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SOUVENIRS D'ENFANCE EN POITOU

Je suis née et j'ai vécu dans une petite ferme située dans la Vienne où ma mère élevait beaucoup d'animaux : poules, canards, oies, tourterelles, pigeons, chèvres, moutons. C'était toute sa vie et elle adorait s'en occuper et les soigner. Mon père était maréchal-ferrant et réparateur de machines agricoles. En 1937, j'avais 10 ans et tous les chevaux du village venaient se faire ferrer chez nous. Mon père travaillait très bien et malgré un travail très dure à la forge à cette époque : où il devait actionner à la force du bras le soufflet qui était immense, afin de faire rougir le fer à cheval qui était plongé dans le charbon ardent. Après cela, il le tapait avec le marteau sur l'enclume jusqu'à qu'il soit à la dim-ension du pied du cheval. Mon père avait des biceps aux bras et était très musclé. Je me rappelle avec mon frère Jean; il nous appelait à tour de rôle pour émoucher le cheval. Pour cela, on utilisait une queue de cheval clouée sur un manche en bois pour chasser les mouches qu'il y avait sur le dos du cheval. Sans cela, il aurait été impossible de clouer le fer sur son sabot, car celui-ci remuait tout le temps à cause de toutes ces bestioles. C'était un métier très délicat et il l'avait appris chez des patrons en apprentissage. Puis il a travaillé à Paris chez un vétérinaire jusqu'à 1914 où il se perfectionna et c'est ce qui l'avait très certainement sauvé de la boucherie de 14-18, je pense. Car l'armée française n'aurait jamais envoyé au "casse-pipe" un homme qui avait de telles compétences professionnelles, sachant aussi bien ferrer les chevaux que réparer toutes sortes de machines mécaniques. Après avoir gagné assez d' argent chez son dernier em ployeur, mon père, Georges Jucquois, décida de se mettre à son compte comme maréchal-ferrant dans le bourg de Nueil/ faye. Il paya la ferme et la forge en argent liquide, me confessa-il un jour à la maison. Mon dieu quelle époque! Il est né en 1892 dans le petit village de Sérigny qui se situe à 10 kms de Nueil/ Faye là où je suis née. Ma mère, Ivonne Beauvillain, est née en 1900 à Chaveignes qui se trouve dans les environs. Pour en revenir à ce que je disais, c'était tout un art de clouer le fer où le clou était bifurqué sur le côté du sabot afin qu'il ne touche point la chair de l'animal. Pour cela, il avait un marteau spécial, puis coupait et limait pour tout égaliser. C'était un métier manuel assez dure et pénible. Notre ouvrier tenait la patte du cheval avec une grande courroie en cuir qu'il enroulait sur son dos pour la maintenir stable. J'ai grandi au milieu des animaux et mon enfance a été terrienne. L'hiver, ma mè-re rentraient ses tourterelles à l'intérieur de la maison pour qu'elles ne prennent pas froid et elles gazouillaient gaiem-ent perchées au dessous du plafond. Et les chats, elle les adorait! Elle avait toujours eu une sensibilité pour les bêtes qui l'aimaient en retour, car ils se sentaient tellement heureux auprès d'elle où ils avaient leurs propres cousins ou bien se couchaient sur une chaise, se promenaient sur la table, ce qui n'était pas très propre et  très sain car ça sentait le pipi de chat! Mes meilleurs souvenirs, c'était l'été quand on mangeait sous le tilleul sur une vieille table en bois. En plein air dans la cour, on se sentait bien. C'était une fête dans mon enfance et on dévorait deux fois plus au grand air de la campagne. A l'heure de la floraison, comme ça sentait bon sous le tilleul! Les vendanges, c'était la fête aussi et on s'entraidait avec les voisins qu'on remorquait avec le matériel derrière la B14( la voiture de mon père). La vigne se trouvait à 1km de la maison. Pendant ce temps là, ma mère préparait la grosse bouffe pour tous les vendangeurs et on mangeait ensuite dans le cellier, assis sur des meules, qui dataient de ma grand-mère. Notre repas était constitué de charcuteries( pâté, saucisson ), de sardines à l'huile, de maquereaux au vin blanc sans oublier qu'à l'époque1938-1939, c'était lapin sauté avec de l'ail et du vin blanc accompagné par des haricots blancs ou des pois qui provenaient de notre propre récolte. Ils étaient bons et vraiment écolos pour l'époque grâce au fumier de cheval qui servait alors d'engrais naturel. Au dessert, c'était le fromage, le café et la gnôle. Les hommes buvaient sec et à la fin de la journée ils étaient pompettes. C'était gai, car on était entre voisins où il existait une vraie amitié et solidarité. Mais c'était rude quand même de couper le raisin toute la journée où, à chaque fois, qu'on changeait de pied de vigne, il fallait se cour-ber puis se relever. On avait des courbatures les premiers jours, mais c'était compensé parce qu'on rigolait comme des gueux et bavardait aussi beaucoup.

L'automne était encore doux en 1940.

A cette saison de l'année, on avait le vin nouveau. C'était du jus de raisin doux, sans alcool, car il n'avait pas encore fermenté et on en buvait de ces lampées, une vraie gourmandise! C'était le bon temps de l'enfance insouciante avec des parents tellement bons que je n'ai pas le souvenir d'avoir reçu la moindre gifle de leur part! Trop gentils au point qu'on abusait d'eux. Mais enfin, ils étaient aimés dans le village. Quant à mon père, c'est sa gentillesse qui l'a perdu, car il n'a jamais su dire non aux voisins.

Depuis 1700, la famille Jucquois est restée dans ce pays Poitevins : famille paysanne, très honnête et travailleuse. Mon père nous emmenait tous les ans avec sa voiture( sa B14) aux fêtes traditionnelles de la région : au cirque et aux foires de Tour. Il aimait bien les sorties, mon père. Enfin, une bonne enfance! L'été, je gardais les chèvres et les mou-tons de ma mère. Je me souviens très bien que les mois de Juillet et d'Août entre1943 et 1945 étaient très chauds où ma mère venait me réveiller très tôt le matin "à la fraîche"pour que j'emmène les bêtes brouter dans les près. A 10h, je rentrais à la ferme avec mon bâton de berger( qui faisait 3 mètres) et mon chien de Berger qui était très beau : haut et gros avec de longs poils noirs. Les chèvres en avaient peur et heureusement, car elles couraient tout le temps dans les champs des voisins. Dans ces champs y poussaient du blé, de la betterave et de l'avoine. Je tapais dessus avec ma bâton pour les faire revenir. Et malgré mon chien de berger qui m'aidait, je courais sans arrêt après et c'était assez pénible de garder ces bêtes! Sur un chemin bordé d'arbres et d'un talus, je les laissais manger. Pendant ce temps là, assise, je prenais un bain de soleil : foulard en coton sur la tête afin de me protéger de la chaleur. J'étais bronzée comme une noire, quelle vie sauvage! Je ne voyais jamais personne dans mon bled et je me demandais bien où étaient passés les gens; ils travaillaient sans doute dans leur ferme, je pensais alors. J'avais même peur quand je rencontrais des gens qui circulaient sur la route. Bref, il y avait si peu de voitures enfin quelques unes avant 1940. Mon père a été le premier a en avoir une dans le village en 1930. Quel événement! Tous les premiers lundi de chaque mois, c'était le grand marché à Richelieu qui se trouve à 6 km de Nueil : un petit hameau de 500 habitants avant 1940. C'était la foi-re et tous les paysans des pays avoisinants se retrouvaient pour faire leurs courses et provisions pour la semaine. C'était vivant cette petite ville édifiée par le cardinal de Richelieu en 1630. Son plan en forme de quadrilatère est entouré de remparts et de douves et a gardé jusqu' à aujourd'hui son style Louis13. Après les courses, on se retrouvait au bistrot. A l'époque, les cafés travaillaient bien, mais on buvait trop. D'ailleurs tous les lundi se tenait le petit mar-ché et c'était ma sortie hebdomadaire. Mon père était toujours assailli de commissions par les voisins du village et son calepin en était rempli, car avec une voiture il pouvait se permettre de ramener de la marchandise. Autrement, c'était la bicyclette avant 1940. Mon père ne refusait jamais rien : il était trop bon, trop gentil et il en est mort, mal-heureusent! Il aimait aussi le bon vin et ne savait pas dire non quand un client venait à la forge. Un matin vers les 7 h, un client de la commune voisine est venu ferrer son cheval. Eh bien, il a déjeuné à la maison avec nous! Je m' en rappelle toujours et je vois mon père nous préparer à la poêle, une fricassée de légumes aux pois cassés et pommes de terre, puis des harengs, des saucisses, du pâté de foie en boite, des sardines à l'huile. Le matin de si bonne heure, je trouvais que c'était trop! Et puis après le café et la gnôle. Mes parents aimaient beaucoup ce client, car il était très bavard et très agréable. Quand je me levais vers les 8 h, il y avait de l'ambiance dans la cuisine, mais j'étais d'une tim-idité maladive, il faut le dire. Et pour prendre mon café, j'étais souvent gênée parce qu'il y avait quelqu'un que je ne connaissais pas à table. Et on causait souvent fort à propos de notre gnôle, car on avait des vignes, mais qui donnaient malheureusement de la mauvaise piquette. Alors on faisait distiller le jus de raisin qui avait macéré dans notre press-oir à vin qui se trouvait dans le cellier. Celui-ci se trouvait dans la petite ferme à maman, où nos grands parents étai-ent morts assez jeunes, de folie, je crois, puisqu'ils s'y étaient suicidés! Mais vers 1930, on ne soignait pas les nerfs : nerfs que nos grands parents avaient très fragiles, il faut dire!

Un arbre de 200 ans couvrait la cour de ses branches, il était magnifique! Je suppose qu'il y est toujours car je n'y suis pas allée depuis 1998. Au temps de mon père et même après, mon frère cultivait un jardin potager qu'il y avait à pro-ximlité. La terre dans la région était riche, sauf pour la vigne qu'il a fallu arracher, car le vin donnait de la mauvaise piquette.

Mon père est décédé au printemps 1948 et brutalement vers les 11 h du soir. Il rentrait de chez un voisin retraité mi-litaire où ils avaient bu, comme je le pense, pas mal de bonnes bouteilles de vin et pas n'importe lesquelles d'app-ellation contrôlée! Car mon père n'était pas alcoolique, mais il était tellement costaud qu'il tenait le coup. J'étais alors à la maison, pendant que mon père était parti chercher de l'eau au puit. Trouvant étrange qu'il ne soit pas revenu, je sors, j'allumé la lumière dans la cour et là Oh malheur, je le trouve étendu parterre! Mon père n'avait pas eu le temps de puiser son seau d'eau car le sol autour de lui était sec, mais il ne respirait plus, aucun espoir, c'était l'embolie cér-ébrale! Je maudissais alors ce retraité militaire qui l'avait fait boire à mort, j'en suis sûre. Comme il n'y avait pas de téléphone à la maison, j'ai couru aussitôt au café de la place pour appeler le médecin et le presser de venir d'urgence. Quand je suis entrée dans le café, les gens jouaient aux cartes et au billard et se sont aussitôt arrêtés de jouer en app-renant la terrible nouvelle! Le médecin de famille est venu constater le décès. Pourtant, c'était un bon docteur, mais il n'a rien pu faire. Et combien de fois, il nous avait sauvé de la mort! Car à l'époque en 1940, il n'y avait aucun vaccin contre la diftérie, typhoïde, dysenterie, rougeole. L'air grave, il en conclua à une mort naturelle : embolie cérébrale! Mon frère, ma soeur et moi étions malades de chagrin et maman avait comme le cerveau paralysé et ne parla plus pen-dant plusieurs jours. Étrangement, le diagnostic donné par le médecin, nous paru bien injuste voir illogique, car mon père n'avait jamais eu de malaises ni même de grippe pendant l'hiver. Mais il faut dire aussi qu'à cette époque, on ne soignait pas les maladies cardiovasculairres et on ne prenait pas la tension artérielle des gens, c'était comme ça, ce n' était pas encore entré dans les usages. Enfin, on ne refait pas le monde. Jusqu'alors, je n'avais jamais vu autant de mo-nde défiler à la maison. Mais mon père était connu jusque dans les bourgs environnants. J'ai été malade pendant plus-ieurs jours et cela m'a marqué à vie..

J'avais 20 ans et je voyais le catafalque de mon père dans la chambre où des voisines venaient prier le soir. Autour, il y avait des bougies qui éclairaient le cercueil recouvert d'un drap noir bordé or et un crucifix par dessus. Mon dieu que c'est triste de voir la mort entrer chez soi! Et pour mes 20 ans, le plus bel âge de la vie! On a tous été bousillés par ce décès familiale et c'était ma vie de jeune fille qui s'envolait. C'était les déboires qui prenaient le relais et je ne savais pas pourquoi, car j'étais belle physiquement et beau de visage et on me le disait souvent à l'époque. Mais ça ne m'a pas porté bonheur, car je n'ai pas su m'en servir vu ma situation d'aujourd'hui plutôt défavorable. A l'époque, j'aurais pu trouver des richissimes avec qui me marier et j'aurais aujourd'hui une vie dorée, plus heureuse. Enfin, je reconnais avoir été bête à l'époque sachant que mon père n'existait plus et que ma mère était très affectée par sa disp-arition. En sachant bien que c'était leur bonté qui les avait perdu finalement : trop gentils, aucune fermeté! Mon frère à 18 ans a repris la succession, parce qu'il avait appris le métier de la forge dès l'âge de 15 ans avec mon père. Par la suite, il se maria avec une femme très travailleuse, mais dure de caractère. Malgré son jeune âge, mon frère s'en sor-tait bien et restait ferme avec les anciens clients de mon père et de plus il était très bosseur et très bon gestionnaire, je suppose intelligent. Moi, il me semblait n'avoir plus rien à faire dans mon pays où ma mère était très déprimée en ayant du jour au lendemain plus aucun revenu. De même ne sachant rien faire de mes dix doigts, en ayant vécu avec des parents sans autorité, je ne voulais rien faire, ni rien n'apprendre, bref, rien ne me plaisait! Il est vrai aussi que ma mère aurait pu me mettre en apprentissage; mais dans mon bled perdu, situé à 50 kms d'une grande ville, cela posait vraiment des problèmes de transport et d'argent. Et puis la dèche arriva un an après! A 21 ans, tous les dimanches, je m'amusais comme toutes les jeunes filles et ma folie du moment c'était la danse. Malheureusement, il a fallu que je tombe sur un petit salaud! C'était le 14 Juillet, on avait dansé au bal public et il ressemblait à James Dean, l'acteur américain mort très jeune. Ce qu'il était beau avec ses cheveux blond et ses yeux noirs! Je n'ai pas pu résister à ses avances. Que dire sinon qu'à 21 ans, c'est l'amour qui s'éveille en vous et qu'on ne peut rien y faire! C'est la vie, la maladie de la jeunesse et je me suis retrouvée enceinte. Et maman, qui était déjà très déprimée par la mort de papa, quand je lui appris cette mauvaise nouvelle, frôla le malaise. Car ce jeune homme que je connaissais si peu, ma mère me pria d'aller le contacter. Il travaillait alors chez un charpentier zingueur. Un jour, j'ai pu le contacter, mais  il a été très dure avec moi en me répondant que ce n' était pas lui, le père! Cela m'a profondément choqué d'entendre cela de sa bouche.

J'ai été très malade en début de grossesse, car je ne pouvais plus tenir sur mes jambes à cause des vertiges. Je restais donc allongée sur une chaise longue pendant que maman n'arrêtait pas de me tyranniser en me disant : Mon dieu se re-ndre malheureuse par sa propre faute! Bien évidemment que je le reconnaissais. Mais qu'est ce que je souffrais mora-alement aussi! Bref, cétait les déboires plus la dèche. Ce jeune homme disait même ne pas me connaître. Enfin, on ne peux pas refaire les gens : il était jeune et il ne voulait pas se marier pour réparer sa faute. Ses parents, si je les avais connu avant, monsieur et madame Barnas, ils auraient sûrement arrangé l'affaire. Mais ils ne le savaient pas et s'était bien gardé de ne rien leur dévoiler. Sa bêtise enfin, une erreur de jeunesse tout naturellement. Si bien qu'il est parti travailler à Paris parce que ça devait beaucoup le tracasser de rester à Richelieu. Il était plombier-zingueur à l'église de la Madeleine et il était un peu foutras d'après les dires et ne crachait pas lui aussi sur la boisson. Bref, il a perdu l'équilibre et il est tombé sur le trottoir d'une grande hauteur! L'échafaudage était pourtant bien fait. Mais mourir si jeune et si beau, comme c'est dramatique et triste! De plus, madame Barnas n'avait que ce fils et elle en a beaucoup souffert, à mourir de chagrin. Comme j'avais un fils de lui, tout naturellement, elle l'apprit au bout de quelques mois, car j'avais des voisins qui la connaissaient avaient dû lui raconter notre aventure, ce dont elle ignorait complètement. Vous avez un petit fils! lui apprenait-on et la mère, c'est Paulette Jucquois. Elle est donc venue à la maison et était très enchantée de voir S.. qui avait alors 6 mois en 1950. Mais comme elle était toujours très affectée par le souvenir de son fils, le simple fait de voir son petit-fils, elle se mit aussitôt à l'adorer. Mais voyant que c'était maman qui l'élevait, je suppose qu'elle en était jalouse. Financièrement, elle était plutôt bien lotie, mais ne donnait rien à ma mère, qui en avait bien besoin à ce moment là, en la trouvant très ingrate à son égard. Elle venait souvent le voir pour lui apporter des choses, des gâteries qui lui faisaient plus de mal que de bien.

Je me souviens encore de cette première grossesse, non sans quelques peines, sachant que c'était ma mère qui m'avait mise à la porte avec ma valise! Car elle ne souhaitait pas que je reste dans le "pays" dans cet état où la rumeur insidi-euse des habitants pouvait détruire en un rien de temps la réputation de toute une famille, la nôtre, plus précisément. Je sais que c'est dure de l'admettre, mais c'est ainsi que les choses se passent dans les petits villages de la France pro-fonde qui n'ont guère changé depuis, je pense. Sur le seuil de la maison, portant ma valise à bout de bras, je ne pus m' empêcher de pleurer de devoir quitter la maison maternelle. Ma mère, effondrée, pleurait aussi et je m'en souviens encore très bien. Après avoir essuyé nos larmes ensemble, elle me donna un peu d'argent pour que je puisse prendre le train et je suis donc partie à Borddeaux. Il faut souligner qu'auparavant, je n'avais jamais quitté mon bled et j'étais du jour au lendemain complètement perdue! J'ai dû coucher à l'hôtel; mais après avoir gaspillé tout mon argent, je me suis retrouvée à la rue pleurant toutes les larmes de mon corps. N'ayant plus un sou vaillant et complètement désemp-arée, je suis donc allée à l'hôpital expliquer ma situation où il y avait une maison maternelle et on m'a gardé. J'étais avec les autres jeunes filles célibataires qui étaient dans la même situation que la mienne et il y en avait de toutes sor-tes des biens, mais aussi des coureuses d'hommes et cela se voyait quand elles me disaient : regarde ce jeune! quand celui passait devant nous.

Quelques mois plus tard, je suis revenue à la maison...

Je travaillais alors à Lencloître à une vingtaine de kilomètres de chez moi et je gagnais une misère comme employée de maison chez un vétérinaire. Le problème, c'est que sa femme était très méchante avec moi et je ne savais pas bien pour quelles raisons. Bref, j'étais malheureuse comme les pierres parmi ces gens. Il est vrai aussi que je ne savais pas faire grand chose en cuisine, car à la maison c'était maman qui la faisait. Ainsi, je n'avais rien appris d'utile avec des parents qui étaient si bons que cela m'avait rendu sans le savoir un peu fainéante. Pour en revenir à mon histoire. La grand-mère était dans la cuisine, raccommodant le linge de ses petits enfants dans son coin et regardait tout ce que je faisais. Le premier jour, on m'a demandé de faire de la sauce tomate, alors que j'en avais jamais faite de ma vie, ni sauce béchamel, non plus. J'étais seule en cuisine et la grand-mère est venue alors m'expliquer gentillement comment il fallait la faire en se mettant elle-même aux fourneaux. Moi studieuse, je l'écoutais et enregistrait la recette dans ma tête, ce qui à vrai dire n'était pas sorcier, bref, je n'étais pas si idiote que ça!

Je me rappelle l'hiver, on mangeait souvent du pot au feu dit Royal avec des légumes variés et un gros os à moelle. Pour ajouter plus de saveur au plat, on ajoutait un bouillon cube et c'était délicieux! Le samedi soir, ses enfants ren-traient de Poitiers où ils faisaient leurs études. Il avait quatre enfants qui étaient très beaux et bien élevés. Le milieu était plutôt bourgeois, car Monsieur le vétérinaire était riche, ce qui ne l'empêchait pas d'être gentil avec moi au con-traire de sa garce de femme qui me faisait souvent des reproches. Étant domestique, je devais manger seule dans la cuisine, ce qui était pour moi des moeurs bourgeoises assez rudes a encaisser, il faut le dire. Et quand il y avait des restes, c'était moi qui devais les manger car la grand-mère épiait toujours mes faits et gestes. Je les servais dans la salle à manger et la cuisine était toujours du jour. La maîtresse de maison me sonnait alors avec une petite cloche pour que je fasse suivre les plats. La vipère me faisait travailler comme une noire, une vraie esclave! Il fallait que tout soit nickel dans cette grande maison. Quelle galère! Heureusement que j'avais la santé et que j'étais soumise, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui. Je me souviens une fois, elle m'a dit en me regardant balayer dans le hall d'entrée que je n'appuyais pas assez sur le balai! Etant soumise et timide, je n'ai pas osé lui répondre parce que je n'avais jamais fait le ménage auparavant chez mes parents. Pour elle, j'étais bien évidemment une fainiente! Un jour, elle a sorti toute la vaisselle des buffets de la salle à manger pour me la faire astiquer jusqu'a que ça brille comme de l'or, la folle! Ainsi tous les samedis, je devais faire le ménage en grand dans toute la maison au point de devoir déplacer les meubles pour pouvoir balayer en dessous, puis essuyer l'intérieur des buffets pour que tout ça soit nickel etc. En fait, je ne savais pas par quel bout il fallait commence en étant complètement démoralisée. Alors elle m'a enguirlandé, car d'après elle je n'allais pas assez vite. Je me demandais si elle ne le faisait pas exprès de me faire vider tous les placards pour son plaisir pervers? Bref, elle était tellement méchante que je n'y suis pas restée. En ville, au café restaurant, il cherchait une bonne et je m'y suis présentée aussitôt. Le travail consistait à faire les chambres, à servir, à faire la vaisselle et on était deux pour faire ce travail de galérien. De plus, les propriétaires étaient des salopards!

A l'époque, j'avais 25 ans et j'étais plutôt sexy, mince, environ 55 kilos, disons assez jolie, ce qui a fait que la patron-ne n'a pas tergiversé et m'a embauché sur le champ vu que j'étais présentable pour sa clientèle. Pas folle la guêpe! Si bien qu'en ce temps là, on ne comptait pas les aventures amoureuses et j'avais assez la côte, il faut le dire. Pas de prés-ervatifs et je risquais à tout moment de tomber enceinte, c'était fatal. Pas de pilules non plus, si bien que la catastro-phe arriva une nouvelle fois pour moi! Ce type de Lauchais que je connaissais très bien m'avait emmené au cinéma et bien sûr après le cinéma, c'était des rapports amoureux. J'étais très faible dans ce domaine. Lui ce n'était pas sérieux, car après il ne me regardait plus. Le salaud avait profité de moi. Deuxième tragédie à mon actif : je me retrouvais en-ceinte et abandonnée pour la deuxième fois. J'étais malade mentalement, surtout quand je pensais à ma mère qui était si fragile d'esprit.

Elle a fait aussitôt un malaise, pâli sous mes yeux et m'a bien disputé en me disant que j'étais foutue pour mon avenir! On a tout fait pour le convaincre de réparer sa bêtise : il le voulait bien, mais ses parents n'ont pas voulu, car c'était lui qui faisait "bouillir la marmite". Il travaillait alors dans un abattoir à Lencloître et ses patrons étaient tous d'accord avec moi. Enfin, je me rappelle de toute cette comédie jouée auprès de lui, si bien qu'il a accepté de venir manger un dimanche à la maison. Je pensais alors, un peu naïvement, que tout allait s'arranger. Mais le dimanche suivant, comme il devait venir, j'avais préparé moi-même le repas( ma mère étant partie avec mon frère et ma belle soeur chez mon oncle). J'ai attendu une heure puis deux, mais toujours rien à l' horizon : le salaud avait, semble-t-il, changé d'avis! Je me disais que j'étais vraiment née sous la mauvaise étoile et j'ai pleuré. C'est vrai aussi qu'on ne peut pas forcer les gens. Mais gâcher sa jeunesse pour des bêtises pareilles, je m'en voulais énormément! Pourtant, quelle belle époque, gaie et prospère! S'il avait eu la pilule comme maintenant, je n'aurais pas eu tous ces déboires. A l'époque, c'était la nature, le bon dieu qui le voulait bien, car il n'y avait pas de contraception. Bref, ma mère n'était pas du tout contente de moi, elle qui était si sensible des nerfs au point d'ébranler sa santé mentale assez rapidement. Enfin, il a bien fallu tirer des plans sur la comète.

Je ne pouvais pas rester vivre à ses crochets, par le fait qu'elle n'avait pas beaucoup d'argent. J'ai donc vu une assis-tance sociale de la région qui a pris aussitôt les choses en mains. Je devais partir à Montmorillon dans une maison maternelle pour les femmes célibataires. C'était la préfecture de Poitiers qui assurait tous les frais pour ces situations dramatiques. Ainsi, ça libérait ma mère d'un grand poids. Car étant veuve depuis 2 ans, elle n'avait qu'un petit revenu pour vivre et n'arrêtait pas de me dire que je m'étais rendue malheureuse par ma faute. Ma mère était vraiment dépri-mée par la mort subite de papa et, après ce malheur, je sentais qu'elle en avait après moi. Mais comme elle était d'une très bonne santé pour ses 49 ans, cela pouvait passer. Elle allait toujours dans ses champs chercher de l'herbe pour ses lapins. Elle avait aussi des poules, elle allait bêcher, sarcler les légumes. Heureusement qu'elle était occupée, car elle adorait cette vie là et surtout s'occuper de son élevage de lapins qui n'était pas négligeable. Elle les vendait au mar-chand qui, une fois tous les trois mois, venait à la ferme pour les acheter. Ma mère avait un caractère très droit, très pur, trop bon coeur. Si bien qu'après la mort de mon père, elle s'est trouvée dans la misère. Pas autoritaire, pas de car-actère, et c'est mon frère, heureusement, qui a repris la situation en main, celui-ci étant très travailleur et de surcroît intelligent.

En attendant mon admission en maison de maternité, je restais enfermée toute la journée à la maison tellement j'avais honte de moi. Ce qui m'a délivré, c'est à Montmorillon où je me suis retrouvée avec des jeunes filles qui se trouvaient dans la même situation que la mienne. Et à les voir, elles ne semblaient pas si traumatisées que cela par leur mauvais sort. Mais c'était la caserne, la discipline et on avait pas le temps de penser : ménage de la maison, cuisine etc. On co-usait et tricotait la layette pour notre futur bébé, la radio fonctionnant. Qu'est-ce que j'avais bien appris à tricoter! J'avais fait des barboteuses en laine grâce à une personne qui nous montrait comment les faire. On avait droit aussi à allez faire nos courses personnelles, une fois par semaine un après-midi. De même qu'on s'ennuyait guère là bas, car ils y avaient de sacrés numéros! Après l'accouchement, on pouvait rester 3 mois à la maternité, le temps de trouver une place pour un travail et à l'époque le travail ne manquait pas. J'ai connu dans cet établissement une dame qui m'a énormément aidé dans ma recherche d'emploi en épluchant pour moi le journal des annonces d'employées de maison, ainsi qu'à faire tous mes papiers pour la sécurité sociale afin que je touche les allocations prénatales. En fait, tout cela me semblait très compliqué pour moi qui jusque là avait vécu chez maman dans une totale oisiveté. Bref, on m'avait très mal préparée à la vie, mais je n'en voulais pas pour autant à mes chers parents. C'était pour V..que j'avais été diri-gée sur Montmorillon et qui m'avait permis d'enlever une grosse épine du pied à maman vu qu'elle devait m'acheter "mon bifteck" chaque jour tant que je vivais à ses "crochets". J'y suis restée 3 mois et après on m'a trouvé du travail chez des vieilles personnes avec ma fille. Je faisais le ménage, le repassage etc. C'était des aristocrates qui vivaient dans un petit château avec des métayers s'occupant aussi bien d'animaux que d'agriculture. Ils récoltaient beaucoup de légumes et je faisais moi-même le beurre dans leur baratte avec le lait de leurs vaches. J'allais cueillir les haricots ve-rts qu'ils avaient à foison. Au mois d'août, c'était les melons que je cueillais à plein seau. On faisait une cure de melon tous les jours! Des melons, ils en donnaient à leurs amis intimes de Montmorillon, mais surtout à l'archiduché de cette petite ville ainsi qu'au curé de leur commune. Ils étaient très pratiquant. Le château était composé d'une gra-nde tour en pierre avec des escaliers en colimaçon. Une ferme à côté logeait les domestiques qui s'occupaient du bé-tail : vaches, moutons, poules, lapins. Je me suis même occupée pendant l'été de leur troupeau de moutons pendant que V.. dormait sous les arbres dans la cour. Comme ils m'avaient prise pour peu de frais, j'étais dans l'attente d'un autre employeur, mais aussi d'une nourrice pour ma fille. Ils étaient braves, mais pas maniaques du tout. La patronne avait environ 65 ans et était très gaie et on faisait seulement le ménage quand elle allait recevoir du monde. Un jour, après avoir balayé la grande cuisine elle dit à sa femme de service de ne plus pendre au plafond les tomates, car celles-ci tombaient sur les buffets et les abîmaient. C'étaient de vrais croyants. Un jour, ayant oublié ses gants, elle m'a dit qu'il valait mieux aller au curé sans gants que de ne pas y aller du tout. Quelle foi! Mais c'était ainsi à l'époque.

Après, j'ai trouvé un nouvel emploi à Montmorillon chez des commerçants qui tenaient une boutique de mercerie et de bonneterie de luxe. En fait, J'étais tombée chez des gens qui ne valaient pas grand chose, car je crevais tout le tem-ps de faim! Et j'étais obligée de me priver, parce qu'ils n'achetaient pas assez de nourriture, mais seulement pour eux et leurs 5 enfants au point que je perdis plusieurs kilos en quelques mois. Alors, j'achetais en douce de la nourriture pour me tenir en vie. V..était alors chez une nourrice qui ne valait guère mieux qui la disputait pour un rien, car elle aussi n'avait pas grand chose à manger. Je lui ai aussitôt enlevée et l'ai mise chez ma mère. Au moins là, elle ne mo-urra pas de faim et sera heureuse. Ma mère touchait alors des allocations et une aide de la préfecture, car elle s'oc-cupait aussi de S...Bref, avec toutes ces complications de vie et tous ces goujats de types qui ne voulaient pas assumer leur paternité, j'étais dans la malchance.

Ma patronne m'annonce qu'elle ne peut plus me garder, car cela lui faisait trop de frais. Dans le fond, j'étais contente. Donc retour à Poitiers, chez des nobles.

Le baron-colonel était d'une extrême gentillesse et les enfants également. La comtesse, sa femme, était bien gentille mais moins que lui. Enfin, c'est elle qui m'a appris à faire la pâtisserie. Auparavant, je n'avais jamais fait de pâte à tar-te, de brioche, de gâteau au chocolat etc. En fait, dans ce domaine, j'étais vraiment nulle. Alors qu'en cuisine, j'étais plutôt douée et la faisais bien, me disait-on régulièrement, car c'était toujours bon. Trois mois chez eux, il n'y avait rien à redire. Je logeais au grenier dans une chambre de bonne sans eau ni chauffage. Et je pense qu'il faut être jeune pour supporter cette vie là! Je montais tous les soirs mon broc d'eau pour me débarbouiller, mais je trouvais que les lieux étaient un vrai bric à brac. Je montais vers les 3 heures tous les jours pour faire mon lit, nettoyer l'endroit et m' occuper de mes affaires. Après je redescendais repasser, puis je préparais le dîner. Aujourd'hui, je me demande com-ment j'ai pu tenir le coup? Mais il est vrai aussi qu'à l'époque, j'étais plutôt costaude. Le jeudi après midi et le dima-nche après midi, c'étaient mes jours de sortie et j'avais un dimanche sur deux pour aller voir ma mère qui gardait mes deux enfants. Je leur apportais alors des babioles pour leur faire plaisir et des jouets qui n'étaient pas chers en 1955

J'allais au cinéma pour me distraire à Poitiers, quand j'ai rencontré un étudiant en sciences qui me courait après. Il était beau et je n'ai pas su m'en défaire, si bien que je me suis fait avoir une fois de plus! C'était un petit bourgeois et je n'étais pas de sa société, mais j'ai été faible. D'autre part, pour un étudiant, je ne le trouvais pas très intéressant; mais je lui plaisais, car à l'époque j'étais belle et lui d'ailleurs aussi très beau. Bref, on pouvait succomber. Il avait des yeux, derrière ses lunettes à montures dorées, perçants. C'était un bon numéro et me, semble-t-il, il avait peur de rien. Il me semble que F..a hérité de son caractère. Pour la troisième fois, je subissais cet outrage. Mon dieu, cette Madel-eine, mais quelle déprime pour se retrouver une nouvelle fois enceinte! Mais pourquoi cette malchance  qui semblait s'acharner sur moi, je me demandais alors? De toute manière, c'était écrit et je ne pouvais rien faire contre, car la jeunesse est malade de l'amour. Enfin, c'était ma vie et heureusement que j'avais une santé de fer pour supporter tous ces déboires! En fait, j'étais heureuse de vivre, car j'avais une forme extraordinaire et j'étais belle. Pour la troisième fois, j'ai dû aller en maison maternelle. Dans ces maisons maternelles, situées dans les hôpitaux, c'était une vie mil-itaire pour moi et pour une vingtaine de jeunes filles : jeunes filles riches ou pauvres, cela ne choisissait pas. Car à l'époque, il n'y avait pas de pilules, ni de contraception. Chacune avait sa corvée de tous les jours : cuisine, dortoirs etc et on assurait le travail. On apprenait à tricoter, à coudre et j'ai gardé de bons souvenirs de ces maisons, malgré tout avec une bonne nourriture, abondante, pas le temps de s'ennuyer, on s'occupait tout le temps de nous. Quand F.. est née en Novembre, j'avais pris plusieurs semaines de repos après l'accouchement et j'ai du la mettre en nourrice à Poitiers chez des gens très bons et sérieux. Moi, je suis retournée travailler chez le baron-colonel et la comtesse qui étaient extrêmement gentils avec moi. Aujourd'hui, je les regrette vraiment, car ils m'ont laissé de bons souvenir ces aristocrates qu'on accusent souvent à tort de tyranniques. Mais ce que je détestais le plus, c'était d'aller avec eux dans leur château dans les Deux Sèvres à Miauray près de St-Maixent, car c'était un endroit perdu où je me sentais bien seule. On y allait pendant les grandes vacances en Juillet et Août et je ne pouvais plus alors voir ma famille et ma mère qui s'occupait de mes deux enfants. Mais je n'avais pas le choix, car il fallait bien que je gagne ma vie. Heureu-sement que les métayers habitaient à côté du château dont le logement courait jusqu'en dans les cuisines où je trav-aillais. Henriette, la femme du métayer, venait souvent me voir et elle faisait le café à longueur de journée; mais du bon café frais, pas du tout réchauffé. Elle m'appelait alors pour allez en boire et puis on discutait. Elle et son mari étaient très accueillants. Un bon souvenir de ces gens, comme ils n'en existent plus maintenant. Un autre beau souve-nir, c'était un dimanche oùt j'étais partie en mobylette à St-Maixent pour passer mon après-midi. Comme c'était beau avec ces petites routes ombragées d'arbres pendant tout le parcours! A côté, il y avait l'école militaire de St-Maixent, bref, beaucoup de militaires qui me draguaient. Mais c'était comme ça à l'époque, j'étais jeune et belle, bref, c'était l' age d'or pour la jeunesse!

Mais il a fallu que je rencontre cet énergumène qui allait devenir plus tard, mon mari. Il m'avait dit qu'il s'appelait Gérard alors qu'il était Algérien. Mon dieu quel menteur! Mais il m'a tellement couru après que je ne pouvais plus m' en défaire. En fait, j'étais très faible de caractère et je pense que j'aurais dû rompre avec lui dès le premier rendez-vous, car je ne le connaissais pas et je croyais bien naïvement qu'il était une personne bien, alors qu'il était tout le co-ntraire. Mais je pense qu'il faut vivre avec les gens pour vraiment les connaître, mais après c'est trop tard pour s'en débarrasser, n'est-ce pas? Bref, j'avais fait une bêtise de plus dans ma vie, car avec lui c'était l'enfer! Il était alcoolique et il fumait sans interruption et s'autodétruisait sans le savoir. De plus, il était nul en ne sachant ni lire ni écrire et je trouvais ça étrange. Car en Algérie à cette époque, l'école française existait bien, mais je crois bien qu'il n'y était ja-mais allé. Franchement, jamais de ma vie je n'aurai cru qu'il allait me rendre si malheureuse! J'étais angoissée tout le temps et j'avais la peur au ventre. 9 ans à ce rythme là, je trouve que c'est trop dur à supporter pour une femme, n'est-ce pas? Mais je restais à cause de mes enfants et j'ai tenu le coup pour eux en luttant quotidiennement. Mon dieu, qu-elle misère noire! Je me débrouillais comme je pouvais, car j'étais combattante et courageuse sans oublier que j'étais jeune et que j'avais une santé de fer, fort heureusement. Mais un beau matin, il s'est levé avec des maux de têtes épo-uvantables en se tordant de douleurs. A l'hôpital, on lui a trouvé une tumeur au cerveau et d'après les médecins il était perdu car son sang était pourri par l'alcool et le tabac et ne mangeait presque plus à cause de ces deux drogues. Je suis donc allée à Bron à l'hôpital neurologique avec Patrick. Malgré son coma dépassé, il m'a reconnu et je lui ai montré Patrick qui avait alors 5 ans; il lui a serré le bras très fort comme pour lui dire adieu; il était content aussi de me voir, mais il savait qu'il n'en avait pas pour longtemps et qu'il allait mourir dans les prochains jours, car il souffrait trop.

Le lendemain, j'ai appris sa mort par télégramme et j'y suis donc allée. Mais quelle angoisse épouvantable, quand l'in-firmière m'a emmené à la morgue pour identifier mon mari où la folle m'ouvrait toutes les portes des frigos en ne le trouvant pas! Puis enfin, on l'a trouvé et j'ai vu qu'on lui avait rasé le crâne qui était plein de sutures dues aux opérat-ions. Quand je suis sortie de l'hôpital, à l'air libre, j'ai respiré un bon coup en regardant le ciel.  Ouf, je revoyais alors la vie comme pour mieux l'apprécier! Quand on va à l'hôpital, où l'on voit tant de cas désespérés en neurologie, mais aussi des pathologies plus légères, tout ça n'est pas bien gai avec toutes ses têtes enveloppées dans des bandages où l'on aperçoit que le visage. Enfin, c'est la vie qui est faite de choses tristes et gaies où tout est fugace que l'on soit ri-che ou pauvre, peu importe! Je me suis occupée de tout pour le faire enterrer à Bron et malgré des frais qui étaient bien trop lourds pour moi toute seule. J'ai alors demandé du côté de ses frères et soeurs s'ils pouvaient m' aider; mais malheureusement ils étaient bien trop pauvres pour pouvoir le faire. Il a donc été entterré dans le coin des indigents où aucune pierre tombale ne permet de les identifier. Sachant qu'il n'y aurait aucune concession à son nom vu le prix qu'on m'avait demandé, je savais que le corps n'y resterait pas longtemps et qu'il serait brûlé par les services funérai-néraires du cimetière, j'ai eu donc le réflexe avant que tout cela se fasse d'emmener mes enfants se recueillir sur sa tombe et je pense avoir bien fait en tant que mère. Ses frères et ses soeurs n'ont pas pu assister à ses obsèques, car la plus part vivait en Algérie et que le voyage était trop coûteux, ni ses neveux non plus qui étaient alors bien trop jeu-nes pour assister à ce genre de cérémonie où leur oncle était décédé à l'âge de 34 ans! Moi, j'en avais 42 et 9 ans de peurs passées à ses côtés. Après tout, il s'est détruit lui-même. De plus, il était inculte, il n'avait jamais été à l'école, ne savait ni lire, ni écrire, mon dieu comme c'est triste!

Bref, ça été une délivrance pour moi quand il est mort, car je revenais à la vie tellement il m'en avait fait voir! Je pen-se que quelques années de plus avec ce type, il m'aurait tué. Avec lui, je tremblais de tout mon corps quand il était à la maison. Après j'ai eu d'autres soucis avec mes 5 enfants, mais une vie plus sereine, plus heureuse. Bref, c'était le para-dis après l'enfer qu'il m'avait fait subir où je recevais des coups sur la figure. Comme j'ai souffert durant ces 9 ans! Jamais de ma vie, je n'aurai pu imaginer que cela puisse exister! Il m'fallut donc arrêter de travailler pour élever mes 5 enfants. Le problème, c'est que je n'avais aucun métier sérieux entre les mains, sauf celui de femme de ménage chez les particuliers, mais qui payait une misère; mais je survivais malgré tout grâce aux allocations familiales. De plus, j'étais en bonne santé à l'époque et j'avais une sacrée pêche, malgré tout ce que j'avais subi avec cet alcoolique qui me battait. C'était une résurrection pour moi et il me semblait revivre. Et ce qui m'a sauvé, c'est que j'avais encore du courage, car je travaillais dure physiquement mais ce n'était pas l'usine. A l'époque, on nous poussait pas au rendem-ent et c'était moins stressant pour tout le monde : pas de chômage pour les jeunes, la vie moins chère, la crise éco-nomique n'étant pas encore arrivée.

L'année précédente...

C'était en février1968( mon mari était encore existant, mais il ne l'a jamais su). Mon histoire m'a servi de leçon, car j'ai tellement été vexée et eu honte de moi que jamais je ne volerai même une épingle à cheveux! Ce jour là, quand l'homme de la police en civil m'a attrapé par le bras et me la serré tellement fort que j'ai eu mal, j'ai cru que le ciel me tombait sur la tête! J'aurais voulu être morte à ce moment précis, car j'avais dissimulé tout un tas de bricoles que j'avais piqué dans les rayons. En fait, tout un tas de petites choses pour mon bonheur, car mon mari dépensait beau- coup pour boire dans les bistrots. Et quand il était de sortie, il en faisait 10 et ça recommençait ainsi toutes les sema-ines, c'était recta. Comme j'étais souvent fauchée à cause de lui, j'avais pris des barquettes de viande, du chocolat, du maquillage, un beau foulard, de la levure et du sucre vanillé. Je crois qu'il y en avait pour 1500 F, ce qui n'était pas très important, mais enfin, c'est le geste qui n'était pas bien. Ce policier me serrait toujours le bras et il ne le lâchait pas de peur que je m'échappe. Il m'a emmené tout droit au commissariat devant le commissaire qui était une vraie peau de vache. Il était pas commode et chaque question qu'il posait était comme un coup de cravache que je recevais sur la figure; j'étais blanche et toute décomposée tellement ça m'avait fichu un coup au coeur. Je ne lui ai pas parlé de mon mari pour ne pas qu'il ne l'apprenne pas, car buvant comme un trou, il m'aurait alors battue ou peut-être tuée! Mais ils ont quant même téléphoné à l'usine pour savoir si mon mari y travaillait! Le commissaire tapait à la machine tous les renseignements que je lui donnais. Et quand il a eu fini de noter les moindres détails de mes exploits, je suis allée dans une autre salle où j'ai attendu patiemment. Je me plaignais souvent en lui disant que mes enfants étaient sortis de l'école et qu'ils devaient m'attendre dehors à la porte. Laissez-moi partir! je l'implorai presque en pleurant. Mais cette brute me répondait à chaque fois : Mais je m'en fou de vos gosses! C'est dingue d'être si peu humain. Et si je lui disais une fois de plus, je veux partir! il me menaçait alors de me mettre les menottes si je ne restais pas tran-quille. Ils m'ont gardé 2 heures, quelle pénitence! J'avais une figure de condamnée à mort tellement j'étais malheureu-se et souffrais atrocement moralement. Ils ont téléphoné à je ne sais quel supérieur de police, puis ils m'ont laissé partir vu que j'avais 5 enfants qui attendaient à la porte de la maison. Je suis partie aussitôt comme une folle, car j'av-ais peur que mon mari soit rentré plus tôt que d'habitude. Et j'ai eu beaucoup de chance ce jour là, car c'est une voi-sine qui les avait fait rentrer chez elle quand elle les a vu dehors où il commençait à faire noir. Je me suis alors dép-êchée de faire mon travail. Mon dîner expédié, justement, mon mari rentre plus tard que d'habitude après avoir traîné dans les cafés où avec un ami ils avaient mangé ensemble. En rentrant, il m'a dit : Comme tu es blanche, ce soir! C 'est vrai que j'étais encore bouleversée par ce coup dur qui m'avait comme retourné le coeur et le sang.

En fait, j'avais doublement peur de la police et de mon mari qui m'aurait à moitié esquinté par sa soûlogr-aphie. En plus, j'avais une amende à payer, mais heureusement qu'il ne l'a jamais su. J'ai été convoqué 15 jours plus tard au commissariat de Vaise et le bon dieu semblait être encore de mon côté. Car lorsq-ue la concierge m'a apporté la lettre au soir, vers les 6 h et demie, il n'était pas encore rentré de son tra-vail. J'ai aussitôt pensé à la chance que j'avais eu en la réceptionnant à cette heure-ci et non à 7 h, car j'étais faite alors avec ses canons dans le nez qui n'auraient pas été une fête pour moi!. Je suis donc allée au commissariat de Vaise avec mon petit Patrick qui n'avait pas école ce matin; il avait 4 ans et demi et ne pouvait pas comprendre toutes ces choses, bien évidemment. Le commissaire était charm-ant, gentil, c'est dire qu'ils ne sont pas tous des peaux vaches dans la police! Il m'a demandé des ren-seignements, alors je lui ai tout dit franchement. Il m'a demandé si j'étais privé d'argent? Je lui ai répondu que mon mari m'en donnait, mais il me le reprenait aussitôt pour aller le boire au café. Quelques fois, il décrétait qu'il garderait sa paye pour payer ses dettes. Il m'a donné le jour de la convocation au tribunal où j'ai reçu l'ordre de l'huissier de justice pour aller me présenter à 1 h et demie. Mais c'était pratiquem-ent impossible pour moi, car mes enfants déjeunaient et repartaient à 1 h et demie pour l'école. Je vou-lais bien y aller, mais je n'avais pratiquement pas 1fr dans la poche pour prendre le trolley où l'on était à la fin du mois et que mon mari m'avait pris 1000 frs le matin. Il fallait donc que je me débrouille toute seu-le avec mes gosses en envoyant une lettre d'excuses à l'huissier où il a dû penser qu'il avait affaire ici à de vrais pauvres et m'a répondu que je serai jugée par défaut. Bref, j'attendais tous les jours dans ma boite à lettres mon amende et j'en étais malade sachant que mon mari avait déjà plein de dettes. Et je me questionnais de savoir comment j'allais pouvoir payer cette dette en cachette. C'est fou, comme ça me travaillait la tête, c'est pas croyable!

Mais étrangement, je n'ai plus jamais entendu parler de cette histoire et j'étais comme guérie moralem-ent. Pour moi, c'était une affaire classée et malgré que les années qui allaient suivre allaient être terri-bles..

L'état de mon mari n'allait pas en s'améliorant vu qu'il buvait de plus en plus. A midi, il avait frappé le chef de son usine en lui donnant un coup dans le nez. Il s'est ramené à 3 h de l'après-midi en titubant. Un gos-se du quartier m'a dit qu'il l'avait vu au café sur le quai et qu'il s'était bagarré avec le patron et qu'il avait pris un gros pavé pour le jeter dans sa vitrine. Bref, je tremblais de peur, car il était en crise de délérium tréminse. Je crois que je lui ai donné de l'argent pour qu'il retourne boire et pour avoir la paix. Sur la rou-te, il faisait de la dentelle et c'est un vrai miracle qu'il ne se soit pas fait écraser. Le soir, il est rentré ivre mort et s'est couché tout habillé sur le lit. Le matin, il s'est réveillé pour aller à son travail. Le pauvre co-stume qu'il portait, c'est fou ce qu'il  en voyait de toutes les couleurs! Quand je pense à cette pauvre vie que j'ai menée avec lui, toujours saoul, le diable semblait comme le remettre sur pied chaque matin et l'envoyer à son travail. Mais 8 jours plus tard, j'ai reçu une lettre de son chef qui disait que si jamais il recommençait à être ivre à l'usine, il serait licencié! Bonnes gens, cela lui a rien fait et 15 jours plus tard il a recommencé. Quand il a été licencié, il est revenu plus tôt que d'habitude à la maison et m'a raconté un mensonge pour ne pas que je l'apprenne. Il m'a redemandé de l'argent pour aller boire et je lui ai don-né le peu que j'avais, car il m'aurait frappé. Quel calvaire, quand j'y pense! Tous les soirs, il rentrait ivre mort et s'affalait directement sur le lit tout habillé!