouru une distance, qui lui parut infernale( où les noms avaient dés- ormais une résonance germanique), elle se laissa tomber de tout son poids sur un banc, comme épuisée de ne rien comprendre à tous ces noms qui lui paraissaient chargés de té- nèbres où le mystère semblait règner. Soudainement, l'horloge de la gare bourdonna d'une façon funèbre et le train siffla une nouvelle fois tel un échos vivant. Submergée par toutes ces choses bien mystérieuses, elle leva la tête et vit sur les quais une petite horloge indi-quer minuit moins trois et la locomotive lui montrer son impatience à repartir. Puis plon-geant ses yeux sous les lampadaires (qui éclairaient funestement ces noms diaboliqu- es), elle vit soudainement sortir des murs des ombres vivantes se précipiter sur les quais avec la ferme intention de prendre le train! Mon dieu! s'écria-t elle en voyant cette marée d' ombres humaines envahir les quais dans un silence quasi-religieux. Ici, point de bouscula- de, mais des ombres en enfilade portant bagages sous les bras qui entraient dans les com-partiments prendre leurs places hautement méritées. C'est ce qu'elle ressentit assise sur son banc en remarquant que ces ombres étaient des ombres de petites tailles qui portaient des choses rectangulaires comme de grosses valises aussi grandes que leurs propriétaires. Mais ce sont des enfants! s'écria-t-elle en constatant par ces signes évidents, l'âge très jeu-ne de tous les voyageurs. Ulrich, veux-tu me dire ce qui se passe? lança-t-elle soudaine-ment à haute voix sur les quais comme effrayée par son immense solitude. Mais pourquoi toutes ces ombres autour de moi, Ulrich? Réponds-moi, je t'en prie! le supplia-t-elle les yeux pleins de larmes assise sur son banc et tenant la sacoche de son vélo sur ses genoux. |
Jetant des yeux effarés autour d'elle, elle se demandait si ces ombres pouvaient la voir? Car un instant, elle se sentit observée par des milliers de paires de yeux cachées derrière ces ombres qui semblaient la regarder avec une grande curiosité. Mais n'aie pas peur sim- one! N'aie pas peur de nous! lui lança soudainement cette marée d' ombres humaines tel un choeur chargé d'amour et de retrouvailles. Nous te voyons bien, mais nous ne pou- vons pas pour l'instant nous montrer en terre ennemie. Car les assassins sont là juste derr- ière nous et veulent nous exterminer jusqu'aux derniers! lui lancèrent à l'unisson les om- bres sans visages, mais bien vivantes. Mais demain, quand nous seront sortis de ce cauch- emar, nous pourrons enfin vivre libre et fonder notre Terre promise, Israel! entendait-elle prononcer dans sa langue maternelle, le yiddish. Le mot de cauchemar qu'elle entendit fit aussitôt échos au sien et comprit qu'elle faisait partie elle aussi du convois pour la lib- erté. Un beau voyage! dit-elle en compagnie d'enfants dont la plus part des parents avaient été exterminés par des assassins. Bref, des orphelins qui feront tout pour que cela ne re- commencent jamais plus, pensa-t-elle comme rassurée par la tournure des événements. Quelques minutes plus tard, l'horloge carillonna un chant de noel en immobilisant ses aiguilles sur Minuit et le train siffla comme pour un dernier rappel. Simone, enthousias- mée par ce long voyage, prit sa sacoche, se leva du banc, puis monta dans le train aux compartiments étrangement vides! |
Sûr que ce n'était qu'un fantôme que je sentais là, mais qui cette fois-ci me parla et me dit: Oh Simone, comme ça fait du bien de t'entendre à nouveau! Et sincèrement, je pensais jus- qu'alors que notre amitié était terminée. Mais à ce que je vois, tu as toujours besoin de moi, hum? me lança-t-il avec son petit air arrogant que je ai toujours détesté. Mais oui, mon cher Ulrich, fus-je obligée de lui avouer afin de ne pas devenir folle dans mon com- partiment qui était toujours plongé dans une profonde obscurité. Mais que veux-tu de moi exactement? me demanda-t-il en secouant la banquette comme un excité ou comme s'il eut souhaité me faire l'amour dessus comme une bête. Je vois, mon cher Ulrich, que tu as toujours ton sale caractère de cochon, hum? étais-je forcée de lui répondre. Et la culotte rose l'as-tu trouvé dans la sacoche? m'interrompa-t-il d'un air pervers. Mais oui, je l'ai tr- ouvée et alors? Et la portes-tu en ce moment? insista-t-il en secouant de plus en plus vite la banquette. Mon dieu, Ulrich, mais je ne t'ai appelé pour ça! Mais n'entends-tu pas auto- ur de toi, les cris des enfants? Mais non, je n'entends rien, à part le bruit assourdissant des rails, me balança-t-il comme s'il le faisait exprès. Une fois de plus, je le soupçonnais de ne s'intéresser qu'a son petit plaisir égoïste en voulant ignorer la souffrance du monde. Allez arrête de jouer avec ça, Ulrich, la comédie à assez durée! lui lançai-je d'un air franc et dir- ect dans la pénombre du compartiment. Excuse-moi, Simone, me dit-il avec sa voix enro- uée d'ancien déserteur. Mais oui, j'entends très bien les cris des enfants. Mais que puis-je y faire si dans leur tête ils entendent toujours des bruits de bottes accompagnés par de gutt- uraux accents germaniques? Moi je n' y suis pour rien! Mais je sais bien que tu y es pour rien. Mais trouve moi vite une solution pour les calmer et les rassurer afin ne pas alerter les gardiens, qui pourraient alors nous reprendre et nous livrer aux assassins. Un long sile- nce suivit cette étrange allusion, comme si Ulrich connaissait la vérité sur les camps de la mort où la fumée des fours à crématoires empuentaient l'air d'une odeur de mort collecti- ve. Avait-il été témoin de tout cela, Ulrich, avant de déserter l'armée des assassins? Je sav- ais bien qu'il me l'avouerait jamais. Mais qu'importe! pensai-je en sachant qu'il m'avait montré jusque là tant de bienveillance que je ne pouvais le soupçonner d'une quelconque cruauté envers les miens et les enfants. D'accord, Simone, me dit-il, je vais t'aider! Mais te moques pas de moi, ok? Mais bien sûr tant que ton idée tient debout, lui lançai-je en m' attendant au pire. Bien, alors ferme les yeux et ne les ouvre que dans deux minutes et pas avant, ok? |
Toutes ces questions affreuses envahissaient mon esprit et ne me rassuraient aucunement sur le sort de mon ami. Mais le train, après avoir survolé Berlin détruite, poussa un long sifflement et partit à une vitesse infernale vers l'horizon en feu. En regardant à travers la vitre de mon compartiment, je vis crépiter au dehors des étincelles, comme si le train vou- lait atteindre la vitesse de la lumière où j'eus très peur que notre voyage extraordinaire se termina ici en sortant de Berlin. Mais quelques secondes plus tard, j'entendis une sorte de bing bang frapper le train et l'envoyer comme au septième ciel à travers un long tunnel de lumière! Sous l'onde de choc, instantanément, je perdis connaissance et en ne sachant pas dans quel nouveau monde j'allais réapparaître. |
Puis tournant mes yeux vers la fenêtre, je m'aperçus que nous roulions à travers une cam- pagne magnifique et sur une vraie voie de chemin de fer et non plus dans les hauteurs atm-osphèriques! Ce fut pour moi le signe évident que nous étions sortis de notre cauchemar et que nous allions prochainement atteindre une vraie gare avec de vrais voyageurs et tout le tumulte que cela comportait et non plus une gare fantôme où les âmes erraient éternellem- ent sur les quais enneigés. Aussitôt, j'entendis le nom de Paris sonner dans ma tête comme une joyeuse fête! qu'Ulrich avait planifié d'une manière magistrale par son billet d'ordre divin.Bref, une ville magnifique où nous avions tant de choses à réaliser moi et les enfants, pensai-je en regardant le paysage défiler sous mes yeux. Puis soudainement, j'entendis du bruit me parenir de la porte du compartiment et, me retournant non sans inquètude, j'ape-rçus à travers la porte vitrée des visages d'enfants qui me regardaient comme une bête cur-ieuse. J'avais alors l'impression que leurs grands yeux noirs et profonds me regardaient comme si j'étais une sainte enchâssée dans une boite, comme celle que l'on voit dans les églises chrétiennes. Et je crus un instant que tout le train allait défiler devant moi pour voir le nouveau phénomène de foire que je pouvais alors représenter! Mais le jeune homme, voyant mon désarrois, se leva et partit les inviter à reprendre leur place dans le calme. Au bout d'une heure, qui passa comme un éclair, nous entrâmes dans une petite agglomérati-on constituée de maisons individuelles, mais non sans charme, avec leurs jardins particu-liers entretenus comme de jolis bouquets de fleurs, puis nous traversâmes une plus grosse agglomération où les facades des immeubles nous barraient tout simplement l'horizon en nous cachant la campagne verdoyante. A cet instant, je compris que nous étions entrés dans une grande ville où Paris fut toute proche et nous attendait les bras ouverts, mais là où nos destins allaient devoir se séparer après ce voyage extraordinaire connu de moi seule. Quel-ques minutes plus tard, le train siffla longuement pour annoncer son arrivée, puis serra les freins et s'immobisa en bout de voie. En sortant ma tête par la fenêtre, j'entendis les hauts-parleurs crépiter puis nous annoncer comme dans un rêve : Paris, gare de l'Est! Paris, gare de l'Est! Tous les voyageurs sont priés de descendre et de ne laisser aucun bagages dans les voitures! Merci. |